Rééquilibrage et modernisation sont au coeur des propositions formulées par le Comité pour ce qui concerne le rôle et les attributions du Parlement.
Rééquilibrage, parce que le « parlementarisme rationalisé » dont la Constitution du 4 octobre 1958 porte la marque fut sans doute utile, voire indispensable, en son temps. Mais, face à un pouvoir exécutif qui, en raison notamment du fait majoritaire, a gagné en cohérence et en capacité d'action, il n'est que temps de faire en sorte que l'institution parlementaire remplisse mieux le rôle qui lui incombe dans toute démocratie moderne : voter les lois et contrôler le Gouvernement.
Modernisation, parce que le fonctionnement du Parlement est inadapté aux nécessités de notre temps : les aspirations des citoyens ne trouvent, bien souvent, qu'un faible écho au sein des assemblées ; le Parlement ne contrôle guère l'action du Gouvernement et ne procède pas à une véritable évaluation des politiques publiques ; le législateur vote trop de lois, et ce dans des conditions qui ne permettent pas d'en assurer la qualité.
Rééquilibrage et modernisation, enfin, parce que, dans le cadre de réflexion assigné au Comité, l'affirmation effective des droits et du rôle du Parlement est la clé de l'encadrement des attributions d'un pouvoir exécutif rénové. Elle est aussi la condition d'une plus grande confiance des citoyens dans le fonctionnement de la démocratie.
C'est pourquoi le Comité a consacré une part essentielle de ses travaux à cet aspect de sa mission. Il lui est apparu que le renforcement du Parlement qu'il appelle de ses voeux doit reposer sur cinq piliers : donner aux assemblées la maîtrise de leurs travaux ; améliorer la fonction législative du Parlement ; le transformer en un véritable pouvoir de contrôle et d'évaluation de l'action gouvernementale ; revaloriser la fonction parlementaire ; renforcer les garanties reconnues à l'opposition.
A. - Des assemblées ayant la maîtrise de leurs travaux :
Deux priorités se sont imposées à la réflexion du Comité : mettre fin à l'exception française qui veut que le Parlement ne soit pas maître de son ordre du jour ; apprécier la nécessité de maintenir en l'état les principaux instruments du « parlementarisme rationalisé ».
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Partager l'ordre du jour :
Seule ou presque dans l'ensemble des grandes démocraties, la France a ôté au Parlement la maîtrise de son ordre du jour. La règle qui prévaut généralement à l'étranger veut que la fixation de l'ordre du jour procède d'une négociation entre le Gouvernement et sa majorité ainsi qu'avec l'opposition.
Sous la Ve République, il en va différemment, puisqu'il résulte de la combinaison des articles 28 et 48 de la Constitution que c'est le Gouvernement qui dispose de la maîtrise de la plus grande partie de l'ordre du jour. C'est ainsi que l'ordre du jour dit « prioritaire » dépend, aux termes mêmes du premier alinéa de l'article 48 de la Constitution, des seuls choix du Gouvernement, qui y inscrit les projets de loi déposés par lui et celles des propositions de loi qu'il accepte de mettre en discussion, le Premier ministre fixant la liste des textes retenus, leur ordre d'examen et les jours de séance qui leur sont consacrés.
Certes, la révision constitutionnelle du 4 août 1995 a introduit un ordre du jour réservé à l'initiative parlementaire, mais le Comité a relevé que le bilan de l'application de ce qu'il est convenu d'appeler, à l'Assemblée nationale, les « niches » parlementaires ou, au Sénat, « les journées mensuelles réservées », est pour le moins décevant dans la mesure où les groupes de la majorité peinent à utiliser pleinement cette faculté et où les textes mis en discussion à l'initiative de l'opposition ne sont que très rarement mis au voix. Seule la pratique suivie au Sénat donne davantage satisfaction dans la mesure où les commissions y tiennent un rôle mieux affirmé dans le choix des textes portés dans l'hémicycle.
Quant à l'ordre du jour complémentaire, fixé par la conférence des présidents, il est tombé en désuétude du fait de la « saturation » de l'ordre du jour par les textes du Gouvernement.
En d'autres termes, même si, dans la pratique, le Gouvernement ne fixe pas seul l'ordre du jour, qui résulte, le plus souvent, d'un accord entre les groupes de la majorité, la présidence des assemblées et les commissions permanentes, il est clair que la situation actuelle porte la marque d'un profond déséquilibre : les prérogatives du Gouvernement l'emportent sur la capacité de chacune des deux assemblées à déterminer par elle-même l'ordre dans lequel elle souhaite organiser ses propres travaux.
Aussi le Comité s'est-il attaché à tracer les voies d'un meilleur équilibre. Tâche malaisée, dans la mesure où doit être prise en compte une triple nécessité : donner au Parlement la maîtrise de son ordre du jour, permettre au Gouvernement de mettre en discussion, dans des délais raisonnables, les projets traduisant ses choix politiques, ouvrir à l'opposition la possibilité d'exprimer effectivement ses critiques et ses propositions.
Le Comité a retenu quatre propositions de nature à permettre de concilier ces exigences dans l'hypothèse où aucun accord ne se dégagerait au sein de la conférence des présidents. Elles se traduiraient par une refonte de l'article 48 de la Constitution.
En premier lieu, il s'agirait de prévoir que l'ordre du jour est fixé par les assemblées en conférence des présidents, dont le rôle serait consacré par le texte même de la Constitution (proposition n° 19). Ainsi, les assemblées seraient libres d'examiner les projets et les propositions de loi, d'organiser des débats, d'examiner les conclusions des commissions d'enquête et des missions d'information ou d'organiser des séances de questions au Gouvernement, voire d'autres types de séances comme les discussions sur les propositions de résolutions.
En deuxième lieu, la moitié de l'ordre du jour ainsi arrêté serait réservée au Gouvernement, qui conserverait donc le moyen de faire examiner ses projets de loi et celles des propositions de loi qu'il estimerait prioritaires mais aussi d'organiser des débats s'il le juge nécessaire (proposition n° 20).
En troisième lieu, une semaine de séance par mois serait consacrée au travail législatif et laissée à l'appréciation de la conférence des présidents ; elle pourrait y inscrire non seulement des textes d'initiative parlementaire mais aussi, si cela apparaissait opportun, des projets de loi déposés par le Gouvernement. Les groupes parlementaires qui n'auraient pas déclaré appartenir à la majorité disposeraient d'une journée entière de séance lors de cette semaine, ce qui correspond, par exemple à l'Assemblée nationale, à trois séances sur sept ou huit dans une semaine habituelle (proposition n° 21).
En quatrième lieu, il y aurait lieu de prévoir qu'une semaine de séances sur quatre serait réservée au contrôle et à l'évaluation des politiques publiques et que les groupes parlementaires qui auraient déclaré ne pas appartenir à la majorité disposeraient, là encore, d'une journée entière de séance (proposition n° 22).
Une séance de questions d'actualité au moins pourrait continuer à être organisée chaque semaine, comme cela est prévu actuellement par la Constitution.
Au total, le Comité insiste sur le fait que, si ses propositions étaient retenues, les groupes d'opposition bénéficieraient d'une augmentation très substantielle de leurs droits. Ainsi, à l'Assemblée nationale, on peut estimer que, pendant une session, ils disposeraient, à leur seul profit, de sept fois plus de séances que cela n'est le cas aujourd'hui avec le dispositif des « niches parlementaires ».
Ainsi modifié, l'article 48 de la Constitution mettrait fin à une exception française peu enviée, tout en permettant au Gouvernement de gouverner et à l'opposition d'exercer son rôle. -
Réformer les instruments du parlementarisme rationalisé :
L'article 49, alinéa 3, de la Constitution, le vote bloqué et la déclaration d'urgence sont les trois dispositions les plus contestées du parlementarisme rationalisé mis en place en 1958. Pour juger de la nécessité de les maintenir, de les supprimer ou de les aménager, le Comité s'est attaché à évaluer les conséquences de leur application.
a) L'article 49, alinéa 3 :
S'agissant des dispositions du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, aux termes desquelles : « Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est adoptée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent », le Comité a relevé que cette procédure, qui permet qu'un texte soit adopté sans avoir été voté dès lors que le Gouvernement lie son sort à celui du texte, était utilisée dans deux cas de figure différents. Soit la majorité répugne à suivre le Gouvernement, selon qu'elle est continuellement rétive (ce qui fut le cas de 1976 à 1981), ponctuellement hostile à un texte (comme en 1982 sur le projet de « réhabilitation » des généraux d'Algérie), ou plus simplement étroite et incertaine (ce qui était le cas entre 1967 et 1968 puis entre 1988 et 1993). Soit l'opposition cède à la tentation de l'obstruction parlementaire, ce dont des exemples récents ont apporté l'illustration au cours de la XIIe législature (2002-2007).
