Saisie pour avis par le garde des sceaux, ministre de la justice (1), d'un projet de décret modifiant la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure et relatif à la désignation des services relevant du ministère de la justice autorisés à recourir aux techniques mentionnées aux articles L. 851-1 (accès aux données de connexion en temps différé), L. 851-4 (géolocalisation en temps réel), L. 851-5 (balisage), L. 851-6 (recueil de données de connexion par IMSI catcher) et au I de l'article L. 852-1 (interception de sécurité) du code de la sécurité intérieure, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), réunie en formation plénière, a formulé les observations suivantes :
I. Remarques de portée générale
La CNCTR relève que le projet de décret est pris pour l'application de l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure (2), qui prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la CNCTR désigne les services de l'administration pénitentiaire qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques de renseignement mentionnées ci-dessus, dans les conditions prévues aux titres II et V du livre VIII du code, à l'encontre des seules personnes détenues, aux fins de prévenir les évasions et d'assurer la sécurité et le bon ordre au sein des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues.
a) A titre liminaire, la CNCTR s'interroge sur la nécessité de modifier, aux articles 2 à 8 du projet de décret, sept articles du code de la sécurité intérieure.
D'une part, aux termes de l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure, le décret pris pour son application a pour seul objet de désigner les services de l'administration pénitentiaire autorisés à recourir à des techniques déjà mentionnées dans la loi, pour une finalité également déjà prévue par celle-ci.
D'autre part, les articles qu'envisage de modifier le projet de décret désignent les services du « second cercle » mentionnés à l'article L. 811-4 du code, à savoir ceux autorisés à recourir à des techniques pour des finalités prévues à l'article L. 811-3, distinctes de celle prévue à l'article L. 855-1.
La CNCTR suggère donc de remplacer les articles 2 à 8 du projet de décret par un article unique, qui pourrait être un article R. 855-1 au sein d'un titre V bis à créer au niveau réglementaire dans le livre VIII du code de la sécurité intérieure. Cette écriture simplifiée paraît plus à même de faire correspondre les dispositions réglementaires du code avec son architecture de niveau législatif.
b) La CNCTR rappelle qu'elle a déjà rendu deux avis sur des projets de décret (3) désignant des services, dits du « second cercle », autorisés à recourir aux techniques de renseignement mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure. La commission reprend l'intégralité des remarques de portée générale formulées dans ces deux précédents avis, que constituent sa délibération n° 2/2015 du 12 novembre 2015 et sa délibération n° 3/2016 du 8 décembre 2016.
En particulier, la CNCTR rappelle que la nature et le nombre de techniques auxquelles peuvent avoir accès les services du « second cercle » dépend, à ses yeux, de la part qu'occupe le renseignement au sein de leurs missions ainsi que de l'expertise technique requise pour mettre en œuvre les techniques de manière sûre.
En outre, dès lors que l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure limite le recours aux techniques de renseignement qu'il mentionne à la surveillance des seules personnes détenues, la CNCTR renvoie à la définition de ces personnes qu'elle a énoncée dans sa délibération n° 3/2016 du 8 décembre 2016. Ne peuvent, selon la commission, être concernées que les personnes détenues au sens strict, qu'elles bénéficient ou non d'une permission de sortir prévue à l'article 723-3 du code de procédure pénale, ainsi que les personnes placées sous les régimes de la semi-liberté ou du placement à l'extérieur avec hébergement en établissement pénitentiaire, prévus à l'article 132-26 du code pénal. En revanche, la commission rappelle que cette définition exclut les personnes placées sous main de justice en milieu ouvert et celles écrouées mais non hébergées en établissement pénitentiaire, telles que les personnes placées sous surveillance électronique en application de l'article 132-26-1 du code pénal.
II. Observations détaillées
- Sur les techniques de renseignement autorisées
La CNCTR relève qu'aux termes de l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure, les services de l'administration pénitentiaire à désigner par décret sont autorisés à recourir à une liste limitative de techniques de renseignement.
L'article 8 du projet de décret prévoit, en outre, que les agents de ces services puissent être autorisés à s'introduire dans un véhicule ou dans un lieu privé, en application de l'article L. 853-3 du code de la sécurité intérieure, pour mettre en place, utiliser ou retirer un dispositif de localisation, communément dénommé « balise ».
