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Rapport sur la justice de l'asile en France
- La CNCDH s'interroge sur la nécessité et le calendrier d'une nouvelle réforme de l'asile alors que la législation française a connu des évolutions conséquentes en 2015 et 2018 (135), et que le nouveau pacte européen sur la migration et l'asile vient d'être adopté (136). Elle rappelle que la France n'est pas « submergée » par le nombre de demandes d'asile et ne prend qu'une part minime à cet accueil contrairement à ses voisins européens (137). Elle regrette que le droit d'asile soit majoritairement appréhendé sous l'angle du détournement des procédures, ce qui conduit à un affaiblissement constant de l'accès aux droits des personnes demandeuses d'asile et de la protection du droit d'asile en France. La CNCDH a conscience qu'il est impératif d'améliorer l'accueil et les modalités d'accès au territoire français des demandeurs d'asile. Cependant, selon elle, la réduction des délais n'est pas l'unique solution, d'autant que cette volonté de réduction des délais d'instruction semble partir du principe que la demande d'asile est détournée et utilisée pour se maintenir sur le territoire tout en bénéficiant des conditions matérielles d'accueil. Cette réduction des délais vise à éloigner le plus rapidement possible les déboutés de l'asile qui n'auraient pas « vocation » à rester sur le territoire.
- La loi du 26 janvier 2024 implique un bouleversement de la procédure d'asile en modifiant les formations de jugement de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), par la mise en place de la territorialisation et du juge unique comme principes de jugement. L'objectif présenté était de rapprocher le juge du demandeur d'asile pour permettre un meilleur accueil du justiciable tout en respectant l'exigence du délai raisonnable et le maintien d'une collégialité sur les affaires qui présentent une difficulté sérieuse (138).
I. - La territorialisation de la CNDA : une réforme aux garanties incertaines
- L'article 70 de la loi du 26 janvier 2024 territorialise le contentieux en créant des chambres spécialisées au sein des cours administratives d'appel (CAA) ; le siège de la CNDA demeure quant à lui à Montreuil, en Ile-de-France. La CNCDH considère que la territorialisation peut contribuer à rapprocher la justice du justiciable mais à condition qu'elle ne s'accompagne pas du développement de la visio-audience et des audiences foraines, et qu'elle permette aux magistrats de région de participer plus facilement aux jugements. Elle peut également permettre d'éviter les reports d'audience liés aux déplacements des membres des formations de jugement, dont de nombreux viennent de toute la France ainsi que les indisponibilités des avocats.
- Malgré la publication du décret du 8 juillet 2024 fixant l'organisation de ces chambres territoriales (139), la CNCDH rappelle que la territorialisation ne doit pas se faire au détriment des garanties procédurales propres au contentieux de l'asile et s'interroge sur la mise en œuvre concrète de la réforme. D'un point de vue organisationnel et matériel, il convient de se demander si les cours administratives d'appel destinées à accueillir une chambre de la CNDA (président, chef de chambre, secrétariat, rapporteurs, interprètes) en leur sein en ont la possibilité matérielle. Une décision de la CNDA, du 2 septembre 2024 liste les pays d'origine et les langues utilisés relevant des chambres spécialisées situées à Montreuil (140). Néanmoins, la CNCDH insiste sur la nécessité de prévoir des interprètes en nombre suffisant dans les chambres situées hors de Montreuil, et il est à craindre un recours fréquent à des interprètes par téléphone, ce qui aurait pour effet d'éloigner le justiciable de la justice, contrairement à l'objectif présenté. Ce recul des garanties procédurales est à mettre en parallèle avec le recours à la visio-conférence qui primerait sur la tenue de l'audience au tribunal (cf. § 104 à 108).
- Le Conseil d'Etat avait précisé qu'une spécialisation est particulièrement utile dans le domaine de l'asile (141), où une connaissance fine de la géopolitique et de l'histoire des conflits mais aussi des aspects juridiques est essentielle. Or, rien n'est précisé quant à la formation qui devra être suivie par les juges. La CNCDH rappelle, à l'instar d'un récent rapport sénatorial (142), la nécessité de former les membres des formations de jugement aux spécificités du contentieux de l'asile afin d'assurer une qualité uniforme sur tout le territoire et de ne pas créer une rupture d'égalité entre demandeurs.
