III. - Sur l'article 6
A. - L'article 6 de la loi de finances pour 2001 étend le champ des exonérations de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur (vignette) prévu à l'article 1599 F du code général des impôts.
Désormais, les personnes physiques propriétaires, ou locataires sous certaines conditions, de voitures particulières, de véhicules carrossés en caravanes ou spécialement aménagés pour le transport des handicapés et d'autres véhicules dont le poids total autorisé en charge (PTAC) est inférieur à 2 tonnes sont exonérées de la vignette.
La loi organise également les conditions de la compensation des pertes de recettes qui en résultent pour les départements et la collectivité de Corse.
Le recours des sénateurs fait grief à cet article d'introduire une discrimination injustifiée entre les personnes physiques et les personnes morales. Selon les parlementaires requérants, la rétroactivité de la mesure également contestable, l'absence de perception des sommes dues depuis le 1er décembre 2000 constituant une infraction pour les comptables publics. Est enfin invoquée une atteinte excessive à la libre administration des collectivités territoriales concernées.
B. - Pour sa part, le Gouvernement estime que cette disposition est conforme à la Constitution.
- En premier lieu, le régime d'exonération de la vignette automobile retenu par le législateur ne remet pas en cause le principe d'égalité devant l'impôt.
En distinguant les redevables de la vignette selon qu'ils sont des personnes physiques ou des personnes morales, le législateur a recouru à un critère objectif et rationnel qui délimite des catégories homogènes, à l'intérieur desquelles les contribuables sont tous placés dans la même situation au regard de cette imposition. De ce point de vue, le fait que des entreprises ayant la même activité peuvent ne pas bénéficier de cette mesure selon leur statut juridique ne constitue pas une atteinte au principe d'égalité.
Ce principe ne saurait, en effet, être entendu comme imposant d'aligner le régime fiscal des sociétés sur celui des entreprises individuelles, c'est-à-dire des personnes physiques. Les unes et les autres sont actuellement régies par des règles différentes et adaptées à leurs situations, tant en matière d'assiette, de taux que de modalités de recouvrement. Le Conseil constitutionnel a déjà reconnu la légitimité de telles différences : dans sa décision no 98-406 DC du 29 décembre 1998, il a notamment admis, à propos du paiement de la contribution représentative du droit de bail, une différence de traitement entre personnes physiques et sociétés qui tient à l'application de modalités de liquidation et à des règles de recouvrement différentes pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés.
On soulignera d'ailleurs que les bénéfices des sociétés sont soumis à l'impôt suivant un taux proportionnel, alors que l'imposition de ceux que réalisent les personnes physiques est caractérisée par la progressivité. Par ailleurs les sociétés acquittent certaines impositions que ne supportent pas les entreprises individuelles.
Dans le cas, cité par la saisine, d'un artisan qui, selon le cas, exerce son activité directement sous forme individuelle ou bien sous la forme d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), il appartient à l'intéressé - comme c'est déjà le cas - de choisir entre ces deux formes d'exploitation en tenant compte de l'ensemble des caractéristiques de chacun des régimes. On rappellera que l'EURL est une société à responsabilité limitée, régie par l'article L. 223-1 du code de commerce, issu de l'article 2 de la loi du 11 juillet 1985.
L'EURL est donc bien une personne morale, quand bien même l'associé est unique, et ce dernier n'a alors pas le statut d'artisan ou de commerçant. Par suite du choix qu'il a fait, il se place dans la même situation que les actionnaires de sociétés de capitaux. Il a d'ailleurs la possibilité d'opter pour l'impôt sur les sociétés en application du 4o de l'article 8 du code général des impôts.
Enfin, il convient de relever que la forme juridique de l'entreprise a une incidence directe sur les conditions de détention des véhicules : les entrepreneurs individuels sont propriétaires de leur véhicule, même si celui-ci est affecté totalement ou en partie à l'activité de l'entreprise, alors que les actionnaires ou dirigeants d'une personne morale ne disposent que d'un droit de créance ou d'emploi des véhicules de la société ou de l'organisme. La situation des entrepreneurs individuels est donc proche de celle des particuliers.
- En deuxième lieu, la loi ne porte aucune atteinte à la libre administration des collectivités locales.
En vertu de l'article 34 de la Constitution, il revient au législateur de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, et donc de créer, de modifier ou de supprimer des impôts. Cette compétence s'exerce quelle que soit la collectivité publique affectataire de l'impôt sous réserve de la possibilité, admise par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que, dans un cadre et dans des limites définies par la loi, une marge de manoeuvre soit laissée, notamment en matière de fixation des taux, à l'appréciation du pouvoir réglementaire ou des organes délibérants des collectivités affectataires de l'impôt.
