JORF n°252 du 30 octobre 2007

Une Ve République plus démocratique

Introduction

La Constitution du 4 octobre 1958 est entrée dans sa cinquantième année ; elle a traversé bien des épreuves, dont celle, à trois reprises, de la « cohabitation » ; elle a fait montre de sa souplesse et de sa solidité ; elle a doté notre pays d'institutions stables et efficaces ; elle a élargi l'assise du régime républicain en démontrant, à la faveur de cinq alternances, sa capacité à fonctionner au service de tendances politiques différentes qui toutes se sont bien trouvé des moyens qu'elle a mis à leur disposition.
Pour autant, force est de constater que les institutions de la Ve République ne fonctionnent pas de manière pleinement satisfaisante. En dépit des nombreuses révisions constitutionnelles intervenues ces dernières années - la Constitution a été révisée vingt-deux fois depuis 1958, dont quinze fois au cours des douze dernières années - les institutions peinent à s'adapter aux exigences actuelles de la démocratie.
Surtout, la présidentialisation du régime, entamée en 1962 avec l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, s'est développée sans que la loi fondamentale évolue de telle manière que des contrepoids au pouvoir présidentiel soient mis en place. Certes, la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante parlementaires, intervenue en 1974, a tempéré la toute-puissance du pouvoir politique. Mais le Parlement demeure enfermé dans les règles d'un « parlementarisme rationalisé », caractérisé par la quasi-tutelle du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, dont il n'est pas contestable qu'il avait son utilité en 1958, au sortir de douze années de régime d'assemblée, mais qui participe, aujourd'hui, d'une singularité française peu enviable au regard des principes mêmes de la démocratie.
L'acception présidentialiste du régime a été définie par le général de Gaulle lors de sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964. La pratique suivie par ses successeurs n'a guère démenti cette lecture des institutions, à la notable exception des périodes de cohabitation, au cours desquelles la lettre de la Constitution a prévalu sur son esprit et la réalité du pouvoir exécutif est passée, pour l'essentiel, entre les mains du Premier ministre.
L'adoption du quinquennat et ce qu'il est convenu d'appeler l'« inversion du calendrier électoral » qui, depuis 2002, a pour effet de lier étroitement le scrutin présidentiel et les élections législatives, ont accentué la présidentialisation du régime. Même si cette évolution semble rencontrer l'adhésion de l'opinion publique, elle demeure fragile et porte la marque d'un déséquilibre institutionnel préoccupant. Elle est fragile car la concordance des scrutins qui favorise celle des majorités, présidentielle et parlementaire, ne la garantit pas et demeure tributaire du décès ou de la démission du Président de la République comme de l'exercice de son droit de dissolution de l'Assemblée nationale. Elle est déséquilibrée dans la mesure où les attributions du Président de la République s'exercent sans contrepouvoirs suffisants et sans que la responsabilité politique de celui que les Français ont élu pour décider de la politique de la nation puisse être engagée.
Il s'en déduit que le rééquilibrage des institutions passe d'abord, dans le cadre du régime tel qu'il fonctionne aujourd'hui, par un accroissement des attributions et du rôle du Parlement.
Telle a été la première constatation du Comité.
La deuxième est relative à la nécessité, apparue du fait de la survenance des expériences dites de « cohabitation », de clarifier les attributions respectives du Président de la République et du Premier ministre. La présidentialisation de la Ve République s'est traduite, dans les temps ordinaires, par une double responsabilité du Premier ministre, devant l'Assemblée nationale, comme le prévoient les articles 20 et 49 de la Constitution, mais aussi devant le Président de la République, comme ne le prévoit pas l'article 8 de la même Constitution. De même, chacun sait qu'en dehors des périodes de « cohabitation », ce n'est pas le Gouvernement qui, comme en dispose l'article 20 de la Constitution, « détermine (...) la politique de la nation » mais le Président de la République. Dans ces conditions, il est apparu au Comité que sa réflexion devait porter sur la clarification des rôles au sein du pouvoir exécutif. Les travaux qu'il a conduits sur cette question se situent - c'est l'hypothèse qui recueille un large accord en son sein - dans le cadre du régime actuel, caractérisé par la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale. Mais le Comité ne s'est pas interdit, dans ses discussions, d'envisager l'hypothèse d'une évolution vers un régime nettement présidentiel, dans lequel la responsabilité gouvernementale devant le Parlement n'a plus sa place.
Troisième constatation du Comité : les institutions de la Ve République ne reconnaissent pas aux citoyens des droits suffisants ni suffisamment garantis. L'impossibilité de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité d'une loi déjà promulguée à la Constitution, la difficulté à saisir le Médiateur de la République des différends qui opposent les citoyens aux administrations publiques, la prolifération de normes législatives et réglementaires, parfois rétroactives, l'instabilité de la règle de droit, la place de la justice dans le fonctionnement des institutions, les modes de scrutin par le biais desquels s'expriment les choix du peuple souverain sont autant de sujets sur lesquels le Comité s'est penché. Les propositions qu'il formule à ce titre portent la marque d'une volonté de modernisation et de démocratisation de nos institutions.