Recommandation n° 16 : La CNCDH préconise la réalisation d'un bilan de la territorialisation de la CNDA au terme de la première année de mise en œuvre de la réforme, afin de veiller à ce que les droits procéduraux des demandeurs d'asile soient garantis.
II. - La généralisation du juge unique à la CNDA
- La réforme du fonctionnement de la Cour passe également par un changement de paradigme : le recours au juge unique devient la règle et une affaire pourra être renvoyée en formation collégiale si le juge estime que l'affaire « pose une question qui le justifie » (143), les critères du renvoi en formation collégiale n'étant pas prévus par le texte. Pour la CNCDH, les situations suivantes justifieraient le renvoi en formation collégiale : problématiques géopolitiques particulières (Afghanistan par exemple), problématiques juridiques complexes (exclusion, définition d'un groupe social, asile interne, etc.), vulnérabilités spécifiques (santé mentale, femmes et filles, personnes LGBTI, MNA, etc.). Or, les critères devant justifier d'un renvoi en formation collégiale ne sont pas prévus par le texte ce qui, au demeurant, laisse une marge de manœuvre non négligeable au juge. Pour le moment, le renvoi en formation collégiale n'apparaît pas restrictif mais pourrait le devenir en fonction de la gestion de la Cour, dans la mesure où les juges disposent d'une large marge de manœuvre. C'est pourquoi, la CNCDH trouve intéressante la recommandation de la mission d'information du Sénat qui préconise « d'édicter des lignes directrices d'application de l'article L. 131-7 du Ceseda par le président de la Cour, à destination en particulier des présidents, permanents comme vacataires, afin de définir une jurisprudence claire en matière de renvois en formation collégiale » (144).
- Cette nouvelle disposition sur le juge unique induit une transformation profonde de la justice de l'asile. Auparavant, la Cour nationale du droit d'asile siégeait en principe en formation collégiale composée notamment d'un assesseur nommé par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). Elle pouvait statuer avec un juge unique dans certains cas définis par la loi, et celui-ci statuait en procédure accélérée dans les cinq semaines (145) (cinq mois en procédure normale). Les réformes de 2015 et 2018 ont accru le recours au juge unique (146), laquelle procédure représente environ 20 % des affaires traitées à la Cour (147). Bien qu'il s'agisse d'une spécificité française, la CNCDH a toujours affirmé son attachement à la collégialité (148), adaptée au cadre français, et le Conseil d'Etat a encore récemment reconnu que la collégialité était une garantie fondamentale pour les justiciables (149) pour assurer une cohérence et une prévisibilité des décisions, et in fine une harmonisation de la jurisprudence. Elle permet d'assurer une justice de qualité en comparant les points de vue sur des dossiers complexes.
- La CNCDH rappelle que la collégialité est essentielle à une bonne administration de la justice, dans un contentieux à forts enjeux humains, face à un public vulnérable ou plus exposé aux violences, comme les femmes (§ 138 et suivants), dans un contexte géopolitique particulier. La fin de la collégialité soulève des inquiétudes en termes d'objectivité, d'impartialité et d'expertise des juges, certains n'étant pas toujours suffisamment formés aux spécificités du contentieux de l'asile, alors que les assesseurs du HCR sont recrutés pour leur expertise et leurs connaissances géopolitiques du contexte. Ils ont également une obligation de formation pour intégrer la CNDA et doivent ensuite en suivre plusieurs dans l'année. En inversant le principe, le demandeur d'asile ne fera plus face qu'à deux interlocuteurs dans le cadre de sa demande d'asile : il sera entendu par un seul officier de protection de l'Office français de protection des apatrides (OFPRA), puis par un seul juge devant la CNDA. Ainsi, la perte du regard de la formation collégiale aura un impact sur les droits des requérants et sur la qualité de la justice rendue.
- Cette réforme avait été présentée avec l'objectif de réduire les délais, lesquels expliqueraient un taux de renvoi très élevé, étant rappelé que le contentieux devant la CNDA est contraint par des délais fixés par la loi (150). La CNCDH rappelle que raccourcir les délais à tout prix ne doit pas se faire au détriment de la qualité des décisions rendues ou des droits des requérants et regrette que la loi ait poursuivi une logique de rationalisation de la juridiction, avec un risque que les considérations budgétaires et organisationnelles priment sur les garanties et droits des demandeurs d'asile, particulièrement vulnérables.
