Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE et Ivan FAUCHEUX, commissaires.
- Contexte et compétence de la CRE
L'article 64 de la loi énergie climat n° 2019-1147 (LEC), promulguée le 8 novembre 2019, prévoit la disparition des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) pour les consommateurs non domestiques qui emploient plus de dix personnes ou dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le bilan annuel excède 2 millions d'euros, au 31 décembre 2020.
En parallèle, l'article 64 de la LEC met en place une série de mesures d'accompagnement et prévoit, notamment, que les fournisseurs dits historiques seront tenus « d'accorder, à leurs frais, à toute entreprise disposant de l'autorisation prévue à l'article L. 333-1 [du code de l'énergie] qui en ferait la demande, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, l'accès aux données de contact, de consommation et de tarification de leurs clients non domestiques mentionnés au 2° du A du II du présent article ».
Cet article dispose, par ailleurs que, « préalablement à la mise à disposition des données de contact, les fournisseurs s'assurent de l'absence d'opposition des clients à la communication de leurs données à caractère personnel. Les clients peuvent faire valoir à tout moment leur droit d'accès et de rectification aux informations à caractère personnel les concernant et demander le retrait de ces informations de la base ainsi constituée ».
Enfin, « Les modalités d'opposition par les clients à la communication de leurs données à caractère personnel, ainsi que les modalités de mise à disposition et d'actualisation des listes des clients et des données mentionnées au même premier alinéa sont précisées par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et de la consommation, après avis de la Commission de régulation de l'énergie ».
En application de l'article 64 de la LEC, la ministre de la transition écologique et solidaire a saisi pour avis la CRE le 5 novembre 2019 d'un projet d'arrêté relatif à l'identification et à la mise à disposition de la liste des clients non domestiques perdant l'éligibilité aux TRVE.
- Contenu du projet d'arrêté
Le projet d'arrêté, objet du présent avis, fixe les modalités d'identification par les fournisseurs historiques des clients non domestiques perdant leur éligibilité aux TRVE et les modalités de mise à disposition des données des clients aux TRVE par les fournisseurs historiques.
2.1. Identification des consommateurs non domestiques perdant leur éligibilité
En application de l'article 64 de la LEC, les TRVE « bénéficient, à leur demande, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères :
1° Aux consommateurs finals domestiques, y compris les propriétaires uniques et les syndicats de copropriétaires d'un immeuble unique à usage d'habitation ;
2° Aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excèdent pas 2 millions d'euros ».
Le projet d'arrêté précise les modalités d'identification, au sein des portefeuilles aux TRVE des fournisseurs historiques (1), des sites des consommateurs finals non domestiques perdant leur éligibilité. L'identification des sites restant éligibles aux TRVE s'effectue, soit par défaut, à travers le processus d'identification réalisé par les fournisseurs historiques et présenté plus bas, soit sur les base de la fourniture, par le consommateur, d'une attestation expresse de son éligibilité au regard des critères évoqués ci-dessus selon le modèle figurant en annexe du projet d'arrêté.
Les consommateurs non domestiques ne bénéficiant pas actuellement d'une offre aux TRVE mais restant éligibles, devront, dans l'hypothèse d'une souscription future aux TRVE, fournir une attestation préalable du respect des critères évoqués ci-dessus. L'article 1er du projet d'arrêté précise en effet que « la souscription d'un contrat aux tarifs réglementés de vente de l'électricité […] par un client non domestique est conditionnée à l'attestation préalable du client du respect des critères prévus au 2° du I du même article L. 337-7 ».
Dans tous les cas, le client peut à tout moment, et quel que soit le résultat du processus d'identification réalisé par le fournisseur historique, attester en dernière instance de son éligibilité au TRVE, comme le prévoit l'article 2 du projet d'arrêté, en application de la loi.
L'article 3 du projet d'arrêté précise les modalités d'interrogation des clients. Dans un premier temps, le fournisseur identifie les clients employant moins de 10 personnes, les clients employant 10 personnes ou plus et les autres clients. Cette identification est notamment possible par le croisement des données client dont il dispose avec celles de la base publique « Sirene » de l'INSEE.