S'agissant des collectivités locales, la nécessité d'un tel cadre se traduit, en particulier, par les dispositions législatives qui plafonnent les taux des impôts locaux, ainsi que par celles qui établissent un lien entre ceux qui pèsent sur les ménages et ceux qui frappent les entreprises.
Il appartient également au législateur, compétent en vertu de l'article 34 pour déterminer les principes fondamentaux de la « libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources », de faire en sorte que ces collectivités puissent disposer, d'une part, des ressources leur permettant de remplir de manière effective les attributions qui leur sont confiées, d'autre part, de la liberté d'emploi de ces ressources.
Il résulte de la jurisprudence, et en dernier lieu des décisions no 98-405 DC du 29 décembre 1998 et no 2000-432 DC du 12 juillet 2000, que les règles ainsi posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources des collectivités territoriales ou de réduire la part des recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration. En déclarant conforme à ces exigences la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle par la loi de finances pour 1999 ainsi que celle de la part régionale de la taxe d'habitation par la première loi de finances rectificative pour 2000, le Conseil a admis le principe d'une réduction des ressources fiscales des collectivités locales, dès lors que les modalités de compensation de celles-ci sont jugées satisfaisantes.
L'article 6 de la loi déférée ne méconnaît pas ces exigences.
On soulignera à cet égard, en premier lieu, que, après l'extension du champ d'exonération de la vignette, les recettes fiscales des départements resteront substantielles, puisqu'elles représenteront encore 43 % de leurs recettes totales hors emprunt, en prenant en compte la réforme de la taxe professionnelle et des droits de mutation à titre onéreux. Avec une telle proportion de recettes fiscales propres, les départements disposeront encore d'une marge de manoeuvre fiscale suffisante au regard de la jurisprudence précitée, qui paraît fondée sur le souci de permettre aux collectivités locales de mobiliser des ressources propres pour faire face, le cas échéant, à des dépenses imprévues pesant notamment sur les services publics dont elles ont la charge. Les dispositions envisagées n'auront donc pas pour effet de réduire la part des recettes fiscales dans leurs ressources globales au point d'entraver leur libre administration.
En second lieu, il convient de souligner que le mode de compensation, par l'Etat, de la perte de recettes subie par les départements et la collectivité de Corse du fait de la suppression de la vignette leur garantit un niveau de ressources qui ne les pénalise en rien et qui est, de surcroît, prévisible.
La méthode de calcul retenue tient compte des modalités particulières de gestion de la vignette et des décalages dans le temps entre l'encaissement de son produit et le versement des avances aux départements.
En effet, les départements perçoivent pour l'essentiel au titre d'une année (2000 par exemple) le produit du millésime de l'année suivante (2001 dans l'exemple retenu) : 90 % du produit d'un millésime est ainsi collecté au cours de la campagne d'octobre-novembre.
La compensation est calculée sur la base du produit qu'auraient dû percevoir les départements en 2000 si la vignette 2001 n'avait pas été supprimée. Il sera déduit de ce montant global théorique le produit de la vignette qui sera acquittée par les personnes morales et physiques qui restent assujetties et qui sera effectivement encaissé au titre de la vignette 2001.
Les départements percevront une compensation intégrale par une attribution de dotation générale de décentralisation qui sera indexée dès 2001 en fonction du taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Ce mode d'indexation, déjà utilisé pour plusieurs compensations, n'est pas inéquitable. Il permettra d'assurer aux collectivités locales une progression régulière de la compensation. Ce mode de compensation a été jugé suffisant par le Conseil constitutionnel dans ses décisions, déjà citées, de 1998 et 2000.
Il s'agit d'ailleurs d'un mécanisme particulièrement avantageux, dans la mesure où la DGF évolue chaque année comme l'indice des prix à la consommation, majoré de la moitié de la progression du produit intérieur brut.
Par ailleurs, l'évolution moyenne, au cours des dix dernières années, de la DGF a été supérieure à celle du produit de la vignette (+ 2,8 % contre + 2,07 % par an en moyenne). Encore faut-il relever que les augmentations constatées du produit de la vignette en 1994 (+ 4,73 %) et 1996 (+ 4,19 %) résultent de l'application de mesures conjoncturelles en faveur du renouvellement du parc de véhicules.
Ainsi la compensation prévue permettra-t-elle de garantir aux départements un niveau de recettes au moins équivalent.
- Enfin, on saisit mal en quoi la rétroactivité dont font état les auteurs de la saisine pourrait se heurter à des obstacles constitutionnels : en tout état de cause, nul ne sera rétroactivement assujetti à la vignette et les comptables publics qui n'ont pas encaissé un impôt dont la loi décide qu'il n'était pas dû ne commettent évidemment aucune infraction.
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