JORF n°0174 du 30 juillet 2014

III. - La méconnaissance du principe de proportionnalité

Selon le Conseil constitutionnel, « s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie de contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». Et de poursuivre : « [c]onsidérant que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent constitue un objectif de valeur constitutionnelle ; que, toutefois, la disposition critiquée n'apporte pas, en l'espèce, à la réalisation de cet objectif une contribution justifiant que soit portée une atteinte aussi grave à l'économie de contrats légalement conclus ; que sont, en conséquence, méconnues les exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus » (CC, n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, cons. 50-52 ; dans le même sens, CC, n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, cons. 6 ; CC, n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, cons. 13).
Précisant les conditions dans lesquelles le principe de proportionnalité devait être apprécié, le Conseil constitutionnel a indiqué « que les atteintes portées à l'exercice de (…) libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif (…) poursuivi » (CC, n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13).
Or, eu égard à la disproportion entre l'objectif recherché et la gravité de l'atteinte portée aux droits des collectivités territoriales, les articles 1er à 3 méconnaissent gravement le droit de propriété, le principe de sécurité juridique et le droit à un procès équitable qui résultent des articles 4, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En premier lieu, l'atteinte portée à ces droits et principes constitutionnels méconnaît le principe de responsabilité tel qu'il résulte de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (CC, n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, cons. 5 ; CC, n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, cons. 70 ; CC, n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, cons. 39).
En effet, les requérants estiment qu'en transférant la charge financière sur les personnes morales de droit public, la loi laisse quitte de toute responsabilité les auteurs de la faute à l'origine du risque financier car les établissements de crédit qui ont méconnu les prescriptions du code de la consommation n'ont pas à en supporter les conséquences négatives. L'atteinte portée aux droits des personnes morales de droit public n'est donc pas adaptée.
En deuxième lieu, l'atteinte portée au droit de propriété, à la sécurité juridique et au droit à un procès équitable n'est pas nécessaire à l'atteinte de l'objectif recherché. S'il n'appartient pas au Conseil de se substituer au pouvoir d'appréciation du législateur, il lui revient toutefois d'apprécier si la fin poursuivie par le législateur peut être atteinte par d'autres moyens (CC, n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13).
En l'espèce, la solution retenue par les articles 1er à 3 consiste à priver les personnes morales de droit public d'un droit de créance, évalué à plus de 10 milliards d'euros, à l'encontre des établissements de crédit, et ce afin d'éviter que l'Etat n'ait à honorer sa garantie.
Or, des solutions alternatives moins « traumatisantes », notamment pour le droit de propriété des personnes morales de droit public, étaient envisageables.
A titre d'illustration, au lieu de choisir entre deux extrêmes, le maintien du taux d'intérêt conventionnel ou l'application du taux d'intérêt légal, la loi aurait pu retenir un taux ou un plafond, comme cela est d'ailleurs proposé par le rapport de la commission d'enquête présidée par Claude Bartolone (23), qui tout en étant plus représentatifs de la valeur économique des emprunts conclus par les personnes morales de droit public soient moins attentatoires à leur droit de propriété.
Une validation faite dans cet esprit présenterait l'avantage d'être en tout point conforme au principe de proportionnalité tel qu'appliqué par votre Conseil dans la mesure où la charge des risques financiers, sur le financement des collectivités territoriales et sur l'économie, serait partagée par l'ensemble des parties prenantes en fonction de leur capacité contributive.
Ainsi, il existe bien des solutions alternatives plus conformes au principe de proportionnalité que celle retenue par la loi déférée.
En dernier lieu, le dispositif retenu par la loi déférée n'est pas proportionné aux objectifs recherchés. Exprimé en d'autres termes, le « bilan coûts-avantages », pour reprendre l'expression des auteurs des Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, est négatif (24).
Tout d'abord, si le risque pour l'Etat de devoir supporter un risque financier de 15 milliards d'euros est jugé insupportable pour le budget de ce dernier, comment le transfert pur et simple de cette charge financière aux collectivités territoriales ne serait pas considéré comme manifestement disproportionné ?
Ensuite, est difficilement explicable l'absence des établissements de crédit dans la répartition de la charge du risque financier lorsque l'on se rappelle que le fait générateur de la situation à laquelle la loi entend remédier trouve sa source dans la méconnaissance par certains établissements de crédit des prescriptions d'ordre public du code de la consommation. Cette absence au titre de la répartition de la charge financière est d'autant plus notable que les établissements de crédit ont récemment montré leur capacité à absorber des montants élevés, notamment à titre de sanctions. Face à une telle capacité contributive, les collectivités territoriales avaient fin 2012 un niveau d'endettement évalué à 132,4 milliards d'euros (25).
Enfin, s'il peut être admis qu'entre les personnes morales de droit public, Dexia et la SFIL, il existe un conflit d'intérêts généraux, national et local, dont le point d'équilibre puisse être discuté, il en va autrement lorsque l'intérêt général local représenté par les collectivités territoriales est mis en balance avec l'intérêt privé représenté par les établissements de crédit autres que Dexia et la SFIL.
Or, en faisant prévaloir l'intérêt privé des établissements de crédit, par le transfert de l'intégralité de la charge du risque dont ils sont la cause sur les personnes morales de droit public, la loi déférée privilégie de manière disproportionnée l'intérêt financier des établissements de crédit au détriment du droit de propriété et de l'intérêt général défendu par les personnes morales de droit public.
A cet égard, les députés auteurs de la saisine rappellent que, pour un risque évalué à 10,6 milliards d'euros, le fonds de soutien des collectivités territoriales, institué par le I de l'article 92 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, sera doté à hauteur de 100 millions d'euros par an pendant quinze années, soit 1,5 milliard d'euros au total. La contribution du secteur bancaire, au travers du relèvement de la taxe systémique, au fonds de soutien étant de 50 %, les banques supportent 7 % des montants en jeu alors que les personnes morales de droit public, quant à elles, supportent 86 % du risque transféré, ce qui peut difficilement être considéré comme un dispositif équilibré.
Les requérants estiment de ce fait que la loi déférée méconnaît les exigences du principe constitutionnel de proportionnalité.

