IV. ― Sur l'article 7
A. ― L'article 7 de la loi déférée introduit la possibilité de prononcer, en cas de délit de contrefaçon commis à l'aide d'un service de communication au public en ligne, une peine complémentaire de suspension de l'accès à ce service pendant une durée maximale d'un an.L'article précise en outre que la suspension ne peut être appliquée aux services de téléphonie et de télévision si l'abonné est titulaire d'une offre composite, dite de multiple play , dont les flux de téléphone, de télévision et d'internet ne seraient pas dissociables. Il indique enfin que l'abonné continue à payer la totalité de son abonnement à son fournisseur d'accès pendant la durée de la suspension.
Les auteurs de la saisine font grief à cet article de méconnaître le principe d'égalité devant la loi pénale, motif pris de ce que la peine complémentaire ne pourra être prononcée pour les abonnés situés en zone non dégroupée et de prévoir une sanction d'autant plus disproportionnée qu'elle s'accompagnera du maintien du versement du prix de l'abonnement pendant la durée de la suspension.
B. ― Aucun de ces griefs ne pourra être retenu.
1. Sur l'atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale :
Il importe de relever tout d'abord qu'à supposer même constituée une telle atteinte elle ne porterait, en tout état de cause, que sur le prononcé d'une peine complémentaire facultative et non sur la peine principale, que le juge pourra prononcer quelle que soit la situation de l'abonné au service de communication au public en ligne. La portée du grief soulevé par les auteurs de la saisine s'en trouve ainsi fortement amoindrie.
Le Gouvernement souhaite faire observer en deuxième lieu que si le principe d'égalité devant la loi pénale s'oppose à toute immunité de caractère général et absolu, il ne semble pas faire obstacle en revanche à ce qu'une distinction soit opérée par le législateur sur le fondement de différences objectives de situation des prévenus (voir en ce sens, par exemple, la décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005).
On doit souligner que certaines peines se trouvent liées, dans certains cas, à la situation de fait dans laquelle se trouvent les prévenus, ce qui peut faire obstacle à ce que les peines soient prononcées ou même exécutées.
Il en est ainsi par exemple des peines de suspension du permis de chasser ou de conduire, prévues à titre de peines alternatives pour tous les délits par l'article 131-6 du code pénal, et qui supposent que le condamné soit ― encore ― titulaire de ces permis. De même, le travail d'intérêt général n'est possible que si le condamné n'est pas atteint d'une affection dangereuse pour les autres ou le rendant médicalement inapte au travail (art.R. 131-28 du code pénal).
Il convient, en troisième lieu, de ne pas surestimer le nombre d'abonnés pour lesquels le prononcé de la peine de suspension ne serait pas techniquement envisageable du fait de l'impossibilité de dissocier les flux de téléphonie, de télévision et d'internet. Cette peine sera en effet difficile à prononcer essentiellement pour les titulaires d'offres d'abonnement auprès d'opérateurs alternatifs, en zone non dégroupée, qui ont résilié l'abonnement téléphonique qu'ils détenaient auparavant chez l'opérateur historique. Ce chiffre représente de l'ordre de 10 % de la population.
S'agissant de l'outre-mer, il importe de relever en outre que l'architecture des réseaux est voisine de celle déployée en métropole et comporte d'ores et déjà des raccordements en fibre optique, susceptibles de donner plus facilement prise à des suspensions ciblées. De plus, dans les zones mal desservies, l'accès à l'internet se fait parfois par satellite, ce qui facilite une suspension limitée au seul service internet. Aucune rupture d'égalité ne sera non plus constatée avec les abonnés aux réseaux mobiles de troisième génération ou aux abonnés du câble, pour lesquels des solutions adaptées existent déjà.
Limité et justifié par des critères techniques objectifs et rationnels, le traitement différencié de certains internautes au regard du prononcé de la peine complémentaire peut donc être regardé comme conforme au principe d'égalité devant la loi pénale.
Le Gouvernement souhaite ajouter, en tout état de cause, que ce traitement ne sera jamais appliqué de manière contingente : il reviendra en effet à la HADOPI, afin que le juge statue en connaissance de cause, d'indiquer dans le procès-verbal transmis au parquet que l'abonné se trouve dans une situation ne permettant pas de lui appliquer la peine complémentaire de suspension prévue par les textes.
