JORF n°303 du 31 décembre 2000

Article 36

Cet article a pour objet de créer un compte d'affectation spéciale no 902-23 intitulé « Fonds de provisionnement des charges de retraites et de désendettement de l'Etat ».

Il est a priori choquant du point de vue démocratique qu'une recette de l'importance de celle des redevances Universal Mobile Telecommunication System (UMTS) puisse être instituée, par voie réglementaire, sans que le Parlement n'ait à en connaître ni l'assiette, ni le montant, ni les modalités de recouvrement.

Le montant des redevances pour occupation privative du domaine public est pourtant bien, selon notre droit, fixé par voie réglementaire, comme le rappelle le Conseil d'Etat dans son avis no 364-989 du 6 juillet 2000 donné au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais s'agit-il réellement d'une redevance ou d'une « imposition de toute nature » dont le législateur, selon l'article 34 de la Constitution, doit « fixer les règles » ?

La décision du Conseil constitutionnel du 23 juin 1982 relative aux agences financières de bassin permet d'établir que des « redevances » qui ne constituent ni la rémunération d'un service rendu ni une taxe parafiscale ne peuvent être considérées que comme des impositions de toute nature. Cette décision est capitale, d'une part, car elle élargit la notion d'imposition, d'autre part, car elle la clarifie. Elle consacre la disparition des « impositions quasi fiscales ». Ainsi, mises à part les cotisations sociales, un prélèvement obligatoire ne peut plus appartenir qu'à l'une des deux catégories que constituent les « impositions de toute nature, d'une part, » et les « taxes parafiscales », d'autre part.

Par ailleurs, lorsqu'il y a rémunération pour service rendu (au sens de l'article 5 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances), on se trouve en présence d'une troisième catégorie, concurrente, de recettes versées à une personne morale de droit public.

Or, la nature juridique du prélèvement versé par les titulaires de licences UMTS est ambiguë et la qualification de redevance pour service rendu contestable.

On peut se demander, tout d'abord, s'il y a occupation privative du domaine public dès lors que la technologie employée conduit à une utilisation simultanée des mêmes fréquences

La technologie dite « CDMA » (code division multiple access) attribue en effet l'ensemble de la bande de fréquences à toutes les conversations téléphoniques qui sont codées et transmises simultanément. Ce n'était pas le cas avec la technologie GSM précédente, « TDMA » (time division multiple access).

par les différents utilisateurs.

Si tel n'est pas le cas, la fixation du montant de la redevance relève à un degré beaucoup moindre de l'exercice des prérogatives de puissance publique reconnues à l'administration. On peut montrer que l'on se trouve en présence d'une taxe et non d'une redevance, dès lors que le montant des droits exigés de l'occupant du domaine public est sans aucun rapport avec les avantages qu'en retirent les usagers.

En effet, les redevances pour services rendus doivent trouver leur contrepartie directe dans la prestation constituée par la mise à disposition du domaine au bénéfice de l'occupant pour une utilisation excédant le droit d'usage gratuit du domaine public qui appartient à tous (CE chambre de commerce et d'industrie du Var, 22 décembre 1989).

En outre, la rémunération des services, autres que la mise à disposition du domaine public, rendus aux opérateurs, n'est même pas assurée par la nouvelle redevance. Ces derniers devront acquitter par ailleurs des taxes de constitution de dossier, de contrôle et de gestion et une contribution au fonds de réaménagement du spectre géré par l'Agence nationale des fréquences (ANF).

La cause de l'intérêt public pourrait également être plaidée (certaines occupations du domaine public peuvent être consenties gratuitement ou moyennant des redevances réduites lorsqu'un intérêt public le justifie selon le code du domaine de l'Etat). Or, il est question que les services en réseau de communication soient intégrés dans la notion de « services d'intérêt économique général » qui pourrait faire l'objet d'une prochaine directive européenne.

Un problème d'égalité devant les charges publiques entre les différents utilisateurs de fréquences se trouve, d'autre part, posé. Au nom de quel principe peut-on justifier de faire payer aux opérateurs UMTS une redevance sans commune mesure avec les droits exigés des autres catégories d'usagers (radios, télévisions...) ?

Par ailleurs, l'avis précité du Conseil d'Etat rappelle que, d'après l'article R. 56 du code du domaine de l'Etat, le montant d'une redevance pour occupation privative du domaine public de l'Etat doit être déterminé, légalement, en fonction de l'avantage procuré au titulaire de l'autorisation par le droit qui lui est concédé.

