JORF n°0298 du 24 décembre 2019

Décret n°2019-1427 du 23 décembre 2019

Le Premier ministre,

Sur le rapport de la garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu la Constitution, notamment son article 37-1 ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment ses articles 87 et suivants ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, notamment ses articles 2, 5, 12 et 12-1 ;

Vu la loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, notamment son article 2 ;

Vu l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en date du 5 décembre 2019 ;

Vu l'avis du comité technique de l'administration pénitentiaire en date du 17 octobre 2019 ;

Le Conseil d'Etat (section de l'intérieur) entendu,

Décrète :

Article 1

I. − A titre expérimental, pour les missions présentant, à raison de leur nature ou du niveau de dangerosité des personnes détenues concernées, un risque particulier d'incident ou d'évasion, les personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire individuellement désignés peuvent être autorisés à porter des caméras individuelles.
Dans le cadre de ces missions, ces personnels peuvent procéder, lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions dans les conditions prévues à l'article 2 de la loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique.
II. − Les personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire autorisés à porter une caméra individuelle sont désignés par leur autorité hiérarchique directe, à savoir le chef d'établissement, le directeur interrégional des services pénitentiaires ou le directeur de l'administration pénitentiaire.
Ces autorités peuvent déléguer leur signature pour l'exercice de cette compétence.
III. − L'expérimentation prend fin le 5 février 2022.

Article 2

Le ministre de la justice est autorisé à mettre en œuvre, dans les conditions prévues par le présent décret, un traitement de données à caractère personnel provenant des seules caméras individuelles fournies aux personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire au titre de leur équipement.
Ce traitement a pour finalités :
1° La prévention des incidents et des évasions ;
2° Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ;
3° La formation et la pédagogie des agents pénitentiaires.

Article 3

Les catégories de données à caractère personnel et informations enregistrées dans le traitement sont :
1° Les images et les sons captés par les caméras individuelles utilisées par les personnels pénitentiaires dans les circonstances et pour les finalités prévues par le présent décret ;
2° Le jour et les plages horaires d'enregistrement ;
3° L'identification de l'agent porteur de la caméra lors de l'enregistrement des données ;
4° Le lieu où ont été collectées les données.
Si les données mentionnées aux 3° et 4° ne peuvent être enregistrées sur le même support que les images et sons visés au 1°, les personnes mentionnées au I de l'article 5 doivent être en mesure d'en justifier par un suivi de l'activité.
Les données enregistrées dans le traitement sont susceptibles de faire apparaître des éléments mentionnés au I de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Il est interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données.

Article 4

Lorsque les personnels visés à l'article 1er ont procédé à l'enregistrement d'une intervention, les données enregistrées par les caméras individuelles sont transférées sur un support informatique sécurisé dès la fin de la mission au cours de laquelle la caméra a été déclenchée.
Les enregistrements ne peuvent être consultés qu'à l'issue de la mission et après leur transfert sur un support informatique sécurisé. Aucun système de transmission permettant de visionner les images à distance en temps réel ne peut être mis en œuvre.

Article 5

I. − Dans la limite de leurs attributions respectives et de leur besoin d'en connaître ont seuls accès aux données et informations mentionnées à l'article 3 :
1° Le chef d'établissement, le directeur interrégional des services pénitentiaires et le directeur de l'administration pénitentiaire et leurs adjoints ;
2° Les personnels de l'administration pénitentiaire individuellement désignés et habilités par les autorités mentionnées au 1° de cet article.
Ces personnes sont seules habilitées à procéder à l'extraction des données et informations mentionnées à l'article 3 pour les besoins exclusifs d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire ou dans le cadre d'une action de formation et de pédagogie des agents.
II. − Dans la limite de leurs attributions respectives et de leur besoin d'en connaître dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, ou dans le cadre d'une action de formation et de pédagogie des agents, peuvent être destinataires de tout ou partie des données et informations enregistrées dans le traitement :
1° Les officiers et agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale ;
2° Les membres de l'inspection générale de la justice, dans le cadre de leurs missions, telles que définies par le décret n° 2016-1675 du 5 décembre 2016 ;
3° Les personnels du ministère de la justice en charge de traiter, pour le compte du ministère, les recours administratifs et les contentieux lorsque ces recours et contentieux concernent des faits ayant donné lieu ou ayant pu donner lieu à un enregistrement ;
4° Les personnels participant à l'exercice du pouvoir disciplinaire envers les agents ;
5° Les personnes participant à l'exercice du pouvoir disciplinaire envers les détenus ;
6° Les personnels chargés de la formation des agents et de l'élaboration des supports pédagogiques.