*
* *

Le Comité s'est attaché, dans un premier temps, à prendre la mesure de sa tâche en passant en revue les quelque trente sujets découlant de sa mission de réflexion et de proposition. Il y a consacré de nombreuses séances de travail. Pour autant, le Comité ne s'est pas interdit, comme le lui suggérait d'ailleurs le Président de la République, de se saisir d'autres sujets sur lesquels il a estimé qu'il était de son devoir d'appeler l'attention.
Puis, le Comité a procédé à l'audition d'une trentaine de personnalités afin d'éclairer sa réflexion compte tenu soit de leur expérience et de leur rôle au service de l'Etat, soit de leur place dans la vie politique de notre pays. Soucieux de témoigner de la volonté de transparence qui l'anime, le Comité a tenu à ce que ces auditions fussent publiques et télévisées, sauf souhait contraire des personnalités entendues.
Ainsi, le Comité a reçu les présidents des assemblées parlementaires et de leurs commissions des lois, le président du Conseil constitutionnel, le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près cette Cour, le premier président de la Cour des comptes, le président du Conseil économique et social et le chef d'état-major des armées ainsi que ceux des membres du Gouvernement dont les attributions justifiaient plus particulièrement qu'ils fussent consultés. Il a également entendu les dirigeants et présidents des groupes parlementaires des partis politiques représentés soit au Parlement national, soit au Parlement européen.
Dans le même souci de transparence, le Comité a ouvert un site internet sur lequel ont été diffusés les documents qui ont guidé et alimenté sa réflexion. Le public a été invité à formuler des remarques sur la base de ces documents. Le Comité a pu constater que la question des institutions n'est pas le monopole de quelques spécialistes et que les Français dans leur ensemble sont, contrairement aux idées reçues, soucieux de mieux s'approprier la Constitution.
Une fois collationnés les enseignements retirés des auditions, dont la liste est publiée en annexe au présent rapport, ainsi que des contributions, souvent éclairantes, envoyées par le biais de son site internet, le Comité s'est attaché à dégager les propositions de modernisation et de rééquilibrage des institutions qu'il avait reçu mission de mettre au jour.
Trois séries d'observations doivent être formulées sur cette partie du travail accompli par le Comité.
En premier lieu, le Comité s'est efforcé de présenter celles de ses propositions qui relèvent de la matière constitutionnelle en la forme d'articles de la Constitution révisée. Il doit être clair que, ce faisant, le Comité n'a nullement entendu se substituer au pouvoir constituant. Son désir était uniquement celui de la clarté de l'exposé, tant il est vrai que seul l'exercice de l'écriture garantit le sérieux des propositions.
En deuxième lieu, le Comité a réservé une large place à l'explication des motifs qui justifient, à ses yeux, les solutions qu'il propose et la rédaction qui les précise. A ce titre, le Comité a pu se borner à ne formuler, dans le texte même de la révision constitutionnelle qu'il suggère, que les règles essentielles et à renvoyer pour le surplus à la loi organique, voire à la loi simple, son commentaire indiquant alors les points les plus importants que le législateur serait invité à trancher le moment venu. Au demeurant, certains des sujets sur lesquels le Comité a reçu mission de se pencher ne sont pas d'ordre constitutionnel et le Comité s'est alors borné à fixer les grandes lignes des textes législatifs qu'il appelle de ses voeux.
En troisième et dernier lieu, le Comité s'est efforcé de formuler des propositions qui fassent en son sein l'objet d'un accord. Il y est parvenu au terme de discussions approfondies, parfois empreintes d'une certaine vivacité. Sans doute les membres du Comité ont-ils chacun une lecture personnelle des institutions de la Ve République et le débat a-t-il souvent confronté des points de vue opposés, mais la discussion contradictoire a porté ses fruits et les propositions qui émanent des travaux du Comité portent la marque de la cohérence.