Dans un second temps, le fournisseur interroge par courrier dont le modèle figure en annexe du projet d'arrêtés les clients non identifiés comme non éligibles à ce stade, à savoir ceux employant moins de 10 personnes ou dont les données d'effectifs ne sont pas disponibles. Trois cas de figurent peuvent se présenter selon l'article 3 du projet d'arrêté :
- le consommateur peut attester de son éligibilité aux TRVE (et notamment que son chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros) ;
- le consommateur ne répond pas. Dans ce cas, les fournisseurs historiques ont accès, pendant une période de huit mois suivant la promulgation de la LEC, à l'interface de programmation d'application permettant les échanges de données entre administrations (API Entreprises [2]) pour consulter les effectifs, chiffres d'affaires, recettes et total de bilan annuels, de leurs clients qui ne se sont pas opposés. Si un client s'est opposé à une telle consultation de ses données, il est réputé par défaut inéligible aux TRVE.
L'article 4 du projet d'arrêté prévoit que la procédure que les fournisseurs historiques entendent mettre en œuvre pour l'identification des clients perdant leur éligibilité aux TRVE devra être adressée aux ministres chargés de l'énergie et de la consommation et à la CRE.
2.2. Droits des consommateurs relatifs à leurs données à caractère personnel
Les modalités d'opposition des consommateurs non domestiques à la transmission de leurs données à caractère personnel sont définies à l'article 5 du projet d'arrêté. Ces modalités ne concernent que la transmission des données à caractère personnel, les données de consommation et de tarification étant mises à disposition au plus tard un mois après la publication de l'arrêté prévu à l'avant dernier alinéa du IV de l'article 64 de la LEC en application des dispositions de l'article 6 du projet d'arrêté.
Les fournisseurs historiques adressent un courrier relatif au recueil d'opposition à la mise à disposition des données, par courrier ou par voie électronique, selon des modèles de messages qui figurent dans les annexes du projet arrêté. Le délai de réponse est d'un mois. Ce courrier sera adressé :
- au plus tard 2 mois après la publication du présent arrêté pour les clients mentionnés au 2° du A du II de l'article 64 ;
- au plus tard 4 mois après la publication du présent arrêté si les consommateurs pour les clients mentionnés aux 1° et 3° du A du II de l'article 64 de la LEC.
L'article 8 du projet d'arrêté rappelle que les consommateurs peuvent exercer à tout moment leurs droits d'accès, de rectification, d'effacement et de limitation du traitement de leurs données personnelles dans les conditions prévues par la loi n° 78-17 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Les fournisseurs historiques doivent modifier en conséquence leur base de données dans un délai de quinze jours francs à compter de la date de la demande.
2.3. Sécurisation des flux de données entre fournisseurs
L'article 7 du projet d'arrêté dispose que les fournisseurs historiques sont responsables de la sécurité et de la confidentialité des données, d'une part, en garantissant la sécurité de la plateforme électronique permettant aux fournisseurs d'accéder aux données et, d'autre part, en s'assurant que seuls les fournisseurs disposant d'une autorisation valide d'achat pour revente d'électricité pour la catégorie de clients concernée par sa demande peuvent accéder aux données.
Par ailleurs, l'article 9 fixe une durée maximale de 6 mois pendant laquelle les fournisseurs peuvent conserver les données auxquelles ils ont accédé. Dans tous les cas, ces données doivent être supprimées au plus tard le 31 décembre 2020.
2.4. Modalités de transmission des données aux fournisseurs qui en font la demande
Le projet d'arrêté introduit aussi des dispositions de nature à assurer que la transmission des données par les fournisseurs historiques se fasse, comme indiqué dans l'article 64 de la LEC, « dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ». Il fixe ainsi le régime de transmission et d'actualisation des données des fournisseurs historiques.
L'article 7 fixe un délai maximum de transmission de 10 jours ouvrés après la première demande du fournisseur qui en fait la demande pour la mise à disposition des données, puis de 1 jour ouvré pour toute demande ultérieure.
