JORF n°16 du 20 janvier 2000

I. - Sur l'exercice de sa compétence

par le législateur

A. - Sur la méconnaissance de l'exigence constitutionnelle

de « clarté de la loi »

Un premier motif d'inconstitutionnalité externe réside dans la méconnaissance, par le législateur, de l'exigence constitutionnelle de « clarté de la loi ».

La loi introduit dans le code du travail des dispositions qui contredisent des articles dudit code, sans modifier ni supprimer ceux-ci. En fixant le volume annuel d'heures de travail, hors heures supplémentaires, à 1 600 heures, la loi interdit le travail les jours fériés sans pour autant modifier expressément les textes relatifs auxdits jours fériés.

En l'état actuel du droit (après le vote de la première loi sur la réduction du temps de travail) :

- la durée légale du travail est fixée à 39 heures par semaine (art. L. 212-1 du code du travail) ;

- la durée des congés payés est de 2,5 jours ouvrables par mois de travail sans pouvoir excéder 30 jours ouvrables par an (art. L. 223-2 du code du travail) ;

- il est interdit d'occuper un salarié plus de 6 jours par semaine (art. L. 221-2 du code du travail) et, sauf exception, le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche (art. L. 221-5 du code du travail) ;

- l'année compte 11 jours fériés (art. L. 222-1 du code du travail), mais seul le 1er mai est obligatoirement chômé (art. L. 222-5 du code du travail). En cas de chômage d'autres jours fériés, les heures de travail perdues de ce fait ne peuvent être récupérées (art. L. 222-1 du code du travail) ;

- la durée maximale journalière du travail est, sauf dérogation, de 10 heures, la durée maximale hebdomadaire absolue est de 48 heures et la durée maximale hebdomadaire moyenne est de 46 heures sur douze semaines consécutives (art. L. 212-7 du code du travail) ;

- le volume annuel d'heures supplémentaires à la libre disposition de l'employeur est de 130 heures (décret du 27 janvier 1982). Il peut être modifié, en hausse ou en baisse, par un accord collectif de branche étendu. Cette possibilité a pour effet de dispenser l'entreprise de devoir obtenir l'autorisation de l'inspecteur du travail pour effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent légal de 130 heures (art. L. 212-6 du code du travail), mais ne permet pas d'augmenter la capacité productive de l'entreprise au-delà de 130 heures par an car, quel que soit le volume du contingent conventionnel, tout heure supplémentaire effectuée au-delà du contingent légal de 130 heures ouvre droit au profit du salarié à un repos compensateur de 100 %.

De ces dispositions, il résulte donc que le nombre d'heures de travail effectif susceptibles d'être aujourd'hui réalisées par un salarié dans l'année est de 282 jours, chiffre que l'on obtient en retranchant de 365 jours 30 jours de congés payés, 52 dimanches et un 1er mai (seul jour férié obligatoirement chômé) ; ce qui représente 47 semaines (282/6 jours ouvrables/semaine) et 1 963 heures (47 x 39 heures par semaine = 1 833 heures + le contingent de 130 heures supplémentaires).

La loi (art. 8, 9 et 19) fixe à 1 600 heures par an le volume d'heures au-delà duquel se déclenchent les heures supplémentaires.

Si le Gouvernement avait respecté les dispositions législatives relatives aux jours fériés, cette somme annuelle aurait dû être, pour une durée hebdomadaire du travail à 35 heures, de 1 645 heures (47 semaines x 35).

