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Avis de la CNCDH sur la loi du 26 janvier 2024 concernant l'immigration et l'intégration
Assemblée plénière du 26 septembre 2024
Adoption à l'unanimité
Partie 1. « Améliorer l'intégration » : des mesures inadaptées
I. - Un droit au travail excessivement limité
- L'accès au séjour par l'exercice d'un métier en tension : la pérennisation d'une logique utilitariste
- L'incohérence des conditions d'accès au séjour
- L'instabilité des listes des métiers « en tension »
- L'invocabilité et l'inopposabilité des critères de régularisation
- Le maintien du système inopérant des autorisations de travail
- Un accès au statut d'entrepreneur individuel conditionné à la régularité du séjour
II. - Un droit au séjour soumis à des preuves d'intégration par la langue
III. - L'accroissement de la précarisation du droit au séjour - Le droit au séjour pour raisons médicales
- Le risque d'atteinte au droit à une vie privée et familiale
- La non-reconduction de la prise en charge sanitaire
- L'examen à 360° des demandes de titre de séjour : une présomption d'irrecevabilité
- La création d'un titre de séjour pour les victimes d'habitat indigne
- La suppression de la protection des jeunes majeurs
Partie 2. « Contrôler l'immigration » : l'effacement des droits fondamentaux au nom d'une logique sécuritaire
I. - Le recours à la notion de « menace à l'ordre public » : le choix de l'arbitraire administratif
II. - Les mesures d'éloignement, d'expulsion et d'interdiction de retour : un recul inédit des droits et libertés - Le durcissement du régime des obligations de quitter le territoire français (OQTF)
- L'allongement de la durée des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF)
- Les arrêtés d'expulsion
- Le régime des interdictions du territoire français (ITF) : la systématisation de la « double peine »
III. - L'extension de l'enfermement administratif. - « La menace pour l'ordre public » : un nouveau motif de placement en rétention
- L'affaiblissement du contrôle par le juge judiciaire
- L'interdiction de l'enfermement des enfants en situation de migration
IV. - La situation aux frontières : le continuum du non-droit - La criminalisation de l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers de personnes étrangères
- La création d'un fichier pour les mineurs non accompagnés délinquants
Partie 3. « Simplifier le contentieux » : une dégradation continue de l'accès à la justice des étrangers
I. - Une réduction des délais de recours et le juge unique
II. - La réduction du champ des audiences physiques
Partie 4. « Réformer le système de l'asile » : un recul de l'effectivité de l'accès à la demande d'asile
I. - La territorialisation de la CNDA : une réforme aux garanties incertaines
II. - La généralisation du juge unique à la CNDA
III. - La mise en place des pôles France asile et la réduction du temps de la procédure
IV. - Un nouveau motif de clôture de la demande d'asile
V. - Durcissement de l'accès aux conditions matérielles d'accueil (CMA)
VI. - De nouveaux cas de placement en rétention pour les demandeurs d'asile
Partie 5. La situation particulière des femmes migrantes et demandeuses d'asile
Partie 6. La confirmation d'un régime dérogatoire dans les outre-mer
Synthèse des recommandations - Par une lettre du 10 janvier 2023, le ministre de l'intérieur avait saisi la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, afin de déterminer la conformité des mesures avec les droits fondamentaux des personnes étrangères. Dans ce cadre, la CNCDH a formé un groupe de travail qui a mené une série d'auditions, réunissant plus d'une quarantaine de personnes, parmi lesquelles des représentants de l'administration, des magistrats, des syndicats, des associations ainsi que des universitaires. Les évolutions du débat parlementaire sur ce texte ont toutefois rendu difficile la publication d'un avis de la CNCDH avant l'adoption définitive de la loi. En effet, le projet de loi a été retiré à plusieurs reprises, rendant l'avis temporairement sans objet, puis le calendrier législatif s'est accéléré, compliquant la finalisation de l'avis. Ces interruptions suivies de cette précipitation renforcent la conviction de la Commission que la question migratoire est instrumentalisée à des fins électorales ; et que ce texte ne répondait à aucune nécessité concrète, tout en accentuant encore la dégradation des droits des personnes étrangères, « bouc émissaire des crises franco-françaises » (1).
- La CNCDH a décidé de publier cet avis malgré la promulgation de la loi le 26 janvier 2024. La persistance de la mise à l'agenda politique et médiatique de la question migratoire, invariablement présentée comme un « problème », et même un problème majeur, renforce la nécessité d'interpeller le nouveau Gouvernement et les parlementaires, dans la continuité de la lettre envoyée le 28 novembre 2023 (2). Cet avis, bien qu'il ne s'inscrive pas dans le cadre d'une nouvelle procédure législative, constitue un suivi que la Commission juge nécessaire pour alerter sur les conséquences graves de cette loi. Elle réitère son appel à un changement d'esprit concernant la politique d'immigration (3), rompant avec une approche centrée sur la répression, pour adopter une vision centrée sur l'intégration, à la fois réaliste - qui reconnaît la réalité et la permanence du phénomène migratoire - et hospitalière. Cette nouvelle orientation devrait intégrer les enjeux géopolitiques mondiaux et les défis posés par la crise climatique, tout en garantissant le respect des droits et de la dignité des personnes étrangères arrivantes et présentes sur le territoire français.