Ce n'est manifestement pas le cas en ce qui concerne l'attribution des licences UMTS : l'avantage est hypothétique et le montant manifestement disproportionné.

L'argumentation du Conseil d'Etat, selon laquelle l'avantage lié à l'utilisation des fréquences est valorisable dès la délivrance de l'autorisation est très critiquable, d'autant que les licences ne sont pas cessibles.

Enfin, suivant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, quel est le service rendu par l'Etat aux titulaires de licences (mis à part une mise à disposition de fréquences que le droit européen a rendu obligatoire) ? Est-ce que ce ne sont pas plutôt les opérateurs qui rendent service à la collectivité en prenant le risque de développer, à travers la mise en eoeuvre coûteuse d'une technologie nouvelle, un service d'intérêt général ?

L'affectation au désendettement de l'Etat et au financement des retraites prouve, en elle-même, l'absence de liens directs entre la détermination du montant de la redevance et le service rendu aux occupants du domaine public.

En réalité, le fait d'imposer à quatre redevables, en fonction de leur seule qualité d'opérateurs de réseaux mobiles de troisième génération, une telle participation, en vertu du principe de solidarité nationale, au financement des retraites et au désendettement de l'Etat constitue une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques.

Juridiquement, la qualification de « redevance pour service rendu » apparaît ainsi inappropriée. L'assimilation de l'utilisation des fréquences UMTS à une occupation privative du domaine public n'est pas justifiée. En tout état de cause, il existe des taxes, comme celle perçue sur les ouvrages hydrauliques

Article 124-1 de la loi de finances pour 1991. Tribunal des conflits, 20 octobre 1997, SA Papeteries Etienne.

qui, bien qu'elles soient directement liées à l'occupation du domaine public, ont un caractère fiscal.

Dès lors que le prélèvement ne constitue ni une taxe parafiscale ni une rémunération pour services rendus, il doit être regardé comme une imposition de toute nature en vertu de la jurisprudence précitée (décision no 82-1242 relative aux agences financières de bassin).

Un prélèvement de nature fiscale a certes un caractère collectif et fait supporter le financement de charges publiques incombant au budget de l'Etat à un plus ou moins grand nombre de contribuables. Le fait que quatre opérateurs seulement soient assujettis au paiement de la redevance UMTS ne suffit pas cependant à établir qu'il ne s'agit pas d'une imposition de toute nature : la redevance des mines, qui a un caractère fiscal (art. 1519 du code général des impôts), est payée essentiellement par les houillères de bassin, filiales d'un seul groupe Charbonnages de France. Les redevances fiscales dues par les exploitants d'installations nucléaires de base concernant un nombre encore plus restreint de personnes morales (principalement EDF).

En conclusion, le Gouvernement a commis une erreur manifeste d'appréciation qui encourt la censure du juge constitutionnel en qualifiant de « redevance domaniale » le paiement par les opérateurs d'un droit sans rapport, compte tenu notamment de son montant et de la périodicité de son versement, avec les revenus escomptés de l'usage du domaine public.

Comme ce moyen de financement ne présente ni le caractère de taxe parafiscale ni celui de redevance pour services rendus, le législateur ne pouvait, en tout état de cause, sans méconnaître la Constitution et le principe explicite posé par la décision précitée du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel du caractère limitatif des catégories des ressources de l'Etat, autoriser la perception d'un tel droit.

Même si l'article 36 de la loi de finances pour 2001 ne fixe que les modalités de liquidation du prélèvement qu'il mentionne, et notamment n'en détermine ni l'assiette, ni le taux, ni les modalités de recouvrement, on doit considérer que le législateur n'a pas exercé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.

De même, et s'agissant des « impositions de toute nature », l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 impose que la contribution commune aux charges de la nation soit « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il appartient au législateur de « déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables » (décision no 81-133 DC du 30 décembre 1981, cons. 6, loi de finances pour 1982, rec., p. 41). En y manquant en l'espèce, le législateur n'a pas épuisé sa compétence et n'a donc pu valablement créer cette imposition nouvelle.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'article 36 de la loi de finances pour 2001 n'est conforme ni aux dispositions de l'article 34, alinéa 6, de la Constitution ni à celles de l'article 13 de la déclaration des droits.