- En outre, il est ressorti des auditions menées à la CNCDH que les réformes et les moyens investis depuis 2015 ont eu un effet sur les délais et l'encombrement des rôles et ont permis de diminuer le stock d'affaires, permettant à la Cour d'atteindre les objectifs fixés par le législateur. Pourtant, ce n'est pas en instaurant le juge unique comme principe que l'on peut réduire encore davantage les délais. Les statistiques présentées par l'étude d'impact ne sont pas suffisantes pour justifier l'instauration du juge unique : en réalité, de nombreux renvois sont liés à des erreurs de procédure, notamment la réorientation de procédures accélérées vers des procédures normales, et à l'absence de membres de formation de jugement. D'autres renvois, surtout les trois dernières années, sont liés à des éléments conjoncturels (crise sanitaire, grèves des avocats et/ou des magistrats…). La CNCDH regrette que ne soient traités que les dysfonctionnements sans qu'il y ait d'interrogation sur le fonctionnement des procédures et les vrais motifs des renvois.
Recommandation n° 17 : La CNCDH s'inquiète que la généralisation du juge unique n'entraîne, à terme, la marginalisation voire la suppression de la collégialité à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Elle réitère donc, avec force, sa recommandation de ne pas faire du juge unique la règle en matière de contentieux de l'asile et de conserver la collégialité comme principe.
III. - La mise en place des pôles France asile et la réduction du temps de la procédure
- L'article 62 de la loi du 26 janvier 2024 rend possible la création de pôles territoriaux « France asile », avec l'objectif de simplifier et raccourcir le parcours administratif des demandeurs d'asile (modification de l'art L. 521-6 du Ceseda). Conformément à l'article L. 121-17 du Ceseda, ces pôles seront progressivement déployés sur l'ensemble du territoire français après la mise en place de trois sites pilote. Le décret du 16 juillet 2024 en a précisé les modalités (151).
- Au sein de ces pôles, l'OFPRA prendra connaissance de la demande d'asile et de la situation du requérant juste après l'enregistrement par les services de la préfecture et le passage par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). La CNCDH considère que l'organisation proposée peut être un moyen de stabiliser les informations de la personne requérante dès son premier passage en préfecture et éventuellement d'accélérer la reconstitution et la délivrance de l'état civil par l'OFPRA (152) (d'une durée d'environ dix mois actuellement [153]) ainsi que la répartition des demandeurs d'asile et leur prise en charge sur le territoire, à l'image des guichets uniques mis en place dans certaines villes pour accueillir les réfugiés ukrainiens (154). Toutefois, la commission rappelle que l'enjeu en termes de droit d'asile est surtout d'avoir une procédure de qualité et non d'être guidé par la seule volonté de réduire les délais.
- C'est pourquoi la CNCDH souhaite alerter sur certains points afin que la mise en place de ces pôles s'accompagne de garanties face à un public particulièrement vulnérable. En l'état, de nombreuses incertitudes demeurent.
- En premier lieu la CNCDH appelle à une vigilance sur l'indépendance de l'OFPRA : le statut de ces pôles ainsi que le lien hiérarchique entre leurs agents et ceux de la préfecture devront être précisés, dès lors qu'ils vont tous se trouver dans les mêmes locaux. Les missions dévolues aux agents, de même que leurs statuts, devront être précisés. S'agissant de l'introduction et de l'enregistrement du « formulaire de demande d'asile numérique » (état civil, langue, vulnérabilité, trajet), cette mission peut être exercée par des agents de catégorie B dans des conditions normales. En revanche, s'agissant du recueil du motif de la demande d'asile, voire du récit du demandeur, cette mission ne relève pas statutairement des personnels de catégorie B et nécessite une formation particulière. De même, se pose la question de l'information qui sera donnée aux demandeurs d'asile sur la procédure et dans quelle langue. Comme l'avait souligné le Conseil d'Etat dans son avis (155), d'importants moyens sont à déployer pour ces centres, de la formation des agents de l'OFPRA et de l'interprétariat.
- Ensuite, une fois les pôles répartis sur l'ensemble du territoire selon la cartographie actuelle des guichets uniques pour demandeurs d'asile (GUDA), la CNCDH s'interroge sur la manière dont seront harmonisées les pratiques entre tous les pôles et s'inquiète des conséquences sur l'égalité de traitement des demandes, sachant que plus de la moitié des demandeurs d'asile sont en Ile-de-France.
