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OBSERVATIONS PERSONNELLES
Observations de M. Jack Lang
La réforme proposée par notre comité représente un changement d'ampleur. Pour la première fois dans l'histoire de notre République, un véritable équilibre sera instauré entre le législatif, l'exécutif, le judiciaire et le pouvoir des médias.
Sans mettre en cause la philosophie générale du projet, je tiens néanmoins à exprimer un certain nombre de réserves.
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- Je souhaite que l'article 16 soit purement et simplement abrogé. En temps de crise, l'Etat dispose déjà de pouvoirs d'exception. Au demeurant, l'histoire montre que les qualités de courage et de caractère d'un homme d'Etat sont les meilleurs remparts contre les dangers extérieurs et intérieurs. Ni Clemenceau ni Churchill n'ont eu besoin d'un article 16 pour mener leur pays à la victoire. L'article 16 est au mieux inutile et au pire dangereux.
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- L'ensemble des entraves à l'exercice du pouvoir législatif mériteraient d'être abolies : l'intégralité de l'article 49-3, ainsi que l'article 44 sur le vote bloqué.
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- Le projet de réforme constitutionnelle a ouvert de nombreux nouveaux droits aux citoyens. J'aurais souhaité que cette liste soit complétée par :
- le vote des résidents étrangers aux élections locales ;
- l'égalité entre les hommes et les femmes ;
- la reconnaissance des langues et cultures de France ;
- la dignité humaine comme premier des droits humains.
Ces droits figurent dans la majorité des textes constitutionnels européens. Malheureusement les dirigeants de notre pays ont souvent été réticents à reconnaître certaines évolutions de notre société. Ainsi la France a-t-elle été l'un des derniers pays d'Europe à accorder le droit de vote aux femmes ou aux jeunes de dix-huit ans.
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- A l'exemple de la Constitution allemande, la ratification par le Parlement de nominations à de hautes fonctions (notamment pour le Conseil constitutionnel, le Conseil du pluralisme ou le Conseil supérieur de la magistrature) exigerait d'être votée à une majorité renforcée des trois-cinquièmes. Ainsi seraient mieux garanties les exigences de pluralisme et d'indépendance.
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- Je regrette que le scrutin majoritaire à deux tours, même mâtiné d'une dose de proportionnelle, demeure une loi intangible. Un système proportionnel à l'« allemande » permettrait à la fois de dégager une majorité et une représentation des autres familles de pensée.
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- Je propose la limitation à deux du nombre de mandats successifs que pourrait exercer le Président de la République. Je souhaite aussi la généralisation du quinquennat à l'ensemble des mandats électifs, y compris locaux et sénatoriaux.
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- Une question n'avait pas à être tranchée par notre comité : la nature du régime politique. L'ensemble des grands partis politiques sont favorables au statu quo : le maintien d'une dyarchie de l'exécutif. Ce système est bâtard, ambigu et, pour tout dire, baroque. Faute d'un choix clair par la société politique française entre régime présidentiel et régime parlementaire, aucune solution ne peut être satisfaisante s'agissant d'une nouvelle rédaction des articles 20 et 21. A l'exemple du système britannique, c'est la coutume constitutionnelle, confirmée par cinquante ans de pratique, qui s'impose : en période de cohabitation, c'est le chef du Gouvernement qui définit et conduit la politique de la nation ; en temps de coïncidence des majorités présidentielle et législative, c'est le chef de l'Etat qui donne l'impulsion à la politique de l'exécutif.
Ce sujet est pourtant relativement second. L'essentiel est ailleurs : le temps est venu trois siècles après Montesquieu de limiter les attributions du pouvoir exécutif et du président de la République et de renforcer les pouvoirs du Parlement, les droits des citoyens, l'autonomie de la justice et le pluralisme des médias. Cette ambition a été, je le crois, largement atteinte par le comité.