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Version 1

Article 36

Cet article a pour objet de créer un compte d'affectation spéciale no 902-23 intitulé « Fonds de provisionnement des charges de retraites et de désendettement de l'Etat ».

Il est a priori choquant du point de vue démocratique qu'une recette de l'importance de celle des redevances Universal Mobile Telecommunication System (UMTS) puisse être instituée, par voie réglementaire, sans que le Parlement n'ait à en connaître ni l'assiette, ni le montant, ni les modalités de recouvrement.

Le montant des redevances pour occupation privative du domaine public est pourtant bien, selon notre droit, fixé par voie réglementaire, comme le rappelle le Conseil d'Etat dans son avis no 364-989 du 6 juillet 2000 donné au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais s'agit-il réellement d'une redevance ou d'une « imposition de toute nature » dont le législateur, selon l'article 34 de la Constitution, doit « fixer les règles » ?

La décision du Conseil constitutionnel du 23 juin 1982 relative aux agences financières de bassin permet d'établir que des « redevances » qui ne constituent ni la rémunération d'un service rendu ni une taxe parafiscale ne peuvent être considérées que comme des impositions de toute nature. Cette décision est capitale, d'une part, car elle élargit la notion d'imposition, d'autre part, car elle la clarifie. Elle consacre la disparition des « impositions quasi fiscales ». Ainsi, mises à part les cotisations sociales, un prélèvement obligatoire ne peut plus appartenir qu'à l'une des deux catégories que constituent les « impositions de toute nature, d'une part, » et les « taxes parafiscales », d'autre part.

Par ailleurs, lorsqu'il y a rémunération pour service rendu (au sens de l'article 5 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances), on se trouve en présence d'une troisième catégorie, concurrente, de recettes versées à une personne morale de droit public.

Or, la nature juridique du prélèvement versé par les titulaires de licences UMTS est ambiguë et la qualification de redevance pour service rendu contestable.

On peut se demander, tout d'abord, s'il y a occupation privative du domaine public dès lors que la technologie employée conduit à une utilisation simultanée des mêmes fréquences

La technologie dite « CDMA » (code division multiple access) attribue en effet l'ensemble de la bande de fréquences à toutes les conversations téléphoniques qui sont codées et transmises simultanément. Ce n'était pas le cas avec la technologie GSM précédente, « TDMA » (time division multiple access).

par les différents utilisateurs.

Si tel n'est pas le cas, la fixation du montant de la redevance relève à un degré beaucoup moindre de l'exercice des prérogatives de puissance publique reconnues à l'administration. On peut montrer que l'on se trouve en présence d'une taxe et non d'une redevance, dès lors que le montant des droits exigés de l'occupant du domaine public est sans aucun rapport avec les avantages qu'en retirent les usagers.

En effet, les redevances pour services rendus doivent trouver leur contrepartie directe dans la prestation constituée par la mise à disposition du domaine au bénéfice de l'occupant pour une utilisation excédant le droit d'usage gratuit du domaine public qui appartient à tous (CE chambre de commerce et d'industrie du Var, 22 décembre 1989).

En outre, la rémunération des services, autres que la mise à disposition du domaine public, rendus aux opérateurs, n'est même pas assurée par la nouvelle redevance. Ces derniers devront acquitter par ailleurs des taxes de constitution de dossier, de contrôle et de gestion et une contribution au fonds de réaménagement du spectre géré par l'Agence nationale des fréquences (ANF).

La cause de l'intérêt public pourrait également être plaidée (certaines occupations du domaine public peuvent être consenties gratuitement ou moyennant des redevances réduites lorsqu'un intérêt public le justifie selon le code du domaine de l'Etat). Or, il est question que les services en réseau de communication soient intégrés dans la notion de « services d'intérêt économique général » qui pourrait faire l'objet d'une prochaine directive européenne.

Un problème d'égalité devant les charges publiques entre les différents utilisateurs de fréquences se trouve, d'autre part, posé. Au nom de quel principe peut-on justifier de faire payer aux opérateurs UMTS une redevance sans commune mesure avec les droits exigés des autres catégories d'usagers (radios, télévisions...) ?

Par ailleurs, l'avis précité du Conseil d'Etat rappelle que, d'après l'article R. 56 du code du domaine de l'Etat, le montant d'une redevance pour occupation privative du domaine public de l'Etat doit être déterminé, légalement, en fonction de l'avantage procuré au titulaire de l'autorisation par le droit qui lui est concédé.