2. Sur la disproportion de la sanction liée au maintien du versement du prix de l'abonnement durant la suspension :
Le grief des auteurs de la saisine manque en fait.
Il est en effet inexact de regarder ce maintien comme une sanction. La seule sanction prononcée sera celle de la suspension de l'abonnement, qui revêt des conséquences pécuniaires sur l'abonné mais, il faut le constater, ne met aucune charge financière supplémentaire à sa charge.
L'abonné se trouve simplement affecté par les conséquences indirectes d'une sanction pénale, comme le conducteur automobile dont le permis de conduire est suspendu qui doit continuer à payer les traites de son véhicule. Mais en créant une situation de cette nature, la loi n'a en rien créé un régime de cumul de sanctions.
Il faut au demeurant indiquer que l'option qui aurait consisté à priver les fournisseurs d'accès à internet du montant de l'abonnement versé par l'internaute objet d'une sanction n'aurait pas manqué de soulever, quant à elle, des difficultés constitutionnelles bien plus solides.
La jurisprudence range en effet les actifs incorporels dans le champ d'application de la protection du droit de propriété : cette analyse a, par exemple, été rappelée par la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006.
Or, le fournisseur d'accès à internet dispose d'un droit de propriété incorporelle sur sa clientèle, constituée de l'ensemble de ses abonnés. Une atteinte à ce droit ― sous la forme d'une dévalorisation du montant des contrats ― ne saurait donc être justifiée que par un impératif d'intérêt général, difficile à établir en l'espèce, dès lors que l'atteinte au droit de propriété résulterait d'un fait étranger au fournisseur d'accès.
3. Quant au grief tiré, in fine, de ce que la mission confiée par l'article 7 à la HADOPI d'exécuter les peines de suspension prononcées par le juge méconnaîtrait le principe de la séparation des pouvoirs, il sera écarté sans difficulté.
La loi ne confie pas la mise à exécution de la peine de suspension à l'autorité. Elle lui donne simplement un rôle d'intermédiaire entre le ministère public, chargé de l'application des peines, et les fournisseurs d'accès qui doivent être informés de l'existence de celles-ci pour suspendre l'abonnement.
La condamnation à la peine de suspension continuera à être portée à la connaissance du condamné selon les dispositions de droit commun du code de procédure pénale, c'est-à-dire à la diligence du procureur de la République, par signification réalisée par huissier de justice ou, s'il s'agit d'une ordonnance pénale, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par notification effectuée par le délégué du procureur. Ce n'est qu'à l'expiration du délai de recours, si le condamné n'a pas contesté la condamnation en faisant appel ou opposition, que la peine sera mise à exécution. Et ce n'est qu'à compter de cette étape que la HADOPI interviendra, pour informer le fournisseur d'accès, dont elle constitue l'interlocuteur habituel, ce qui n'est pas le cas du parquet.
De manière générale, si l'article 707-1 du code de procédure pénale confie l'exécution des peines au ministère public, aucun principe constitutionnel n'interdit que d'autres autorités interviennent dans cette exécution. Le deuxième alinéa de l'article 707-1 confie du reste au percepteur, qui agit au nom du procureur, le recouvrement des amendes et les confiscations.
La situation envisagée par la loi déférée est similaire à celle d'une condamnation à la peine complémentaire d'interdiction d'émettre des chèques bancaires. Lorsque la condamnation doit être exécutée, le parquet prévient non pas la banque du condamné, mais la Banque de France, qui est l'interlocuteur privilégié de l'ensemble des banques. La Banque de France informe elle-même la banque qui gère le compte de la personne, cette banque demandant alors à l'intéressé de lui remettre les chéquiers en sa possession. Et cette intervention d'un organe administratif dans l'exécution de la peine n'a jamais rencontré d'obstacle constitutionnel.
Le grief tiré d'une atteinte à la séparation des pouvoirs pourra donc être aisément écarté.
V. ― Sur l'article 8
A. ― L'article 8 de la loi déférée crée une nouvelle peine contraventionnelle, sous forme de peine complémentaire aux contraventions de cinquième classe mentionnées par le code de la propriété intellectuelle, prévoyant une suspension d'une durée maximale d'un mois en cas de négligence caractérisée du titulaire de l'abonnement à sécuriser son accès à internet en dépit d'une recommandation en ce sens prononcée par la HADOPI.
