- Sur l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 411-5 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction résultant de l'article 145 de la loi déférée
Le nouvel article L. 411-5 du code de la construction et de l'habitation tend à soumettre les logements des filiales immobilières de la Caisse des dépôts et consignations au principe de pérennité applicable au logement social. En d'autres termes, la disposition déférée à la censure du Conseil consiste à imposer autoritairement que le régime des HLM s'applique, même après expiration des conventions qui fixaient, pour la durée de leur application, des conditions de ressources et de loyers, à ceux des logements de la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations dont la liste sera dressée par arrêté, en tenant compte de l'occupation sociale, appréciée notamment à proportion du nombre de bénéficiaires de l'aide personnalisée au logement.
Cet article doit être déclaré contraire à la Constitution au motif qu'il porte atteinte :
- au principe d'égalité devant la loi. La SCIC est dans une situation juridique strictement identique à celle de nombreux autres opérateurs intervenant dans le domaine du logement social ou du logement intermédiaire et rien, dans ces conditions, ne pourrait justifier qu'un sort particulier soit réservé à ses filiales, cependant que les autres intervenants échapperaient à celui-ci. D'une part, le fait d'être filiales ou, à plus forte raison, sous-filiales d'un établissement public, ne suffit pas à placer ces sociétés dans une situation spécifique au regard de l'objet de la loi, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision no 92-316 DC (Décision du 20 janvier 1993, Rec 14 ). D'autre part, aucune exigence d'intérêt général n'existe ici, qui imposerait cette discrimination au point de permettre qu'il soit dérogé au principe constitutionnel ;
- au principe d'égalité devant les charges publiques. Les dispositions contestées feraient en effet peser des sujétions discriminatoires, non seulement sur la société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations, mais aussi sur la totalité des actionnaires, minoritaires le plus souvent, mais parfois même majoritaires de ses filiales. Ces actionnaires sont des personnes totalement privées qui verraient ainsi leur patrimoine amputé d'une part substantielle de sa valeur. Il en irait de même des filiales concernées qui, par ailleurs, acquittent l'impôt sur les sociétés au taux normal ;
- au principe de liberté, dès lors que la disposition aurait pour effet, en réalité, de proroger les conventions en cours au-delà de leur date d'expiration. Ceci, qui aurait en quelque sorte pour conséquence d'emprisonner définitivement les bailleurs dans les conventions qu'ils n'avaient signées que pour une durée déterminée, équivaudrait à une modification unilatérale de ces contrats, portant atteinte, sur un élément fondamental, à la liberté contractuelle à un point tel qu'il dénaturerait la liberté elle-même consacrée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- au droit de propriété de l'ensemble des propriétaires des logements concernés qui, pour les mêmes motifs et du même coup, serait méconnu en violation des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- au respect des compétences du législateur, dans la mesure où celui-ci n'aurait pas exercé les pouvoirs qui n'appartiennent qu'à lui. Il s'agit là d'un cas d'incompétence négative du législateur qui apparaît d'abord en ce que n'est même pas précisée l'autorité compétente pour prendre l'arrêté : Premier ministre, ministre, préfet, maire ? Elle apparaît ensuite dans l'énoncé de critères spécialement flous, dont l'imprécision s'aggrave de l'emploi de l'adverbe « notamment », qui, de ce fait, livrerait les bailleurs aux appréciations quasi discrétionnaires de l'autorité administrative. Cette incompétence négative se manifeste de manière d'autant plus grave et inacceptable que les décisions ainsi prises par l'administration auraient des effets considérables, y compris sur les droits constitutionnellement protégés des locataires et des bailleurs.
Par ailleurs, il n'est pas indifférent de souligner que ces dispositions ne figuraient pas dans le projet de loi du Gouvernement et que celui-ci a lui-même reconnu, au cours des débats, qu'elles se heurtaient à des obstacles constitutionnels.
Enfin, aux différents motifs invoqués vient s'ajouter le caractère rétroactif, à la date du 30 juin 2000, des dispositions incriminées, ce qui en aggrave l'inconstitutionnalité. En effet, dans sa décision no 98-404 DC (décision du 18 décembre 1998, Rec. 315) la Haute Juridiction a estimé que la rétroactivité ne peut intervenir que « en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Or, aucun intérêt général déterminé, encore moins impératif, n'a été invoqué à l'appui d'une rétroactivité qui, pourtant, porte une atteinte grave au droit de propriété. En outre, l'expiration des conventions, à leur date normale, a donné naissance à des situations nouvelles légalement acquises qui ne sauraient être remises en cause sans qu'un objectif constitutionnel l'impose nécessairement, comme le souligne le Conseil dans sa décision no 84-181 DC du 10 octobre 1984 (Rec. 78). Il convient enfin de préciser que l'expiration des conventions a contraint les propriétaires, qui ne pouvaient se soustraire à cette obligation légale, à signer de nouveaux baux. La remise en cause rétroactive de ces baux légalement conclus, d'une part, porterait atteinte au droit de propriété, dont la libre disposition du patrimoine est « un attribut essentiel », selon la jurisprudence du Conseil (C. const., no 98-403 DC du 29 juillet 1998, Rec. 276), d'autre part, porterait « à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle (méconnaîtrait) manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » (C. const., no 98-401 DC du 10 juin 1998, Rec. 258).
Ces considérations s'aggravent dans des proportions considérables, dans la mesure où certains des logements concernés ont pu être non pas loués, mais vendus, à ceux qui ont souhaité les acquérir et l'ont fait légalement, lesquels, par l'effet explicite de l'article L. 411-4 auquel renvoie l'article L. 411-5 contesté, ne pourraient même plus les occuper eux-mêmes, ou y loger leurs enfants, s'il advenait qu'ils ne répondaient pas aux conditions de ressources fixées par l'autorité administrative.
A tous ces titres, l'ensemble de l'article L. 411-5 doit être déclaré contraire à la Constitution.
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