Sur la proposition de M. Gaétan GORCE, commissaire, et après avoir entendu les observations de M. Jean-Alexandre SILVY, commissaire du Gouvernement,
Emet l'avis suivant :
La commission a été saisie par le ministre de la justice concernant un projet de décret en Conseil d'Etat modifiant les dispositions réglementaires relatives au traitement dénommé « Cassiopée » (Chaîne applicative supportant le système d'information orienté procédure pénale et enfants).
Le traitement Cassiopée, dont les modalités de mise en œuvre sont prévues aux articles 48-1 et R. 15-33-66-4 à R. 15-33-66-13 du code de procédure pénale (CPP), est déployé dans tous les tribunaux de grande instance. Constituant le bureau d'ordre national automatisé des procédures judiciaires, cette application enregistre « les informations nominatives relatives aux plaintes et dénonciations reçues par les procureurs de la République ou les juges d'instruction et aux suites qui leur ont été réservées » et est « destinée à faciliter la gestion et le suivi des procédures judiciaires par les juridictions compétentes, l'information des victimes et la connaissance réciproque entre les juridictions des procédures concernant les mêmes faits ou mettant en cause les mêmes personnes, afin notamment d'éviter les doubles poursuites », conformément aux termes de l'article 48-1 du CPP.
L'un des objectifs de ce traitement est également de constituer, à terme, une chaîne pénale complète, des poursuites jusqu'à l'exécution des peines, de sorte que les mêmes informations n'aient plus à être reportées manuellement d'une application à l'autre. Ainsi, les traitements mis en œuvre par le ministère de l'intérieur dans le cadre des procédures judiciaires (logiciels de rédaction des procédures notamment) alimenteront, en amont, le traitement Cassiopée, ce dernier alimentant, en aval, les fichiers d'antécédents judiciaires et le casier judiciaire.
Les modifications projetées des dispositions réglementaires relatives à ce traitement ont pour objectif de mettre en œuvre la communication électronique en matière pénale prévue par l'article 803-1 du CPP et de faciliter ainsi la communication entre les autorités judiciaires et les justiciables. Elles visent également à permettre à de nouveaux personnels habilités d'accéder directement à ce traitement ou de recevoir communication de certaines données enregistrées dans Cassiopée. En application des articles 48-1 du CPP et 26-II de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ces modifications doivent faire l'objet d'un décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la commission.
Par ailleurs, dans le cadre de la mise en œuvre de cette fonctionnalité de communication électronique, la commission est également amenée à se prononcer sur des projets de textes réglementaires relatifs à des traitements mis en œuvre par le ministère de l'intérieur (pré-plainte en ligne, logiciel de rédaction des procédures de la police nationale, traitement d'antécédents judiciaires), qui font l'objet de délibérations distinctes.
Sur la nature des données traitées :
Depuis 2007, l'article 803-1 du CPP permet l'utilisation de moyens de communication électronique au cours de la procédure pénale entre les avocats des parties et les autorités judiciaires. L'article 14 de la loi du 16 février 2015 susvisée a complété cet article 803-1 du CPP afin de généraliser le recours à la communication électronique au cours de la procédure pénale.
Désormais, la communication électronique peut concerner les parties à la procédure (parties civiles, personnes mises en examen, témoins assistés, prévenus), les personnes concernées par cette procédure qui ne sont pas des parties (victimes ou témoins) ainsi que les personnes condamnées.
Le CPP détaille les cas dans lesquels il peut être recouru à la communication électronique, les conditions préalables au recours à cette communication électronique ainsi que, pour certains types d'envoi, des contraintes techniques spécifiques, notamment d'horodatage à valeur probante. Par ailleurs, l'article 803-1 du CPP prévoit que l'envoi par voie électronique ne peut intervenir qu'à la condition que la personne y ait préalablement consenti par une déclaration expresse, recueillie au cours de la procédure, cet accord devant préciser le mode de communication électronique accepté par la personne (en pratique, l'envoi de messages écrits au numéro de téléphone indiqué ou l'envoi de courriels à une adresse de messagerie électronique).
