II. - Sur les articles 42 et 43
A. - Les articles 42 et 43 entendent favoriser la participation des élus de ces départements à l'action internationale de ceux-ci dans leur environnement régional.
L'article 42 précise, au nouvel article L. 3441-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les conditions dans lesquelles les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président du conseil général pour négocier et signer des accords avec un ou plusieurs Etats ou territoires situés dans l'environnement immédiat des départements d'outre-mer. Cette possibilité concerne également les organismes multilatéraux compétents dans ces zones, dépendant de l'ONU ou non. Le nouvel article L. 4433-4-2, inséré dans le même code par l'article 43, fait de même pour le président du conseil régional.
Selon les auteurs des recours, ces dispositions méconnaîtraient l'article 52 de la Constitution qui confie au Président de la République le soin de négocier et ratifier les traités et au Gouvernement la compétence pour approuver ou signer les accords en forme simplifiée. La possibilité ainsi ouverte aux présidents des deux assemblées locales serait également de nature à porter atteinte à la sauvegarde des intérêts nationaux, aux prérogatives constitutionnelles de l'Etat et aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Elle contredirait aussi la disposition de la loi du 6 février 1992 qui interdit aux collectivités territoriales de passer des conventions avec des Etats.
En outre, les sénateurs requérants soutiennent que les deux articles visés sont contraires aux articles 53 de la Constitution, en ce qu'ils ne réserveraient pas la compétence du législateur, et 53-1 réservant à la République la conclusion des accords déterminant les demandes d'asile.
Enfin les députés, auteurs du second recours, estiment que les dispositions des nouveaux articles L. 3441-4 et L. 4433-4-3 relatives à l'intervention du conseil général et du conseil régional méconnaissent l'article 52 de la Constitution.
B. - Cette argumentation repose sur une interprétation inexacte, tant des dispositions critiquées que de celles de la Constitution.
A titre liminaire, le Gouvernement entend rappeler que l'action internationale des collectivités territoriales de la République a été progressivement reconnue, en parfaite cohérence avec le principe de libre administration énoncé par l'article 72 de la Constitution.
Alors que l'article 65 de la loi du 2 mars 1982 autorisait simplement ces collectivités à entretenir des contacts avec des collectivités décentralisées étrangères, avec l'approbation du Gouvernement, cette conception limitée de la coopération décentralisée a été rénovée en profondeur par la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République. Il résulte de cette loi, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises dans le code général des collectivités territoriales, que ces collectivités peuvent conclure des conventions avec d'autres collectivités locales, dans les limites de leurs compétences et du respect des engagements internationaux de la France. L'article L. 1112-5, issu de l'article 133-2 de la loi de 1992, précise cependant qu'aucune « convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale... et un Etat étranger ».
S'agissant des départements et régions d'outre-mer, les textes en vigueur prévoient tout au plus un mécanisme d'association purement consultatif : l'article L. 4433-4 dispose que les conseils régionaux des départements d'outre-mer « peuvent être saisis pour avis de tous projets d'accords concernant la coopération régionale en matière économique, sociale, technique, scientifique, culturelle, de sécurité civile ou d'environnement » avec leurs voisins ; de même, l'article L. 4433-15 dispose-t-il que les conseils régionaux des départements d'outre-mer sont saisis « pour avis de tout projet d'accord international portant sur l'exploration, l'exploitation, la conservation ou la gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, dans la zone économique exclusive de la République au large des côtes de la région concernée ».
Ces dispositions revêtent une importance particulière dans les départements d'outre-mer. En effet, dans les relations qu'ils entretiennent avec leur proche environnement, les départements français d'Amérique, comme la Réunion, devraient pouvoir valoriser les avantages relatifs que leur procure leur niveau de développement, tant en matière économique que sociale et éducative. Pourtant, même si ces relations sont en constant développement, le bilan reste mitigé : pour ne prendre que l'exemple des échanges extérieurs des DOM, les Petites et Grandes Antilles ne représentent que 8,8 % des exportations de la Guadeloupe et 2,6 % pour la Martinique. Le Brésil et le Surinam ne représentent que 5,6 % des exportations de la Guyane ; les Etats de la Communauté de l'océan Indien attirent 8,7 % des exportations réunionnaises.
Cela s'explique notamment par le fait que les dispositions issues de la loi du 6 février 1992 ne sont clairement plus adaptées aux réalités des départements d'outre-mer. En effet, les territoires qui sont proches des départements d'outre-mer ne sont pas, pour la plupart, des collectivités territoriales composantes d'une collectivité étatique, avec lesquelles pourraient se nouer une coopération décentralisée en application des dispositions actuellement en vigueur. Il s'agit d'Etats, personnes de droit public international exerçant une souveraineté sur leur territoire.
Limiter les actions de coopération régionale aux relations entre collectivités locales revient, en pratique, à priver les départements français d'outre-mer d'interlocuteurs compétents sur les sujets d'intérêt commun, qui sont fort nombreux dans ces zones : tourisme, prévention des catastrophes naturelles, santé, culture... Ainsi, pour la Guadeloupe ou la Martinique, il serait plus efficace d'autoriser ces départements à coopérer avec les Etats qui leur sont proches, comme Sainte-Lucie ou la Dominique.
