- L'article 10 viole le principe de proportionnalité et porte atteinte à la liberté d'expression.
L'article 10 prévoit qu'" en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l'article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. "
Une telle disposition méconnaît, d'une part, le principe de proportionnalité et, d'autre part, la liberté d'expression.
A. ― L'article 10 de la loi viole le principe général de proportionnalité.
Le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, consacré le principe de proportionnalité. Ainsi, dans sa décision du 21 février 2008 relative à la rétention de sûreté, le Conseil a précisé que des dispositions légales qui peuvent porter atteinte à l'exercice de libertés " doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif de prévention poursuivi ".
Il convient de préciser que cet article 10 se substitue à l'actuel article L. 332-1 (4°) du code de la propriété intellectuelle qui fixe le régime de responsabilité des intermédiaires techniques et l'obligation pour ces derniers de retirer le contenu litigieux qui leur serait signalé. Or, sur le fondement des dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (article 6-I-8), joue un principe de subsidiarité selon lequel l'autorité judiciaire peut prescrire aux hébergeurs éventuellement responsables, et à défaut aux fournisseurs d'accès à internet, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne. Cette disposition qui visait à transposer en droit interne les articles 14 et 15 de la directive 2000 / 31 / CE du 8 juin 2000 constituait une garantie légale destinée à éviter que des mesures disproportionnées soient prises pour faire cesser des atteintes graves à l'ordre public sur internet. En effet, cette subsidiarité permettait d'assurer la proportionnalité des moyens mis en œuvre puisqu'elle permettait d'aller au plus près de la source litigieuse.
A cet égard, les termes utilisés par l'article 10 sont d'une telle généralité qu'ils exposent les destinataires de cette disposition à des rigueurs non nécessaires et à des sanctions disproportionnées.
D'une part, cet article 10 procède à une identification trop floue des personnes susceptibles d'être concernées, puisqu'il vise " toute personne susceptible de contribuer " à faire cesser l'atteinte. Ainsi, l'emploi du mot " susceptible " laisse à penser qu'il ne sera pas nécessaire de prouver que le tiers pourra effectivement remédier à l'atteinte. Tout fabricant ou fournisseur de l'infrastructure de base à l'internet, par exemple les fabricants des équipements nécessaires à la transmission en ligne (serveurs, routeurs, canaux de transmission, etc.) ainsi que des logiciels permettant à ces équipements de fonctionner, mais aussi ceux qui achètent, placent et gèrent ces équipements et logiciels (un opérateur de télécom, etc.) peuvent indirectement " contribuer " à trouver un remède aux infractions commises en ligne et pourraient donc faire l'objet d'une action devant le tribunal de grande instance.
D'autre part, cette disposition évoque de manière extrêmement vague " toute mesure " propre à faire cesser une telle atteinte sans préciser les limites qui devront s'imposer au juge eu égard au type de mesures, à leur objet ou à leur durée. Dans ces conditions rien n'exclut que cette disposition puisse constituer notamment un point d'appui à des mesures de filtrage. Ainsi, l'expression " toute mesure " ne garantit pas le caractère proportionné des mesures qui pourront être ordonnées par le juge.
Enfin et compte tenu de l'imprécision et de la généralité des termes utilisés par le législateur, cet article méconnaît le principe constitutionnel de clarté de la loi ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi (votre décision n° 2004-500 DC). Cette imprécision entraîne, en effet, un risque certain d'arbitraire dans la mesure où elle reporte sur le tribunal de grande instance le soin de fixer les règles dont la détermination a pourtant été confiée par la Constitution à la loi. Elle porte ainsi manifestement atteinte à l'exigence constitutionnelle de prévisibilité du droit et de sécurité juridique.
B. ― L'article 10 de la loi viole la liberté d'expression.
Selon les termes de votre jurisprudence, la liberté d'expression constitue " une liberté fondamentale d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés " (votre décision n° 84-181 DC).
Or, l'article 10 de la loi pourrait conduire à freiner la liberté d'expression.
Premièrement, la possibilité de bloquer, par des mesures et injonctions, le fonctionnement d'infrastructures de télécommunications (allant donc au-delà des hébergeurs et fournisseurs d'accès à internet) pourrait priver beaucoup d'utilisateurs d'internet du droit de recevoir des informations ou des idées, droit qui est protégé par la liberté d'expression. La liberté d'expression peut, en effet, fonder un droit d'accès à internet, au sens du droit de bénéficier de l'infrastructure nécessaire pour avoir accès aux ressources en ligne.A cet égard, les mesures que le tribunal de grande instance pourrait prendre, en vertu de l'article 10 de la loi, sont susceptibles, à travers le blocage d'une partie du réseau, de restreindre la liberté de recevoir des informations accessibles sur internet.
Deuxièmement, les personnes potentiellement visées par l'article 10, dont le champ d'application est large et incertain, n'auront d'autre choix que de prendre des mesures préventives afin d'éviter d'être tenues responsables de violations du droit d'auteur auxquelles elles seraient en réalité tout à fait étrangères. En effet, beaucoup de personnes pourraient réagir à cette incertitude et à ce risque juridique en prenant des mesures restrictives de l'accès (par exemple, un filtrage automatique pour un certain protocole) fondées sur de pures conjectures quant à leur responsabilité potentielle. Une telle attitude risque de freiner, de manière injustifiée, l'accès à des informations disponibles en ligne et donc de porter atteinte à la liberté d'expression.
Pour ces motifs, cet article appelle une censure de votre juridiction.
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Cette saisine n'a d'autre vocation que d'attirer l'attention de votre juridiction sur les dangers de cette loi eu égard aux libertés et droits fondamentaux des citoyens. La mise en œuvre du dispositif ainsi créé pourrait conduire à une application arbitraire de la loi entraînant une violation du droit au respect de la vie privée, une méconnaissance du principe d'égalité des citoyens et la mise à l'écart de nombreuses garanties procédurales ayant valeur constitutionnelle. De telles menaces apparaissent définitivement injustifiées dès lors que cette loi n'a d'autre objet que la protection de la propriété intellectuelle.
Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer même d'office, les auteurs de la saisine vous demandent de bien vouloir invalider les dispositions ainsi entachées d'inconstitutionnalité.
Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, en l'expression de notre haute considération.
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