Afin de mettre en œuvre cette procédure, l'article 2 du projet de décret modifie l'article R. 15-33-66-6 du CPP relatif aux informations et aux données à caractère personnel qui peuvent être enregistrées dans le traitement Cassiopée. Pour pouvoir informer par voie électronique les victimes, les autorités judiciaires doivent en effet disposer, au sein de Cassiopée, de l'adresse électronique et du numéro de téléphone portable, ce qui n'est pas prévu par les dispositions actuellement en vigueur.
Ainsi, les données suivantes, concernant les témoins, les personnes mises en examen ou témoins assistés, les prévenus, les accusés, les personnes faisant l'objet d'une procédure d'extradition ou d'un mandat d'arrêt européen, les victimes et les parties civiles, seront enregistrées dans Cassiopée :
- l'adresse électronique ;
- le numéro de téléphone portable ;
- l'accord de la personne concernée pour la mise en œuvre de la communication électronique pénale.
L'ajout de ces nouvelles données permettra dès lors aux autorités judiciaires, dans le cadre de ce dispositif, de mieux informer les victimes, conformément aux finalités du traitement Cassiopée établies à l'article 48-1 du CPP.
Néanmoins, la commission relève que le champ d'application de cette nouvelle fonctionnalité est en pratique limité à plusieurs égards.
En premier lieu, ce dispositif fera dans un premier temps l'objet d'une expérimentation, qui permettra aux seules victimes qui ont utilisé le service « pré-plainte en ligne » de recourir à cette communication électronique. Pour rappel, le dispositif de la « pré-plainte en ligne », mis en œuvre par le ministère de l'intérieur, est un téléservice permettant à la victime d'effectuer une déclaration en ligne pour des faits d'atteintes aux biens contre auteur inconnu, d'une part, et d'obtenir un rendez-vous auprès d'un service de police ou d'une unité de gendarmerie nationale de son choix pour signer sa plainte, d'autre part. Il en résulte que les procédures judiciaires pour lesquelles la communication électronique pourra intervenir seront en outre limitées aux procédures relatives aux infractions d'atteinte aux biens sans auteur connu.
Ainsi, il est prévu qu'au moment du dépôt de la « pré-plainte » en ligne la personne concernée saisisse son adresse électronique et son numéro de téléphone portable. Lors de l'entretien d'officialisation, qui permet de valider la déclaration en ligne, ces données seront intégrées aux logiciels de rédaction des procédures de la police et de la gendarmerie nationales et les enquêteurs recueilleront, conformément aux exigences de l'article 803-1 du CPP, le consentement de la personne concernée pour la mise en œuvre de la communication électronique pénale.
Ces données seront ensuite transmises, via des échanges inter-applicatifs, au traitement Cassiopée. De cette manière, l'utilisateur de Cassiopée pourra générer un courrier électronique à destination de la personne concernée afin de l'aviser des suites de la procédure la concernant.
En dernier lieu, le champ de l'expérimentation et les modalités de sa mise en œuvre sont limités : son périmètre géographique sera restreint au ressort du tribunal de grande instance de Lorient et seules les procédures traitées par les brigades de gendarmerie seront concernées. Seules certaines suites feront par ailleurs l'objet de cette transmission électronique, à savoir les classements sans suite et les dessaisissements au profit d'une autre juridiction. Les avis de classement sans suite et de dessaisissement au profit d'une autre juridiction ne sont pas soumis aux contraintes techniques prévues au deuxième alinéa du II de l'article 803-1 du CPP, notamment concernant l'horodatage. Enfin, dans un premier temps, seule la communication par courriel sera utilisée et non l'envoi de SMS.
Or, la commission relève que le projet de décret, en modifiant le a du 1° de l'article R. 15-33-66-6 du CPP, permettra la collecte de ces nouvelles données concernant non seulement les victimes, mais également les témoins, les personnes mises en examen ou les témoins assistés, les prévenus, les accusés, les personnes faisant l'objet d'une procédure d'extradition ou d'un mandat d'arrêt européen et les parties civiles, ce qui va très largement au-delà du cadre restreint de l'expérimentation.