- Par ailleurs, la CNCDH s'inquiète de la faisabilité de la procédure, les demandeurs d'asile risquant de se retrouver dans une situation de confusion, face à des agents en uniforme dans les locaux de la préfecture. De plus, il leur sera demandé d'effectuer le même jour, les trois rendez-vous « France Asile » (enregistrement avec les services de la préfecture, conditions matérielles d'accueil avec l'OFII et introduction de la demande lors d'un entretien d'au moins une heure avec un agent de l'OFPRA incluant l'organisation de son entretien futur), ce qui paraît difficilement réalisable.
- En outre, cette pré-demande d'asile nécessitera pour le demandeur d'asile de commencer à évoquer son récit, ce qui soulève la question de la confidentialité des échanges et de l'organisation des locaux. Bien que soit prévue la faculté pour le demandeur de compléter son dossier en adressant des pièces complémentaires, la CNCDH s'interroge sur le contour des informations qui seront recueillies et rappelle la nécessité de pouvoir les modifier et les corriger. Elle recommande que celles-ci ne puissent pas être utilisées contre les demandeurs d'asile ultérieurement.
- La CNCDH rappelle que la confidentialité est cruciale afin de permettre aux demandeurs d'asile de s'exprimer librement. En effet, de nombreux demandeurs d'asile comptent sur le soutien et la solidarité de leur communauté présente sur le territoire français et certains pourraient craindre de dévoiler les motifs de leur demande d'asile, comme leur orientation sexuelle, leur expression de genre ou encore des violences sexuelles subies dans leur pays, dans des locaux au sein desquels la confidentialité ne serait pas garantie.
- L'évaluation des demandes manifestement infondées et la détection de certaines vulnérabilités devrait également être précisées : les vulnérabilités physiques sont mentionnées dans la loi, mais certaines vulnérabilités invisibles, plus difficiles à détecter, n'y figurent pas. La CNCDH recommande que l'évaluation des vulnérabilités faite par l'OFII soit affinée et permette de détecter les vulnérabilités le plus en amont possible, par exemple avec un affinement du questionnaire et des procédures de signalement par les associations et les structures de premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA), ce qui permettrait un accueil prioritaire pour ces personnes particulièrement vulnérables.
- S'agissant du délai entre le dépôt de la demande et l'entretien, la loi prévoit que ce dernier ne pourra pas intervenir avant 21 jours, sauf exceptions prévues par le CESEDA (156). Si la CNCDH souscrit aux objectifs de simplification du parcours administratif et de réduction du délai qui sépare l'enregistrement de la demande d'asile et de l'entretien avec l'OFPRA, alors que les parcours peuvent être lourds pour les demandeurs d'asile, elle estime qu'il faut maintenir un délai raisonnable pour s'assurer que les besoins des demandeurs sont assurés et pour accompagner et préparer la délivrance du récit. En effet, la verbalisation du récit peut être très compliquée pour les demandeurs d'asile, en particulier pour ceux qui formulent des demandes pour des motifs de persécutions en raison de l'orientation sexuelle ou de l'expression de genre, ou encore pour violences sexuelles. Comme évoqué précédemment, de nombreuses personnes LGBTI n'oseront pas parler de leur orientation sexuelle à ce stade de la procédure, ce qui risque d'entraîner une invisibilisation de ce motif de demande d'asile. Par ailleurs, la CNCDH considère que le délai laissé aux demandeurs d'asile entre leur passage au guichet France asile et leur entretien ne peut être inférieur à 21 jours pour les demandeurs placés en procédure normale ; celui-ci permettant la collecte, la traduction, si besoin, et la transmission de certains documents au service de l'OFPRA. S'agissant des demandeurs d'asile placés en procédure d'accélérée, qui représentaient plus d'un tiers des demandes en 2023, aucun délai minimal n'est prévu. La CNCDH s'inquiète de cette exception qui les place dans une situation difficile, le délai pour collecter, traduire et transmettre des documents difficiles à obtenir étant très court.