C'est dans cet esprit que le Gouvernement a proposé que la loi d'orientation pour l'outre-mer donne de nouvelles possibilités d'action aux collectivités territoriales des départements d'outre-mer, et notamment, s'agissant des conseils régionaux, la faculté de devenir membre associé d'un organisme international. Et c'est ce que font les articles 42 et 43, qui n'encourent aucune des critiques qui leur sont adressées.
- En premier lieu, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire échec à l'application des articles 52 et 53 de la Constitution, auxquels seront naturellement soumis les accords ainsi conclus, sans que la loi ait eu à le rappeler. Ces accords seront passés au nom de l'Etat, dans le cadre des pouvoirs que les autorités nationales auront, le cas échéant, délivrés au président du conseil général ou à celui du conseil régional. Comme tout plénipotentiaire, ces derniers seront munis d'un mandat, d'instructions, et devront rendre compte.
Il convient à cet égard de souligner que les articles 42 et 43 n'impliquent pour l'Etat aucune obligation de désigner le président du conseil général et celui du conseil régional pour négocier et signer des accords en son nom. Dans l'hypothèse où il choisit de ne pas faire usage de cette faculté, le Gouvernement a d'ailleurs la possibilité d'associer au sein de la délégation française le président du conseil général ou du conseil régional, comme le précisent les articles L. 3441-3 et L. 4433-4-2.
En outre, si, au-delà de la simple négociation, les dispositions contestées autorisent le pouvoir exécutif à confier au président du conseil général ou au président du conseil régional le soin de signer des accords, il s'agit nécessairement de missions ad hoc, révocables à tout instant, et non d'une délégation permanente permettant à ces élus d'engager l'Etat sur des sujets de sa compétence.
Au demeurant, le Conseil constitutionnel a déjà admis la conformité à la Constitution de telles dispositions. Il résulte en effet de la décision no 96-373 DC du 9 avril 1996, rendue à propos de dispositions similaires incluses dans la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, que « le législateur a pu, sans porter atteinte ni à l'exercice de la souveraineté, ni aux prérogatives réservées à l'Etat par l'article 72, alinéa 3, de la Constitution, autoriser le président du gouvernement de la Polynésie française à négocier et signer des accords dans les domaines de compétence du territoire, dès lors que pour ce faire le président du gouvernement doit avoir expressément reçu des autorités de la République les pouvoirs appropriés et que ces accords demeurent soumis aux procédures prévues par les articles 52 et 53 de la Constitution ».
N'étant en rien fondée sur l'organisation particulière dont les territoires d'outre-mer bénéficient en vertu de l'article 74 de la Constitution, la solution ainsi dégagée est nécessairement transposable au cas, qui est celui des articles 42 et 43, où de tels pouvoirs sont attribués à des présidents de conseil régional ou général dans les DOM.
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En deuxième lieu, c'est en vain que l'article 53-1 est invoqué par le recours des sénateurs : il résulte des termes mêmes de cet article qu'il ne concerne que certains accords que la République souhaite conclure avec les Etats européens, alors que la loi d'orientation s'applique exclusivement aux Etats ou organismes régionaux de l'aire géographique des départements d'outre-mer concernés.
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En troisième lieu, le moyen tiré de l'article L. 1112-5 du code général des collectivités territoriales qui interdit aux collectivités territoriales de passer des conventions avec des Etats étrangers est, en tout état de cause, inopérant : en admettant même que cet article exprime un principe constitutionnel, les accords visés par les articles 42 et 43 de la loi déférée ne sont pas passés au nom de la région ou du département mais au nom de l'Etat, et ne relèvent donc pas de la coopération décentralisée dont l'article L. 1112-5 encadre l'exercice.
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Enfin les nouveaux articles L. 3441-4 et L. 4433-4-3 n'encourent pas davantage les autres reproches que leur adresse le recours des députés.
Ces dispositions prévoient que les autorités de la République peuvent autoriser ces collectivités d'outre-mer à négocier, dans leurs domaine de compétence, des accords avec un ou plusieurs Etats, territoires ou organismes régionaux, dans le respect des engagements internationaux de la France. Cette possibilité est enserrée dans une procédure très stricte : la négociation par le président du conseil général ou du conseil régional est soumise à une autorisation préalable tout comme, le cas échant, la signature de l'accord. De plus, les autorités de la République sont, à leur demande, représentées à la négociation.
Quant à l'intervention du conseil général ou du conseil régional « pour acceptation » de l'accord, avant sa signature, elle est inhérente à la logique de ce mécanisme : s'agissant d'accords intéressant la compétence du département ou de la région, l'initiative sera en principe venue de l'un ou de l'autre. Il est donc cohérent de les inviter à faire connaître s'ils approuvent ou non le résultat de la négociation. Cependant, quelle que soit la position prise par l'organe délibérant de la collectivité, l'Etat demeurera libre de donner la suite qu'il jugera bonne au projet d'accord et de désigner qui il entend pour le signer.
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