JORF n°0135 du 13 juin 2009

LOI FAVORISANT LA DIFFUSION
ET LA PROTECTION DE LA CRÉATION SUR INTERNET

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet telle qu'adoptée par le Parlement.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 5, 10 et 11.
L'émergence du réseau de communication internet a provoqué d'importantes mutations dans de nombreux secteurs d'activité de nos sociétés contemporaines. Tel est le cas du monde de la culture dont les modes de diffusion sont désormais très largement associés au numérique. Une telle mutation impose de faire évoluer les règles relatives au droit de la propriété intellectuelle afin de garantir une juste rémunération des artistes. Tel aurait dû être l'objet de la loi présentement soumise à votre contrôle.
En axant son dispositif sur la répression des partages de fichiers d'œuvres protégées, cette loi s'inscrit à contre-courant d'une évolution technologique irréversible. En effet, sauf à remettre en cause dans son principe même le réseau internet, celui-ci est destiné à permettre à chaque abonné d'émettre, de recevoir et ainsi d'échanger librement. Plutôt que d'en prendre acte et de trouver des solutions adaptées à cette " nouvelle donne numérique ", le législateur cède à la tentation de s'opposer à l'inéluctable évolution culturelle portée par l'internet. Loin de satisfaire l'objectif de protection de la création, le mécanisme prévu par le législateur aura pour effet de faire évoluer techniquement les pratiques du téléchargement illégal mais n'endiguera nullement ce phénomène. En repoussant le problème sans le solutionner, le législateur se condamne immanquablement à légiférer à nouveau sur cette question. A cet égard, la présente loi succède à celle adoptée en 2006 (loi dite " DADVSI ") sans que cette dernière ait fait l'objet d'un rapport d'évaluation pourtant expressément prévu à son article 52. Au demeurant, cette loi ne règle aucunement le problème de la rémunération des artistes. Une fois de plus, c'est la crédibilité de la loi, expression de la volonté générale, qui s'en trouvera affectée et partant l'ensemble de la représentation nationale.
Pire, à vouloir lutter contre l'inéluctable, la tentation est forte de prendre des mesures radicales susceptibles de mettre en péril les libertés et droits fondamentaux des citoyens. Le législateur n'y a pas résisté. Comment en effet assurer l'effectivité d'une loi qui vise à limiter le nombre de téléchargements illégaux sauf à permettre aux autorités publiques d'instaurer un système de suspicion généralisée, de surveiller les citoyens, de collecter des données personnelles les concernant et ainsi de compromettre sensiblement le droit au respect de la vie privée ? Ce sont les potentialités du système mis en place qui doivent retenir votre attention. Comment un tel dispositif pourrait être utilisé si d'aventure il était mis en œuvre à des fins moins louables que la protection de la création sur internet ?
D'une manière générale, cette loi confère de tels pouvoirs d'appréciation à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (ci-après HADOPI) qu'elle constitue une invitation à l'arbitraire. Il n'est d'ailleurs pas anodin de relever que la HADOPI constituerait la première autorité administrative indépendante créée aux fins de restreindre les droits et libertés des citoyens.
Internet est devenu bien plus qu'un moyen de communication. Ce réseau constitue aujourd'hui le carrefour des liens professionnels, sociaux et culturels. Pour des millions de citoyens, l'accès à internet est à ce titre une condition d'exercice de nombreux droits fondamentaux. Cette mutation du monde contemporain est non seulement prise en compte mais de surcroît accompagnée par les institutions communautaires. Ces dernières ont adopté des positions fermes et claires sur un point crucial de cette loi en considérant que la suspension de la connexion à internet constituait une mesure affectant les conditions d'exercice de nombreux droits et libertés fondamentaux et nécessitant en conséquence la décision préalable de l'autorité judiciaire. En prévoyant qu'une telle sanction relève de la compétence d'une autorité administrative indépendante, le législateur place la France en porte-à-faux vis-à-vis de cette évolution politique et juridique européenne (1).