Jack Lang
Observations de M. Pierre Mazeaud
Un grand nombre d'idées étant agitées en ce moment sur la réforme des institutions en général et celle du contrôle de constitutionnalité, tel qu'il est pratiqué en France depuis près de quarante ans, il m'est apparu nécessaire de faire connaître mon sentiment, tout en m'en tenant à quelques propositions générales.
En premier lieu, il faut se garder de troquer une exception française qui a fait ses preuves contre une nouvelle exception française qui ne les a pas faites.
Les pays qui pratiquent le contrôle de constitutionnalité des lois se rattachent tous soit au modèle américain (contrôle diffus chapeauté par une cour suprême unique), soit au modèle kelsénien (cour spécialisée ayant le monopole du contrôle par saisine directe ou préjudicielle).
Construire un modèle mixte, faisant coexister un contrôle de constitutionnalité diffus par les juridictions de droit commun et un Conseil constitutionnel intervenant occasionnellement, serait ouvrir la voie à d'inévitables discordances de jurisprudence.
L'interprétation de la Constitution ne serait plus unique. Il y aurait autant d'interprétations d'une même règle ou d'un même principe qu'il y a de cours de dernier ressort en France : Cour de cassation, Conseil d'Etat et Conseil constitutionnel.
L'autorité de la Constitution en sortirait affaiblie. La sécurité juridique en serait également amoindrie.
En deuxième lieu, si réforme il y a, profitons-en pour « coupler », en quelque sorte, le contrôle de constitutionnalité et le contrôle dit de conventionnalité, lorsque le traité invoqué porte sur les droits fondamentaux.
Les principes proclamés par notre « bloc de constitutionnalité » et, par exemple, par la Convention européenne des droits de l'homme (demain par la Charte européenne des droits fondamentaux) se recoupent, en effet, très largement.
Les moyens tirés de la violation des uns et des autres seront généralement identiques.
Si nous ne voulons pas aboutir au démembrement du procès, faisons au moins en sorte qu'ils aient le même juge à chaque étape de la procédure.
On entend souvent justifier l'institution d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori par la nécessité de ne pas voir la loi écartée au seul profit du traité.
Mais, dans cette optique, il serait paradoxal de continuer à laisser au juge ordinaire, dès le premier ressort, le pouvoir d'écarter une loi comme contraire à la Convention, alors que le moyen d'inconstitutionnalité ne serait invocable qu'au terme d'une longue procédure.
En cette matière, c'est tout ou rien : les deux contrôles à tous les juges ou les deux contrôles au Conseil constitutionnel.
S'il fallait absolument changer les choses, mon choix irait naturellement à la seconde formule pour des raisons de rationalité et de sécurité juridiques.
Troisième remarque : il faut avoir conscience que nombre de dispositions législatives, parfois anciennes et couramment pratiquées, sont vulnérables à une exception d'inconstitutionnalité.
L'exception d'inconstitutionnalité peut donc conduire à déstabiliser des pans entiers de notre législation, comme cela se vérifie tous les jours pour le contrôle de conventionnalité : il suffit de penser aux règles du procès équitable (avec la théorie de l'apparence).
En quatrième lieu, a-t-on mesuré en termes concrets, en termes logistiques, en termes de bon emploi des derniers publics, ce que l'institution d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori signifie, même filtré, même réparti entre les trois cours suprêmes.
Déjà, la seule Convention européenne des droits de l'homme est invoquée dans près d'une affaire sur trois au Conseil d'Etat.
Cela sera encore plus vrai avec la Constitution, compte tenu de l'extrême généralité des principes inscrits dans notre bloc de constitutionnalité et de l'extrême ductilité du débat constitutionnel.
L'exception d'inconstitutionnalité sera en outre invoquée dans des instances urgentes, comme le référé-liberté.
Chacun devra prendre ses dispositions pour faire face à un nombre toujours croissant de recours, toujours plus urgents et toujours plus difficiles, tant par les concepts en discussion que par les conséquences de la solution retenue.
Je pense au Tribunal constitutionnel espagnol (pourtant doté de moyens à la hauteur de sa grande légitimité) qui, croulant sous le poids du recours d'« amparo », a dû renoncer au contrôle a priori de la constitutionnalité des lois.