(23) Assemblée nationale, rapport du 6 décembre 2011, « sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux », p. 115 et s. (24) Favoreu (sous la direction de), Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2013, 17e éd., p. 581. (25) Ministère de l'intérieur, Les Collectivités locales en chiffres, 2014, p. 41.


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III. - La méconnaissance du principe de proportionnalité

Selon le Conseil constitutionnel, « s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie de contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». Et de poursuivre : « [c]onsidérant que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent constitue un objectif de valeur constitutionnelle ; que, toutefois, la disposition critiquée n'apporte pas, en l'espèce, à la réalisation de cet objectif une contribution justifiant que soit portée une atteinte aussi grave à l'économie de contrats légalement conclus ; que sont, en conséquence, méconnues les exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus » (CC, n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, cons. 50-52 ; dans le même sens, CC, n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, cons. 6 ; CC, n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, cons. 13).

Précisant les conditions dans lesquelles le principe de proportionnalité devait être apprécié, le Conseil constitutionnel a indiqué « que les atteintes portées à l'exercice de (…) libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif (…) poursuivi » (CC, n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13).

Or, eu égard à la disproportion entre l'objectif recherché et la gravité de l'atteinte portée aux droits des collectivités territoriales, les articles 1er à 3 méconnaissent gravement le droit de propriété, le principe de sécurité juridique et le droit à un procès équitable qui résultent des articles 4, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En premier lieu, l'atteinte portée à ces droits et principes constitutionnels méconnaît le principe de responsabilité tel qu'il résulte de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (CC, n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, cons. 5 ; CC, n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, cons. 70 ; CC, n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, cons. 39).

En effet, les requérants estiment qu'en transférant la charge financière sur les personnes morales de droit public, la loi laisse quitte de toute responsabilité les auteurs de la faute à l'origine du risque financier car les établissements de crédit qui ont méconnu les prescriptions du code de la consommation n'ont pas à en supporter les conséquences négatives. L'atteinte portée aux droits des personnes morales de droit public n'est donc pas adaptée.

En deuxième lieu, l'atteinte portée au droit de propriété, à la sécurité juridique et au droit à un procès équitable n'est pas nécessaire à l'atteinte de l'objectif recherché. S'il n'appartient pas au Conseil de se substituer au pouvoir d'appréciation du législateur, il lui revient toutefois d'apprécier si la fin poursuivie par le législateur peut être atteinte par d'autres moyens (CC, n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13).

