JORF n°0135 du 13 juin 2009

Annexe

ANNEXE 1

Même s'il ne revient pas au Conseil constitutionnel d'effectuer un contrôle de conventionalité, il est nécessaire de prendre en compte la législation et la jurisprudence européennes ainsi que les débats actuels afin d'éviter de futures contrariétés entre les législations nationale et communautaire.
Tout d'abord, les observations de la Commission européenne sur le projet de loi dans le cadre de la procédure de notification (25) n'ont pas été prises en compte par le Gouvernement alors même que la commission précise que " les autorités françaises sont invitées à prendre en considération les remarques qui [suivent] ainsi qu'à fournir les clarifications demandées avant de procéder à l'adoption de leur projet notifié ". Cette non-prise en considération pose la question d'une possible condamnation de la France par la CJCE (Cour de justice des Communautés européennes) pour violation du droit communautaire, voire par la CEDH (Cour européenne des droits de l'homme) pour non-respect du droit à un procès équitable.
Par ailleurs, il est possible d'évoquer la résolution du Parlement européen adoptée le 10 avril 2008 sur les industries culturelles en Europe (586 voix pour, 36 contre et 12 abstentions). Cette résolution met en avant deux principes intéressants. Tout d'abord, les députés européens ont souligné que " la criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution pour combattre le piratage numérique ". Par ailleurs, le Parlement européen " engage la Commission et les E tats membres à éviter l'adoption de mesures allant à l'encontre des droits de l'homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d'efficacité et d'effet dissuasif, telles que l'interruption de l'accès à internet ".
Cette résolution est à mettre en perspective avec l'arrêt " Promusicae " de la Cour de justice des Communautés européennes du 29 janvier 2008 en matière de protection des droits de propriété intellectuelle. La CJCE a précisé que le droit communautaire exige des Etats membres le respect du principe de proportionnalité et a rappelé la nécessité de conciliation du droit de propriété intellectuelle avec les droits fondamentaux, tels que le droit au respect de la vie privée. Par conséquent, il semble déjà acquis au niveau européen que la riposte graduée aboutissant à une coupure de l'accès internet est une mesure disproportionnée, en contradiction avec les principes généraux du droit communautaire.
Enfin, dans le cadre de l'examen du " Paquet Telecoms ", il est nécessaire de souligner l'adoption au Parlement européen, en première et en seconde lecture, à une très large majorité tous groupes confondus, de l'amendement 138-46. Celui-ci précise qu' " aucune restriction aux droits fondamentaux des utilisateurs (d'internet) ne peut intervenir sans une décision préalable de l'autorité judiciaire ". Viviane Reding, commissaire européenne en charge du " Paquet Telecoms ", a rappelé que, pour la Commission européenne, cet amendement est " un rappel important de principes essentiels du droit qui régissent l'ordre juridique communautaire et, en particulier, des droits fondamentaux des citoyens " (26).
L'ensemble de ces éléments suscite des interrogations légitimes quant à la pérennité et la compatibilité de la présente loi avec le droit communautaire.
Enfin, le contexte international doit être pris en compte concernant la présente loi tant celle-ci semble à contre-courant. Il est à cet égard possible de mentionner le refus de la riposte graduée notamment en Allemagne (27), au Danemark et en Suède (28) et le recul en Nouvelle-Zélande (29) et en Grande Bretagne (30).

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(25) Procédure prévue à l'article 8, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE.
(26) Communiqué du 7 novembre 2008.
(27) La ministre fédérale allemande de la justice a affirmé début février 2009 : " Je ne pense pas que (la riposte graduée) soit un schéma applicable à l'Allemagne ou même à l'Europe. Empêcher quelqu'un d'accéder à l'internet me semble être une sanction complètement déraisonnable. Ce serait hautement problématique d'un point de vue à la fois constitutionnel et politique. Je suis sûre qu'une fois que les premières déconnexions se produiront en France, nous entendrons le tollé jusqu'à Berlin. "
(28) Lena Adelsohn Liljeroth et Beatrice Ask, ministres suédois de la culture et de la justice, sont catégoriques : " La proposition dans le rapport Renfors de donner aux FAI le droit et l'obligation de couper les abonnements à internet des internautes dont la connexion a été utilisée de façon répétée pour des violations du copyright a été fortement critiquée. Beaucoup ont noté que la coupure d'un abonnement à internet est une sanction aux effets puissants qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l'accès à internet est un droit impératif pour l'inclusion sociale. Le gouvernement a donc décidé de ne pas suivre cette proposition. Ils ajoutent : les lois sur le copyright ne doivent pas être utilisées pour défendre de vieux modèles commerciaux. " Actuellement, les fournisseurs d'accès à internet font de la résistance contre la loi adoptée le 1er avril 2009 et se sont déclarés opposés à la transmission des adresses IP de leurs clients.
(29) Alors que la Nouvelle-Zélande avait annoncé la mise en place d'un système de riposte graduée (résiliation des abonnés ayant téléchargé une fois ou plus des œuvres protégées par le copyright) pour le 28 février 2009, ce projet a été suspendu mi-février.
(30) David Lammy, le ministre anglais en charge de la propriété intellectuelle, dans les colonnes du Times en janvier 2009 a souligné qu' " on ne peut pas avoir un système où on parle d'arrêter des adolescents dans leur chambre ". Pour David Lammy, il ne faut pas confondre la contrefaçon organisée et le téléchargement illégal tel que le pratiquent aujourd'hui les jeunes. " Les gens peuvent louer une chambre dans un hôtel et partir avec le savon ― il y a une grande différence entre partir avec un savon et partir avec la télévision ".

SOMMAIRE

  1. Le défaut d'information des parlementaires et l'atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.
  2. Des mesures législatives manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi par le législateur :
    Une loi contournable.
    Une loi contre-productive.
    Une loi inapplicable.
    Une loi coûteuse.
  3. Une conciliation manifestement déséquilibrée entre la protection des droits d'auteurs et la protection de la vie privée.
  4. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence.
  5. Le caractère flou et imprécis du manquement institué par la loi (article 11).
  6. Une sanction manifestement disproportionnée (article 5) :
    A. ― Sur le principe de la suspension de l'accès à internet.
    B. ― La double sanction résultant de l'obligation pour l'abonné dont l'accès à internet a été suspendu de continuer à payer le prix de son abonnement.
  7. Une telle sanction ne peut être prononcée que par l'autorité judiciaire.
  8. Les compétences et les pouvoirs exorbitants reconnus à la HADOPI (article 5) :
    A. ― Les pouvoirs exorbitants accordés aux agents publics de la HADOPI.
    B. ― Le pouvoir discrétionnaire des agents privés chargés de saisir la HADOPI.
    C. ― Le pouvoir d'appréciation exorbitant conféré à la commission de protection des droits dans le cadre du mécanisme de sanction graduée.
    D. ― Cette marge de manœuvre expose non seulement les abonnés à l'arbitraire de cette autorité, mais risque en outre d'entraîner des atteintes caractérisées au principe d'égalité.
  9. Une atteinte caractérisée au principe du respect des droits de la défense et au droit à un recours effectif (article 5).
  10. L'instauration d'une présomption de culpabilité. L'imputabilité des actes de téléchargement et l'atteinte caractérisée au principe de personnalité des délits et des peines (articles 11 et 5).
  11. L'article 10 viole le principe de proportionnalité et porte atteinte à la liberté d'expression :
    A. ― L'article 10 de la loi viole le principe général de proportionnalité.
    B. ― L'article 10 de la loi viole la liberté d'expression.
    Annexe 1.