I-3. Les grilles tarifaires de France Télécom
I-3.1. Description de la structure des grilles
France Télécom envisage de mettre en application deux grilles tarifaires internes. D'une part, l'opérateur se munirait d'une grille de prix « planchers », c'est-à-dire en dessous desquels il ne descendrait en aucun cas. Cette grille serait mise en oeuvre par l'Unité d'affaires (UA) Voix uniquement. D'autre part, France Télécom disposerait d'une seconde grille de prix, la grille « déléguée », légèrement plus chère, qui pourrait être appliquée directement par le réseau commercial de l'opérateur. Ces deux grilles définissent pour chaque type de contrat, en fonction de différents critères qui le caractérisent, les prix minimum que peuvent proposer d'une part l'UA voix et, d'autre part, les commerciaux de France Télécom.
Ces grilles de tarifs ont été conçues par France Télécom pour adresser les clients du haut de segment entreprises, consommant entre 10 000 EUR et 500 000 EUR par an de téléphonie fixe après remise. Ce segment représente environ 10 000 clients de France Télécom, laquelle prévoit que le nombre d'affaires gagnées annuellement avec ces grilles non publiques sera d'un peu moins de 2 000, soit 20 % du parc concerné. Ces affaires, remportées sur remises « non publiques », devraient engendrer 40 % du chiffre d'affaires de France Télécom sur cette tranche.
Les prix définis par les grilles dépendent notamment du chiffre d'affaires prévisionnel généré par le contrat, de la durée d'engagement du contrat et de la taille des sites concernés. En fonction de ces différents critères, des prix planchers sont déterminés pour chaque type de communication (locale, interurbaine, vers mobiles).
Les grilles de prix centralisées présentent, pour chaque configuration client (CA engendré par le trafic du client, durée du contrat), les prix « planchers » applicables par l'UA voix de France Télécom aux petits sites et aux grands sites. Comme expliqué au I-3.3 c, les tarifs grands sites de ces grilles sont applicables à tous les sites dépassant le seuil de 5 000 EUR par mois de trafic local, national et vers mobile avant remise (selon les statistiques précisées dans le marché), ainsi qu'aux sites dont la localisation vérifie certaines conditions et raccordés avec au moins un accès primaire. Pour un client multisites, le niveau de prix applicable correspond à une pondération des prix « petit site » et « grand site » en fonction des volumes de trafic issus de chaque type de site du client.
Les grilles de prix « déléguées » donnent en fonction des caractéristiques du client (CA engendré par le trafic du client, durée du contrat, taux de grands sites) les prix « planchers » applicables directement par le réseau commercial de France Télécom. Par conséquent, ces niveaux de prix sont légèrement plus élevés que ceux de la grille centralisée présentée au I-3.2 a. Le critère « taux de grands sites » (% de GS) correspond à la part du trafic issu des grands sites du client sur le volume de trafic total. Pour cette grille, les grands sites sont seulement les sites dépassant le seuil de 5 000 EUR par mois de trafic local, national et vers mobile avant remise.
Concernant la durée des contrats, l'engagement de durée pour les grilles « déléguées » au réseau commercial peut être de deux ans, trois ans ou quatre ans. Des tarifs ont également été prévus pour les contrats d'une durée d'un an, au sein des grilles « centralisées ». France télécom indique que « ces grilles " 1 an sont très rarement utilisées (moins de 1 % des offres spécifiques) car les clients souhaitant négocier optent pour des contrats pluriannuels dans leur très grande majorité ». Enfin les grilles « centralisées » comprennent des tarifs pour les années renouvelées, applicables aux reconductions de contrat après un contrat ferme de n années proposé initialement au tarif correspondant à cette durée n.
I-3.2. Règles d'application des grilles
Afin de permettre à l'Autorité d'établir son avis, France Télécom a donné une description détaillée des différentes règles selon lesquelles elle envisageait d'appliquer ses grilles : choix du niveau de prix entre tarifs catalogues et prix « grille » (I-3.3 a), choix de la grille (I-3.3 b), définition des grands sites (I-3.3 c), formes des prix proposés (I-3.3 d), estimation du critère « chiffre d'affaires » (I-3.3 e), application du critère « durée du contrat » (I-3.3 f) et conception d'un tarif national postalisé (I-3.3 g).
a) Entre les tarifs des grilles et les tarifs publics
Les grilles tarifaires de France Télécom définissent des prix planchers, c'est-à-dire les prix les plus bas qu'elle s'autorise à proposer en fonction de divers critères. France Télécom a donc précisé dans quels cas elle déciderait de l'application des prix les plus avantageux.