___________
(1) Voir annexe 1.


Historique des versions

Version 1

LOI FAVORISANT LA DIFFUSION

ET LA PROTECTION DE LA CRÉATION SUR INTERNET

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution,

l'ensemble de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet

telle qu'adoptée par le Parlement.

A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 5, 10 et 11.

L'émergence du réseau de communication internet a provoqué d'importantes mutations dans de nombreux secteurs d'activité de nos sociétés contemporaines. Tel est le cas du monde de la culture dont les modes de diffusion sont désormais très largement associés au numérique. Une telle mutation impose de faire évoluer les règles relatives au droit de la propriété intellectuelle afin de garantir une juste rémunération des artistes. Tel aurait dû être l'objet de la loi présentement soumise à votre contrôle.

En axant son dispositif sur la répression des partages de fichiers d'œuvres protégées, cette loi s'inscrit à contre-courant d'une évolution technologique irréversible. En effet, sauf à remettre en cause dans son principe même le réseau internet, celui-ci est destiné à permettre à chaque abonné d'émettre, de recevoir et ainsi d'échanger librement. Plutôt que d'en prendre acte et de trouver des solutions adaptées à cette " nouvelle donne numérique ", le législateur cède à la tentation de s'opposer à l'inéluctable évolution culturelle portée par l'internet. Loin de satisfaire l'objectif de protection de la création, le mécanisme prévu par le législateur aura pour effet de faire évoluer techniquement les pratiques du téléchargement illégal mais n'endiguera nullement ce phénomène. En repoussant le problème sans le solutionner, le législateur se condamne immanquablement à légiférer à nouveau sur cette question. A cet égard, la présente loi succède à celle adoptée en 2006 (loi dite " DADVSI ") sans que cette dernière ait fait l'objet d'un rapport d'évaluation pourtant expressément prévu à son article 52. Au demeurant, cette loi ne règle aucunement le problème de la rémunération des artistes.

Une fois de plus, c'est la crédibilité de la loi, expression de la volonté générale, qui s'en trouvera affectée et partant l'ensemble de la représentation nationale.

Pire, à vouloir lutter contre l'inéluctable, la tentation est forte de prendre des mesures radicales susceptibles de mettre en péril les libertés et droits fondamentaux des citoyens. Le législateur n'y a pas résisté. Comment en effet assurer l'effectivité d'une loi qui vise à limiter le nombre de téléchargements illégaux sauf à permettre aux autorités publiques d'instaurer un système de suspicion généralisée, de surveiller les citoyens, de collecter des données personnelles les concernant et ainsi de compromettre sensiblement le droit au respect de la vie privée ? Ce sont les potentialités du système mis en place qui doivent retenir votre attention. Comment un tel dispositif pourrait être utilisé si d'aventure il était mis en œuvre à des fins moins louables que la protection de la création sur internet ?

D'une manière générale, cette loi confère de tels pouvoirs d'appréciation à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (ci-après HADOPI) qu'elle constitue une invitation à l'arbitraire.

Il n'est d'ailleurs pas anodin de relever que la HADOPI constituerait la première autorité administrative indépendante créée aux fins de restreindre les droits et libertés des citoyens.

Internet est devenu bien plus qu'un moyen de communication. Ce réseau constitue aujourd'hui le carrefour des liens professionnels, sociaux et culturels. Pour des millions de citoyens, l'accès à internet est à ce titre une condition d'exercice de nombreux droits fondamentaux. Cette mutation du monde contemporain est non seulement prise en compte mais de surcroît accompagnée par les institutions communautaires. Ces dernières ont adopté des positions fermes et claires sur un point crucial de cette loi en considérant que la suspension de la connexion à internet constituait une mesure affectant les conditions d'exercice de nombreux droits et libertés fondamentaux et nécessitant en conséquence la décision préalable de l'autorité judiciaire.

En prévoyant qu'une telle sanction relève de la compétence d'une autorité administrative indépendante, le législateur place la France en porte-à-faux vis-à-vis de cette évolution politique et juridique européenne

(1).

___________

(1) Voir annexe 1.