Toujours est-il que l'usage de l'article 49, alinéa 3, s'est peu à peu banalisé : il a été utilisé quatre-vingt-deux fois depuis 1958 ; une motion de censure a été déposée en réponse à son application à quarante-huit reprises et il a permis l'adoption de quarante-six textes dont, il est vrai, trois seulement au cours de la dernière législature.
L'examen de la nature des textes ainsi adoptés montre qu'il s'agit de projets qui ne sont pas tous appelés à passer à la postérité, même si quelques textes importants n'ont pu voir le jour que par cette « manière forte ». Surtout, il apparaît que parmi les textes le plus souvent adoptés grâce à l'article 49, alinéa 3, figurent au premier rang les lois de finances et les lois portant sur la matière sociale.
Aussi le Comité propose-t-il que le champ d'application de l'article 49, alinéa 3, soit limité aux seules lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale, c'est-à-dire aux textes les plus essentiels à l'action du Gouvernement (proposition n° 23). Cette solution lui a paru équilibrée, étant observé par ailleurs que le Comité formule des propositions complémentaires visant à lutter contre l'obstruction parlementaire (voir infra proposition n° 33).
b) Le vote bloqué :
Pour ce qui est du vote bloqué, le troisième alinéa de l'article 44 de la Constitution dispose : « Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. »
Eclairé par la décision du Conseil constitutionnel n° 59-5/DC du 15 janvier 1960 selon laquelle il ne peut faire obstacle à la discussion de chacune des dispositions du texte sur lequel il est demandé à l'assemblée saisie de se prononcer par un seul vote, ce mécanisme apparaît pour ce qu'il est : un instrument efficace pour assurer la cohérence du texte du Gouvernement, confronté à des amendements intempestifs, mais pas pour lutter contre l'obstruction parlementaire. Il a été très utilisé au début de la Ve République, mais son usage, critiqué par les parlementaires, est devenu de plus en plus rare. L'examen, en juillet 2003, du projet de loi portant réforme des retraites a cependant montré qu'il pouvait demeurer nécessaire dans les cas où le Gouvernement est confronté à des risques sérieux de dénaturation de son projet. Aussi, compte tenu des nombreuses propositions qu'il formule par ailleurs aux fins de renforcer l'autonomie des assemblées, le Comité a-t-il estimé que rien ne s'opposait à ce que l'article 44, alinéa 3, de la Constitution fût maintenu en l'état.
c) La procédure d'urgence :
En revanche, le Comité a constaté qu'il ne pouvait en aller de même pour les procédures d'urgence dont l'abus par les gouvernements successifs est manifeste. L'article 45 de la Constitution prévoit : « Lorsque, par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée ou, si le Gouvernement a déclaré l'urgence, après une seule lecture par chacune d'entre elles, le Premier ministre a la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion ».
Force est de constater que le recours à la « déclaration d'urgence » est devenu la règle dans l'organisation des débats parlementaires, ce qui prive, souvent sans motif sérieux, la navette parlementaire de son intérêt, qui est d'améliorer la qualité des textes en discussion. Cette pratique, aggravée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le droit d'amendement, est critiquée de manière récurrente par les présidents des deux assemblées.
Il est apparu au Comité qu'il convenait d'encadrer la procédure de déclaration d'urgence. Aussi propose-t-il de modifier l'article 45 de la Constitution de telle manière que les deux assemblées ensemble puissent opposer leur veto à l'urgence avant même le début de la discussion dans la première des deux chambres (proposition n° 24). Cette décision relèverait de la compétence conjuguée de chacune des deux assemblées. Ainsi celles-ci seraient-elles en mesure d'éviter que l'examen d'un texte ne fasse l'objet que d'une seule lecture dans chacune d'elles.
Ces propositions étant faites, le Comité a estimé que la plus grande maîtrise de ses travaux ainsi reconnue au Parlement ne trouverait son sens que si le travail parlementaire devenait plus efficace. Faute de quoi, c'est l'institution parlementaire elle-même qui serait durablement discréditée. Ce regain d'efficacité doit se manifester, d'abord, dans l'oeuvre législative qui est la première tâche du Parlement.
B. - L'amélioration du travail législatif :
Le constat est désormais bien établi : l'« inflation législative » est devenue l'un des aspects les plus manifestes du mauvais fonctionnement des institutions. Des lois trop nombreuses, trop longues, trop peu appliquées et trop souvent modifiées : telle est l'une des raisons pour lesquelles nos concitoyens ont parfois une image peu flatteuse de l'activité de leurs élus. Comment en finir avec cet activisme normatif, largement imputable, au demeurant, au Gouvernement ?
Quatre orientations se sont imposées d'elles-mêmes au Comité : améliorer la préparation de la loi ; donner tout son sens au droit d'amendement ; mieux organiser les débats parlementaires ; faire du travail en commission le pivot de la vie parlementaire.
- Mieux préparer la loi :
Le Comité a relevé que les défauts qui entachent la loi ne peuvent être imputés au seul Parlement. La plupart des textes adoptés par les assemblées sont d'origine gouvernementale et bien des amendements défendus en séance publique par des membres du Parlement auxquels il est fréquemment fait reproche de dénaturer la loi ou d'en augmenter le volume sont, en fait, « inspirés » par le Gouvernement. Le phénomène est trop connu pour qu'on s'y attarde davantage.
Deux séries de propositions ont paru au Comité devoir s'imposer.
a) Les études d'impact :
En premier lieu, le Conseil d'Etat a mis en relief, dans deux études, la nécessité d'assortir les projets de loi d'une étude d'impact préalable analysant avec une précision suffisante les raisons pour lesquelles, compte tenu des effets de la législation existante, il est utile de légiférer à nouveau. Le Comité a souhaité faire siennes les conclusions de ces études. Il recommande, en particulier, que l'existence de ces études d'impact soit une condition de la recevabilité d'un projet de loi au Parlement, à charge pour le Conseil constitutionnel de vérifier, juste après le dépôt du texte et à la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs, que ce document satisfait aux exigences qu'une loi organique pourrait prévoir (proposition n° 25). Si la décision du Conseil constitutionnel, statuant dans un délai de huit jours, emportait constatation du défaut d'étude préalable au sens de ces dispositions, le projet de loi serait réputé non déposé et le Gouvernement devrait régulariser la présentation de son texte.
b) Un contrôleur juridique par ministère :
En deuxième lieu, le Comité a estimé que des mesures drastiques devaient être prises pour éviter la prolifération des normes législatives comme réglementaires. A cet effet, il demande instamment que dans chaque ministère soit installé un « contrôleur juridique », nommé pour une période déterminée, qui soit chargé de donner son visa à l'édiction des textes normatifs comme le fait le contrôleur financier dans le domaine qui est le sien (proposition n° 26). Aucun texte ne pourrait émaner du ministère sans son visa exprès. Ce contrôleur pourrait être un membre du Conseil d'Etat qui assurerait une liaison étroite entre le ministère et la section administrative à laquelle il appartient. Il aurait ainsi l'autorité nécessaire pour éviter l'édiction de normes inutiles ou redondantes et serait en situation d'aider à une programmation raisonnable des travaux du Gouvernement.
c) Les avis du Conseil d'Etat sur les projets et les propositions de loi :
En troisième lieu, le Comité a estimé qu'il serait utile à la qualité du travail législatif que les avis émis par le Conseil d'Etat sur les projets de loi dont il est saisi en application de l'article 39 de la Constitution soient rendus publics. Ainsi serait mis un terme aux rumeurs qui entourent ces avis, dont la publication n'est autorisée, au cas par cas, par le Gouvernement, qu'à la fin de chaque année (proposition n° 27). Dans le même esprit, le Comité souhaite que le Conseil d'Etat puisse être saisi pour avis de celles des propositions de loi qui sont inscrites à l'ordre du jour de l'une ou l'autre Assemblée (proposition n° 28).
d) Les lois de programmation :
En quatrième lieu, pour répondre aux interrogations nées de la jurisprudence constitutionnelle (CC 21 avril 2005, n° 2005-512 DC et CC 7 juillet 2005, n° 2005-516 DC) qui dénie toute portée normative aux rapports annexés aux lois de programmation au motif que l'article 34 de la Constitution ne fait référence à des lois de programme que dans le domaine économique et social, le Comité propose que les termes de l'avant-dernier alinéa de l'article 34 soient modifiés de telle manière que « des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'Etat » (proposition n° 29).
