V. - Sur la conformité de la loi au principe
de la liberté d'association
A. - Dans la ligne des propositions contenues dans le rapport présenté au Premier ministre par M. Patriat, député, le projet de loi comportait un certain nombre de mesures tendant à redéfinir les missions des fédérations départementales des chasseurs. Au cours de la discussion parlementaire, d'autres dispositions allant dans le même sens ont été introduites.
C'est ainsi que les articles 10 et 12 ont prévu la création de fédérations régionales et d'une fédération nationale dont les statuts, comme le prévoit déjà l'article L. 221-4 du code rural pour les fédérations départementales, devront être conformes à un modèle adopté par le ministre chargé de la chasse. L'article 5 insère dans cet article L. 221-4 une disposition précisant les modalités de vote au sein des assemblées générales des fédérations départementales.
Par ailleurs, les paragraphes IV et V de l'article 7 définissent les types de contrôles qui s'exercent sur les fédérations. Il résulte ainsi de la nouvelle rédaction de l'article L. 221-6 du code rural que le représentant de l'Etat dans le département contrôle l'exécution des missions de service public auxquelles participent les fédérations départementales des chasseurs et approuve leurs budgets. L'article L. 221-7 précise qu'elles peuvent être soumises aux contrôles prévus par les articles L. 111-7 et L. 211-6 du code des juridictions financières. Elles sont également soumises au contrôle économique et financier de l'Etat.
Pour contester ces mesures, les auteurs du recours font valoir qu'elles donnent aux fédérations départementales des chasseurs, qui sont des associations, un statut et des modalités de fonctionnement contraires au principe fondamental de la liberté d'association. Ils critiquent, à cet égard, le principe de leur soumission à des statuts types, ainsi que les modalités de délégation de vote retenues par l'article 5.
Ils estiment également que les contrôles administratifs et financiers auxquels la loi soumet ces organismes sont excessifs et mettent en cause leur liberté de fonctionnement en portant une atteinte disproportionnée au principe de la liberté d'association. Ils reprochent en outre à la loi de ne pas avoir défini les modalités d'exercice de ces contrôles. Ils considèrent que le contrôle économique et financier de l'Etat, mentionné au V de l'article 7 et à l'article 12 de la loi, est dépourvu de base légale et porte gravement atteinte à la liberté d'association. Enfin, ils soutiennent que le contrôle a posteriori des fédérations des chasseurs par les chambres régionales des comptes et la Cour des comptes n'est pas justifié, dès lors que ces fédérations ne disposent pas de fonds publics ni de cotisations légalement obligatoires et ne bénéficient d'aucun avantage financier.
B. - Ces moyens ne sont pas fondés.
Ils reposent en effet sur un postulat erroné, celui suivant lequel la liberté d'association, consacrée en tant que principe constitutionnel par la décision no 71-44 DC du 16 juillet 1971, aurait nécessairement la même portée pour tous les groupements. En réalité, la liberté consacrée par cette jurisprudence revêt essentiellement un double aspect : le droit de constituer librement une association ; l'impossibilité d'instaurer un contrôle préalable à la déclaration de l'association, qui conditionne son accès à la capacité juridique.
Ces principes ne sont nullement en cause ici. Ils ne font pas obstacle à la définition d'un cadre juridique régissant des groupements qui, tout en étant créés par la loi et soumis à ses dispositions, relèvent à titre subsidiaire de la loi de 1901. De tels organismes sont donc d'une nature différente pouvant justifier, le cas échéant, un contrôle de l'autorité administraive. C'est pourquoi la décision du 16 juillet 1971 réserve expressément le cas des « mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations ». Au nombre de celles-ci figurent non seulement les associations reconnues d'utilité publique ou les congrégations mais aussi celles qui participent à des missions de service public.
Tel est précisément le cas des fédérations départementales des chasseurs. Elles se sont certes constituées, à l'origine, sous le seul régime de la loi de 1901. Mais ensuite leur rôle a évolué et elles ont fondamentalement changé de caractère à partir du décret du 25 août 1934 pris pour l'application de la loi du 28 février 1934, et surtout avec la loi du 28 juin 1941 qui leur a donné un statut législatif. Depuis ce texte, elles ont de plein droit la personnalité juridique, sans être soumises à la formalité de déclaration prévue par loi de 1901. Elles veillent à la répression du braconnage, à la constitution et à l'aménagement de réserves de chasse, et à la protection et à la reproduction du gibier. Ces associations collaborent ainsi à l'exécution d'un service public, comme le soulignait le Conseil d'Etat dans un arrêt Chevassier du 4 avril 1962, qui relevait également que leur président est nommé par un ministre et que leur activité et leur budget sont soumis au contrôle de l'administration.
Cette collaboration est également soulignée par la décision du Conseil constitutionnel, déjà citée, du 20 février 1987, qui juge en particulier que la fixation des conditions d'âge à remplir par les présidents de ces fédérations relève du pouvoir réglementaire.
Tel est le régime qui s'applique depuis longtemps aux fédérations départementales des chasseurs, et dont la conformité à la Constitution n'a jamais été mise en doute. Contrairement à ce que suggère l'argumentation des requérants, la loi ne change pas fondamentalement la nature de ce régime.
Mais dans la mesure où elle redéfinit leurs missions, notamment en les chargeant de l'indemnisation des dégâts de gibiers et en leur affectant des ressources fiscales, il est logique qu'en contrepartie des contrôles puissent être maintenus, voire renforcés, pour veiller au bon accomplissement des missions d'intérêt général et au bon emploi des fonds publics et cotisations obligatoires correspondants. La jurisprudence ayant déjà admis la possibilité d'un contrôle public de l'emploi des fonds recueillis par une association faisant appel à la générosité publique (no 91-299 DC du 2 août 1991), il doit en aller a fortiori de même pour les fédérations départementales des chasseurs, eu égard à la nature de leurs missions et de leurs ressources.
On relèvera, à cet égard, que la rédaction du nouvel article L. 221-6 marque bien que le contrôle du représentant de l'Etat défini par cet article porte sur « l'exécution des missions de service public auxquelles participent les fédérations départementales des chasseurs ». Il convient aussi d'observer que, dès lors que la loi pose le principe de dépenses obligatoires permettant de faire face à ces missions, un contrôle a priori s'avère particulièrement approprié.
De même est-il normal que - comme c'est traditionnellement le cas pour toutes les « catégories particulières d'associations », au sens de la décision précitée du 16 juillet 1971 - la loi impose que leurs statuts soient conformes à un modèle établi par l'autorité administrative.
S'agissant enfin du contrôle a posteriori exercé par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, il ressort clairement de l'article 7 de la loi déférée qu'il ne peut avoir à jouer que dans la mesure où les conditions fixées par les articles L. 111-7 et L. 211-6 du code des juridictions financières sont remplies. Or il résulte de la nouvelle rédaction que la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 a donnée à l'article L. 111-7 que ce contrôle peut s'exercer dès lors que l'organisme bénéficie du produit d'impositions, ce qui est désormais le cas des fédérations départementales des chasseurs. Quant à l'article L. 211-6 relatif au contrôle exercé par les chambres régionales des comptes, il ne peut trouver à s'appliquer que si les conditions qu'il prévoit, tenant à l'existence de concours financier provenant d'une collectivité territoriale, sont réunies.
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