Par ailleurs, les fournisseurs historiques doivent actualiser leur base de données avant le 10 de chaque mois. Cette actualisation comprend la suppression des données de clients ayant soit quitté les TRVE, soit attesté de leur éligibilité, le cas échéant des modifications prévues par l'arrêté prévu à l'avant dernier alinéa du IV de l'article 64 de la LEC.
L'article 8 quant à lui prévoit que les modifications qui découlent de l'exercice par les clients de leurs droits d'accès, de rectification, d'effacement et de limitation du traitement des données à caractère personnel sont répercutées dans la base de données dans un délai de quinze jours francs à compter de la date de la demande.
Enfin, l'article 6 définit les échéances de la première mise à disposition des données par les fournisseurs historiques suivant leur caractère personnel ou non et suivant la façon dont le fournisseur historique a identifié la perte de l'éligibilité aux TRVE de son client :
- pour les clients identifiés comme employant 10 personnes ou plus (clients visés au 2° du A du II de l'article 64 de la LEC) :
- un mois après la publication de l'arrêté prévu à l'avant dernier alinéa du IV de l'article 64 de la LEC pour leurs données de consommation et de tarification ;
- au plus tard le 1er mars 2020, et en l'absence d'opposition des clients concernés pour leurs données de contact à caractère personnel.
- pour les consommateurs identifiés comme non éligibles aux TRVE dans le cadre des dispositions du II de l'article 64 de la LEC, au plus tard 6 mois après la publication du présent arrêté, lors de la mise à jour de la base, telle que définie par l'article 7. Les données de contact sont mises à disposition sous réserve de l'absence d'opposition du client.
- Analyse des dispositions du projet d'arrêté
3.1. Sur la transmission de données à caractère personnel
L'article 64 de la LEC prévoit que les fournisseurs historiques doivent donner accès « aux données de contact, de consommation et de tarification de leurs clients non domestiques mentionnés au 2° du A du II du présent article ».
La CRE souligne l'importance pour le bon fonctionnement du marché de détail que revêt cette communication aux fournisseurs alternatifs pour leur permettre de proposer des offres adaptées aux consommateurs. A ce titre, il est primordial que les fournisseurs alternatifs disposent dès que possible des informations nécessaires.
Dans la mesure où certaines des données de contact auxquelles les fournisseurs pourront avoir accès se rapportent à une personne physique identifiée ou identifiable, l'accès à ces données doit se faire dans le respect du cadre prévu pour la protection des données à caractère personnel. C'est pourquoi le projet d'arrêté prévoit les modalités d'opposition par les clients à la communication de leurs données de contact à caractère personnel.
3.2. Sur l'identification des consommateurs perdant leur éligibilité au TRV
La CRE accueille favorablement les dispositions prévues dans ce projet d'arrêté pour identifier au mieux les clients perdant leur éligibilité au TRVE.
La CRE note cependant que l'ensemble du dispositif est de nature à rendre inéligibles aux TRVE certains clients qui en respectent pourtant les critères. En effet, le client sera réputé non éligible aux TRVE, dans le cas où :
- ce client emploie moins de 10 personnes, ne répond pas au courrier d'interrogation de son éligibilité visé à l'article 3 du projet d'arrêté si ses données à son chiffre d'affaires et/ou son bilan ne sont pas disponibles dans la base API ;
- l'identification de la tranche d'effectifs du consommateur n'est pas possible dans la base Sirene de l'INSEE, il ne répond pas au courrier d'interrogation de son éligibilité et :
- soit ses données relatives aux critères d'éligibilité ne sont pas disponibles dans la base API ;
- soit son chiffre d'affaires/recettes est inférieur à 2 M€.
La CRE ne dispose à ce jour pas d'informations suffisamment fiables pour évaluer le nombre de consommateurs qui seraient affectés.
3.3. Sur la traçabilité des recueils d'absence d'opposition
La CRE note que le projet d'arrêté n'encadre pas la traçabilité des recueils réalisés par les fournisseurs historiques de l'absence d'opposition à la transmission des données à caractère personnel.