- Malgré la présentation par le Gouvernement de ce texte de loi comme « équilibré », la Commission constate au contraire qu'il compromet sérieusement le respect et l'application des droits fondamentaux qu'elle a pour mission de protéger et de promouvoir. Cette loi, au lieu de répondre aux besoins en matière de protection des droits des personnes migrantes, aggrave des situations déjà alarmantes. La CNCDH regrette qu'elle n'ait pas apporté de réponses à des problématiques urgentes telles que l'enfermement illégal des personnes migrantes (4), en particulier à la frontière franco-italienne, les expulsions abusives (5), et l'absence de mesures adéquates pour renforcer la protection des personnes les plus vulnérables. Le texte n'apporte pas plus de réponse aux nombreux problèmes soulevés par la dématérialisation des demandes de titre de séjour, souvent inaccessibles aux personnes précaires. Cette situation perdure sans qu'aucune solution ne soit apportée par la législation, révélant ainsi l'incapacité de cette dernière à remédier aux injustices flagrantes générées par des démarches inadaptées.
- La loi du 26 janvier 2024 s'inscrit dans une longue série de réformes législatives - une vingtaine en près de 40 ans - qui n'ont cessé de durcir et complexifier le droit des étrangers. A plusieurs reprises (6), la CNCDH a alerté sur les lacunes d'un cadre législatif devenu de plus en plus restrictif, où le contrôle prend systématiquement le pas sur l'accueil, et l'exclusion sur l'intégration. Ce nouveau texte ne fait pas exception. Il multiplie les mesures visant à restreindre l'immigration, tout en élargissant dangereusement le champ de l'aléa, et donc de l'arbitraire administratif, notamment par le recours à la notion de « menace à l'ordre public ». Les quelques dispositions censées améliorer l'intégration s'inscrivent en réalité dans cette même logique restrictive. En effet, plutôt que de faciliter l'inclusion dans la société des personnes étrangères, ces mesures, qui subordonnent le droit au séjour à des critères de maîtrise de la langue et de connaissance de la société française, transforment l'intégration en une condition préalable au séjour. La CNCDH déplore cette évolution qui fait de l'intégration un outil de contrôle et d'exclusion, plutôt que l'aboutissement d'un processus d'accueil.
- Cette loi perpétue un traitement dérogatoire pour les départements d'outre-mer, hérité de l'histoire coloniale. La CNCDH, tout en reconnaissant les particularités de ces territoires, a déjà dénoncé ces entorses au droit commun en matière d'accès aux droits sociaux, à la justice, de protection des personnes vulnérables (7). Ces différences de traitement ne peuvent être justifiées par les seules spécificités locales. La Commission réitère son appel à mettre fin à ces régimes d'exception afin de garantir à ces territoires un traitement conforme aux principes républicains d'indivisibilité et d'égalité (8).
- Enfin, cette loi s'inscrit dans un contexte de banalisation croissante de la xénophobie et la stigmatisation des migrants dans le débat public, une tendance que la Commission avait déjà signalé dans son rapport sur le racisme de 2022 (9). S'ajoute à cela une montée inquiétante de l'hostilité envers les associations de soutien aux personnes migrantes. Ce climat délétère est alimenté par certains discours politiques et médiatiques (10). Les migrants y sont souvent « criminalisés et même déshumanisés » (11), accusés d'être responsables de problèmes liés au terrorisme, à l'insécurité ou au chômage. Ces amalgames renforcent les stéréotypes, banalisent les discours racistes et nuisent à la cohésion sociale. La Commission dénonce cette représentation et critique l'usage récurrent du terme « pression migratoire » dans les discours officiels, repris notamment sans distance critique par le Conseil d'Etat dans son avis sur la loi (12). Cette rhétorique, sans fondement objectif (13), tend à légitimer des politiques répressives et inefficaces, tout en exacerbant un climat de peur et de rejet.
- La CNCDH salue une nouvelle fois l'engagement et l'investissement des agents de l'Etat, des associations, des bénévoles, des avocats et autres défenseurs des droits de l'Homme, qui s'efforcent de rendre effectifs les droits en matière d'asile et de séjour des étrangers. Elle rappelle que le respect des droits fondamentaux ne saurait être ressenti comme une contrainte imposée par des conventions internationales (14), mais qu'il est au contraire, au cœur des valeurs et de l'identité de la République française (15). Ce rappel revêt une importance particulière pour la Commission, dans un contexte européen où de nombreuses législations, sous couvert d'objectifs sécuritaires, instaurent des mesures similaires à cette loi, voire plus dangereuses pour les fondements de l'Etat de droit (16).
- Dans cet avis, la CNCDH analyse les principales dispositions de la loi et ses mesures d'application. La première partie, qui aborde les mesures d'intégration, jugées inadaptées (I), est suivie d'une analyse du contrôle des migrations, qui marque un recul grave et inédit des droits fondamentaux (II). Les troisième et quatrième parties traitent respectivement de la simplification du contentieux (III) et de la réforme du droit d'asile (IV). Enfin, la Commission consacre les dernières parties à l'examen de la situation spécifique des femmes (V) ainsi qu'à celui du régime dérogatoire appliqué en outre-mer (VI).
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