Pour les contrats privés, l'opérateur explique que les niveaux de tarifs proposés dépendront de la sensibilité au prix appréciée par le vendeur. Les tarifs des grilles ne seront ainsi pas utilisés systématiquement et les prix proposés seront compris entre ces tarifs planchers et le plafond que représentent les tarifs publics du catalogue de France Télécom.
Pour les contrats publics ensuite, France Télécom indique que dans le cas d'appels d'offres (qui représentent environ un tiers des marchés publics), n'ayant pas la possibilité de négocier puisque chaque opérateur ne peut généralement proposer qu'une seule offre, France Télécom s'appuiera systématiquement pour concevoir sa réponse sur les grilles du réseau commercial, hormis pour les contrats traités au niveau centralisé auxquels les grilles « planchers » pourront être appliquées. Sur les appels d'offres publics, France Télécom prévoit que la proportion de contrats gérés respectivement par le réseau commercial et l'UA voix sera la même que dans le cas des contrats négociés de gré à gré, à savoir une proportion de l'ordre de 80 % et 20 %.
b) Choix de la grille
Concernant l'application de chacun des deux types de grilles, « centralisées » ou « déléguées », France Télécom a indiqué : « Afin de laisser le réseau commercial apprécier le besoin de négociation de chaque client, un premier niveau de prix lui est délégué afin de traiter localement environ 80 % des demandes de prix négociés. Ce sont les grilles déléguées au réseau commercial. Pour répondre à un niveau plus âpre de négociation (acheteurs professionnels, cabinets de conseil orientés "rationalisation des coûts, etc.), un second niveau de prix est géré de façon centrale (les grilles UA). Ces dernières grilles constituent des planchers. Elles servent de base pour les environ 20 % d'affaires traitées au niveau central. Les grilles déléguées au réseau commercial sont plus chères afin de contribuer à limiter la destruction de valeur sur le marché global et aussi de permettre l'absorption d'une marge de manoeuvre laissée localement au directeur d'agence. La marge de manoeuvre du directeur d'agence consiste en une réduction inférieure à 5 %. L'objectif est d'utiliser cette marge de manoeuvre dans une proportion maximale de 20 % des affaires traitées par le réseau commercial. »
c) Les grands sites
Pour les grands sites, France Télécom prévoit la possibilité d'appliquer des tarifs plus intéressants. Dans les grilles « déléguées », les grands sites correspondent simplement aux sites engendrant, avant remise, plus de 5 000 EUR par mois en trafic local, national et fixe vers mobiles. Dans les grilles « centralisées », leur définition est plus large. D'abord, tous les sites engendrant plus de 5 000 EUR par mois avant remise en trafic local, national et fixe vers mobiles sont encore considérés comme étant des grands sites. Ensuite, France Télécom définit une zone, dite « zone dense », dans laquelle tout site disposant d'au moins un accès primaire constitue également un grand site. France Télécom précise : « La notion de "zone dense s'entend lorsque la présence en dégroupage d'au moins un opérateur desservant les entreprises est constatée sur le répartiteur dont dépend le site client ou la présence de cet opérateur en fibre optique dans la zone est avérée. Les grilles "zone dense consistent en l'application des tarifs "grand site au trafic issu des sites présentant au moins un T2, lorsque le client a mis en concurrence les accès avec le trafic en "zone dense. Lorsque des T0 sont présents sur le même site que des T2, alors le trafic issu de ces T0 se voit appliquer également ces tarifs "zone dense. » Le critère « zone dense » ne correspond donc pas à une situation géographique prédéterminée mais plutôt à la situation concurrentielle du marché concerné : un site est en « zone dense » s'il est raccordable au réseau d'au moins un opérateur alternatif desservant les entreprises.