Sait-on que beaucoup d'affaires, sinon la plupart des affaires, sont susceptibles de donner lieu à une argumentation de constitutionnalité ?
En cinquième lieu et enfin, pourquoi penser que la réappropriation de la Constitution par le citoyen passe par le contentieux ?
N'est-ce pas là une vision à la fois réductrice et négative du rapport à la Constitution ?
Si celle-ci doit d'abord être un lien, comme le suggère joliment le mot allemand Verfassung, drôle de façon de lier que de fomenter la chicane !
Pierre Mazeaud
Observations de M. Jean-Louis Bourlanges
Sur le mode de scrutin
Je me félicite que le Comité ait marqué son souhait de voir mettre un terme au « tout-majoritaire » caractéristique du mode de scrutin législatif actuel. Je regrette toutefois la timidité de cette remise en cause. J'aurais souhaité qu'il proposât le rétablissement du scrutin proportionnel départemental de liste dans l'esprit de la loi adoptée le 10 juillet 1985 et inopportunément abrogée deux ans plus tard. Un tel engagement se justifie à trois titres :
- Un député est l'élu de la nation, non celui d'une circonscription. Le scrutin uninominal enferme le parlementaire dans une situation de dépendance locale difficilement compatible avec le plein exercice de ses fonctions nationales de législation et de contrôle. La généralisation du scrutin de liste garantirait l'unité de statut des parlementaires et favoriserait la parité entre les hommes et les femmes siégeant au Palais-Bourbon. Elle s'inscrirait pleinement dans la logique de l'interdiction de cumul entre mandat parlementaire et mandat local car elle épargnerait à l'élu de la nation les effets pervers d'une concurrence faussée avec les élus locaux.
- L'uniformisation de la carte électorale accroît les déséquilibres inhérents au système majoritaire. On assiste aujourd'hui, sous l'effet de puissants facteurs d'ordre sociologique, institutionnel et médiatique, à une homogénéisation croissante des comportements électoraux. Or, dans un Etat dont les électeurs ont tendance à voter à l'identique dans l'ensemble des circonscriptions, un parti arrivé nettement en tête tend à s'adjuger non pas la majorité mais la quasi-totalité de la représentation parlementaire. Seul ce qui reste de diversité géographique dans l'expression du suffrage fait encore obstacle à cette tendance monopolistique. Il n'est pas raisonnable de s'en remettre exclusivement à des pesanteurs historiques de plus en plus résiduelles du soin de sauvegarder le pluralisme parlementaire.
Il le serait d'autant moins que le Comité a souhaité introduire des mécanismes de majorité qualifiée dans les procédures de décision parlementaire. Une telle orientation, destinée à préserver les droits de la minorité, serait vidée de son sens par un système favorisant la constitution abusive de majorités pléthoriques.
- Un équilibre satisfaisant des pouvoirs appelle la remise en cause du fait majoritaire. Les propositions du Comité ne font pas disparaître le risque de contradiction entre les majorités présidentielle et parlementaire. Le rétablissement du scrutin proportionnel serait de nature à réduire considérablement ce risque : il préviendrait en effet la constitution artificielle de majorités hostiles trop fortes pour ne pas obliger le président à se soumettre ou à se démettre. Le régime actuel oscille depuis trop longtemps entre une culture de soumission et une culture de contestation pour qu'une loi électorale favorisant la coopération entre les pouvoirs ne soit pas la bienvenue.
Observant enfin le rôle central du mode de scrutin dans le fonctionnement du système institutionnel, je crois justifié que soit inscrit dans la Constitution un principe d'équilibre et d'équité du mode de représentation, dont le respect s'imposerait au législateur.