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Moderniser le droit d'amendement :
Il existe aujourd'hui une véritable dérive du droit d'amendement. Qu'on en juge : en 1970, seulement 2 260 amendements étaient déposés devant l'Assemblée nationale et 576 devant le Sénat. Lors de la session 2002-2003, ils étaient respectivement 32 475 et 9 250. Cette situation ne cesse de se dégrader. Ainsi, au cours de la dernière législature, on a vu les amendements déposés par dizaines de milliers : 137 665 amendements furent déposés lors de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi sur la fusion entre Gaz de France et le groupe Suez ; 14 888 sur le projet de loi portant régulation des activités postales. Contrairement aux idées reçues, cette explosion du nombre des amendements n'est pas uniquement le fait de l'opposition. Les amendements déposés et adoptés en séance par la majorité le sont dans une telle proportion qu'il n'est pas rare de voir un projet de loi doubler voire décupler de volume en cours de discussion. Et plus de la moitié des amendements adoptés sont déposés par les commissions. Il s'ensuit que les initiatives politiques importantes que l'opposition pourrait prendre sur un texte sont noyées sous le nombre et que les priorités de la majorité deviennent, elles aussi, indiscernables. Ni sur les bancs de la majorité ni sur ceux de l'opposition le principal n'est plus distingué de l'accessoire.
Certes, des instruments existent pour limiter cet afflux d'amendements et empêcher que le droit d'amendement, qui est au coeur même du travail parlementaire, ne soit dévoyé. Mais la vérité oblige à dire que ces instruments se révèlent peu efficaces et que seule une modification constitutionnelle peut porter remède à cette crise grave.
L'évolution et les limites de la jurisprudence du Conseil constitutionnel illustrent cette nécessité. C'est ainsi que les seules bornes posées au droit d'amendement, en première lecture, tiennent aux exigences de « clarté et de sincérité du débat parlementaire » (Conseil constitutionnel, décision n° 2006-537 DC du 22 juin 2006) et aux règles de recevabilité des amendements. La seule de ces règles qui reçoive une réelle application est celle de l'article 40 de la Constitution, qui rend irrecevables les amendements dont l'adoption aurait pour conséquence « soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ».
A l'inverse, l'irrecevabilité prévue à l'article 41 de la Constitution en cas de méconnaissance de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire reste sans grande portée pratique. Il est vrai que la procédure correspondante est lourde, puisque, en cas de désaccord entre le Gouvernement et le président de l'assemblée intéressée sur une question de recevabilité pour empiètement sur le domaine réglementaire, c'est au Conseil constitutionnel de statuer sous huit jours, ce qui a pour effet de suspendre le cours de la discussion. Cette possibilité a été peu utilisée depuis 1958, seules onze décisions d'irrecevabilité ayant été prises dans ces conditions On pouvait même craindre qu'elle ne fût tombée en désuétude, avant qu'elle ne soit de nouveau mise en oeuvre, en 2005, pour faire obstacle au dépôt de quelque 15 000 amendements à un projet de loi sur les activités postales.
Pour le reste, le Conseil constitutionnel vérifie que les amendements « ne sont pas dépourvus de tout lien » avec les dispositions figurant dans le projet de loi initial. Dans le cas contraire, il sanctionne ce qu'il est convenu d'appeler les « cavaliers législatifs ». Tout récemment le Conseil a adopté une conception plus stricte du droit d'amendement, en rappelant que « les adjonctions qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion » (Conseil constitutionnel, décision n° 2005-232 DC du 19 janvier 2006).
Il n'en demeure pas moins que le Conseil constitutionnel réaffirme régulièrement le principe selon lequel l'exercice effectif du droit d'amendement est garanti par le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, ce droit demeurant, à ses yeux, reconnu à chaque parlementaire. Le Comité a déduit de cette jurisprudence que s'il était décidé, comme il est souhaitable, de recourir à des procédures simplifiées d'adoption de certaines lois, ce principe constitutionnel devrait être aménagé.
Il a également estimé qu'un tel aménagement serait sinon nécessaire, du moins opportun au cas où, pour l'examen d'un texte en séance, une durée programmée à l'avance serait mise en place par la conférence des présidents. Une modification de l'article 44 de la Constitution aurait pour intérêt de clarifier les conditions dans lesquelles les règlements des assemblées pourraient organiser de tels débats.
La modification de l'article 44 qu'il propose à cette fin sera détaillée par ailleurs, afin que l'effort de réorganisation du travail parlementaire et la mise en place de droits de l'opposition prennent tout leur sens. A ce stade, le Comité recommande que la procédure d'irrecevabilité de l'article 41 soit complétée : comme le Gouvernement, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat disposeraient du pouvoir de constater l'irrecevabilité d'amendements qui ne respecteraient pas la répartition entre les domaines législatif et réglementaire (proposition n° 30). Dans le même esprit, le président de la commission des lois de chacune des deux assemblées pourrait s'opposer à la discussion d'un tel amendement, comme le fait, dans la pratique, le président de la commission des finances en application de l'article 40 de la Constitution. En outre, le Comité propose que le Gouvernement se voie interdire le dépôt d'articles additionnels à ses propres projets (proposition n° 31).
Enfin, le Comité suggère que le mécanisme de l'irrecevabilité financière, prévu à l'article 40 de la Constitution soit assoupli de telle sorte que les amendements et les propositions des parlementaires ne soient irrecevables que lorsqu'ils entraînent une aggravation des charges publiques et non d'une seule charge publique (proposition n° 32). -
Mettre en place une organisation concertée des débats :
En l'état actuel, le déroulement de la procédure législative s'apparente souvent plus à un jeu de rôles qu'à un travail. Discussion prolongée de motions de pure procédure en préambule à l'examen du texte lui-même, discussion générale trop longue, émaillée de discours convenus et répétitifs, bataille d'amendements en trop grand nombre, examen précipité des articles : le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale a brossé, lors de son audition par le comité, un tableau sans complaisance de ce qu'est devenue une séance dans l'hémicycle. Et nul ne l'a démenti.
Quels remèdes faut-il envisager ? La voie d'une réforme durable passe, a-t-il semblé au Comité, par une organisation concertée des débats (proposition n° 33). Quels pourraient être les mécanismes de cette autodiscipline qui permettrait aux assemblées d'assumer la responsabilité d'un débat parlementaire sérieux, d'où seraient issues des lois moins nombreuses et de meilleure qualité ?
La principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l'examen des projets et propositions de loi. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles soit réparti entre les groupes politiques et, on y reviendra, que les textes aient été suffisamment examinés en commission avant leur passage dans l'hémicycle. Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l'on en viendrait au vote. En cas de besoin, la conférence des présidents disposerait de la faculté de décider qu'il y a lieu de prolonger le débat, en accord avec le Gouvernement.
Aux yeux du Comité, cette mesure est, au moins pour ce qui concerne l'Assemblée nationale, le pendant indispensable de la limitation apportée au champ d'application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Elle permettrait surtout de limiter l'obstruction parlementaire, en donnant à l'opposition la possibilité de concentrer son effort, selon le cas, sur les motions de procédure lorsqu'elle conteste le principe même d'un projet, ou sur les articles lorsqu'elle tient à faire adopter des amendements qui lui semblent importants. Cette programmation concertée de la durée des débats est un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire. Elle suppose que le rôle de la conférence des présidents, organisme qui n'est reconnu aujourd'hui que par les règlements des assemblées, soit consacré dans le texte même de la Constitution. Il a semblé au Comité que les règles actuelles de majorité devaient continuer à prévaloir au sein de cette conférence. -
Faire des commissions le pivot du travail parlementaire :
Des réflexions qu'il a conduites sur ce sujet, nourries de l'expérience personnelle de plusieurs de ses membres, des auditions auxquelles il a procédé et des comparaisons avec la situation qui prévaut dans les Parlements étrangers, le Comité a retiré une conviction à la fois claire et forte : le travail du Parlement ne peut retrouver efficacité et prestige que s'il repose sur un rôle accru des commissions de chacune des deux assemblées.