- La CNCDH propose depuis longtemps une réforme de l'OFPRA. C'est pourquoi elle réitère sa préconisation (157) de créer un seul organisme dont la forme juridique serait celle d'une autorité publique indépendante (158). Le principe d'autonomie et d'indépendance de l'OFPRA (159) se verrait ainsi clairement consacré.
IV. - Un nouveau motif de clôture de la demande d'asile
- L'article 63 de la loi du 26 janvier 2024, ajoute un motif de clôture de la demande d'asile lorsque l'intéressé, le demandeur a « abandonné, sans motif légitime, le lieu où il était hébergé (160) ». Auparavant, la décision de clôture pouvait avoir lieu lorsque le demandeur ne respectait pas les délais d'instruction de sa demande d'asile ou qu'il ne se présentait pas à l'entretien.
- La CNCDH s'inquiète de cette mesure qui risque d'impacter des milliers de personnes. Depuis la mise en place de l'orientation directive en application du schéma national d'accueil (161), environ 10 000 personnes ne se sont pas présentées dans un centre d'accueil et d'examen des situations administratives (CAES) où elles ont été orientées par l'OFII (162). La mesure peut donc conduire à ce que des milliers de personnes voient leur demande d'examen interrompue et se voient notifier une obligation de quitter le territoire. Le demandeur d'asile pourra demander une réouverture de sa procédure dans un délai de 9 mois à compter de la date de clôture et l'examen devrait reprendre là où il avait été interrompu. Au-delà de ce délai, la demande d'asile sera clôturée si bien qu'une nouvelle demande serait considérée comme un réexamen. Bien que la décision de clôture ne constitue pas une décision définitive, elle permet à l'administration de se dispenser d'un examen au fond, alors que la notion de « motif légitime » n'a pas de définition légale et risque de dépendre des pratiques de chaque préfecture. La CNCDH estime que cette mesure risque d'être particulièrement préjudiciable aux personnes qui quittent leurs hébergements en raison d'un contexte de violence, comme les violences familiales par exemple. Dans les situations de violence ou d'emprise, les victimes ne sont pas toujours en mesure d'alerter les autorités et de démontrer un motif légitime. Au contraire, certaines d'entre elles pourraient renoncer à s'éloigner des auteurs de violence par crainte d'une clôture de leur demande (163).
Recommandation n° 18 : La CNCDH recommande la suppression du motif de clôture de la demande d'asile en cas d'abandon « sans motif légitime » de l'hébergement. Elle souligne que cette mesure risque de priver des milliers de personnes de la protection internationale, notamment les victimes de violences qui pourraient ne pas être en mesure de justifier un « motif légitime ». La CNCDH insiste sur l'importance de garantir que ces situations soient traitées avec humanité et équité, en évitant les effets injustes des conditions de clôture de la demande d'asile.
V. - Durcissement de l'accès aux conditions matérielles d'accueil (CMA)
- L'article 66 de la loi du 26 janvier 2024 rend obligatoire le retrait ou le refus, par l'OFII, des conditions matérielles d'accueil dans les cas pour lesquels il ne s'agissait auparavant que d'une possibilité (164).
- Pour la CNCDH, cette disposition risque de se heurter au droit européen. En effet, en 2019, le Conseil d'Etat avait annulé, pour non-conformité au droit européen, le décret n° 2018-1359 du 28 décembre 2018 relatif aux conditions matérielles d'accueil (CMA) pris en application de la loi « Collomb » du 10 septembre 2018 qui supprimait automatiquement toute condition matérielle d'accueil aux Dublinés dits « en fuite » au motif, notamment, qu'un examen individuel était indispensable (165). La même année, la grande chambre de la CJUE (166) a considéré que la disposition de la directive « Accueil » (2013) (167) relative aux mesures que les Etats sont susceptibles de prendre en cas de manquement grave au règlement du centre d'hébergement ou d'un comportement particulièrement violent d'un demandeur d'asile, ne permet pas à un Etat, au nom du respect de la dignité humaine, de prévoir une sanction qui aurait pour effet de retirer l'ensemble des conditions matérielles d'accueil. La Cour concluait en énonçant qu'une orientation vers un autre dispositif devait être proposée.