Dès lors, de deux choses l'une :

- ou bien le Gouvernement, contrairement à ce qu'il annonce, réduit la durée légale hebdomadaire du travail à, non pas 35 heures, mais 34 heures 2 minutes (1 600/47 semaines), soit une réduction de la durée légale du travail de 13 % et non de 10 % ;

- ou bien le Gouvernement, sans vouloir le dire puisque les dispositions pertinentes du code de travail (art. L. 222-1 et suivants) ne sont pas expressément modifiées, a pour objectif, si cette durée annuelle de 1 600 heures est votée, d'interdire le travail tous les jours fériés (alors que, rappelons-le, seul le 1er mai est obligatoirement chômé). En effet, une durée annuelle de 1 600 heures correspond à 45,7 semaines de travail à 35 heures (1 600 : 35 heures), soit 274 jours de travail par an (45,7 x 6 jours ouvrables par semaine) ainsi décomptés : 365 jours auxquels on retranche 30 jours de congés payés, 52 dimanches, un 1er mai et 8 jours fériés.

Sachant que sur les 10 jours fériés théoriquement susceptibles d'être travaillés, seuls 8 tombent en moyenne par an un jour ouvrable, la fixation à 1 600 heures de la durée annuelle du travail correspond en fait à une interdiction totale de travailler les jours fériés, sans que soient pour autant modifiés les textes relatifs aux jours fériés.

En d'autres termes, si le Parlement peut décider de modifier les articles L. 222-1 et suivants du code du travail en disposant que, désormais, tous les jours fériés seront obligatoirement chômés - encore que l'on puisse se demander si une telle disposition ne violerait pas le principe fondamental reconnu par les lois de la République (que votre haute juridiction dégagerait à cette occasion) selon lequel, depuis la IIIe République et sans remise en cause depuis cette époque, seul le 1er mai est un jour obligatoirement chômé -, l'exercice de cette compétence, pour être constitutionnel, doit être clair et formel (c'est-à-dire consister en une modification des articles précités) et explicitement compris par les sujets de droit.

Or, au cas présent, en obtenant ce résultat de façon indirecte et obscure sans pour autant que les articles L. 222-1 et suivants du code du travail soient modifiés, les articles 8, 9 et 19 de la loi, qui fixent à 1 600 heures la durée annuelle légale maximale du temps de travail, devraient être déclarés non conformes à la Constitution pour violation du principe de « clarté de la loi ».


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Version 1

I. - Sur l'exercice de sa compétence

par le législateur

A. - Sur la méconnaissance de l'exigence constitutionnelle

de « clarté de la loi »

Un premier motif d'inconstitutionnalité externe réside dans la méconnaissance, par le législateur, de l'exigence constitutionnelle de « clarté de la loi ».

La loi introduit dans le code du travail des dispositions qui contredisent des articles dudit code, sans modifier ni supprimer ceux-ci. En fixant le volume annuel d'heures de travail, hors heures supplémentaires, à 1 600 heures, la loi interdit le travail les jours fériés sans pour autant modifier expressément les textes relatifs auxdits jours fériés.

En l'état actuel du droit (après le vote de la première loi sur la réduction du temps de travail) :

- la durée légale du travail est fixée à 39 heures par semaine (art. L. 212-1 du code du travail) ;

- la durée des congés payés est de 2,5 jours ouvrables par mois de travail sans pouvoir excéder 30 jours ouvrables par an (art. L. 223-2 du code du travail) ;

- il est interdit d'occuper un salarié plus de 6 jours par semaine (art. L. 221-2 du code du travail) et, sauf exception, le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche (art. L. 221-5 du code du travail) ;

- l'année compte 11 jours fériés (art. L. 222-1 du code du travail), mais seul le 1er mai est obligatoirement chômé (art. L. 222-5 du code du travail). En cas de chômage d'autres jours fériés, les heures de travail perdues de ce fait ne peuvent être récupérées (art. L. 222-1 du code du travail) ;

- la durée maximale journalière du travail est, sauf dérogation, de 10 heures, la durée maximale hebdomadaire absolue est de 48 heures et la durée maximale hebdomadaire moyenne est de 46 heures sur douze semaines consécutives (art. L. 212-7 du code du travail) ;

- le volume annuel d'heures supplémentaires à la libre disposition de l'employeur est de 130 heures (décret du 27 janvier 1982). Il peut être modifié, en hausse ou en baisse, par un accord collectif de branche étendu. Cette possibilité a pour effet de dispenser l'entreprise de devoir obtenir l'autorisation de l'inspecteur du travail pour effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent légal de 130 heures (art. L. 212-6 du code du travail), mais ne permet pas d'augmenter la capacité productive de l'entreprise au-delà de 130 heures par an car, quel que soit le volume du contingent conventionnel, tout heure supplémentaire effectuée au-delà du contingent légal de 130 heures ouvre droit au profit du salarié à un repos compensateur de 100 %.