En outre, l'article R. 15-33-66-6 du CPP tel que modifié par le projet de décret permettra la collecte de ces données pour l'ensemble des procédures pénales et des procédures autres que la procédure pénale relevant du juge des libertés et de la détention, et non pas uniquement pour les procédures relatives aux infractions d'atteinte aux biens sans auteur connu. De même, ledit article autorisera l'envoi de SMS aux personnes mentionnées à ce même article, alors même que cela n'est pas prévu dans le cadre de l'expérimentation.
Enfin, la commission rappelle que le recours au courrier électronique peut poser des difficultés en termes de sécurité et de confidentialité des données transmises, le contenu des courriers électroniques étant susceptible d'être examiné au moyen de scripts automatiques par les fournisseurs de service de courriels et l'information ainsi collectée réutilisée à d'autres fins par ces derniers.
Au regard de l'ensemble de ces éléments et de la nouveauté du dispositif, la commission estime que la mise en œuvre progressive de cette nouvelle fonctionnalité de communication électronique en matière pénale doit faire l'objet d'un contrôle strict.
En premier lieu, elle souhaite qu'un bilan lui soit communiqué à l'issue de l'expérimentation et avant toute généralisation de cette communication électronique. Elle estime en particulier que le bilan devrait comporter des éléments chiffrés ainsi que des éléments sur les éventuelles difficultés techniques rencontrées.
En second lieu, et conformément à l'article 30-II de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, elle rappelle que toute nouvelle fonctionnalité de communication électronique en matière pénale (envoi de SMS, envoi électronique d'avis ou de convocations pour lesquels le CPP prévoit un envoi par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, etc.) devra lui être notifiée et être mise en œuvre dans des conditions permettant d'assurer la confidentialité des échanges.
A cet égard, au regard de la sensibilité des informations qui peuvent être échangées en application de l'article 803-1 du CPP, la commission demande en particulier que les contraintes techniques mentionnées à cet article lui soient présentées avant toute mise en œuvre de cette communication électronique pour l'envoi d'autres types d'avis ou de convocation et que des mesures de sécurité supplémentaires soient prévues pour l'envoi des avis et des convocations mentionnés au deuxième alinéa du II de l'article 803-1 du CPP.
En outre, elle demande à être saisie du projet d'arrêté mentionné à l'avant-dernier alinéa de l'article 803-1 du CPP afin d'être en mesure d'examiner les mesures de sécurité entourant les échanges de documents.
Sur les destinataires des données :
Le projet de décret prévoit de modifier les dispositions réglementaires relatives aux personnels habilités à accéder directement au traitement Cassiopée et celles relatives aux personnels habilités à recevoir communication de données enregistrées dans ledit traitement.
S'agissant des premiers, l'article 3 du projet de décret vise à modifier l'article R. 15-33-66-8 du CPP afin de permettre aux agents de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) d'accéder directement aux données enregistrées dans ledit traitement.
L'AGRASC est un établissement public administratif, placé sous la double tutelle des ministères de la justice et du budget, dont la création a été prévue par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Elle centralise l'ensemble des numéraires saisis dans le cadre des procédures pénales, dispose d'un monopole pour les saisies immobilières et les aliénations avant jugement et gère les biens saisis que lui confie l'autorité judiciaire.
Le ministère indique qu'il est nécessaire pour les agents de l'AGRASC de suivre les procédures à tous les stades afin de connaître les suites à donner à ces différentes saisies. Ainsi, ces agents sont actuellement en contact permanent avec les greffes des juridictions pour obtenir des informations actualisées sur l'état des procédures. Dès lors, un accès direct à Cassiopée permettrait aux agents de l'AGRASC de pouvoir accéder à une information manquante, de s'assurer du développement d'une procédure et de mettre à jour les données de manière plus effective et plus rapide.
La commission prend acte de ces justifications et considère qu'elles sont de nature à justifier l'accès de certains des personnels de l'AGRASC à Cassiopée.