Jean-Louis Bourlanges
Observations de M. Jean-Claude Casanova
Constitution et mode de scrutin
« Le peuple, dans la démocratie, est, à certains égards, le monarque ; à certains autres, il est le sujet. Il ne peut être monarque que par ses suffrages qui sont ses volontés. [...] Les lois qui établissent le droit de suffrage sont donc fondamentales dans ce gouvernement. En effet, il est aussi important d'y régler comment, par qui, à qui, sur quoi, les suffrages doivent être donnés, qu'il l'est dans une monarchie de savoir quel est le monarque et de quelle manière il doit gouverner. »
Montesquieu, L'Esprit des lois, II, 2.
« Qui » vote ? « Sur quoi » on vote ? « Comment » on vote ? Ces trois questions, qui résument ce qu'on pourrait appeler le théorème de Montesquieu, permettent de définir la nature d'un régime démocratique. La première porte sur la composition du corps électoral. La deuxième concerne la Constitution. La troisième est relative au mode de scrutin.
En France, la composition du corps électoral ne pose plus de problème : toutes les élections se font au suffrage universel direct, sauf celles des sénateurs.
Notre commission s'est prononcée sur le deuxième point. Ses recommandations permettent d'augmenter les pouvoirs du Parlement, et de garantir les droits des citoyens en leur reconnaissant la possibilité de faire respecter la hiérarchie des normes, c'est-à-dire la subordination de la loi à la Constitution.
Je considère que, si ces propositions étaient adoptées, cela constituerait un progrès pour nos institutions. Néanmoins, comme notre commission n'a pas pris parti sur le mode de scrutin, je souhaite exprimer mon opinion sur ce point.
La loi électorale, pour le Parlement, et notamment pour l'Assemblée nationale, devrait selon moi figurer dans la Constitution. On éviterait ainsi qu'une majorité soit tentée de choisir à l'Assemblée, par une loi ordinaire, un mode de scrutin susceptible de favoriser sa réélection.
De plus, la représentation nationale doit, par définition, être représentative. Or, le scrutin dit majoritaire donne, le plus souvent, le pouvoir à l'Assemblée à la plus forte minorité qui s'est exprimée dans le pays. Si, comme le souhaite notre commission, les pouvoirs du Parlement sont renforcés, il deviendra encore plus nécessaire que la majorité parlementaire représente, autant qu'il est possible, la majorité du peuple français.
L'expérience montre en effet que, lorsque le pays n'est pas fidèlement représenté dans sa diversité, le risque est grand de le voir recourir à d'autres moyens, tels que les grèves, les manifestations, voire les émeutes. Ce qui ne va pas sans affecter la crédibilité du pouvoir exécutif et l'autorité du Parlement.
J'ajoute que le scrutin d'arrondissement à deux tours, traditionnel en France, présente un inconvénient supplémentaire : il incite les partis de gouvernement à solliciter les suffrages des partis extrémistes, ce qui peut les conduire à présenter des programmes qu'ils savent inapplicables et donc à dissimuler leurs intentions.
Pour ces raisons, je suis favorable, pour l'Assemblée nationale, à un mode de scrutin plus équitable que celui qui est pratiqué aujourd'hui. Ce mode de scrutin serait établi, comme dans tous les pays européens à l'exception du Royaume-Uni, sur une base proportionnelle, étant entendu que des dispositions seraient prises pour éviter le morcellement des partis et permettre la formation d'une majorité stable de gouvernement.
Enfin, si l'on pense avec Montesquieu que, dans une démocratie, un pouvoir n'est légitime qu'à proportion de la légitimité des procédures par lesquelles le peuple le constitue, on doit raisonnablement souhaiter que toute question posée aux Français sur la modernisation de leurs institutions soit accompagnée d'une autre, portant sur la manière dont ils entendent exprimer leurs volontés.
La logique voudrait que ces questions leur soient posées en parallèle et si possible le même jour.
Jean-Claude Casanova
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DÉCRET DU 18 JUILLET 2007 PORTANT CRÉATION DU COMITÉ
ET LETTRE DE MISSION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Décret n° 2007-1108 du 18 juillet 2007 portant sur la création d'un comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République
NOR : JUSX0760594D
Le Président de la République,
Sur le rapport du Premier ministre et de la garde des sceaux, ministre de la justice,
Le conseil des ministres entendu,
Décrète :
1
Il est créé un comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République. Il est chargé d'étudier les modifications de la Constitution et des textes qui la complètent propres à répondre aux préoccupations exprimées par le Président de la République dans la lettre annexée au présent décret, et de formuler toutes les autres recommandations qu'il jugera utiles.