Les clients entreprises disposant bien souvent de plusieurs sites, dont parfois une partie seulement répond aux définitions des grands sites données supra, les tarifs présentés dans les grilles « déléguées » dépendent du « taux de grand site ». Ce « taux de grand site » est le pourcentage présenté dans la grille immédiatement inférieur à la part du chiffre d'affaires correspondant au trafic issu de grands sites sur le chiffre d'affaires total correspondant au trafic du client. Dans les grilles « centralisées », en revanche, pour chaque configuration, un tarif grand site et un tarif petit site ont été définis. France Télécom indique : « L'étude spécifique au cas client permet d'établir un tarif moyen en pondérant le trafic issu de ces différents types de sites avec les tarifs correspondants. »
d) Conception des tarifs et niveau de prix
Les tarifs présentés dans les grilles de France Télécom sont des prix ramenés à la minute. Mais la tarification de l'opérateur est en général plus complexe. Les tarifs de base de France Télécom se composent d'un crédit-temps ou d'un prix d'établissement d'appel, puis d'un prix par minute. En outre, lorsqu'elle accorde des remises sur les tarifs de base, France Télécom facture un de ses tarifs de base (« tarif entreprises », « tarif équilibre », etc.), duquel elle déduit un certain niveau de remise. Ainsi, si France Télécom veut proposer un tarif de ses grilles à un client, elle ne va pas lui facturer directement le prix indiqué par la grille mais déterminera le taux de remise sur un tarif de base qui engendre un prix par minute équivalent à celui mentionné dans la grille. Le passage des tarifs remisés au prix « minutisé » dépendant beaucoup des statistiques d'usage du client (durée moyenne des appels, part des appels de durée inférieure au crédit-temps, etc.), France Télécom a précisé au cours de l'instruction de sa décision tarifaire comment elle prévoit de calculer les taux de remise correspondant aux prix de ses grilles, selon les différentes configurations.
Pour les clients qui bénéficient du tarif de base « équilibre », « les ingénieurs technico-commerciaux appliquent les remises sous-jacentes aux grilles déléguées (correspondant à l'écart entre la recette moyenne du tarif de base "équilibre, évaluée avec une durée moyenne de communication du marché entreprises, et les tarifs de la grille). Si ce taux de remise conduit à une recette qui s'écarte faiblement du niveau affiché dans la grille correspondante, alors ce taux est appliqué au tarif de base "équilibre du client. Si le tarif résultant de ce taux de remise s'écarte du tarif affiché dans la grille, généralement en raison de durées de communications atypiques du client, le taux de remise est réévalué afin que la recette résultante, avec la durée de communication spécifique du client, corresponde au niveau affiché dans la grille. »
Pour les clients qui ne bénéficient pas du tarif de base « équilibre », « en dessous de 15 000 EUR par mois, tous les clients qui négocient en vue d'une remise spécifique sont incités à migrer vers le tarif "équilibre. Il n y a donc généralement pas de remise hors catalogue sur les autres tarifs de base. Néanmoins, si le client ne veut pas migrer sur le tarif "équilibre et souhaite conserver le tarif "entreprise, un recalcul systématique de la remise est fait pour que le niveau tarifaire résultant, avec le profil de communication du client, corresponde au niveau des grilles. Au-delà de 15 000 EUR par mois, une étude spécifique permet d'évaluer la remise par rapport à d'autres tarifs, un tarif de base sans crédit temps, par exemple, tarif exigé par certains grands clients. Ces clients sont alors traités au niveau unité d'affaires ».
Enfin pour les affaires traitées au niveau unité d'affaires, « une étude spécifique au cas client est alors menée pour évaluer la recette moyenne par minute avant remise de son trafic en fonction de ses durées propres de communications et de son tarif de base. Le taux de remise est alors déterminé de manière que la recette moyenne par minute remisée du client ne soit pas inférieure au tarif correspondant des grilles planchers. En cas d'absence de données sur les caractéristiques de trafic du client, ce sont les durées moyennes du marché "entreprise qui sont utilisées pour évaluer les recettes par minute. Les affaires traitées au niveau unités d'affaires sont principalement des contrats dont le chiffre d'affaires est supérieur à 15 000 EUR par mois de clients souhaitant fortement négocier ».
e) Chiffre d'affaires du contrat
Le chiffre d'affaires du client constitue un des critères desquels dépendent les niveaux de prix affichés dans les grilles de France Télécom. Concernant son estimation, France Télécom indique qu'elle prend en compte le chiffre d'affaires prévisionnel du client, correspondant aux communications locales, nationales et vers les mobiles. Le chiffre d'affaires considéré dans la grille est celui immédiatement inférieur au chiffre d'affaires client ainsi calculé.
France Télécom précise que dans le cas d'appels d'offres prévoyant des lots séparés elle fondera ses réponses sur chacun des lots indépendamment et considérera pour chacun le seul chiffre d'affaires qu'il engendre. De même, pour calculer si un site dépasse le seuil « grand site », l'évaluation du chiffre d'affaires correspondant à ce site sera réalisée en adéquation avec le périmètre du lot. C'est sur la base de ce chiffre d'affaires théorique que France Télécom appliquera les tarifs correspondants de la grille.