*
* *

Le présent rapport obéit à une logique qui s'est affirmée dès l'origine des travaux du Comité, tant il est vrai que les réformes institutionnelles à mettre en oeuvre se sont imposées à lui avec force. On les examinera dans l'ordre où la Constitution leur donne place.
La première d'entre elles consiste à tenter de mieux définir le partage des rôles entre les gouvernants et, surtout, à encadrer davantage l'exercice des attributions que le Président de la République tient de la Constitution elle-même ou de la pratique politique et institutionnelle.
C'est pourquoi le Comité s'est attaché à définir les règles qui, à la lumière de l'expérience, pourraient régir les liens qui unissent le chef de l'Etat et le Gouvernement dirigé par le Premier ministre. Afin de clarifier et d'actualiser le texte constitutionnel et d'éviter qu'une dyarchie n'introduise la division au sein du pouvoir exécutif, il suggère de modifier les articles 5, 20 et 21 de la Constitution. Mais surtout il propose, à titre principal, que l'exercice des attributions présidentielles soit mieux encadré et que les prérogatives du chef de l'Etat soient précisées. Au passage, le Comité s'est efforcé de formuler des propositions relatives à l'élection présidentielle qui soient de nature à renforcer le caractère démocratique du choix offert aux citoyens.
Deuxième réforme : renforcer le Parlement. Le Comité a unanimement estimé que cet aspect de sa mission revêtait un caractère fondamental. Améliorer la fonction législative, desserrer l'étau du parlementarisme rationalisé, revaloriser la fonction parlementaire, doter l'opposition de droits garantis, renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement : tels sont, aux yeux du Comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions, et ce quelles que puissent être, en fonction de la personnalité des acteurs de la vie publique, l'interprétation et la pratique de la Constitution. Encore faut-il ajouter que le Comité a estimé que, sans préjudice des modifications éventuelles apportées aux modes de scrutin - et il a souhaité faire part de ses réflexions en ce domaine - l'interdiction du cumul des mandats était nécessaire au succès de la réforme institutionnelle ambitieuse qu'il appelle de ses voeux.
Troisième réforme : mieux assurer et garantir les droits des citoyens. Le Comité s'est persuadé sans peine que l'Etat de droit est une exigence que partagent tous nos concitoyens. Il s'est attaché à proposer un ensemble de mesures, qui ne sont pas toutes de nature constitutionnelle, permettant d'atteindre cet objectif. C'est ainsi qu'il a porté sa réflexion sur les droits nouveaux qui seraient susceptibles d'être consacrés par le Préambule de la Constitution, sur la mise en place, à l'instar de ce qui existe dans nombre de démocraties anciennes ou plus récentes, d'une autorité propre à mieux assurer la défense des droits individuels, sur la nécessité d'améliorer les procédures de démocratie directe. C'est ainsi, également, qu'il a souhaité que le respect du pluralisme fût assuré grâce au concours d'une institution nouvelle dont l'existence serait prévue par la Constitution et que la diversité de la société française fût mieux prise en compte, au sein du Conseil économique et social. C'est ainsi, enfin, qu'après avoir formulé des propositions, à ses yeux essentielles, tendant à améliorer les garanties d'indépendance et d'efficacité de l'autorité judiciaire, il a consacré une large part de ses efforts à la mise en place d'un contrôle de la constitutionnalité des lois qui réponde à la fois aux aspirations trop longtemps méconnues des citoyens et aux impératifs de la sécurité juridique à laquelle ils aspirent non moins légitimement.