Pour améliorer le travail en séance publique, il convient de lui donner un caractère plus politique que technique, ce qui implique que la discussion s'engage non plus sur le texte du Gouvernement mais sur celui de la commission. Il ne faut pas s'y tromper, c'est là une transformation fondamentale du travail parlementaire et gouvernemental. Cela suppose aussi que le nombre des commissions permanentes soit accru, que celles-ci puissent examiner les lois les plus simples ou les plus techniques, les séances publiques étant alors réservées au seul vote solennel du texte, et que le Gouvernement se plie à une exigence nouvelle, essentielle au bon fonctionnement des institutions : donner plus de temps aux commissions pour travailler, et participer lui-même à ce travail. Le Comité souhaite également, pour que les droits des groupes parlementaires n'appartenant pas à la majorité qui soutient le Gouvernement soient mieux respectés, que la présidence des commissions soit répartie à la proportionnelle des groupes composant l'une et l'autre assemblée (proposition n° 34).
a) Le nombre de commissions permanentes :
En premier lieu, le Comité recommande que le second alinéa de l'article 43 de la Constitution soit modifié de telle sorte que les assemblées puissent augmenter le nombre de leurs commissions permanentes. Il est aujourd'hui fixé à six, en réaction à la prolifération des commissions sous les régimes précédents. Mais l'expérience a montré qu'une telle limitation était excessive. Outre que certaines commissions permanentes sont notoirement surchargées, à l'exemple de celle des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, l'interdiction, par la Constitution elle-même, de toute augmentation du nombre des commissions a provoqué l'éclosion d'organismes parlementaires nouveaux, sous la forme de « délégations » ou d' « offices », dont on compte une dizaine. Les comparaisons avec l'étranger sont, comme souvent, éclairantes : le Bundestag compte vingt-deux commissions, la Chambre des Communes trente-et-une, dont chacune compte de dix à seize membres, à comparer aux cent quarante-cinq membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Le Comité propose d'introduire un peu de souplesse dans le système actuel en prévoyant que la Constitution autorise les assemblées du Parlement à fixer à dix au maximum le nombre de leurs commissions permanentes, à charge pour chacune d'entre elles d'utiliser ou non tout ou partie de la possibilité qui lui serait ainsi donnée (proposition n° 35). Il a semblé au Comité que la scission de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, par exemple, était nécessaire.
b) Le développement des procédures simplifiées :
En deuxième lieu, il est apparu au Comité qu'il n'y aurait que des avantages à ce que le Parlement puisse adopter certaines lois selon une procédure simplifiée. Des procédures permettant un examen approfondi d'un texte en commission et simplifié en séance publique existent aujourd'hui dans chacune des deux assemblées, mais elles ne concernent guère que les lois autorisant la ratification des conventions internationales. Plus prometteuse est la réforme introduite récemment à l'Assemblée nationale en matière budgétaire, qui autorise la conférence des présidents à faire procéder à l'examen de certaines missions de la seconde partie du projet de loi de finances par des commissions élargies prenant la forme de réunions de la commission des finances et des commissions saisies pour avis, en présence du Gouvernement et dans des conditions de publicité analogues à celles de la séance dans l'hémicycle. Il en résulte des séances publiques moins lourdes et plus riches d'intérêt.
Nombre d'études et de rapports ont été consacrés à cette question ces dernières années. Ils montrent que, le travail législatif ayant gagné en technicité, il est opportun de renforcer le rôle préparatoire, voire décisionnel, des commissions, confrontées par exemple à des textes portant transposition de directives communautaires, à des lois de codification ou à des projets de loi portant ratification d'ordonnances.
Le Comité recommande sans hésitation de s'orienter dans cette voie. Mais il est conscient que cela implique que soient levés des obstacles d'ordre constitutionnel. L'article 42 de la Constitution dispose en effet, en son premier alinéa : « La discussion des projets de loi porte, devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement. » Par ailleurs, on l'a vu, le droit d'amendement reconnu aux membres du Parlement par l'article 44 de la Constitution a été interprété par la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme le droit conféré à tout parlementaire de soumettre l'amendement dont il est l'auteur à la formation plénière de l'assemblée à laquelle il appartient.
Mais s'il suggère la modification de ces dispositions, le Comité ne propose pas un système d'adoption des lois en commission. La tradition juridique française fait de la discussion dans l'hémicycle le lieu privilégié de l'expression démocratique et l'on peut respecter cette tradition tout en donnant plus de place au travail en commission. C'est pourquoi le Comité propose, outre la modification de l'article 42 (cf. proposition n° 37), que, sans limiter cette procédure à quelque catégorie de lois que ce soit, les assemblées accomplissent l'essentiel du travail législatif en commission, que le Gouvernement puisse y intervenir, que chaque commission dispose de plus de temps pour examiner les textes, que les travaux en commission bénéficient d'une meilleure publicité et que les séances publiques soient réservées aux explications de vote et au vote solennel lui-même (proposition n° 36). Surtout, il propose que le droit actuellement reconnu au Gouvernement, au président de la commission saisie au fond ainsi qu'à tout président de groupe de s'opposer à cette « procédure simplifiée » soit réservé à la conférence des présidents.
c) L'examen en séance du texte de la commission :
En troisième lieu, et c'est là le point essentiel de ses propositions dans ce domaine, le Comité souhaite que soit apportée une transformation profonde au mode de travail parlementaire et aux obligations du Gouvernement en prévoyant que, dans la procédure de droit commun, la discussion en séance publique porte non plus sur le texte du Gouvernement, mais sur celui élaboré par la commission (proposition n° 37).
Il en résulterait nombre d'avantages. Les amendements techniques et rédactionnels ne viendraient plus encombrer les séances publiques et obscurcir les débats ; le Gouvernement, qui serait tenu de participer aux séances des commissions pour y défendre son texte, aurait à justifier sa position s'il venait à contester le bien-fondé des dispositions introduites par la commission ; le travail parlementaire serait plus approfondi et les travaux des commissions mieux connus. Au surplus, l'instauration de cette règle nouvelle aurait pour effet d'améliorer la qualité des lois. Elle suppose, en effet, que les commissions disposent de plus de temps pour accomplir leur travail et qu'à l'issue de celui-ci, les parlementaires aient le loisir de prendre connaissance du texte adopté par la commission pour préparer les amendements qu'ils souhaiteraient déposer en séance. La mise en oeuvre de cette mesure suppose que soit modifié l'article 42 de la Constitution. Aux yeux du Comité, la règle nouvelle ne s'appliquerait pas aux projets de lois de finances non plus qu'aux projets de lois de financement de la sécurité sociale, qui sont au coeur des prérogatives du Gouvernement dans la conduite de l'action publique. Elle ne vaudrait pas non plus pour les projets de loi constitutionnelle.
d) Un délai de deux mois avant l'examen d'un texte en séance :
En quatrième et dernier lieu, il est impératif de donner plus de temps aux commissions parlementaires pour accomplir leur tâche ainsi redéfinie.
Aujourd'hui chacun s'accorde à penser que les textes sont déposés trop peu de temps avant leur examen, que les rapporteurs ne peuvent pas travailler de manière approfondie et que les amendements déposés en commission sont insuffisamment préparés. Une meilleure organisation du travail est possible, qui obligerait également le Gouvernement à plus de tempérance normative.
Aussi le Comité propose-t-il que l'article 42 de la Constitution soit modifié de telle manière qu'en première lecture devant la première assemblée saisie aucun projet ou proposition de loi ne puisse être inscrit à l'ordre du jour moins de deux mois après avoir été déposé sur le bureau de cette assemblée (proposition n° 38). Ce délai serait porté à un mois pour la seconde assemblée saisie et ce en première lecture. Il s'ensuivrait que les rapports des commissions seraient rendus publics suffisamment tôt pour permettre le dépôt d'amendements utiles.
Pour réserver les cas d'urgence réelle qui peuvent survenir dans la vie publique, d'une part, et, d'autre part, ménager à un Gouvernement nouveau la possibilité de mettre en oeuvre rapidement les mesures attendues, un tempérament serait apporté à cette règle : celle-ci pourrait être écartée si l'urgence était constatée par l'assemblée concernée à la demande du Gouvernement. Enfin, ces délais ne trouveraient pas à s'appliquer aux projets de lois de finances et aux projets de lois de financement de la sécurité sociale, qui obéissent aux règles posées par les articles 47 et 47-1 de la Constitution.
e) La publicité des auditions parlementaires :
D'une manière plus générale, le Comité a formé le voeu que le travail des commissions statuant en procédure simplifiée soit, par principe, public, sauf si elles en décident autrement, que toutes les auditions auxquelles elles procèdent soient également publiques mais que leurs séances de « droit commun » se déroulent selon les procédures actuellement en vigueur. Cela suppose que l'article 33 de la Constitution soit modifié en ce sens (proposition n° 39).