f) Durée du contrat
Les tarifs présentés dans les grilles dépendent également de la durée du contrat. Pour les contrats d'une durée ferme, leur application ne souffre aucune ambiguïté. En revanche, pour le cas des contrats renouvelables, France Télécom prévoit de mettre en oeuvre la règle suivante : « Les tarifs de contrats d'un an renouvelable n fois délégués au réseau commercial correspondent à ceux d'un contrat ferme de n années, soit donc un an de moins que la durée maximale de n+1 années d'un contrat d'un an renouvelable n fois allant à son terme. De même pour un contrat de deux ans renouvelable une fois par exemple, la grille tarifaire correspondante sera la grille trois ans. Récapitulatif des types de contrats renouvelables et de leur correspondance avec les grilles :
Contrat 1+1 : tarifs de la grille un an ;
Contrat 1+1+1 : tarifs de la grille deux ans ;
Contrat 1+1+1+1 : tarifs de la grille trois ans ;
Contrat 2+2 : tarifs de la grille trois ans ;
Contrat 2+1 : tarifs de la grille deux ans. »
Les grilles « planchers » prévoient en outre un tarif « année renouvelée » pour les contrats renouvelés. Ce tarif « année renouvelée » sera utilisé par France Télécom en cas de reconduction de contrat après un contrat ferme de n années proposé initialement au tarif correspondant à cette durée n. Ce cas peut se présenter si le client demande explicitement à reconduire le marché pour une année, par manque de temps, par exemple, pour relancer une consultation, avec un tarif réactualisé pour cette année supplémentaire. Ce tarif pourra également s'appliquer dans le cadre d'un contrat renouvelable s'il y a une demande explicite du client pour une année supplémentaire à un tarif renégocié et dans la mesure où le client a déjà mené à son terme maximal le contrat renouvelable initial.
g) Conception d'un tarif national
Les grilles de France Télécom présentent des niveaux de prix distincts pour les appels locaux et interurbains. Or il arrive que certains clients exigent un tarif unique pour les appels nationaux. Sur ce point, France Télécom indique qu'elle ne répondra avec un tarif postalisé que lorsque le client le demande explicitement. Dans ce cas, le tarif postalisé sera construit à partir des tarifs locaux et interurbains ainsi que des données de trafic propres au client. Si aucune donnée sur le trafic du client n'est disponible, France Télécom s'appuiera sur les données constatées sur l'ensemble du secteur, à savoir 57 % de trafic local sur l'ensemble du trafic national fixe vers fixe.
II. - Analyse de l'Autorité
L'application de grilles de tarifs non publics soulève la question du respect de l'obligation de communication préalable (II-1). Se pose ensuite la question de la non-publicité des tarifs définis par France Télécom (II-2). Enfin, l'Autorité s'est attachée à vérifier la réplicabilité des tarifs envisagés par France Télécom, qui est soumise pour ces prestations à une interdiction de pratiquer des tarifs d'éviction (II-3).
II-1. Respect de l'obligation de communication préalable
France Télécom soumet au contrôle de l'Autorité des grilles de tarifs sur lesquelles elle envisage, dans le cas d'un avis favorable de l'Autorité, de s'appuyer pour proposer différents niveaux de tarifs lors de ses négociations avec des clients entreprises. Ainsi France Télécom ne soumet pas au contrôle de l'Autorité chacun des tarifs qu'elle entend pratiquer mais seulement les niveaux de tarifs, fonctions de plusieurs paramètres, en deçà desquels elle s'engage à ne pas descendre.
Comme expliqué supra, le fonctionnement du marché entreprises ne permet la seule application, par les opérateurs, d'un catalogue d'offres public. En effet, l'achat des prestations de téléphonie par les moyennes et grandes entreprises s'oriente quasi systématiquement vers un processus de mise en concurrence incluant une phase de négociation et les prestations fournies par les opérateurs sont bien souvent des offres sur mesure. Cet environnement justifie que France Télécom ait besoin d'une plus grande liberté pour fixer ses tarifs lors de négociations que celle dont elle dispose en ne s'appuyant que sur un nombre fini d'offres aux tarifs fermes. Le recours à des grilles de tarifs non publics permet à France Télécom de bénéficier de la marge de manoeuvre nécessaire aux négociations.