*
* *

Telle est l'inspiration générale qui a guidé le Comité dans ses réflexions et ses travaux.
Les membres du Comité ont conscience que la révision constitutionnelle qu'ils proposent aux pouvoirs publics est la plus importante par sa teneur et par son volume de celles qui sont intervenues depuis plus de quarante ans.
Ce faisant, ils se sont acquittés de la mission que le Président de la République leur a confiée.
La nécessité d'une démocratisation des institutions est pressante. Les membres du Comité le savaient quand ils ont accepté la mission qui leur a été assignée. Ils en sont aujourd'hui plus persuadés encore.
Aussi sont-ils en mesure d'affirmer que les textes qu'ils soumettent à l'appréciation des pouvoirs publics ne procèdent pas d'une simple juxtaposition de mesures distinctes les unes des autres. La combinaison de ces dispositions n'est pas une addition. C'est un ensemble cohérent, qui propose un changement institutionnel global et ambitieux. Le Comité est unanimement convaincu qu'un tel changement est nécessaire. Il restera au Gouvernement à apprécier dans quelle mesure, selon quelle procédure et dans quels délais il est possible, et à soumettre ensuite ses projets au Parlement.
Avant que le Gouvernement n'engage ses propres travaux sur le terrain de la révision constitutionnelle, le Comité croit devoir appeler son attention sur un point important, afin de mieux l'éclairer sur les questions qu'il pose. L'évolution de la Ve République vers un régime de forme présidentielle correspond au souhait de plusieurs des membres du Comité qui pensent que si les propositions de ce dernier étaient retenues, il suffirait de supprimer la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale et le droit de dissolution pour que la nature du régime soit transformée dans le sens qu'ils espèrent, achevant ainsi un processus engagé depuis 1962.
Cependant, le Comité s'est trouvé unanime pour faire un choix clair : il a décidé de situer ses propositions, nombreuses et importantes par l'ampleur des améliorations qu'elles apportent à nos institutions, dans le cadre du maintien de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement telle qu'elle est prévue par la Constitution de 1958. C'est dans ce cadre qu'il a défini ses propositions. C'est dans ce cadre qu'il faut les apprécier. Et le Comité tient à souligner que, dans ce cadre même, les propositions qu'il formule en faveur d'un renforcement des pouvoirs du Parlement et d'une garantie accrue des droits et libertés des citoyens se traduisent toutes par une limitation du pouvoir du Président de la République.
Aussi ne fait-il aucun doute, dans l'esprit du Comité, que les mesures de rééquilibrage et de modernisation des institutions qu'il propose seraient, si elles recueillaient l'assentiment du pouvoir constituant, de nature à leur donner plus de cohérence ainsi qu'un caractère plus démocratique.


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Version 1

Une Ve République plus démocratique

Introduction

La Constitution du 4 octobre 1958 est entrée dans sa cinquantième année ; elle a traversé bien des épreuves, dont celle, à trois reprises, de la « cohabitation » ; elle a fait montre de sa souplesse et de sa solidité ; elle a doté notre pays d'institutions stables et efficaces ; elle a élargi l'assise du régime républicain en démontrant, à la faveur de cinq alternances, sa capacité à fonctionner au service de tendances politiques différentes qui toutes se sont bien trouvé des moyens qu'elle a mis à leur disposition.

Pour autant, force est de constater que les institutions de la Ve République ne fonctionnent pas de manière pleinement satisfaisante. En dépit des nombreuses révisions constitutionnelles intervenues ces dernières années - la Constitution a été révisée vingt-deux fois depuis 1958, dont quinze fois au cours des douze dernières années - les institutions peinent à s'adapter aux exigences actuelles de la démocratie.

Surtout, la présidentialisation du régime, entamée en 1962 avec l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, s'est développée sans que la loi fondamentale évolue de telle manière que des contrepoids au pouvoir présidentiel soient mis en place. Certes, la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante parlementaires, intervenue en 1974, a tempéré la toute-puissance du pouvoir politique. Mais le Parlement demeure enfermé dans les règles d'un « parlementarisme rationalisé », caractérisé par la quasi-tutelle du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, dont il n'est pas contestable qu'il avait son utilité en 1958, au sortir de douze années de régime d'assemblée, mais qui participe, aujourd'hui, d'une singularité française peu enviable au regard des principes mêmes de la démocratie.

L'acception présidentialiste du régime a été définie par le général de Gaulle lors de sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964. La pratique suivie par ses successeurs n'a guère démenti cette lecture des institutions, à la notable exception des périodes de cohabitation, au cours desquelles la lettre de la Constitution a prévalu sur son esprit et la réalité du pouvoir exécutif est passée, pour l'essentiel, entre les mains du Premier ministre.