Afin d'assurer la bonne transparence du dispositif, tout fournisseur qui contacte un client pour lequel il a eu accès à ses données, doit être en mesure de fournir à ce client la preuve que son absence d'opposition a bien été recueillie. Afin de permettre aux fournisseurs de fournir cette preuve, le fournisseur historique doit conserver une trace du recueil d'absence d'opposition qu'il a effectué.
La CRE recommande d'introduire un alinéa à la fin de l'article 6 indiquant que : « le fournisseur, visé au premier alinéa du présent article, doit garantir la traçabilité de l'absence d'opposition, jusqu'à la date indiquée au XIII de l'article 64 de la loi relative à l'énergie et au climat pour les consommateurs non domestiques qui ne sont pas réputés éligibles aux tarifs réglementés tel qu'identifiés dans le A et le B du II du même article ».
3.4. Sur les délais de mise à jour de la base de données
La CRE constate que le délai contraint de modification sous 15 jours francs des données des clients qui exercent leurs droits visés à l'article 8 du projet d'arrêté pourrait s'avérer incompatible avec les modalités d'actualisation mensuelle des données par les fournisseurs historiques prévues à l'article 7.
La CRE recommande ainsi d'adapter la fréquence d'actualisation des données des fournisseurs historiques, par exemple, chaque premier lundi du mois et chaque troisième lundi du mois.
3.5. Sur les modalités de transmission des données aux fournisseurs qui en font la demande
L'article 7 du projet d'arrêté prévoit que : les données mentionnées dans l'arrêté pris sur proposition de la CRE« sont mises à disposition par voie informatique, dans des conditions et sous un format électronique exploitable permettant un accès aisé des fournisseurs des fournisseurs disposant de l'autorisation prévue à l'article L. 333-1 du code de l'énergie qui le demandent, sous un délai de dix jours ouvrés à l'occasion de la première demande d'accès, et sous un délai d'un jour ouvré pour toute demande ultérieure ».
En l'absence d'indication d'une adresse pour l'envoi des demandes, les courriers pourraient être adressés à différentes entités du fournisseur historique ce qui risque d'entrainer des délais dans le traitement de ces demandes. Afin de pallier ce problème, l'article 7 devrait préciser que les demandes devront être adressées à une adresse courriel ou postale générique fournie par chaque fournisseur historique et dont la liste figurerait en annexe de l'arrêté.
Avis de la CRE
En application de l'article 64 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, la ministre de la transition écologique et solidaire a saisi pour avis la CRE le 5 novembre 2019 d'un projet d'arrêté relatif à l'identification et à la mise à disposition de la liste des clients non domestiques perdant l'éligibilité aux tarifs réglementés de vente de l'électricité.
La CRE donne un avis favorable au projet d'arrêté dont elle a été saisie, sous réserve de la prise en compte des recommandations suivantes :
- s'agissant des modalités permettant la traçabilité des recueils de consentement ou d'absence d'oppositionintroduire un alinéa à la fin de l'article 6 indiquant que : « le fournisseur, visé au premier alinéa du présent article, doit garantir la traçabilité de l'absence d'opposition, jusqu'à la date indiquée au VIII de l'article 64 de la loi relative à l'énergie et au climat pour les consommateurs non domestiques qui ne sont pas réputés éligibles aux tarifs réglementés tel qu'identifiés dans le A et le B du II du même article » ;
- s'agissant de la fréquence d'actualisation des données, adapter la fréquence d'actualisation des données des fournisseurs historiques, par exemple, chaque premier lundi du mois et chaque troisième lundi du mois ;
- s'agissant des modalités de transmission des données aux fournisseurs qui en font la demande, prévoir que les demandes d'accès de ces fournisseurs soient envoyées à une adresse générique fournie par chaque fournisseur historique et dont la liste figurerait en annexe de l'arrêté.
La présente délibération sera publiée sur le site internet de la CRE.
Elle sera transmise à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l'économie et des finances.
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