Elle relève en outre que plusieurs garanties ont été prévues par le ministère de la justice pour ces accès. Tout d'abord, cet accès direct au traitement Cassiopée sera réservé aux personnels dépendant du ministère de la justice (greffiers et magistrats) et non à l'ensemble des agents de l'AGRASC, certains relevant en effet du ministère de l'économie et des finances. En outre, l'accès sera réalisé via le réseau privé virtuel justice (RPVJ) et les actions de ces personnels seront tracées. Enfin, les personnels concernés accéderont à Cassiopée avec un profil « titulaire parquet » leur permettant d'avoir accès aux seules données enregistrées dans Cassiopée concernant des affaires traitées dans le ressort du TGI de l'affaire concernée.
La commission rappelle néanmoins qu'il conviendrait d'améliorer les modalités d'authentification au traitement Cassiopée, notamment en adoptant des mots de passe d'au moins huit caractères.
S'agissant des personnels habilités à recevoir communication de tout ou partie des informations et données à caractère personnel enregistrées dans le traitement Cassiopée, l'article 4 du projet de décret vise à modifier l'article R. 15-33-66-9 du CPP. Il est ainsi prévu d'ajouter les personnels de la sous-direction de la statistique et des études (SDSE) du secrétariat général du ministère de la justice, qui est un service statistique ministériel au sens de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 modifiée sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, afin d'établir des statistiques sur les parcours des auteurs d'infractions et des personnes poursuivies en justice.
A cet égard, la commission relève que les articles 48-1 et R. 15-33-66-4 du CPP prévoient que Cassiopée peut avoir pour objet l'exploitation des informations recueillies à des fins de recherches statistiques. Elle estime dès lors que les agents de la SDSE ont un intérêt légitime à connaître des données enregistrées dans Cassiopée.
La commission relève que ces statistiques seront effectuées par l'intermédiaire d'un autre traitement, dénommé « Système d'information décisionnel » (SID), auquel n'accéderont que les agents de la SDSE, et dont la mise en œuvre devra être autorisée dans les conditions prévues par la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
Sur la mise en œuvre de l'interconnexion de Cassiopée avec le casier judiciaire national :
Par ailleurs, au-delà des modifications apportées aux articles R. 15-33-66-6, R. 15-33-66-8 et R. 15-33-66-9, la commission a également été informée, conformément au II de l'article 30 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, de la prochaine mise en œuvre de l'interconnexion entre le traitement Cassiopée et le casier judiciaire national. La commission relève à cet égard que les dispositions relatives au traitement Cassiopée n'ont pas à être modifiées, l'article R. 15-33-66-12 du CPP prévoyant déjà que Cassiopée peut être mis en relation avec le casier judiciaire national.
Sont concernées par cette transmission automatisée et sécurisée les données concernant les décisions de condamnations pénales depuis Cassiopée vers le casier judiciaire national, qui sont aujourd'hui adressées au service du casier judiciaire national sous la forme d'une fiche, sous format papier, établie par le greffier de la juridiction.
La transmission envisagée sera opérée via la plate-forme d'échanges d'ores et déjà mise en œuvre pour la transmission des demandes de bulletins n° 1 du casier judiciaire. Concernant la connexion avec le casier judiciaire, celle-ci est sécurisée au moyen du protocole HTTPS et les messages sont transmis au format XML, un format standard apportant des garanties de fiabilité. Tout envoi est de surcroît déclenché suite à l'action dans Cassiopée d'un agent disposant de l'habilitation nécessaire.
Une procédure détaillée a été prévue s'agissant des contrôles des fiches reçues et ces transmissions dématérialisées seront doublées d'envois au format papier dans un premier temps, comme cela est réalisé actuellement.
S'agissant de la traçabilité des actions, un outil de supervision des échanges est garant de la fiabilité des transmissions, d'une part, et une traçabilité des actions est mise en œuvre dans Cassiopée, d'autre part. La commission a déjà eu l'occasion de se prononcer sur ces mesures de traçabilité, lesquelles n'appellent pas de nouvelles observations.
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