En l'espèce, la solution retenue par les articles 1er à 3 consiste à priver les personnes morales de droit public d'un droit de créance, évalué à plus de 10 milliards d'euros, à l'encontre des établissements de crédit, et ce afin d'éviter que l'Etat n'ait à honorer sa garantie.

Or, des solutions alternatives moins « traumatisantes », notamment pour le droit de propriété des personnes morales de droit public, étaient envisageables.

A titre d'illustration, au lieu de choisir entre deux extrêmes, le maintien du taux d'intérêt conventionnel ou l'application du taux d'intérêt légal, la loi aurait pu retenir un taux ou un plafond, comme cela est d'ailleurs proposé par le rapport de la commission d'enquête présidée par Claude Bartolone (23), qui tout en étant plus représentatifs de la valeur économique des emprunts conclus par les personnes morales de droit public soient moins attentatoires à leur droit de propriété.

Une validation faite dans cet esprit présenterait l'avantage d'être en tout point conforme au principe de proportionnalité tel qu'appliqué par votre Conseil dans la mesure où la charge des risques financiers, sur le financement des collectivités territoriales et sur l'économie, serait partagée par l'ensemble des parties prenantes en fonction de leur capacité contributive.

Ainsi, il existe bien des solutions alternatives plus conformes au principe de proportionnalité que celle retenue par la loi déférée.

En dernier lieu, le dispositif retenu par la loi déférée n'est pas proportionné aux objectifs recherchés. Exprimé en d'autres termes, le « bilan coûts-avantages », pour reprendre l'expression des auteurs des Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, est négatif (24).

Tout d'abord, si le risque pour l'Etat de devoir supporter un risque financier de 15 milliards d'euros est jugé insupportable pour le budget de ce dernier, comment le transfert pur et simple de cette charge financière aux collectivités territoriales ne serait pas considéré comme manifestement disproportionné ?

Ensuite, est difficilement explicable l'absence des établissements de crédit dans la répartition de la charge du risque financier lorsque l'on se rappelle que le fait générateur de la situation à laquelle la loi entend remédier trouve sa source dans la méconnaissance par certains établissements de crédit des prescriptions d'ordre public du code de la consommation. Cette absence au titre de la répartition de la charge financière est d'autant plus notable que les établissements de crédit ont récemment montré leur capacité à absorber des montants élevés, notamment à titre de sanctions. Face à une telle capacité contributive, les collectivités territoriales avaient fin 2012 un niveau d'endettement évalué à 132,4 milliards d'euros (25).

Enfin, s'il peut être admis qu'entre les personnes morales de droit public, Dexia et la SFIL, il existe un conflit d'intérêts généraux, national et local, dont le point d'équilibre puisse être discuté, il en va autrement lorsque l'intérêt général local représenté par les collectivités territoriales est mis en balance avec l'intérêt privé représenté par les établissements de crédit autres que Dexia et la SFIL.

Or, en faisant prévaloir l'intérêt privé des établissements de crédit, par le transfert de l'intégralité de la charge du risque dont ils sont la cause sur les personnes morales de droit public, la loi déférée privilégie de manière disproportionnée l'intérêt financier des établissements de crédit au détriment du droit de propriété et de l'intérêt général défendu par les personnes morales de droit public.

A cet égard, les députés auteurs de la saisine rappellent que, pour un risque évalué à 10,6 milliards d'euros, le fonds de soutien des collectivités territoriales, institué par le I de l'article 92 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, sera doté à hauteur de 100 millions d'euros par an pendant quinze années, soit 1,5 milliard d'euros au total. La contribution du secteur bancaire, au travers du relèvement de la taxe systémique, au fonds de soutien étant de 50 %, les banques supportent 7 % des montants en jeu alors que les personnes morales de droit public, quant à elles, supportent 86 % du risque transféré, ce qui peut difficilement être considéré comme un dispositif équilibré.

Les requérants estiment de ce fait que la loi déférée méconnaît les exigences du principe constitutionnel de proportionnalité.

(23) Assemblée nationale, rapport du 6 décembre 2011, « sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux », p. 115 et s. (24) Favoreu (sous la direction de), Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2013, 17e éd., p. 581. (25) Ministère de l'intérieur, Les Collectivités locales en chiffres, 2014, p. 41.