Si le fonctionnement du marché entreprises est difficilement compatible avec des tarifs définis fermement, il ne dispense pas France Télécom du respect de son obligation de communication préalable. Afin de respecter cette obligation, France Télécom a soumis ses grilles tarifaires ainsi que la description détaillée de leur mise en oeuvre au contrôle de l'Autorité. L'Autorité estime qu'il peut être considéré que l'obligation de communication préalable est respectée dans la mesure où l'analyse de ces grilles de tarifs permet la vérification du respect des différentes obligations imposées à France Télécom (cf. I-1). En effet, les tarifs concernés étant inférieurs aux tarifs de base de l'opérateur, leur application n'est pas contraire à l'interdiction de pratiquer des tarifs excessifs. Ensuite, France Télécom étant soumise à une interdiction de pratiquer des tarifs d'éviction, l'Autorité a vérifié que ces tarifs n'engendraient pas a priori d'effet de ciseau tarifaire (cf. II-3). Les tarifs de la grille réservée à l'UA voix constituant des tarifs « planchers », leur analyse suffit à vérifier la réplicabilité de l'ensemble des tarifs que France Télécom envisage d'appliquer. Enfin, la décision tarifaire de France Télécom comprenant une description précise du mode d'application prévu pour les grilles, l'Autorité dispose des éléments nécessaires à la vérification du respect de l'obligation de non-discrimination.
Ainsi, attendu que le fonctionnement du marché justifie que France Télécom n'applique pas uniquement des offres tarifaires prédéfinies, et puisque les éléments transmis sur ces grilles tarifaires et leur mode de mise en oeuvre permettent la vérification des obligations imposées à France Télécom, il peut être considéré que l'utilisation de telles grilles ne contrevient pas à l'obligation de communication préalable.
Toutefois, l'Autorité entend rappeler qu'une non-opposition a priori à la mise en oeuvre de ses grilles tarifaires ne dispense bien sûr pas France Télécom du respect de ses obligations réglementaires et concurrentielles sur chacun des contrats concernés par les grilles. En effet, si les niveaux de prix présentés dans ces grilles peuvent a priori être appliqués par France Télécom, cette application doit se faire au cas par cas et dans le respect notamment de l'interdiction de pratiquer des tarifs d'éviction. L'Autorité s'attachera, le cas échéant, à vérifier que l'utilisation des grilles par France Télécom est conforme aux modalités d'application présentées à l'Autorité et à la réglementation sectorielle.
II-2. Non-publicité des tarifs
Les grilles de tarifs transmises par France Télécom sont des grilles internes, qui ne sont donc pas destinées à être publiées dans le catalogue des prix de l'opérateur. Jusqu'à ce jour, France Télécom inscrivait à son catalogue public chacune des offres qu'elle soumettait au contrôle tarifaire. Si ce projet semble légitime au vu du fonctionnement des marchés (II-2.1), il soulève la question du respect de l'obligation de non-discrimination (II-2.2).
II-2.1. Nécessité pour France Télécom
de disposer de tarifs non publics
Les grilles tarifaires en question sont un outil destiné aux commerciaux et à l'UA voix de France Télécom, qui en aura usage dans le cadre de négociations ou bien d'appels d'offres, publics ou privés. Il est bien évident que, si les niveaux de ces tarifs étaient rendus publics, France Télécom ne se trouverait plus en mesure de négocier, sa position étant d'office connue par ses interlocuteurs.
En outre, la publicité de ces tarifs serait également néfaste au positionnement concurrentiel de l'opérateur. En effet, ses concurrents ayant connaissance des niveaux de prix praticables par France Télécom, ils pourraient l'exclure de chaque marché présentant un intérêt pour eux en proposant un prix légèrement inférieur au « plancher » de France Télécom. Contrairement au marché résidentiel qui est caractérisé par une grande transparence et une homogénéité des offres, et donc sur lequel France Télécom n'est pas véritablement pénalisée par la publication de ses offres dans son catalogue des prix - pratique d'ailleurs reprise par ses concurrents -, le fait de publier chacun des tarifs qu'il peut pratiquer sur le marché entreprises reviendrait à l'exclure de facto de ce marché, à tout le moins dans les zones où la concurrence est la plus forte.
II-2.2. Non-publicité des grilles
et obligation de non-discrimination
La confidentialité des grilles tarifaires de France Télécom pose cependant la question d'éventuelles discriminations que pourrait pratiquer l'opérateur en ne proposant ses tarifs non publics qu'à certains clients. Une obligation de fournir ses prestations dans des conditions non discriminatoires a été imposée à France Télécom afin d'éviter que l'opérateur ne « stérilise » le marché en proposant, d'une part, des tarifs de nature à évincer la concurrence aux seuls clients susceptibles de se tourner vers les services des opérateurs alternatifs et, d'autre part, des prix nettement plus élevés aux clients moins sollicités par la concurrence. En s'appuyant sur des grilles de tarifs confidentielles, France Télécom pourrait acquérir la possibilité de ne proposer ses tarifs les plus avantageux qu'à certains clients.