C. - Renforcer l'efficacité du contrôle parlementaire :
Longtemps, le pouvoir de contrôle du Parlement s'est borné à la faculté, que lui reconnaît la loi fondamentale de tout régime parlementaire, de renverser le Gouvernement. Or, cette arme absolue est devenue, en France comme dans la plupart des grandes démocraties occidentales, sans portée pratique réelle en raison de l'émergence du fait majoritaire. Le dépôt d'une motion de censure n'est plus que l'un de ces rites parlementaires dont l'opinion se détourne. Une seule motion de censure a entraîné, sous la Ve République, la démission du Gouvernement, en 1962. Encore fut-elle suivie d'une dissolution de l'Assemblée nationale et d'élections législatives qui donnèrent la victoire à ceux qui n'avaient pas voté la motion de censure.
La singularité française tient à ce que, là où les parlements étrangers se sont dotés d'instruments de contrôle appropriés aux nécessités d'une critique utile de l'action du Gouvernement et de son administration, le nôtre n'a pas su donner leur pleine efficacité aux moyens, pourtant nombreux, qui sont à sa disposition dans les domaines de l'évaluation des politiques publiques et du contrôle effectif des administrations. Fort de ce constat, unanimement partagé par les personnalités qu'il a auditionnées, le Comité s'est attaché à définir les voies et moyens d'un contrôle parlementaire digne d'une démocratie moderne, y compris en des matières qui, telles la politique extérieure et de défense ou encore les affaires européennes échappent aujourd'hui largement à son droit de regard.
- Conforter la mission du Parlement en matière de contrôle et d'évaluation des politiques publiques :
L'atonie du contrôle parlementaire ne tient pas au manque de moyens d'intervention dont dispose le Parlement.
Ceux-ci sont au nombre d'une vingtaine. Certains sont traditionnels : questions écrites, questions d'actualité, questions orales avec ou sans débat, débats en séance publique dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux initiatives parlementaires ou débats sans vote organisés par le Gouvernement, auditions par les commissions permanentes ou spéciales, commissions d'enquête disposant pendant six mois de pouvoirs importants, missions d'information, attributions propres aux présidents, rapporteurs généraux ou spéciaux des commissions des finances. Au sujet des commissions d'enquête et de l'interdiction qui est faite de constituer de telles commissions lorsque l'autorité judiciaire est saisie de faits sur lesquels ces commissions sont susceptibles d'enquêter sans se prononcer sur la responsabilité pénale, civile ou disciplinaire des personnes en cause, le Comité a relevé qu'il convenait de supprimer cette règle en modifiant le texte de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (proposition n° 40).
Mais ces procédures, même améliorées, notamment depuis la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances qui a, par exemple, fixé des délais à la Cour des comptes pour répondre aux demandes d'enquêtes formulées par les commissions des finances sur la gestion des services ou organismes qu'elle contrôle, demeurent insuffisantes. Les réponses du Gouvernement aux diverses questions qui lui sont adressées dans les formes qui viennent d'être rappelées manquent pour le moins de précision et de rapidité ; parfois, les questions elles-mêmes manquent de spontanéité ; les enquêtes parlementaires et les missions d'information portent parfois sur de sujets étroits ou sont l'instrument de démarches purement politiques.
C'est pourquoi, notamment au cours des dix dernières années, le Parlement a tenté de se doter d'instruments nouveaux de contrôle. Ces initiatives se sont d'abord traduites par la création d'offices d'évaluation, parfois communs aux deux assemblées, chargés d'informer ces dernières sur l'application d'une politique : office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, office d'évaluation de la législation, office d'évaluation des politiques publiques, office d'évaluation des politiques de santé. Le bilan d'activité de ces instances est contrasté, au point que l'office d'évaluation des politiques publiques a été supprimé en 2001 faute d'avoir démontré son utilité. La commission des finances de l'Assemblée nationale s'est dotée, avec la mission d'évaluation et de contrôle, d'un instrument spécifique dont l'existence a été consacrée par la loi organique relative aux lois de finances. La loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie a créé une mission semblable en matière sociale. Mais, de l'avis général, les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des attentes.
Bien des éléments expliquent le relatif échec ainsi relevé : la structure bicamérale de ces organismes, qui peut conduire à certains blocages, notamment en période de cohabitation, le fait que les offices d'évaluation n'aient pas recouru plus largement aux services d'experts extérieurs, la faible mobilisation des parlementaires, qui ne trouvent pas dans ces tâches une reconnaissance proportionnée aux efforts qu'elles impliquent. Surtout, il est clair que la solidarité politique entre le Gouvernement et « sa » majorité et la faiblesse du rôle reconnu à l'opposition dans ces organismes de contrôle sont pour beaucoup dans le fait que le Parlement n'exerce qu'imparfaitement la mission que la Constitution ne lui reconnaît, il est vrai, que de manière discrète et partielle en ses seuls articles relatifs aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.
Pour porter remède à cette situation, le Comité s'est attaché à définir les moyens qui permettraient au Parlement de mieux assurer sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement, de la bonne exécution des lois et d'évaluation des politiques publiques.
a) L'affirmation des fonctions de contrôle et d'évaluation du Parlement :
Il propose, à cet effet, que le texte même de la Constitution soit précisé de telle sorte que cette mission de contrôle soit expressément dévolue au Parlement (proposition n° 41). Tel n'est pas le cas, on l'a dit, en l'état actuel du droit, les articles 47 et 47-1 de la Constitution se bornant à reconnaître au Parlement le droit de contrôler la seule exécution des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Il convient d'introduire à l'article 24 de la Constitution un alinéa ainsi rédigé : « Le Parlement vote la loi, contrôle l'action du Gouvernement et concourt à l'évaluation des politiques publiques ». Le premier alinéa de l'article 34 aux termes duquel « la loi est votée par le Parlement » serait, en conséquence, supprimé.
b) Un Parlement assisté par la Cour des comptes :
L'article 24, dans sa nouvelle rédaction, devrait également faire mention de ce que le Parlement est assisté, dans ses fonctions de contrôle et d'évaluation des administrations, par la Cour des comptes, étant observé que cette mission d'assistance ne serait naturellement pas exclusive du recours, auquel rien ne fait juridiquement obstacle, à d'autres organismes d'audit et d'évaluation, publics ou privés, ou encore, avec l'accord du Gouvernement, aux services d'inspection des ministères intéressés (proposition n° 42). Il est en revanche apparu au comité que les risques de redondance avec les multiples structures de contrôle qui, existant déjà, compromettraient les chances de réussite d'un organisme qui viendrait à être créé ex nihilo auprès du Parlement.
Le Comité croit bien davantage aux vertus du système britannique de contrôle et d'évaluation, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il a fait ses preuves. Le Parlement britannique a créé en son sein un Public Accounts Committee dont les membres s'occupent non pas de la préparation du budget mais du contrôle de l'efficacité de la gestion des deniers publics. Il s'appuie de manière privilégiée sur le National Audit Office, créé dans sa forme actuelle en 1983, et qui est habilité à conduire des audits dans l'ensemble des ministères et agences gouvernementales, disposant d'un droit d'accès à tous les documents. Dans la détermination de son programme de travail, cet organisme indépendant est invité à « prendre en compte » les suggestions faites par le Public Accounts Committee.
Il a été relevé que, dans une décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, le Conseil constitutionnel a jugé que l'indépendance garantie à la Cour des comptes en tant que juridiction financière faisait par elle-même obstacle à ce que, comme l'avait prévu le législateur organique, son programme de contrôle fût soumis pour avis aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées. La réaffirmation, à l'article 24 de la Constitution, d'une mission générale d'assistance permettra, aux yeux du Comité, de surmonter cette difficulté et de créer les conditions d'un meilleur dialogue, sans porter atteinte aux fonctions propres à la Cour des comptes en matière de contrôle et de certification des comptes. Au demeurant, l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances comporte déjà des dispositions contraignantes en la matière.
c) Les Comités d'audit parlementaire :
L'essentiel est dans les suites que le Parlement sera en mesure de donner aux éléments d'information qui lui seront fournis par la Cour des comptes et par les autres organismes d'audit et d'évaluation auxquels il aura donné mission à cet effet. L'insuffisante exploitation des données tient, pour une large part, à ce que la Cour des comptes ne travaille que pour les commissions des finances et les missions d'évaluation et de contrôle (y compris en matière sociale), lesquelles agissent en ordre dispersé. La création, auprès du président de chaque assemblée d'une instance, qui pourrait être dénommée « Comité d'audit parlementaire », dotée de moyens spécifiques, comportant des parlementaires issus de l'ensemble des commissions permanentes, et notamment de leurs présidents, définissant un programme coordonné de contrôle et d'évaluation, assurant la liaison avec la Cour des comptes et les autres organismes d'évaluation et chargée d'organiser les débats sur les suites à donner (questions, auditions, propositions de loi...), en particulier en séance publique lors de la semaine réservée chaque mois, dans l'ordre du jour, aux fonctions de contrôle, marquerait de ce point de vue un progrès sensible (proposition n° 43). Il s'agirait non pas d'un organisme supplémentaire de contrôle effectuant lui-même les tâches qu'il s'assigne mais d'une instance chargée de passer commande auprès d'autres organismes des contrôles et évaluations souhaités par le Parlement.