Le Comité peut entendre ou consulter toute personne de son choix.
Il remettra son rapport au Président de la République avant le 1er novembre 2007.
2
M. Edouard Balladur, ancien Premier ministre, ancien député, est nommé président du Comité institué par le présent décret.
Sont nommés membres du Comité en qualité de vice-présidents :
M. Jack Lang, ancien ministre, député, ancien professeur de droit public à l'université Paris-X (Nanterre) ;
M. Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, ancien ministre, ancien député.
Sont également nommés membres du Comité :
M. Denys de Béchillon, professeur de droit public à l'université de Pau et des pays de l'Adour ;
M. Jean-Louis Bourlanges, représentant au Parlement européen, professeur associé à l'Institut d'études politiques de Paris ;
M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'université Paris-X (Nanterre) ;
M. Jean-Claude Casanova, membre de l'Institut, président de la Fondation nationale des sciences politiques ;
M. Dominique Chagnollaud, professeur de droit public et de sciences politiques à l'université Paris-II (Panthéon-Assas) ;
M. Olivier Duhamel, professeur de droit public à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien représentant au Parlement européen ;
M. Luc Ferry, ancien ministre, agrégé de philosophie et de sciences politiques, membre du Conseil économique et social ;
Mme Anne Levade, professeur de droit public à l'université Paris-XII (Val-de-Marne) ;
M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne), président de l'Association française de droit constitutionnel ;
M. Olivier Schrameck, conseiller d'Etat, professeur associé à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne).
Est nommé rapporteur général du comité : M. Hugues Hourdin, conseiller d'Etat.
3
Le Premier ministre, la garde des sceaux, ministre de la justice, et le secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l'application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 18 juillet 2007.
Nicolas Sarkozy
Par le Président de la République :
Le Premier ministre,
François Fillon
La garde des sceaux, ministre de la justice,
Rachida Dati
Le secrétaire d'Etat
chargé des relations avec le Parlement,
Roger Karoutchi
*
* *
Paris, le 18 juillet 2007.
Monsieur le Premier ministre,
La Constitution, qui fixe l'organisation actuelle de nos institutions a été établie il y a près de cinquante ans. Inspirée par la pensée du général de Gaulle et sa détermination à doter notre pays d'institutions stables et fortes, elle présente des qualités qui ne sont plus à démontrer. Incontestablement toutefois, sous l'effet des nombreux changements intervenus depuis 1958 dans notre pays et à l'extérieur, notre démocratie a aujourd'hui besoin de voir ses institutions modernisées et rééquilibrées. Nos concitoyens attendent de l'Etat une autorité renouvelée, et plus d'efficacité dans l'action publique, mais ils souhaitent aussi plus de transparence, plus de débat, plus de simplicité. Ils veulent que l'action politique soit au service de l'intérêt général, pas des intérêts particuliers. Ils aspirent profondément à une démocratie exemplaire, à une République irréprochable.
Bien sûr, depuis 1958, notre fonctionnement institutionnel a connu plusieurs inflexions. Elles ont résulté soit d'une modification formelle des textes, soit d'une évolution des pratiques. Mais c'est un fait que, depuis cette date, et plus encore depuis une quinzaine d'années, au cours desquelles beaucoup de changements institutionnels sont intervenus, aucune réflexion d'ensemble n'a été menée sur l'équilibre général de notre démocratie.
C'est pourquoi j'ai souhaité vous confier la présidence d'un comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le ré-équilibrage des institutions de la Ve République. Son rôle sera de formuler des propositions de réforme concernant la Constitution elle-même et les textes qui la précisent. Je vous remercie d'avoir accepté cette responsabilité.
