JORF n°0240 du 14 octobre 2016

Rapport relatif à l'ordonnance n° 2016-1366 du 13 octobre 2016

Monsieur le Président de la République,
La présente ordonnance est prise en application de l'article 86 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
Cet article habilite le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance afin de prendre les mesures nécessaires à :
1° L'actualisation, en vue d'améliorer la garantie de l'indépendance des membres du Conseil d'Etat et des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
a) Des règles régissant l'exercice de leur activité ;
b) Des règles régissant leur évaluation, leur régime disciplinaire, leur formation et leur avancement ;
c) De la composition et des compétences du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
d) De la composition, des compétences et de la dénomination de la commission consultative du Conseil d'Etat ;
2° La modification des modalités de recrutement par la voie du tour extérieur des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel afin d'assurer la qualité, la diversification et la transparence du recrutement et des affectations ;
3° La limitation, dans un souci de bonne administration, de la durée de certaines fonctions juridictionnelles ou administratives exercées par les membres du Conseil d'Etat en activité ou honoraires, sous réserve qu'aucun autre texte n'en limite la durée s'il s'agit de fonctions extérieures au Conseil d'Etat.
La présente ordonnance modifie le titre III du livre II du code de justice administrative fixant les dispositions statutaires applicables aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
L'article 1er modifie le chapitre II relatif au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTA).
La section 1 du chapitre est consacrée aux attributions du Conseil supérieur. La référence actuelle aux articles 14 et 15 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, relatifs respectivement aux attributions des commissions administratives paritaires et des comités techniques, est remplacée par une énumération des compétences du CSTA, afin de mieux prendre en compte les spécificités du corps des magistrats administratifs.
Ses compétences sur les mesures individuelles intéressant les magistrats administratifs sont renforcées à deux égards : d'une part, il est conféré au CSTA le pouvoir d'établir, et non plus seulement de proposer, les tableaux d'avancement et les listes d'aptitudes ; d'autre part, il sera saisi désormais pour avis conforme sur la nomination des présidents des tribunaux administratifs (avis simple aujourd'hui), et pour avis simple sur celle des présidents des cours administratives d'appel (pas de consultation aujourd'hui). Par ailleurs, le pouvoir d'avis conforme qu'il exerce sur la nomination des rapporteurs publics en vertu de l'article R. 222-23 du code de justice administrative est consacré au rang législatif.
Les compétences disciplinaires du CSTA sont également renforcées puisqu'il se voit conférer l'exercice du pouvoir disciplinaire sur les magistrats administratifs, là où il n'a aujourd'hui qu'un pouvoir de proposition. Dès lors, ainsi que le précise l'article 4 de la présente ordonnance relatif à la discipline, les décisions rendues par le CSTA en matière disciplinaire auront désormais un caractère juridictionnel et pourront faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.
Les compétences consultatives du CSTA en matière d'organisation et de fonctionnement du service restent inchangées, si ce n'est le rehaussement au rang législatif des dispositions de l'actuel article R. 237-2 du code de justice administrative qui imposent sa consultation sur les projets de textes prévoyant la participation de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel à l'exercice de fonctions autres que celles qu'ils exercent dans ces juridictions.
La section 2 du chapitre est consacrée à la composition du CSTA. Elle comprend trois évolutions notables :

- le siège actuellement occupé par le directeur général de l'administration et de la fonction publique sera désormais occupé par un chef de juridiction élu par ses pairs ;
- la représentation par grade des magistrats administratifs élus actuellement prévue par l'article R. 232-1 du code de justice administrative est rehaussée au rang législatif ;
- l'incompatibilité avec tout mandat électif actuellement prévue pour les personnalités qualifiées est ramenée à une incompatibilité avec les seuls mandats parlementaires ; il est par ailleurs imposé que ces personnalités soient choisies dans le domaine du droit en dehors des membres du Conseil d'Etat et des magistrats des tribunaux administratifs ; enfin, elles seront indemnisées.