Dans le même temps, le rôle de l'opposition dans la mise en oeuvre de cette procédure devrait être plus important, et il n'y aurait que des avantages à ce que l'activité de contrôle du Parlement, ainsi rénovée, donne lieu, en commission ou en séance plénière, à des réunions de travail ou auditions publiques. C'est, aux yeux du Comité, la double condition du succès de cette organisation nouvelle de la tâche de contrôle.
d) Les questions d'actualité :
Enfin, le Comité souhaite que les questions d'actualité reflètent cet effort. Aux lieu et place de l'exercice convenu qu'elle sont devenues, il est indispensable qu'elles soient revues de telle sorte que la majorité et les autres groupes y disposent d'un temps de parole équivalent (proposition n° 44).
Il conviendrait que certaines séances de questions, réservées à l'opposition, soient consacrées à des sujets préalablement définis et que la réplique et la relance des questions soient possibles. A cette fin, le Comité a estimé qu'il fallait modifier les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 48 qui prévoient que : « Une séance par semaine au moins est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. », dans la mesure où elles pourraient être interprétées comme interdisant, pour les parlementaires, de répliquer une fois que le ministre a répondu à la question posée.
Ainsi serait donné un plus large écho au travail de contrôle et d'évaluation accompli par le Parlement. Il serait, en outre, souhaitable que, contrairement à la règle actuellement en vigueur, les questions d'actualité puissent également être posées lors des sessions extraordinaires du Parlement (proposition n° 45). L'avant-dernier alinéa de l'article 48 de la Constitution devrait être modifié en conséquence.
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Mieux contrôler l'application des lois :
Le Comité a retiré des auditions auxquelles il a procédé le sentiment qu'il était nécessaire de consacrer une pratique naissante au sein de certaines commissions des deux assemblées, qui consiste à prévoir que les rapporteurs d'un texte de loi sont ensuite chargés d'en contrôler l'exécution, d'évaluer ses effets et d'en faire publiquement rapport auprès de leurs collègues.
Des équipes de contrôle, constituées d'un parlementaire de la majorité et d'un parlementaire de l'opposition, devraient plus systématiquement être mises en place (proposition n° 46). On pourrait aussi envisager que deux vice-présidents de chaque commission permanente, l'un de l'opposition, l'autre de la majorité, soient plus particulièrement chargés du contrôle de la bonne exécution des lois. De telles modifications relèvent du règlement des assemblées, mais le Comité les appelle de ses voeux car elles lui paraissent essentielles à une modernisation des méthodes de travail du Parlement.
En outre, pour répondre à la question du délai dans lequel sont pris les décrets d'application des lois, le Comité a relevé qu'en l'état de la jurisprudence, le retard excessif apporté à l'édiction d'un décret peut être constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. En conséquence, il a écarté les propositions tendant à reconnaître au Parlement un droit de substitution à l'autorité investie du pouvoir règlementaire en cas de carence de celle-ci. Mais il souhaite que les « contrôleurs juridiques » dont il recommande par ailleurs l'instauration au sein de chaque ministère soient chargés de veiller personnellement à l'intervention des textes règlementaires prévus par une loi et d'en faire rapport chaque année aux ministres et aux présidents des commissions parlementaires compétentes (proposition n° 47). -
Autoriser le Parlement à adopter des résolutions :
Les résolutions permettent l'adoption d'un voeu ou l'expression d'une opinion et n'ont pas de portée contraignante à l'égard du Gouvernement.
Avant 1958, les résolutions adoptées par le Parlement étaient un moyen détourné, et parfois redoutable, de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement. Aussi les auteurs de la Constitution de la Ve République ont-ils entendu les proscrire. Et le Conseil constitutionnel a veillé, dans une décision célèbre du 17 juin 1959 portant sur le règlement de l'Assemblée nationale, à ce qu'elles ne soient pas remises en vigueur, motif pris de ce que la responsabilité du Gouvernement ne peut être mise en cause « que dans les conditions et suivant les procédures fixées par les articles 49 et 50 » de la Constitution.
Du temps a passé... Les résolutions ont été réintroduites par le biais des révisions constitutionnelles des 25 juin 1992 et 25 janvier 1999 en ce qui concerne les questions européennes (article 88-4 de la Constitution). En outre, l'interdiction faite aux parlementaires d'exprimer par la voie des résolutions des prises de position politiques a été détournée, puisque c'est dans le corps même de la loi qu'elles trouvent trop souvent place, au détriment du caractère normatif et de la qualité de la loi. Les lois dites « mémorielles », dont la prolifération est par elle-même le signe d'un malaise, traduisent cette dérive.
Soucieux à la fois d'éviter l'adoption de lois « bavardes » et dénuées de portée normative et de permettre au Parlement d'exercer la fonction « tribunitienne » utile au fonctionnement de toute démocratie, le Comité recommande de lever l'interdit qui frappe les résolutions. L'article 24 de la Constitution, dans sa nouvelle rédaction déjà évoquée, comporterait à cette fin un alinéa disposant : « Les assemblées parlementaires peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par leur règlement » (proposition n° 48). Les règlements des assemblées prévoiraient notamment un délai minimum entre le dépôt d'un projet de résolution et son inscription à l'ordre du jour. Ils pourraient également introduire des règles relatives aux modalités de signature et de présentation des propositions de résolution. -
Faire du Parlement un acteur de la politique européenne :
Le Titre XV de la Constitution, issu de révisions successives faisant mention de chacun des traités qui ont jalonné les étapes de la construction européenne, n'est pas un modèle de clarté. Il en ressort toutefois que s'il est un domaine dans lequel le rôle du Parlement est insuffisant, c'est bien celui des affaires européennes. Le Comité ne plaide nullement pour l'instauration d'une « diplomatie parlementaire » qui viendrait remettre en cause les dispositions de l'article 52 de la Constitution, aux termes duquel « le Président de la République négocie et ratifie les traités », mais il s'est accordé sur un constat : en dépit des dispositions de l'article 88-4 de la Constitution, le pouvoir exécutif n'est guère l'objet, en matière européenne, d'un contrôle réellement utile du Parlement, à la différence de la situation qui prévaut dans l'ensemble des Parlements des Etats membres de l'Union européenne. Des débats au Parlement ont certes été instaurés, dans les années récentes, à la veille des « sommets européens ». Il s'agit toutefois d'un progrès insuffisant, une succession de discours sans vote ne permettant à la représentation nationale ni de peser sur les choix que fait le Gouvernement dans l'exercice quotidien de son pouvoir de négociation auprès des instances européennes, ni de le renforcer. Celui-ci n'est donc soumis, à ce titre, qu'aux procédures de contrôle de droit commun, dont on a vu qu'elles étaient peu satisfaisantes.
a) La création d'un Comité des affaires européennes :
Pour ce qui concerne, en premier lieu, le rôle des délégations pour l'Union européenne qui existent au sein de chacune des deux assemblées, le Comité a relevé qu'il était peu satisfaisant. Elles ont pour mission, aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée, de « suivre les travaux conduits par les institutions de l'Union européenne afin d'assurer l'information de leurs assemblées respectives ». Force est cependant de constater que les délégations n'exercent que de manière imparfaite ce rôle d'alerte et de veille des assemblées et de leurs commissions permanentes. Elles se comportent bien davantage en « commissions » de plein exercice, traitant de l'ensemble des questions européennes sans réussir à établir des liens étroits avec les commissions permanentes qui traitent, au fond, des dossiers sur lesquels l'influence des décisions prises à l'échelon européen est de plus en plus déterminante et, notamment, des transpositions de directives. Un tel cloisonnement est évidemment préjudiciable à l'exercice par le Parlement d'un rôle efficace en matière européenne.
C'est pourquoi le Comité recommande que le rôle des délégations - dont il souhaite que, pour éviter toute confusion avec les commissions permanentes au sens de l'article 43 de la Constitution, elles reçoivent l'appellation de « comité des affaires européennes » - soit mieux précisé (proposition n° 49). Ces comités placés sous l'autorité directe du président de l'Assemblée nationale pour l'un, et du Sénat pour l'autre, exerceraient un rôle de veille et de tri des questions à transmettre aux commissions permanentes. Ils interviendraient en amont pour alerter ces dernières sur certains dossiers européens jugés sensibles. Ils prépareraient, comme aujourd'hui, des propositions de résolution soumises à ces commissions. La double appartenance des parlementaires aux délégations et aux commissions permanentes serait maintenue pour favoriser une meilleure connaissance des questions européennes.