L'adoption du quinquennat et ce qu'il est convenu d'appeler l'« inversion du calendrier électoral » qui, depuis 2002, a pour effet de lier étroitement le scrutin présidentiel et les élections législatives, ont accentué la présidentialisation du régime. Même si cette évolution semble rencontrer l'adhésion de l'opinion publique, elle demeure fragile et porte la marque d'un déséquilibre institutionnel préoccupant. Elle est fragile car la concordance des scrutins qui favorise celle des majorités, présidentielle et parlementaire, ne la garantit pas et demeure tributaire du décès ou de la démission du Président de la République comme de l'exercice de son droit de dissolution de l'Assemblée nationale. Elle est déséquilibrée dans la mesure où les attributions du Président de la République s'exercent sans contrepouvoirs suffisants et sans que la responsabilité politique de celui que les Français ont élu pour décider de la politique de la nation puisse être engagée.

Il s'en déduit que le rééquilibrage des institutions passe d'abord, dans le cadre du régime tel qu'il fonctionne aujourd'hui, par un accroissement des attributions et du rôle du Parlement.

Telle a été la première constatation du Comité.

La deuxième est relative à la nécessité, apparue du fait de la survenance des expériences dites de « cohabitation », de clarifier les attributions respectives du Président de la République et du Premier ministre. La présidentialisation de la Ve République s'est traduite, dans les temps ordinaires, par une double responsabilité du Premier ministre, devant l'Assemblée nationale, comme le prévoient les articles 20 et 49 de la Constitution, mais aussi devant le Président de la République, comme ne le prévoit pas l'article 8 de la même Constitution. De même, chacun sait qu'en dehors des périodes de « cohabitation », ce n'est pas le Gouvernement qui, comme en dispose l'article 20 de la Constitution, « détermine (...) la politique de la nation » mais le Président de la République. Dans ces conditions, il est apparu au Comité que sa réflexion devait porter sur la clarification des rôles au sein du pouvoir exécutif. Les travaux qu'il a conduits sur cette question se situent - c'est l'hypothèse qui recueille un large accord en son sein - dans le cadre du régime actuel, caractérisé par la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale. Mais le Comité ne s'est pas interdit, dans ses discussions, d'envisager l'hypothèse d'une évolution vers un régime nettement présidentiel, dans lequel la responsabilité gouvernementale devant le Parlement n'a plus sa place.

Troisième constatation du Comité : les institutions de la Ve République ne reconnaissent pas aux citoyens des droits suffisants ni suffisamment garantis. L'impossibilité de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité d'une loi déjà promulguée à la Constitution, la difficulté à saisir le Médiateur de la République des différends qui opposent les citoyens aux administrations publiques, la prolifération de normes législatives et réglementaires, parfois rétroactives, l'instabilité de la règle de droit, la place de la justice dans le fonctionnement des institutions, les modes de scrutin par le biais desquels s'expriment les choix du peuple souverain sont autant de sujets sur lesquels le Comité s'est penché. Les propositions qu'il formule à ce titre portent la marque d'une volonté de modernisation et de démocratisation de nos institutions.

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Le Comité s'est attaché, dans un premier temps, à prendre la mesure de sa tâche en passant en revue les quelque trente sujets découlant de sa mission de réflexion et de proposition. Il y a consacré de nombreuses séances de travail. Pour autant, le Comité ne s'est pas interdit, comme le lui suggérait d'ailleurs le Président de la République, de se saisir d'autres sujets sur lesquels il a estimé qu'il était de son devoir d'appeler l'attention.

Puis, le Comité a procédé à l'audition d'une trentaine de personnalités afin d'éclairer sa réflexion compte tenu soit de leur expérience et de leur rôle au service de l'Etat, soit de leur place dans la vie politique de notre pays. Soucieux de témoigner de la volonté de transparence qui l'anime, le Comité a tenu à ce que ces auditions fussent publiques et télévisées, sauf souhait contraire des personnalités entendues.

Ainsi, le Comité a reçu les présidents des assemblées parlementaires et de leurs commissions des lois, le président du Conseil constitutionnel, le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près cette Cour, le premier président de la Cour des comptes, le président du Conseil économique et social et le chef d'état-major des armées ainsi que ceux des membres du Gouvernement dont les attributions justifiaient plus particulièrement qu'ils fussent consultés. Il a également entendu les dirigeants et présidents des groupes parlementaires des partis politiques représentés soit au Parlement national, soit au Parlement européen.