Toutefois, l'Autorité s'est assurée que les tarifs proposés seraient tous réplicables par un opérateur alternatif efficace (cf. II-3), et qu'ils ne permettraient donc pas à France Télécom d'évincer la concurrence. Cette concurrence s'étant développée sur l'ensemble du marché des communications, sans exception géographique, grâce notamment à la sélection du transporteur, les éventuelles différences de traitement que pourrait appliquer France Télécom ne proviendraient que, d'une part, du niveau d'aptitude des clients à négocier et à faire jouer efficacement la concurrence et, d'autre part, des variations de coûts encourus par les concurrents de France Télécom, compte tenu des solutions permises par leur type de déploiement, mais en aucun cas de l'absence de concurrence. Tout d'abord il semble naturel, sur le marché entreprises, que l'aptitude à faire jouer la concurrence puisse avoir des effets sur les niveaux de prix de France Télécom obtenus par les clients, d'autant que les grilles tarifaires concernent de gros acheteurs. Ensuite, les différences de prix pratiqués par France Télécom qui seraient issues de variations de coûts des opérateurs alternatifs, provenant par exemple de la possibilité ou non pour un opérateur alternatif de raccorder directement un site, seraient limitées - pour un volume de trafic donné, les tarifs proposés en sélection du transporteur ne sont ainsi pas déraisonnablement supérieurs aux tarifs proposés en raccordement direct - et proviendraient de caractéristiques physiques des clients engendrant de réelles différences de coûts. Le fait de proposer des niveaux de prix en fonction de ces caractéristiques de l'acheteur ne semble donc pas constituer une pratique discriminatoire.
Par ailleurs, l'Autorité note que les clients les moins sollicités par la concurrence continueront d'avoir la possibilité de bénéficier des nombreuses offres tarifaires publiées au catalogue de France Télécom, dont le niveau n'est pas démesurément éloigné des niveaux de prix les plus bas des grilles tarifaires. L'application de ces grilles tarifaires telle qu'elle a été décrite par France Télécom ne contrevient pas a priori à l'obligation de non-discrimination en ce qu'elle n'engendre pas de risque de politique tarifaire à deux vitesses de sa part. Elle devrait permettre en revanche à France Télécom de participer au jeu normal de la concurrence tel qu'il s'est établi sur le marché entreprises, en disposant d'une marge de manoeuvre raisonnable dans le cadre de ses négociations et appels d'offres. En outre, le mode d'application de ces grilles a été complètement explicité par France Télécom pour que l'Autorité soit en mesure, le cas échéant, de vérifier que leur usage ne sera pas détourné.
Il semble ainsi légitime que l'opérateur maintienne les tarifs de ses grilles confidentielles. France Télécom n'étant soumise, au titre des analyses de marchés, à aucune obligation de publier ses offres tarifaires (hors service universel) et la confidentialité de ses grilles tarifaires n'engendrant pas a priori de discrimination patente, l'Autorité considère que cette confidentialité n'est pas problématique. En conséquence, dans le présent avis, les niveaux de prix des grilles et leur mode d'application précis sont couverts par le secret des affaires.
II-3. Réplicabilité des tarifs des grilles tarifaires
II-3.1. Test d'effet de ciseau tarifaire
L'Autorité s'est assurée a priori de la réplicabilité des tarifs envisagés par France Télécom par un opérateur alternatif efficace. Elle a effectué pour cela des tests d'effet de ciseau tarifaire. Ces tests ont été réalisés sur les niveaux de prix les plus bas des grilles de tarifs - ceux des grilles de prix « planchers » -, la réplicabilité de ces niveaux de prix entraînant celle des prix plus élevés. Ils reposent sur l'utilisation du modèle de coût de fourniture de communications publié par l'Autorité en mars 2006, avec la prise en compte de différents ajustements liés notamment à la nature très spécifique du marché adressé. Ces ajustements concernent, d'une part, l'estimation des coûts commerciaux et communs (II-3.2) et, d'autre, part l'estimation des coûts de collecte pour les sites permettant un raccordement direct par un opérateur alternatif efficace (II-3.3).
Ces ajustements n'ont à ce jour été appliqués que dans le cadre de l'analyse des tarifs visés par le présent avis et ont été rendus pertinents par la nature du marché adressé. En effet, si le modèle de coûts susmentionné peut être appliqué strictement pour des offres résidentielles ou professionnelles, son utilisation nécessite une approche spécifique sur le haut de marché entreprises, ainsi qu'en témoigne la distinction qui avait déjà été introduite dans le modèle de coûts de l'Autorité pour les grands comptes.