Ces instances auraient également pour mission d'exercer le contrôle du respect, par les institutions européennes, du principe de subsidiarité, contrôle que le traité en cours de négociation entend confier aux Parlements nationaux. La réorientation du rôle des délégations irait de pair avec la mise en place, au sein de chaque commission permanente, de groupes de suivi des questions européennes, composés de parlementaires également membres du Comité des affaires européennes.
b) La ratification des traités portant élargissement de l'Union européenne :
La perspective du traité réformant les institutions européennes qui vient d'être mentionné a, en deuxième lieu, conduit le Comité à s'interroger sur la portée de l'article 88-5 de la Constitution, qui prévoit que « tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République ». Ces dispositions circonstancielles n'ont pas paru au Comité pouvoir être maintenues en l'état dans le texte de la Constitution dont il faut rappeler que l'article 3 prévoit que « la souveraineté appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Constatant que tout élargissement supplémentaire de l'Union européenne ne manquerait pas, par lui-même, d'avoir des conséquences, directes ou indirectes, sur le fonctionnement des institutions, le Comité suggère que l'article 88-5 soit modifié de telle sorte que le Président de la République ait la possibilité, par parallélisme avec la procédure de l'article 89 de la Constitution, de faire autoriser la ratification d'un tel traité soit par référendum, soit par la voie du Congrès (proposition n° 50). Ainsi le Parlement serait-il susceptible de retrouver en cette matière une compétence dont la révision constitutionnelle du 1er mars 2005 l'avait privé. La procédure du Congrès, avec une majorité requise des trois cinquièmes, apporte des garanties très fortes sur le sérieux et le caractère approfondi du débat qui précéderait cette éventuelle ratification.
c) La possibilité de voter des résolutions sur tout sujet européen :
S'agissant, en troisième lieu, de la procédure instaurée à l'article 88-4 de la Constitution, le Comité a constaté qu'elle ne pouvait être maintenue en l'état, ne serait-ce qu'au regard des principes politiques de l'Union européenne, qui tendent, comme on vient de le voir, à consacrer les droits des parlements nationaux.
Tel qu'il est aujourd'hui rédigé, l'article 88-4 de la Constitution oblige le Gouvernement à soumettre au Parlement les projets ou propositions d'actes européens comportant des dispositions de nature législative au sens français du terme, précision sans portée dans la hiérarchie des normes européennes.
Il autorise le Gouvernement à soumettre au Parlement les autres projets, propositions ou documents comme les livres blancs ou verts et les communications de la Commission européenne, mais sans qu'il soit obligé de procéder à cette transmission, alors que celle-ci est l'acte de procédure qui peut seul déclencher le processus qui permet au Parlement de voter des résolutions, à l'initiative de la délégation pour l'Union européenne ou d'un parlementaire.
En d'autres termes, même si la Commission européenne transmet désormais au Parlement l'ensemble des projets d'actes, de nature législative ou non - ce qui n'ouvre pas le droit de voter des résolutions -, il faut, aujourd'hui encore, un accord du Gouvernement pour que les deux assemblées soient autorisées à délibérer sur des questions, comme la négociation d'un traité européen, qui ne prennent pas la forme d'un projet d'acte européen comportant des dispositions de nature législative au sens national du terme.
Le Comité considère que cette situation n'est pas satisfaisante et propose que soit modifié l'article 88-4 de la Constitution de telle manière, d'une part, que soient supprimées celles de ses dispositions qui limitent l'obligation faite au Gouvernement de transmettre l'ensemble des documents européens et, d'autre part, que le Parlement puisse adopter des résolutions sur toutes les questions européennes (proposition n° 51).
d) La transposition plus rapide des directives :
En quatrième lieu, le Comité a estimé que la procédure de transposition des directives devait être revue afin de trouver un meilleur équilibre entre les exigences contradictoires de la rapidité et d'un examen approfondi.
Point n'est besoin d'insister sur l'influence grandissante des directives communautaires sur le droit national, notamment pour ce qui concerne les textes de nature législative. Pourtant, l'exercice de transposition auquel donnent lieu les directives est mal vécu par les parlementaires, qui n'interviennent qu'en fin de parcours, sans avoir été complètement informés des négociations dont procèdent ces textes. Ils répugnent à s'exprimer en séance publique sur des questions techniques qui n'ont qu'une faible portée politique. D'un autre côté, nombre de transpositions empruntent la voie des ordonnances de l'article 38 de la Constitution, de sorte que le Parlement est dessaisi de questions importantes qui ne sont pas toutes, il s'en faut de beaucoup, dépourvues d'incidence proprement politique. C'est assez dire combien la procédure de transposition des directives doit être améliorée. Les propositions formulées plus haut vont dans ce sens. Mais le Comité insiste pour que soit pleinement utilisée, en cette matière, la procédure simplifiée d'examen en commission, sauf difficulté particulière signalée par le Comité des affaires européennes (proposition n° 52). Ainsi seraient réservées à la discussion publique les questions les plus importantes et revalorisé le rôle du Parlement.
5. Elargir la compétence du Parlement en matière de politique étrangère et de défense :
En ces domaines, le Parlement français ne dispose pas d'attributions équivalentes à celles des assemblées des grandes démocraties occidentales.
a) Le contrôle des opérations extérieures :
Entre l'idée du « domaine réservé », dont les expériences de « cohabitation » ont montré qu'il était moins clairement délimité qu'on ne l'avait dit, et les dispositions de l'article 35 de la Constitution aux termes desquelles « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », assez datées dans la mesure où l'engagement de troupes se fait aujourd'hui sans déclaration de guerre, les assemblées assistent, sans être appelées à donner leur sentiment autrement que par le biais de la discussion budgétaire ou de débats très généraux, au déroulement d'opérations militaires qui engagent la réputation de notre pays et, parfois, son avenir. Plusieurs rapports ont appelé l'attention sur la nécessité de renforcer la place et le rôle du Parlement à cet égard.
Les auditions auxquelles il a procédé ont conduit le Comité à recommander un mécanisme simple, compatible avec la réactivité que le Gouvernement est en droit d'attendre des armées lorsqu'il est décidé d'engager des opérations militaires sur un théâtre extérieur au territoire national. Il a semblé au Comité qu'en pareille occurrence les assemblées devaient être informées sans délai par le Gouvernement, selon des modalités qu'il lui appartient de déterminer en fonction des circonstances, par exemple par l'intermédiaire de celles de leurs commissions qui sont compétentes pour en connaître ou, si ces circonstances l'exigent, des présidents de ces commissions. Maître de son ordre du jour dans les limites qui ont été décrites plus haut, le Parlement - et donc l'opposition - aurait alors à apprécier l'opportunité d'organiser un débat. Pour les opérations extérieures qui se poursuivent au-delà d'un délai de trois mois, leur prolongation devrait faire l'objet d'une autorisation expresse du Parlement par voie législative. Le Comité suggère que l'article 35 de la Constitution soit complété en ce sens (proposition n° 53).
b) Une meilleure information des parlementaires sur les négociations diplomatiques et les accords de défense :
Pour ce qui est de l'action diplomatique du Gouvernement, le rôle du Parlement est tout aussi réduit par les textes constitutionnels et la pratique en vigueur. Le premier alinéa de l'article 53 de la Constitution énumère ceux des traités dont il revient au Parlement d'autoriser la ratification, sans qu'il ait la possibilité de modifier le texte de ces conventions, alors même que nombre d'entre elles ont une influence grandissante sur la vie quotidienne de nos concitoyens. Aussi le Comité souhaite-t-il que, sans porter atteinte au droit reconnu au Président de la République par l'article 52 de la Constitution de négocier les traités et sans donner au Parlement le droit de modifier les conventions internationales soumises à son examen, ce que le droit international ne permet pas, les commissions compétentes des assemblées ou, selon le cas, leur président, soient tenus informés des négociations en cours et que le Parlement soit autorisé à adopter également, en matière internationale, des résolutions (proposition n° 54). Certes, celles-ci ne s'imposeraient pas au Gouvernement, mais elles traduiraient l'état d'esprit de la représentation nationale à un moment donné. Il n'est pas exclu que, dans certains cas, le Gouvernement puisse en tirer avantage dans la conduite des négociations en cours.