Dans le même souci de transparence, le Comité a ouvert un site internet sur lequel ont été diffusés les documents qui ont guidé et alimenté sa réflexion. Le public a été invité à formuler des remarques sur la base de ces documents. Le Comité a pu constater que la question des institutions n'est pas le monopole de quelques spécialistes et que les Français dans leur ensemble sont, contrairement aux idées reçues, soucieux de mieux s'approprier la Constitution.

Une fois collationnés les enseignements retirés des auditions, dont la liste est publiée en annexe au présent rapport, ainsi que des contributions, souvent éclairantes, envoyées par le biais de son site internet, le Comité s'est attaché à dégager les propositions de modernisation et de rééquilibrage des institutions qu'il avait reçu mission de mettre au jour.

Trois séries d'observations doivent être formulées sur cette partie du travail accompli par le Comité.

En premier lieu, le Comité s'est efforcé de présenter celles de ses propositions qui relèvent de la matière constitutionnelle en la forme d'articles de la Constitution révisée. Il doit être clair que, ce faisant, le Comité n'a nullement entendu se substituer au pouvoir constituant. Son désir était uniquement celui de la clarté de l'exposé, tant il est vrai que seul l'exercice de l'écriture garantit le sérieux des propositions.

En deuxième lieu, le Comité a réservé une large place à l'explication des motifs qui justifient, à ses yeux, les solutions qu'il propose et la rédaction qui les précise. A ce titre, le Comité a pu se borner à ne formuler, dans le texte même de la révision constitutionnelle qu'il suggère, que les règles essentielles et à renvoyer pour le surplus à la loi organique, voire à la loi simple, son commentaire indiquant alors les points les plus importants que le législateur serait invité à trancher le moment venu. Au demeurant, certains des sujets sur lesquels le Comité a reçu mission de se pencher ne sont pas d'ordre constitutionnel et le Comité s'est alors borné à fixer les grandes lignes des textes législatifs qu'il appelle de ses voeux.

En troisième et dernier lieu, le Comité s'est efforcé de formuler des propositions qui fassent en son sein l'objet d'un accord. Il y est parvenu au terme de discussions approfondies, parfois empreintes d'une certaine vivacité. Sans doute les membres du Comité ont-ils chacun une lecture personnelle des institutions de la Ve République et le débat a-t-il souvent confronté des points de vue opposés, mais la discussion contradictoire a porté ses fruits et les propositions qui émanent des travaux du Comité portent la marque de la cohérence.

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Le présent rapport obéit à une logique qui s'est affirmée dès l'origine des travaux du Comité, tant il est vrai que les réformes institutionnelles à mettre en oeuvre se sont imposées à lui avec force. On les examinera dans l'ordre où la Constitution leur donne place.

La première d'entre elles consiste à tenter de mieux définir le partage des rôles entre les gouvernants et, surtout, à encadrer davantage l'exercice des attributions que le Président de la République tient de la Constitution elle-même ou de la pratique politique et institutionnelle.

C'est pourquoi le Comité s'est attaché à définir les règles qui, à la lumière de l'expérience, pourraient régir les liens qui unissent le chef de l'Etat et le Gouvernement dirigé par le Premier ministre. Afin de clarifier et d'actualiser le texte constitutionnel et d'éviter qu'une dyarchie n'introduise la division au sein du pouvoir exécutif, il suggère de modifier les articles 5, 20 et 21 de la Constitution. Mais surtout il propose, à titre principal, que l'exercice des attributions présidentielles soit mieux encadré et que les prérogatives du chef de l'Etat soient précisées. Au passage, le Comité s'est efforcé de formuler des propositions relatives à l'élection présidentielle qui soient de nature à renforcer le caractère démocratique du choix offert aux citoyens.

Deuxième réforme : renforcer le Parlement. Le Comité a unanimement estimé que cet aspect de sa mission revêtait un caractère fondamental. Améliorer la fonction législative, desserrer l'étau du parlementarisme rationalisé, revaloriser la fonction parlementaire, doter l'opposition de droits garantis, renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement : tels sont, aux yeux du Comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions, et ce quelles que puissent être, en fonction de la personnalité des acteurs de la vie publique, l'interprétation et la pratique de la Constitution. Encore faut-il ajouter que le Comité a estimé que, sans préjudice des modifications éventuelles apportées aux modes de scrutin - et il a souhaité faire part de ses réflexions en ce domaine - l'interdiction du cumul des mandats était nécessaire au succès de la réforme institutionnelle ambitieuse qu'il appelle de ses voeux.