En plein accord avec vous, j'ai tenu à ce que le Comité fût constitué de personnalités diverses, d'une expérience, d'une stature et d'une crédibilité évidentes, et représentant différents courants d'opinion. Je les remercie vivement d'avoir accepté de vous rejoindre.
La première mission du Comité, et à dire vrai la principale, sera de réfléchir à la nécessité de redéfinir les relations entre les différents membres de l'exécutif, d'une part, aux moyens de rééquilibrer les rapports entre le Parlement et l'exécutif, d'autre part. L'importance prise par l'élection présidentielle au suffrage universel direct, le passage au quinquennat et la réforme du calendrier électoral se sont en effet conjugués pour donner au Président de la République un pouvoir très large sur l'ensemble de nos institutions et de l'administration, et un rôle essentiel qui - à la différence de celui du Premier ministre - n'est pas assorti d'un régime de mise en cause de sa responsabilité.
Il convient dès lors :
- en premier lieu, d'examiner dans quelle mesure les articles de la Constitution qui précisent l'articulation des pouvoirs du Président de la République et du Premier ministre devraient être clarifiés pour prendre acte de l'évolution qui a fait du Président de la République le chef de l'exécutif, étant observé toutefois que cette articulation n'est guère dissociable du régime de responsabilité actuellement en vigueur ; c'est pourquoi, quelles que soient les réponses apportées à cette question, il y aura lieu en tout état de cause de rééquilibrer l'architecture institutionnelle d'ensemble en encadrant certains pouvoirs du Président de la République ;
- en deuxième lieu, et par suite, de permettre au Président de la République d'exercer ses fonctions de manière transparente et naturelle. Vous préciserez à cet effet les conditions dans lesquelles le Président de la République pourrait venir exposer sa politique directement devant le Parlement. De même, je souhaite que le budget de la présidence de la République ne soit plus un objet de polémique. La présidence de la République doit se voir reconnaître les moyens de fonctionner tout en soumettant son budget à des principes de contrôle et de transparence ;
- en troisième lieu, de mettre un certain nombre de limites aux pouvoirs du Président de la République.
Cela pourrait passer notamment par une limitation du nombre de mandats qu'un même Président peut effectuer et par un droit de regard du Parlement sur les nominations les plus importantes. Nos concitoyens souhaitent avoir la garantie que les nominations aux plus hautes responsabilités ne reposent que sur la compétence des intéressés ;
- enfin, il est indispensable de rééquilibrer les pouvoirs du Parlement par rapport à ceux de l'exécutif. A cette fin, vous pourriez étudier notamment les modifications qu'il convient d'apporter à la maîtrise de l'ordre du jour du Parlement, au nombre de commissions permanentes, aux pouvoirs et moyens de contrôle du Parlement sur l'administration et les comptes publics, ainsi que les modalités d'une association plus étroite des assemblées parlementaires à la détermination de la politique européenne, internationale et de défense de la France. Vous pourriez examiner l'opportunité de permettre au Parlement d'adopter des résolutions susceptibles d'influencer le travail gouvernemental. Vous me proposerez les moyens de rendre la fonction parlementaire plus valorisante et le travail parlementaire d'élaboration des lois plus efficace, en contrepartie, le cas échéant, d'un encadrement des pouvoirs du Gouvernement en matière d'adoption des lois (articles 44, alinéa 3, et 49, alinéa 3). Vous pourriez prévoir la possibilité pour les ministres et les secrétaires d'Etat issus du Parlement de retrouver leur siège lorsqu'ils cessent d'exercer leurs fonctions gouvernementales.
Une démocratie exemplaire, c'est aussi une démocratie qui veille à ce que l'opposition ait les moyens d'exercer son rôle, qu'il s'agisse de moyens politiques, juridiques ou financiers. C'est pourquoi je souhaite que le Comité me propose un statut de l'opposition, définissant cette dernière et lui reconnaissant un certain nombre de droits : notamment des droits d'information, des droits protocolaires, le droit d'assurer ès qualités certaines fonctions, le droit de créer une commission d'enquête au Parlement, le droit de bénéficier de moyens financiers lui permettant de fonctionner, etc.