Dans le même esprit, le Comité souhaite que les accords de défense soient portés à la connaissance des commissions compétentes du Parlement (proposition n° 55).
D. - Revaloriser la fonction parlementaire :
Le renforcement du Parlement par le biais d'attributions nouvelles et de méthodes de travail mieux adaptées aux exigences de la démocratie n'a de sens que si les membres du Parlement sont mis en mesure d'exercer pleinement la mission que le peuple leur a confiée. Mais il ne se portera à la hauteur de cette tâche que s'il est réellement représentatif de la diversité de l'opinion publique et si l'opposition trouve, au sein des deux assemblées qui le composent, une place à sa mesure.
- Accroître la disponibilité des parlementaires :
L'activité parlementaire de législation et de contrôle constitue, par elle-même, une activité à temps plein. Aussi le Comité est-il d'avis que le mandat unique est la seule mesure qui corresponde vraiment aux exigences d'une démocratie parlementaire moderne. Seule parmi les grandes démocraties occidentales, la France connaît une situation de cumul important des mandats. En dépit des législations en vigueur depuis que des limitations ont été, en 1985 puis en 2000, édictées, le cumul des mandats, même limité, demeure la règle et le non-cumul l'exception : 259 des 577 députés sont maires, 21 sont présidents de conseil général, 8 sont présidents de conseil régional ; 121 des 331 sénateurs sont maires, 32 sont présidents de conseil général, 3 sont présidents de conseil régional ; et pratiquement tous les parlementaires sont, à tout le moins, conseillers municipaux ou généraux. A cette situation s'ajoute le fait que les établissements publics de coopération intercommunale ne sont pas dans le champ des interdictions de cumul.
Le Comité est conscient que le mandat unique constituerait une rupture avec des pratiques anciennes. Il sait que l'opinion publique y est peut-être moins prête qu'elle-même ne le croit. Pourtant, même si une majorité des membres du Comité considère que le cumul d'un mandat parlementaire et de fonctions locales non exécutives doit encore demeurer possible, sa conviction unanime est que le cumul entre un mandat national et des fonctions exécutives locales, y compris à la tête d'un établissement public de coopération intercommunale, doit être proscrit et que notre pays doit, en toute hypothèse, s'engager sur la voie du mandat parlementaire unique (proposition n° 56).
Il recommande que l'acheminement vers ce mandat parlementaire unique, qui implique une refonte de diverses dispositions organiques du code électoral, s'accomplisse de manière progressive à la faveur de chacune des élections municipales, cantonales et régionales à venir, à l'issue desquelles les parlementaires élus lors de ces scrutins seraient tenus de choisir entre leur mandat national et leur mandat exécutif local. - Reconnaître de nouvelles garanties pour l'opposition :
L'ensemble des propositions qui précèdent poursuivent un seul et même objectif : assurer l'émancipation du Parlement. Celui-ci ne sera atteint que si les prérogatives accordées à ce dernier profitent à l'ensemble des parlementaires, et pas uniquement à ceux qui soutiennent l'action du Gouvernement.
La réflexion du Comité sur cette question a été guidée par une préoccupation constante : reconnaître à l'opposition un rôle plus important, lui permettre également de jouer un rôle plus responsable, éloigné de la stérilité des critiques systématiques qui jettent le discrédit sur le discours politique. Se tournant vers l'étranger, le Comité a relevé que le statut de l'opposition au Royaume-Uni avait bien la valeur d'exemple qu'on lui prête : depuis 1826, le parti possédant le plus grand nombre de députés après le parti au pouvoir constitue l'opposition et bénéficie, en cette qualité, de prérogatives propres ; le chef de l'opposition y dispose, depuis 1937, d'un statut officiel ; à la Chambre des Communes, l'opposition préside un tiers des commissions dont celle chargée du contrôle du budget et des comptes ; une partie de l'ordre du jour est laissée à sa disposition. En République fédérale d'Allemagne, les présidences des 22 commissions du Bundestag et celles des commissions d'enquête sont réparties à la proportionnelle des groupes, la commission des finances est présidée par un membre du principal parti d'opposition.
Le Comité a estimé qu'aucun de ces deux exemples ne pouvait être transposé à l'identique, tout en notant que la présidence de la commission des finances de l'Assemblée nationale venait, comme il est de règle au Royaume-Uni, d'échoir à un membre de l'opposition. Il a également relevé que les parlementaires français et les partis politiques qui ne se réclament pas de la majorité qui soutient le Gouvernement jouissent de droits individuels et collectifs qui, pour ne leur être pas propres, n'en sont pas moins réels. Surtout, il a pris acte de la difficulté qu'il y a à définir la notion même d'opposition, certaines formations politiques refusant par principe de choisir leur place dans un jeu politique bipolaire ou craignant de s'enfermer dans un statut trop contraignant.
Cependant, le Comité a estimé qu'il y avait plus d'avantages que d'inconvénients pour le fonctionnement des institutions, sinon à jeter les bases d'un statut de l'opposition, du moins à reconnaître aux partis qui ne font pas partie de la majorité des garanties spécifiques. C'est pourquoi il propose, en premier lieu, que soit reconnu le rôle des groupes parlementaires qui ne se considèrent pas comme appartenant à la majorité. Et il suggère que soit mis en place un système souple de déclaration d'appartenance à la majorité pour ceux des groupes parlementaires qui le souhaitent. A ses yeux, un tel mécanisme permet aux groupes parlementaires de modifier leur position quand ils le veulent, sans être prisonniers des votes qu'ils peuvent émettre sur tel ou tel projet de loi, si important soit-il. Et il autorise ceux des groupes qui le désirent à ne pas choisir sans en supporter de conséquences fâcheuses.
Surtout, le Comité recommande que soient reconnues des garanties nouvelles aux groupes qui ne soutiennent pas le Gouvernement. C'est ainsi que prennent leur sens les propositions qu'il a formulées plus haut quant à la maîtrise de l'ordre du jour. C'est ainsi également qu'il demande que la répartition des temps de parole obéisse, pour les séances de questions d'actualité, à la règle de l'égalité entre la majorité et l'opposition, comme ce fut le cas jusqu'en 1981. C'est ainsi enfin qu'il souhaite que la pratique récemment mise en vigueur à l'Assemblée nationale en matière de commissions d'enquête, dont le président ou, à défaut, le rapporteur est choisi parmi les membres de l'opposition, soit systématisée (proposition n° 57).
Par ailleurs, le Comité suggère que la présidence des commissions permanentes des deux assemblées soit répartie à la représentation proportionnelle des groupes, que tous les groupes parlementaires puissent obtenir chacun la création d'une commission d'enquête par an (proposition n° 58), que l'opposition ait toute sa place dans les délibérations de l'instance à créer en matière de contrôle et d'évaluation des politiques publiques et qu'en particulier, elle contribue à la détermination de son programme de travail, enfin que les droits de l'opposition soient respectés dans la représentation des assemblées dans les organismes extérieurs au Parlement.
Le Comité est également favorable à ce que le décret du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires soit modifié pour que les représentants des principaux partis d'opposition y soient représentés selon les modalités qu'ils détermineraient eux-mêmes (proposition n° 59).
Mais il attache davantage de prix à ce que soit levé l'obstacle constitutionnel qui empêche aujourd'hui la reconnaissance de garanties particulières aux groupes de l'opposition. Lorsqu'il a censuré les dispositions du projet de règlement de l'Assemblée nationale soumis, en 2006, à son contrôle, le Conseil constitutionnel a fait valoir que les modalités selon lesquelles des droits pouvaient être reconnus à l'opposition se heurtaient, d'une part, aux dispositions de l'article 4 de la Constitution qui prévoient que « les partis et groupements politiques » auxquels le Conseil a assimilé les groupes parlementaires « se forment et exercent leur activité librement » et, d'autre part, à l'égalité de traitement entre les groupes. Aussi convient-il de modifier l'article 4 de la Constitution afin d'y écrire que la loi détermine les conditions dans lesquelles sont garantis les droits des partis et groupements qui ont ou n'ont pas déclaré soutenir le Gouvernement (proposition n° 60). Une disposition analogue pour les groupes parlementaires figurerait dans un article 51-1 nouveau.
Enfin, il n'y aurait que des avantages, a estimé le Comité, à rédiger une « charte des droits de l'opposition » qui recenserait l'ensemble des droits de l'opposition et pourrait, si elle était signée par le Gouvernement, la majorité et les groupes qui ne s'en réclament pas, garantir les bonnes pratiques d'une démocratie parlementaire plus respectueuse des opinions et des personnes (proposition n° 61).
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