Les auteurs de la saisine estiment que cette peine est disproportionnée, qu'elle ne respecte pas le principe de légalité des délits et des peines faute d'une définition suffisamment précise de l'infraction, qu'elle porte atteinte au principe de la présomption d'innocence et n'est pas entourée de garanties procédurales suffisantes.
B. ― Il a déjà été répondu dans le cadre de ces observations aux griefs de procédure. Le Gouvernement renvoie donc sur ce point à ses écritures qui précèdent, pour s'en tenir aux nouvelles critiques qui sont ici formulées.
i) Le grief tiré d'une disproportion de la sanction sera facilement écarté. Le délai de suspension ici applicable n'est en effet que d'un mois. Il est en outre modulable à la baisse, ce qui le rend proportionné à l'objectif poursuivi, qui est de responsabiliser, par une mesure ciblée, l'internaute qui refuse de prendre les mesures permettant d'éviter les téléchargements illégaux à partir de son accès internet.
Par ailleurs, le prononcé de la suspension par le juge devra se faire dans le respect des principes d'individualisation et de proportionnalité de la peine, découlant notamment des dispositions générales de l'article 132-24 du code pénal, et que rappelle expressément le nouvel article L. 335-7-2 du code de la propriété intellectuelle, lequel dispose que, pour prononcer la peine de suspension et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l'infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l'activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique .
Cet article précise en outre que la durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile .
ii) Le grief tiré d'une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines pourra aussi être écarté.
Il sera observé que la définition des éléments constitutifs d'une contravention relève du décret et non de la loi. On ne peut donc reprocher à la loi une incompétence négative faute d'avoir précisé suffisamment la notion de négligence caractérisée, quand bien même elle viendrait par avance limiter la possibilité pour le Gouvernement de définir les caractéristiques de la contravention.
Ceci dit, le Gouvernement souhaite dissiper toute ambiguïté éventuelle en indiquant que, dans son esprit, la négligence caractérisée visée par le nouvel article L. 335-7-1 du code de la propriété intellectuelle consistera, ainsi qu'en disposera le décret fixant l'infraction, à ne pas, sans motif légitime (notamment financier ou technique), sécuriser son accès internet en dépit d'une recommandation valant mise en demeure adressée en ce sens par la HADOPI.
VI. ― Sur l'article 11
A. ― L'article 11 de la loi déférée complète l'article 434-41 du code pénal, qui réprime de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende la violation des obligations et interdictions résultant du prononcé de diverses peines complémentaires, afin que cet article sanctionne également la violation de la nouvelle peine complémentaire, prévue en matière délictuelle par l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle.
Les auteurs de la saisine estiment qu'eu égard à la qualification des faits en cause, la détermination des sanctions est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
B. ― Le Conseil constitutionnel ne pourra toutefois faire sienne cette analyse.
Les peines encourues sont celles prévues depuis la réforme du code pénal adoptée en 1992 ― sans changement réel sur ce point ― en cas de violation de sa peine par un condamné.
Il convient de relever qu'en l'espèce ces dispositions ne seront applicables qu'à l'encontre des personnes définitivement condamnées à la peine de suspension pour avoir commis les délits de contrefaçon en utilisant leur connexion internet, lesquels sont déjà punis de trois ans d'emprisonnement, et peuvent recouvrir une palette de situations très dissemblables par leur gravité, depuis celle de la personne qui télécharge illégalement quelques fichiers pour son utilisation personnelle, jusqu'à celle du contrefacteur professionnel qui utilise internet pour faire un commerce illégal de films, de jeux vidéos ou de musiques.
Il s'agit en outre des peines maximales encourues, qui doivent être prononcées par le juge dans le respect des principes d'individualisation et de proportionnalité que rappelle l'article 132-24 précité du code pénal. Elles ne seront, enfin, pas applicables en cas de violation de la peine de suspension prononcée pour la contravention de négligence caractérisée dans la surveillance de sa connexion.
Dans ces conditions, le grief tiré de ce que l'article 11 de la loi déférée serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation pourra donc être écarté.
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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.
Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.
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