II-3.2. Ajustement des niveaux de coûts commerciaux et communs
a) Ajustement des coûts commerciaux lié aux volumes
Les coûts commerciaux présentés dans le modèle de coûts susvisé sont des coûts par minute. Ils ont été calculés à partir d'une estimation de l'ensemble des coûts commerciaux supportés par un opérateur alternatif efficace et du volume global acheminé par cet opérateur. Dans le modèle publié, les coûts commerciaux ont ainsi été répartis uniformément sur toutes les minutes de communications, quel que soit le segment de marché (résidentiel, professionnel, entreprises). Or cette modélisation a pour effet de surestimer les coûts commerciaux liés aux clients présentant les plus gros volumes de trafic. En effet, un opérateur qui propose ses services à une entreprise consommant un volume annuel d'un million de minutes engagera plus de coûts pour promouvoir ses prestations qu'auprès d'un client résidentiel consommant mille minutes par an, mais ses coûts commerciaux ne seront pas mille fois supérieurs. Cette concavité n'a été prise en compte dans le modèle publié par l'Autorité que pour la catégorie « grands comptes », c'est-à-dire les entreprises dépensant plus de 500 000 EUR par an pour l'achat de services de téléphonie, avec, sur ce segment, une réduction de 60 % des coûts commerciaux par minute.
A l'occasion de l'analyse de ces grilles, l'Autorité a affiné sa modélisation en prenant en compte de manière plus précise cette décroissance des coûts commerciaux par minute en fonction du volume. Une réduction de 20 % des coûts commerciaux a ainsi été introduite sur le haut de grille, c'est-à-dire pour la tranche de chiffre d'affaires supérieur à 25 000 EUR par mois pour les trafics fixe vers fixe et fixe vers mobiles. Sur la tranche de chiffre d'affaires allant de 15 000 à 25 000 EUR par mois ont été appliquées des réductions de respectivement 9 et 7 % pour le trafic fixe vers fixe et le trafic fixe vers mobiles. Les coûts commerciaux n'ont pas été révisés sur les autres tranches de la grille.
Mais l'estimation initiale des coûts commerciaux par minute ayant été fondée sur des coûts commerciaux globaux, et le niveau de ceux-ci n'ayant pas été modifié, la réduction de ces coûts pour les plus gros volumes a été contrebalancée par une légère augmentation des coûts commerciaux par minute correspondant aux plus petits volumes. Les coûts commerciaux unitaires sont ainsi rehaussés de 3 % sur le segment des clients non résidentiels engendrant un chiffre d'affaires inférieur à 1 000 EUR par mois. Au final, ces ajustements ne modifient donc pas le niveau moyen de l'estimation des coûts commerciaux, mais rend plus pertinente leur répartition au sein des différents segments de marché.
b) Ajustement des coûts commerciaux lié à la durée des contrats
Les coûts commerciaux par minute ont ensuite été revus selon un second axe, celui de la durée des contrats. Lorsqu'un opérateur se voit attribuer un marché pluriannuel pour la fourniture de ses prestations à une entreprise, il est clair qu'il n'engage certains coûts commerciaux, par exemple ses coûts de vente, que lors de la passation du contrat. Ainsi plus un marché porte sur une longue période, plus les coûts commerciaux rapportés au volume sont faibles. Ce raisonnement a été pris en considération pour réévaluer plus finement les coûts commerciaux par minute selon la durée des contrats.
Les coûts d'initialisation de contrat, qui par définition n'interviennent que lors de la première année pour les contrats pluriannuels, sont les coûts de vente, d'administration des ventes et 50 % des coûts de publicité et de marketing. Il a été estimé que ces coûts commerciaux non récurrents représentaient 50 % de l'ensemble des coûts commerciaux. Partant de cette estimation, les coûts commerciaux pour les contrats pluriannuels ont été lissés sur la durée des marchés. Ainsi, une réduction des coûts commerciaux unitaires de respectivement 25 %, 33 % et 38 % s'applique aux contrats de deux ans, trois ans et quatre ans.