La section 3 porte sur le fonctionnement du Conseil supérieur. Il y est précisé qu'il siège dans la même composition quel que soit le niveau hiérarchique des magistrats dont le cas est examiné, comme actuellement, et que le président a désormais voix prépondérante dans tous les cas où le CSTA se prononce sur des mesures individuelles autres que disciplinaires.
La section 4 est relative au secrétaire général des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. En lieu et place de ses missions actuelles de gestion des greffes et de coordination des besoins des juridictions en moyens matériels et en documentation, il lui est conféré une mission plus large de participation à l'ensemble de la gestion des tribunaux et des cours, auprès du secrétaire général du Conseil d'Etat.
L'article 2 modifie le chapitre III relatif à la nomination et au recrutement des magistrats administratifs, principalement pour y ajouter une section 5 consacrant le droit des magistrats administratifs à une formation initiale et à une décharge d'activité lorsqu'ils suivent des actions de formation continue, dans des conditions à définir par décret en Conseil d'Etat.
L'article 3 modifie le chapitre IV relatif à l'avancement, en y ajoutant notamment des dispositions relatives aux affectations des magistrats administratifs et à leur évaluation.
La section 1 est relative aux affectations.
L'actuel article R. 233-3 du code de justice administrative prévoit que celles-ci sont prononcées par arrêté du ministre de la justice qui peut déléguer ces attributions au vice-président du Conseil d'Etat, mais, compte tenu de la pratique constante, il est proposé de conférer directement ce pouvoir au vice-président du Conseil d'Etat.
Il est toutefois expressément fait réserve du cas des premières nominations sur les postes de vice-président, de président de chambre ou de président de juridiction énumérés aux articles L. 234-3 à L. 234-5 du code de justice administrative : dès lors en effet que ces nominations entraînent automatiquement une promotion, selon les cas, de grade (article L. 234-3 pour l'accès au grade de président) ou d'échelon fonctionnel (article R. 234-5 pour l'accès aux 5e, 6e et 7e échelons du grade de président), elles doivent être prononcées par le Président de la République pour qu'il puisse en vérifier la réalité et prévenir les promotions pour ordre.
Il est enfin précisé que les affectations des magistrats administratifs sont effectuées en tenant compte notamment de l'intérêt du service au sein des juridictions d'accueil et d'origine et des intérêts familiaux et personnels dont ils font état.
La section 2 regroupe les dispositions relatives à l'avancement.
Il est rappelé que les avancements de grade à grade sont prononcés par le Président de la République. La règle selon laquelle les avancements d'échelons sont prononcés par le vice-président du Conseil d'Etat, qui est prévue actuellement uniquement par le IV de l'article R. 234-1 du code de justice administrative, est rehaussée au rang législatif.
De la même manière sont rehaussées au rang législatif les conditions de promotion au grade de premier conseiller qui figurent actuellement à l'article R. 234-2 du code de justice administrative.
Enfin, la section 3 fixe le principe d'une évaluation périodique des magistrats dans des conditions définies par décret.
L'article 4 modifie le chapitre VI relatif à la discipline. Il crée un régime disciplinaire propre aux magistrats administratifs, qui leur accorde plus de garanties et est plus adapté à l'exercice de fonctions juridictionnelles que celui du droit commun de la fonction publique.
Les caractéristiques en sont les suivantes :

- le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel exerce directement le pouvoir disciplinaire à l'égard des magistrats administratifs et ne se borne plus à faire, comme actuellement, des propositions au Président de la République. Ses décisions acquièrent par conséquent un caractère juridictionnel et pourront faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat. Seuls le blâme et l'avertissement peuvent être prononcés directement par le vice-président du Conseil d'Etat ;
- à la différence du droit commun (article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984), le retrait de certaines fonctions est inclus dans la liste des sanctions et ne pourra donc être prononcé qu'après le respect de la procédure disciplinaire ;
- la compétence du CSTA pour assurer la discipline des magistrats administratifs recrutés par la voie du détachement est clairement affirmée alors que, dans le droit commun de la fonction publique, le pouvoir disciplinaire reste assuré par l'administration d'origine (CE Section 8 juin 1962, Ministre des P. et T. c/ Frischmann, p. 382). Ces dispositions s'appliquent toutefois sous réserve de celles de l'article 48 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dont il résulte que seul le Conseil supérieur de la magistrature exerce le pouvoir disciplinaire à l'égard des magistrats judiciaires en position de détachement ;
- la fin anticipée du détachement à l'initiative de l'administration est considérée comme une sanction disciplinaire, alors que, dans le droit commun, elle constitue une simple mesure de gestion prise dans l'intérêt du service (CE 30 janvier 2015, Agence pour l'enseignement français à l'étranger, n° 374772, aux T) ;
- le caractère contradictoire de la procédure et le droit du magistrat poursuivi à être assisté tout au long de la procédure sont garantis par la loi ;
- en cas d'égalité des voix au CSTA sur l'existence d'une faute, le magistrat poursuivi est relaxé. En cas d'égalité des voix sur la sanction à infliger, les dispositions réglementaires préciseront qu'il y a lieu de soumettre au vote la sanction immédiatement inférieure jusqu'à obtenir une majorité.

Corrélativement, la suspension de fonctions sera désormais prononcée par le président du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel.
Tel est l'objet de la présente ordonnance que nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre profond respect.