De ces dispositions, il résulte donc que le nombre d'heures de travail effectif susceptibles d'être aujourd'hui réalisées par un salarié dans l'année est de 282 jours, chiffre que l'on obtient en retranchant de 365 jours 30 jours de congés payés, 52 dimanches et un 1er mai (seul jour férié obligatoirement chômé) ; ce qui représente 47 semaines (282/6 jours ouvrables/semaine) et 1 963 heures (47 x 39 heures par semaine = 1 833 heures + le contingent de 130 heures supplémentaires).

La loi (art. 8, 9 et 19) fixe à 1 600 heures par an le volume d'heures au-delà duquel se déclenchent les heures supplémentaires.

Si le Gouvernement avait respecté les dispositions législatives relatives aux jours fériés, cette somme annuelle aurait dû être, pour une durée hebdomadaire du travail à 35 heures, de 1 645 heures (47 semaines x 35).

Dès lors, de deux choses l'une :

- ou bien le Gouvernement, contrairement à ce qu'il annonce, réduit la durée légale hebdomadaire du travail à, non pas 35 heures, mais 34 heures 2 minutes (1 600/47 semaines), soit une réduction de la durée légale du travail de 13 % et non de 10 % ;

- ou bien le Gouvernement, sans vouloir le dire puisque les dispositions pertinentes du code de travail (art. L. 222-1 et suivants) ne sont pas expressément modifiées, a pour objectif, si cette durée annuelle de 1 600 heures est votée, d'interdire le travail tous les jours fériés (alors que, rappelons-le, seul le 1er mai est obligatoirement chômé). En effet, une durée annuelle de 1 600 heures correspond à 45,7 semaines de travail à 35 heures (1 600 : 35 heures), soit 274 jours de travail par an (45,7 x 6 jours ouvrables par semaine) ainsi décomptés : 365 jours auxquels on retranche 30 jours de congés payés, 52 dimanches, un 1er mai et 8 jours fériés.

Sachant que sur les 10 jours fériés théoriquement susceptibles d'être travaillés, seuls 8 tombent en moyenne par an un jour ouvrable, la fixation à 1 600 heures de la durée annuelle du travail correspond en fait à une interdiction totale de travailler les jours fériés, sans que soient pour autant modifiés les textes relatifs aux jours fériés.

En d'autres termes, si le Parlement peut décider de modifier les articles L. 222-1 et suivants du code du travail en disposant que, désormais, tous les jours fériés seront obligatoirement chômés - encore que l'on puisse se demander si une telle disposition ne violerait pas le principe fondamental reconnu par les lois de la République (que votre haute juridiction dégagerait à cette occasion) selon lequel, depuis la IIIe République et sans remise en cause depuis cette époque, seul le 1er mai est un jour obligatoirement chômé -, l'exercice de cette compétence, pour être constitutionnel, doit être clair et formel (c'est-à-dire consister en une modification des articles précités) et explicitement compris par les sujets de droit.

Or, au cas présent, en obtenant ce résultat de façon indirecte et obscure sans pour autant que les articles L. 222-1 et suivants du code du travail soient modifiés, les articles 8, 9 et 19 de la loi, qui fixent à 1 600 heures la durée annuelle légale maximale du temps de travail, devraient être déclarés non conformes à la Constitution pour violation du principe de « clarté de la loi ».