La justice est le troisième pilier de l'équilibre des pouvoirs au sein de notre démocratie. Son rôle et son fonctionnement ont profondément évolué depuis que les Constituants de 1958 consacrèrent à « l'autorité judiciaire » le titre VIII de la Constitution. La justice, qu'elle soit judiciaire ou administrative, a de fait plus de pouvoir qu'en 1958, mais son indépendance n'est pas pour autant pleinement garantie, ni sa responsabilité suffisamment engagée. Tout en vous interrogeant sur l'opportunité de reconnaître dans la Constitution l'existence d'un véritable pouvoir judiciaire ou juridictionnel et d'en préciser les contours, vous me proposerez une nouvelle composition du Conseil supérieur de la magistrature, dont la présidence ne sera plus assurée par le Président de la République et où les magistrats ne seront plus majoritaires. Bien que cela ne relève pas nécessairement de la Constitution, vous examinerez les moyens d'une meilleure conciliation entre l'exigence d'application homogène par les parquets de la politique pénale définie par le Gouvernement et la garantie due aux justiciables qu'aucune considération autre que judiciaire n'intervient dans le fonctionnement de la justice. La création d'une fonction de procureur général de la Nation, dont vous préciserez alors les conditions de nomination, de fonctionnement et de révocation, est une voie possible en ce sens. Je souhaite également que vous me proposiez une réforme du droit de grâce. Le droit de faire grâce doit subsister, mais il ne me paraît plus envisageable que l'exercice de ce pouvoir relève du seul Président de la République. Je considère enfin que, dans une République exemplaire, il ne devrait plus être possible de déclencher des poursuites, de quelque nature qu'elles soient, sur la base d'une dénonciation anonyme.
La campagne présidentielle a mis en évidence l'attente de nos concitoyens d'une vie politique plus ouverte, plus proche de leurs préoccupations, plus représentative de la diversité de leurs opinions, et où les droits des citoyens seraient renforcés. A cet effet, vous étudierez les moyens d'instiller plus de démocratie directe dans notre fonctionnement institutionnel, sous la forme, le cas échéant, d'un droit d'initiative populaire. Vous examinerez les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel pourrait être amené à statuer, à la demande des citoyens, sur la constitutionnalité de lois existantes. Des voix s'élèvent dans notre pays pour regretter que la France soit le seul grand pays démocratique dans lequel les citoyens n'ont pas accès à la justice constitutionnelle, et que certaines normes internationales aient plus de poids et d'influence sur notre droit que nos principes constitutionnels eux-mêmes. Il me paraît nécessaire également d'examiner dans quelle mesure les pouvoirs conférés au chef de l'Etat par l'article 16 de la Constitution en cas de crise majeure demeurent applicables, compte tenu des évolutions intervenues depuis le temps de sa rédaction.
Dans le même esprit, je souhaite que le rôle du Conseil économique et social soit modernisé et valorisé, et notamment qu'il soit une enceinte privilégiée de débat et de concertation sur les questions essentielles de développement durable. Je vous demande d'étudier dans quelle mesure les Français de l'étranger, qui sont de plus en plus nombreux et qui contribuent au rayonnement de notre pays dans la mondialisation, pourraient être représentés à l'Assemblée nationale en plus du Sénat. S'agissant enfin des modes de scrutin, ils ne relèvent pas stricto sensu de la Constitution. Cela étant, ils ont à l'évidence un effet majeur sur l'équilibre de nos institutions. C'est pourquoi, en parallèle des travaux qui seront entrepris par ailleurs sur le découpage des circonscriptions électorales, conformément à la demande du Conseil constitutionnel, je souhaite connaître l'avis de votre Comité sur l'opportunité d'introduire une dose de représentation proportionnelle au niveau national pour les élections législatives ou sénatoriales, et sur les modalités qu'il conviendrait de retenir si l'on devait s'engager sur l'une ou l'autre de ces voies.