- La CNCDH s'inquiète de ce nouveau durcissement à l'encontre des demandeurs d'asile et rappelle que le retrait total des conditions matérielles d'accueil ne doit se faire que dans des situations très exceptionnelles. En effet, selon l'article 20 de la directive « Accueil » (168), si l'Etat a la possibilité de limiter ou retirer totalement les CMA dans « des cas exceptionnels et dûment justifiés », il doit cependant prendre en considération la situation personnelle du demandeur, notamment sa situation de vulnérabilité, et garantir à tous les demandeurs, sans exception, un niveau de vie digne leur permettant de se loger, se nourrir, se vêtir et se laver. En outre, en cas de limitation ou retrait des CMA lorsque le demandeur quitte le lieu d'hébergement ou qu'il ne respecte pas les obligations et convocations concernant la demande d'asile, cette même disposition prévoit également qu'une décision est prise quant au rétablissement des CMA, « lorsque le demandeur est retrouvé ou se présente volontairement aux autorités compétentes ». La CNCDH estime qu'il convient de réfléchir à la mise en place d'un retrait partie des CMA, qui permettrait de conserver l'hébergement, et de prévoir des possibilités de rétablissement des CMA.
- Cette nouvelle disposition est particulièrement inquiétante en ce qui concerne l'hébergement des femmes migrantes. Face à un dispositif d'hébergement souvent saturé (169) certaines femmes sont hébergées dans des dispositifs d'urgence, ou dans des hôtels, avec leurs enfants et sans accompagnement adapté, que ce soit sur le plan social, médical ou psychologique (170). En l'absence de logement elles se retrouvent en situation de grande vulnérabilité, avec des risques de violences notamment sexuelles, de traite des êtres humains ou d'entrée dans la prostitution (171). Les carences de l'Etat sont reconnues par les tribunaux qui enjoignent aux préfectures de trouver des logements (172).
Recommandation n° 19 : La CNCDH recommande une adaptation du parc du dispositif national d'accueil, afin que tous les demandeurs d'asile qui le souhaitent puissent être hébergés dans des conditions dignes. La CNCDH souhaiterait que ces hébergements prennent en compte les vulnérabilités du public accueilli (PMR, mère seule, femme victime de violence, public LGBTI, etc...) et qu'un accompagnement adapté leur soit proposé.
VI. - De nouveaux cas de placement en rétention pour les demandeurs d'asile
- L'article 41 de la loi du 26 janvier 2024 a élargi les possibilités de placement en rétention pour les demandeurs d'asile (173). En effet, selon le nouvel article L. 523-1 du Ceseda, « l'autorité administrative peut assigner à résidence ou (…) placer en rétention le demandeur d'asile dont le comportement constitue une menace à l'ordre public ». Les possibilités de placement en rétention face à un risque de fuite sont également élargies avec l'ajout de cas de risque de fuite et la possibilité de placer en rétention dès l'enregistrement de la demande d'asile (174). Cet élargissement est particulièrement inquiétant pour les personnes relevant de l'ancienne procédure Dublin (175). De plus, cela signifie que les demandeurs d'asile déposant une première demande pourraient être considérés, dans certains cas, comme présentant un risque de fuite et être placés en rétention sur ce fondement. La durée initiale de la rétention serait dans ce cas de 48 heures renouvelables pour une durée de 28 jours (176). La demande d'asile sera alors examinée selon les conditions applicables à la rétention : procédure accélérée, dans un délai de 96 heures après un entretien en visio-conférence. En cas de rejet de la demande, le recours devant la CNDA n'est pas suspensif et les requérants perdraient ainsi le droit de se maintenir sur le territoire.
- La CNCDH est très inquiète de cette disposition qui risque d'accroitre le placement en rétention de personnes qui n'avaient pas encore déposé de demande d'asile, soit car elles n'avaient pas été informées de ce droit, soit car elles souhaitaient attendre. Le placement en rétention à la suite d'une interpellation révèle une dérive grave qui consiste à priver une personne de liberté alors même qu'aucune mesure d'éloignement et de transfert n'a été ordonnée à son encontre, ce qui apparaît contraire au droit de l'Union européenne et aux normes internationales de protection des droits de l'homme (177). En outre, cela signifie que la demande d'asile est examinée dans des conditions beaucoup moins protectrices ce qui constitue une nouvelle atteinte à l'effectivité du droit d'asile, dérive continue que la CNCDH ne cesse de dénoncer depuis plusieurs années (178).
Recommandation n° 20 : La CNCDH réitère son opposition au placement en rétention les demandeurs d'asile.
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