Article 6

Les données et informations mentionnées au 1er de l'article 3 sont conservées pendant une durée de six mois à compter du jour de leur enregistrement.
Au terme de ce délai, ces données sont effacées automatiquement du traitement.
Lorsque les données ont, dans le délai de six mois, été extraites et transmises pour les besoins d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, elles sont conservées selon les règles propres à chacune de ces procédures.
Les données mentionnées au 1° de l'article 3 utilisées à des fins pédagogiques et de formation sont anonymisées.

Article 7

Chaque opération de collecte, consultation, communication et d'extraction et d'effacement de données fait l'objet d'un enregistrement dans le traitement ou, à défaut, d'une consignation dans un registre spécialement ouvert à cet effet. Cette consignation comprend :
1° Les données mentionnées aux 2°, 3° et 4° de l'article 3 ;
2° La date et l'heure de la consultation et de l'extraction à des fins de communication ainsi que le motif judiciaire, administratif, disciplinaire ou pédagogique ;
3° Le service destinataire des données ;
4° L'identification des enregistrements audiovisuels extraits et de la caméra dont ils sont issus.
Ces données sont conservées trois ans.

Article 8

I. − Les droits d'information, d'accès, de rectification et d'effacement prévus aux articles 104 à 106 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés s'exercent directement auprès de l'autorité hiérarchique ayant désigné et habilité l'agent ayant procédé à l'enregistrement.
Toutefois, pour les motifs mentionnés aux 1,2°, 3° et 5° du I de l'article 107 de la loi précitée, les droits d'accès, de rectification et d'effacement peuvent faire l'objet des restrictions prévues aux II et III de l'article 107 de la même loi.
La personne concernée par ces restrictions exerce ses droits auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés dans les conditions prévues à l'article 108 de la même loi.
II. − Le droit d'opposition prévu à l'article 110 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ne s'applique pas au traitement mentionné au présent décret.
III. − L'information générale du public est réalisée sur le site internet du ministère de la justice et par affichage au sein des établissements pénitentiaires participant à l'expérimentation.

Article 9

I. − Afin d'assurer le suivi de l'expérimentation, un arrêté du ministre chargé de la justice crée un comité de pilotage dont il désigne les membres, en veillant à y associer des personnalités extérieures à l'administration pénitentiaire.
Au plus tard six mois avant le terme de l'expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d'évaluation de sa mise en œuvre.
II. − Sur la base d'indicateurs préalablement établis par un comité d'évaluation créé par arrêté du ministre de la justice, ce rapport évalue l'effet de l'emploi des caméras individuelles notamment sur le déroulement des interventions, sur la sécurisation physique des personnels pénitentiaires dans l'exercice de leurs missions et sur le fonctionnement général des établissements pénitentiaires. Il précise le nombre de procédures judiciaires, administratives et disciplinaires pour le besoin desquelles il a été procédé à la consultation et à l'extraction de données provenant des caméras individuelles.
L'inspection générale de la justice est associée à l'évaluation de l'expérimentation, dans les conditions prévues à l'article 6 du décret n° 2016-1675 du 5 décembre 2016.
Les conseils d'évaluation des établissements pénitentiaires concernés par l'expérimentation sont tenus informés des modalités de sa mise en œuvre en leur sein et apportent en tant que de besoin leur contribution à cette évaluation.
III. - A la fin de l'expérimentation, et au vu du rapport d'évaluation, le ministre de la justice propose de généraliser tout ou partie de l'expérimentation, de la prolonger ou d'y mettre fin.

Article 10

La garde des sceaux, ministre de la justice, est chargée de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait le 23 décembre 2019.

Edouard Philippe

Par le Premier ministre :

La garde des sceaux, ministre de la justice,

Nicole Belloubet