Parallèlement à cette baisse des coûts sur les contrats pluriannuels, un raisonnement analogue à celui présenté pour les volumes (cf. II-3.2 b) a conduit à réévaluer à la hausse les coûts commerciaux pour les contrats les plus courts. Les coûts commerciaux unitaires sont ainsi rehaussés de 4 % pour les contrats d'un an, afin de respecter le niveau moyen estimé des coûts commerciaux supportés par un opérateur alternatif efficace.
c) Recouvrement des coûts
Dans l'esprit de la décision de comptabilisation des coûts et de séparation comptable susvisée, les tests d'effet de ciseau tarifaire effectués par l'Autorité ont pris en compte le caractère particulier du segment de marché concerné et le comportement des opérateurs qui modulent le recouvrement de certains de leurs coûts joints selon la clientèle. C'est ainsi que les coûts communs et une petite partie des coûts commerciaux, tels certains coûts de système d'information, n'ont pas été pris en compte lors de la réalisation de ces tests. Cette approche a semblé pertinente au vu de la situation concurrentielle du segment de marché, ce segment étant l'objet d'une pression concurrentielle forte.
Les coûts commerciaux ainsi évités du fait de cette approche représentent 21 % des coûts commerciaux globaux sur le trafic fixe (19 % pour le système d'information de la facturation et 2 % pour la publicité) et 13 % sur le trafic fixe vers mobiles (9 % pour le système d'information de facturation et 4 % pour la publicité). L'ensemble des coûts communs n'ont pas été pris en compte ; ils correspondent dans le modèle de coûts publié par l'Autorité à 4 % des autres coûts.
Parallèlement à ces tests excluant certains coûts joints, un test en coûts complets a été effectué sur un segment de marché plus large. Ce test a permis de vérifier que les prix pratiqués par France Télécom sur le sous-segment des moyennes et grandes entreprises étaient globalement réplicables par un opérateur alternatif efficace. En effet, sur ce segment de marché, le niveau moyen de remise pratiqué par France Télécom sur ses tarifs de base s'élève à 37 % pour le trafic fixe vers fixe et 20 % sur le trafic fixe vers mobiles. L'application du modèle de coûts publié par l'Autorité permet de constater que les recettes moyennes correspondantes permettent de couvrir les coûts complets d'un opérateur alternatif efficace.
II-3.3. Ajustement des coûts de collecte
a) Les coûts de collecte dans le modèle de coûts publié en 2006
Le modèle publié par l'Autorité en mars 2006 présente une estimation des coûts encourus par un opérateur alternatif efficace pour la fourniture de communications. Ce modèle est fondé, dans le cas général, sur des prestations fournies via la sélection du transporteur. Dans cette configuration, les coûts de collecte supportés par l'opérateur correspondent à l'achat de départ d'appel à France Télécom. Les tarifs d'interconnexion inscrits à l'offre de référence de France Télécom conduisent à des coûts de collecte d'environ 0,70 cEUR/min sur les segments professionnels et entreprises (2). Dans les tests d'effet de ciseau qu'elle a effectués sur les grilles de France Télécom, ce sont ces coûts de collecte qui ont été pris en compte par l'Autorité pour les petits sites.
Mais la mise en place d'une solution fondée sur la sélection du transporteur peut être très inefficace dans le cas de grands sites d'entreprises. A partir d'un certain volume de trafic, lorsqu'ils en ont la possibilité, les opérateurs alternatifs préfèrent en effet le raccordement direct. L'Autorité a donc introduit dans son modèle une estimation des coûts distincte dans le cas d'un raccordement direct : les coûts « grand site ». L'opérateur modélisé raccorde ainsi les grands sites d'entreprises au moyen d'une liaison partielle terminale (LPT). L'estimation de ces coûts de raccordement, ramenés à la minute, est inférieure à 0,3 cEUR/min (3). Mais ce type de raccordement et, par conséquent, cette estimation des coûts de raccordement ne sont pertinents qu'à partir d'un certain volume de trafic. Jusqu'ici, le seuil d'application de cette modélisation a été fixé par l'Autorité à un million de minutes de communications sortantes par an. Ce seuil a été converti en chiffre d'affaires par France Télécom et correspond selon ses calculs à 5 000 EUR de dépenses par mois en trafic local, interurbain et vers les mobiles, au tarif de base de France Télécom sans remise.
En outre, dans le cas d'un raccordement direct au moyen d'une LPT, il est fréquent que l'opérateur fournisse, en sus des communications, des prestations d'accès. Ces prestations s'appuyant sur le raccordement en LPT, il convient dans cette configuration de soustraire des coûts liés à l'achat de la LPT les revenus engendrés par la fourniture de l'accès. Ce calcul mène à considérer à ce stade des coûts de collecte nuls dans le test d'effet de ciseau tarifaire sur les prestations de communications. Il n'est cependant pertinent que dans les cas où, d'une part, un opérateur alternatif est en mesure de raccorder le client en LPT et, d'autre part, le marché permet effectivement à l'opérateur de fournir au client à la fois l'accès et les communications. Ces conditions sont explicitées plus avant au II-3.4.