Dans son discours de Bayeux du 16 juin 1946, le général de Gaulle assignait aux institutions le rôle de préserver la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'Etat, ainsi que le crédit des lois. Depuis une quinzaine d'année, ce dernier s'est considérablement affaibli sous l'effet de lois trop nombreuses, trop instables, d'une qualité insuffisante et ne respectant plus le partage institué par les articles 34 et 37 de la Constitution entre la loi et le règlement. De nombreux travaux ont eu lieu sur ce sujet au cours des années récentes. Je souhaite que le comité de révision de la Constitution me fasse des propositions efficaces pour garantir la sécurité juridique dont nos concitoyens ont impérativement besoin. Parmi celles-ci, je souhaite que soient étudiés notamment l'opportunité d'inscrire les principes de sécurité juridique et de confiance légitime dans la Constitution ; la possibilité pour une commission ad hoc du Parlement, après le vote des lois, ou pour le Conseil constitutionnel, de procéder au déclassement systématique des dispositions législatives intervenues dans le domaine du règlement ; le report de l'entrée en vigueur des lois à la publication de tous leurs décrets d'application ; la possibilité pour le Parlement de se substituer au pouvoir réglementaire lorsque celui-ci tarde à prendre les décrets d'application des loi ; ou encore la création, dans chaque ministère, sur le modèle du contrôleur financier, d'un contrôleur juridique chargé de veiller à la nécessité et à la solidité juridiques des textes proposés.
Monsieur le Premier ministre, tels sont les principaux axes de réflexion auxquels devra s'attacher le Comité chargé de proposer les réformes nécessaires à la modernisation et au rééquilibrage de nos institutions. Il lui sera naturellement possible, s'il l'estime nécessaire, d'élargir son champ d'étude à d'autres sujets relatifs au fonctionnement de nos institutions et de notre vie politique, et de formuler toute proposition utile.
Je vous saurais gré de bien vouloir me rendre vos conclusions avant le 1er novembre 2007, assorties, dans la mesure du possible, du ou des projets de textes nécessaires à leur mise en oeuvre. Après avoir pris connaissance de ceux-ci, j'engagerai avec le Gouvernement, préalablement à la saisine du Parlement, l'ensemble des consultations nécessaires à l'élaboration définitive de la réforme, en particulier la consultation des partis politiques et des différentes institutions de la République. Mon objectif est de parvenir d'ici janvier prochain à une profonde modernisation du fonctionnement de notre démocratie.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier ministre, l'assurance de mes sentiments respectueux.
Nicolas Sarkozy
M. Edouard Balladur
Ancien Premier ministre
Président du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, 55, rue Saint-Dominique, 75007 Paris.
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SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DU COMITÉ
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TABLEAU COMPARATIF
CONSTITUTION DE LA Ve RÉPUBLIQUE
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LISTE DES PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES
M. Christian Poncelet, président du Sénat.
M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (Assemblée nationale).
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et de l'administration générale (Sénat).
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes.
M. Jean-Michel Baylet (Parti radical de gauche).
M. François Bayrou (Mouvement démocrate).
Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Claude Sandrier et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat (Parti communiste français).
M. Jean-Pierre Chevènement (Mouvement républicain et citoyen).
M. Patrick Devedjian, M. Jean-Pierre Raffarin, M. Jean-François Copé et M. Josselin de Rohan (Union pour un mouvement populaire).
Mme Cécile Duflot (Les Verts).
M. François Hollande, M. Jean-Marc Ayrault et M. Jean-Pierre Bel (Parti socialiste).
M. Pierre Laffite (groupe RDSE du Sénat).
M. Jean-Marie Le Pen (Front national).
M. Michel Mercier (groupe UC-UDF du Sénat).
M. Hervé Morin (Nouveau Centre).
M. Philippe de Villiers (Mouvement pour la France).
M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France.
M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France.
M. Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat.
M. Jacques Dermagne, président du Conseil économique et social.
M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation.
M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation.
M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes.
Général Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées.
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République.