Ce n'est manifestement pas le cas en ce qui concerne l'attribution des licences UMTS : l'avantage est hypothétique et le montant manifestement disproportionné.

L'argumentation du Conseil d'Etat, selon laquelle l'avantage lié à l'utilisation des fréquences est valorisable dès la délivrance de l'autorisation est très critiquable, d'autant que les licences ne sont pas cessibles.

Enfin, suivant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, quel est le service rendu par l'Etat aux titulaires de licences (mis à part une mise à disposition de fréquences que le droit européen a rendu obligatoire) ? Est-ce que ce ne sont pas plutôt les opérateurs qui rendent service à la collectivité en prenant le risque de développer, à travers la mise en eoeuvre coûteuse d'une technologie nouvelle, un service d'intérêt général ?

L'affectation au désendettement de l'Etat et au financement des retraites prouve, en elle-même, l'absence de liens directs entre la détermination du montant de la redevance et le service rendu aux occupants du domaine public.

En réalité, le fait d'imposer à quatre redevables, en fonction de leur seule qualité d'opérateurs de réseaux mobiles de troisième génération, une telle participation, en vertu du principe de solidarité nationale, au financement des retraites et au désendettement de l'Etat constitue une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques.

Juridiquement, la qualification de « redevance pour service rendu » apparaît ainsi inappropriée. L'assimilation de l'utilisation des fréquences UMTS à une occupation privative du domaine public n'est pas justifiée. En tout état de cause, il existe des taxes, comme celle perçue sur les ouvrages hydrauliques

Article 124-1 de la loi de finances pour 1991. Tribunal des conflits, 20 octobre 1997, SA Papeteries Etienne.

qui, bien qu'elles soient directement liées à l'occupation du domaine public, ont un caractère fiscal.

Dès lors que le prélèvement ne constitue ni une taxe parafiscale ni une rémunération pour services rendus, il doit être regardé comme une imposition de toute nature en vertu de la jurisprudence précitée (décision no 82-1242 relative aux agences financières de bassin).

Un prélèvement de nature fiscale a certes un caractère collectif et fait supporter le financement de charges publiques incombant au budget de l'Etat à un plus ou moins grand nombre de contribuables. Le fait que quatre opérateurs seulement soient assujettis au paiement de la redevance UMTS ne suffit pas cependant à établir qu'il ne s'agit pas d'une imposition de toute nature : la redevance des mines, qui a un caractère fiscal (art. 1519 du code général des impôts), est payée essentiellement par les houillères de bassin, filiales d'un seul groupe Charbonnages de France. Les redevances fiscales dues par les exploitants d'installations nucléaires de base concernant un nombre encore plus restreint de personnes morales (principalement EDF).

En conclusion, le Gouvernement a commis une erreur manifeste d'appréciation qui encourt la censure du juge constitutionnel en qualifiant de « redevance domaniale » le paiement par les opérateurs d'un droit sans rapport, compte tenu notamment de son montant et de la périodicité de son versement, avec les revenus escomptés de l'usage du domaine public.

Comme ce moyen de financement ne présente ni le caractère de taxe parafiscale ni celui de redevance pour services rendus, le législateur ne pouvait, en tout état de cause, sans méconnaître la Constitution et le principe explicite posé par la décision précitée du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel du caractère limitatif des catégories des ressources de l'Etat, autoriser la perception d'un tel droit.

Même si l'article 36 de la loi de finances pour 2001 ne fixe que les modalités de liquidation du prélèvement qu'il mentionne, et notamment n'en détermine ni l'assiette, ni le taux, ni les modalités de recouvrement, on doit considérer que le législateur n'a pas exercé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.

De même, et s'agissant des « impositions de toute nature », l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 impose que la contribution commune aux charges de la nation soit « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il appartient au législateur de « déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables » (décision no 81-133 DC du 30 décembre 1981, cons. 6, loi de finances pour 1982, rec., p. 41). En y manquant en l'espèce, le législateur n'a pas épuisé sa compétence et n'a donc pu valablement créer cette imposition nouvelle.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'article 36 de la loi de finances pour 2001 n'est conforme ni aux dispositions de l'article 34, alinéa 6, de la Constitution ni à celles de l'article 13 de la déclaration des droits.