Troisième réforme : mieux assurer et garantir les droits des citoyens. Le Comité s'est persuadé sans peine que l'Etat de droit est une exigence que partagent tous nos concitoyens. Il s'est attaché à proposer un ensemble de mesures, qui ne sont pas toutes de nature constitutionnelle, permettant d'atteindre cet objectif. C'est ainsi qu'il a porté sa réflexion sur les droits nouveaux qui seraient susceptibles d'être consacrés par le Préambule de la Constitution, sur la mise en place, à l'instar de ce qui existe dans nombre de démocraties anciennes ou plus récentes, d'une autorité propre à mieux assurer la défense des droits individuels, sur la nécessité d'améliorer les procédures de démocratie directe. C'est ainsi, également, qu'il a souhaité que le respect du pluralisme fût assuré grâce au concours d'une institution nouvelle dont l'existence serait prévue par la Constitution et que la diversité de la société française fût mieux prise en compte, au sein du Conseil économique et social. C'est ainsi, enfin, qu'après avoir formulé des propositions, à ses yeux essentielles, tendant à améliorer les garanties d'indépendance et d'efficacité de l'autorité judiciaire, il a consacré une large part de ses efforts à la mise en place d'un contrôle de la constitutionnalité des lois qui réponde à la fois aux aspirations trop longtemps méconnues des citoyens et aux impératifs de la sécurité juridique à laquelle ils aspirent non moins légitimement.

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Telle est l'inspiration générale qui a guidé le Comité dans ses réflexions et ses travaux.

Les membres du Comité ont conscience que la révision constitutionnelle qu'ils proposent aux pouvoirs publics est la plus importante par sa teneur et par son volume de celles qui sont intervenues depuis plus de quarante ans.

Ce faisant, ils se sont acquittés de la mission que le Président de la République leur a confiée.

La nécessité d'une démocratisation des institutions est pressante. Les membres du Comité le savaient quand ils ont accepté la mission qui leur a été assignée. Ils en sont aujourd'hui plus persuadés encore.

Aussi sont-ils en mesure d'affirmer que les textes qu'ils soumettent à l'appréciation des pouvoirs publics ne procèdent pas d'une simple juxtaposition de mesures distinctes les unes des autres. La combinaison de ces dispositions n'est pas une addition. C'est un ensemble cohérent, qui propose un changement institutionnel global et ambitieux. Le Comité est unanimement convaincu qu'un tel changement est nécessaire. Il restera au Gouvernement à apprécier dans quelle mesure, selon quelle procédure et dans quels délais il est possible, et à soumettre ensuite ses projets au Parlement.

Avant que le Gouvernement n'engage ses propres travaux sur le terrain de la révision constitutionnelle, le Comité croit devoir appeler son attention sur un point important, afin de mieux l'éclairer sur les questions qu'il pose. L'évolution de la Ve République vers un régime de forme présidentielle correspond au souhait de plusieurs des membres du Comité qui pensent que si les propositions de ce dernier étaient retenues, il suffirait de supprimer la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale et le droit de dissolution pour que la nature du régime soit transformée dans le sens qu'ils espèrent, achevant ainsi un processus engagé depuis 1962.

Cependant, le Comité s'est trouvé unanime pour faire un choix clair : il a décidé de situer ses propositions, nombreuses et importantes par l'ampleur des améliorations qu'elles apportent à nos institutions, dans le cadre du maintien de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement telle qu'elle est prévue par la Constitution de 1958. C'est dans ce cadre qu'il a défini ses propositions. C'est dans ce cadre qu'il faut les apprécier. Et le Comité tient à souligner que, dans ce cadre même, les propositions qu'il formule en faveur d'un renforcement des pouvoirs du Parlement et d'une garantie accrue des droits et libertés des citoyens se traduisent toutes par une limitation du pouvoir du Président de la République.

Aussi ne fait-il aucun doute, dans l'esprit du Comité, que les mesures de rééquilibrage et de modernisation des institutions qu'il propose seraient, si elles recueillaient l'assentiment du pouvoir constituant, de nature à leur donner plus de cohérence ainsi qu'un caractère plus démocratique.