La CNCTR constate, toutefois, que l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure ne prévoit pas que les agents des services de l'administration pénitentiaire puissent être autorisés à s'introduire dans de tels lieux. De plus, l'article L. 853-3 du code dispose, au deuxième alinéa de son I, que seuls peuvent être autorisés à s'y introduire, parmi les agents des services du « second cercle », ceux des services mentionnés à l'article L. 811-4 du code. Or si l'article L. 811-4 mentionne des services relevant du ministre de la justice, il restreint l'autorisation qui peut leur être accordée de recourir à des techniques aux seules finalités prévues à l'article L. 811-3, distinctes de celle prévue à l'article L. 855-1.
La CNCTR considère, en conséquence, qu'il n'existe pas de base légale permettant aux agents des services de l'administration pénitentiaire de s'introduire dans un véhicule ou dans un lieu privé pour recourir à une technique en application de l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure. Elle émet donc un avis défavorable à cette faculté ouverte à l'article 8 du projet de décret.
- Sur la répartition des compétences entre services de l'administration pénitentiaire
Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que, sous l'autorité du directeur de l'administration pénitentiaire, le bureau central du renseignement pénitentiaire, les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire et les délégations locales au renseignement pénitentiaire pourront être autorisés à recourir aux techniques mentionnées dans l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure.
Le garde des sceaux a, par ailleurs, indiqué à la commission que le bureau central du renseignement pénitentiaire centraliserait et instruirait toutes les demandes de recours à des techniques avant leur examen par le directeur de l'administration pénitentiaire puis par le ministre ou ses délégués. Il a également précisé que les demandes avaient vocation à être préparées et les autorisations du Premier ministre mises en œuvre par les cellules interrégionales ou par les délégations locales au renseignement pénitentiaire.
La CNCTR, conformément à sa délibération n° 3/2016 du 8 décembre 2016, constate que le bureau central du renseignement pénitentiaire et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire se consacrent exclusivement à des missions de renseignement et développent leur expertise technique en la matière. Elle émet donc un avis favorable à ce que ces services puissent recourir aux techniques mentionnées à l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure.
S'agissant des délégations locales au renseignement pénitentiaire, présentes au sein des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues, le garde des sceaux a également fait valoir que, bien qu'elles ne consacrent, dans la plupart des cas, qu'une partie de leur activité au recueil du renseignement :
- les délégués locaux qui les composent se trouvent en contact quotidien avec les personnes à surveiller ou avec les sources de renseignement, ce qui peut les rendre plus à même de détecter les menaces motivant le recours à une technique mais aussi d'apprécier la pertinence des informations recueillies (un délégué pourra ainsi reconnaître plus facilement la voix de personnes dont les conversations téléphoniques seront écoutées ou mieux comprendre le contexte de ces conversations) ;
- ces délégués locaux ont vocation, en application de l'article 727-1 du code de procédure pénale, à être autorisés, pour la même finalité que celle prévue à l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure, à intercepter et exploiter des données de connexion ou des conversations émises par des moyens de communications légaux ainsi qu'à recueillir les données stockées dans un équipement terminal ou un système informatique utilisé par une personne détenue.
Eu égard à ces éléments et au fait que la finalité prévue à l'article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure touche au bon fonctionnement quotidien des établissements concernés, la CNCTR émet un avis favorable à ce que les délégations locales au renseignement pénitentiaire puissent être autorisées à préparer des demandes tendant à recourir aux techniques mentionnées dans cet article, sous réserve que les propositions de demandes ne soient transmises au bureau central du renseignement pénitentiaire qu'après avoir été validées par la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire compétente. Constituées, dans de nombreux établissements, d'un unique agent, les délégations locales devraient ainsi soumettre leurs propositions à un premier filtre avant instruction par le niveau central.
La CNCTR estime en outre que, nonobstant les actions de formation engagées, l'expertise technique et opérationnelle que requièrent une mise en œuvre sûre des techniques mentionnées aux articles L. 851-5 (balisage) et L. 851-6 (recueil de données de connexion par IMSI catcher) du code de la sécurité intérieure ainsi qu'une exploitation pertinente des données recueillies au moyen de cette dernière technique fait obstacle à ce que cette mise en œuvre et cette exploitation puissent être directement confiées aux délégations locales au renseignement pénitentiaire. Elle recommande donc que les agents des délégations locales ne soient pas autorisés à mettre en œuvre eux-mêmes les techniques mentionnées aux articles L. 851-5 (balisage) et L. 851-6 (recueil de données de connexion par IMSI catcher) du code de la sécurité intérieure. Elle recommande également que ces agents ne soient pas autorisés à exploiter directement les données recueillies au moyen de cette dernière technique.
- Sur les dispositions applicables outre-mer
L'article d'application outre-mer étant vide dans la saisine du garde des sceaux, la CNCTR n'a pu délibérer ni rendre d'avis sur les dispositions projetées.
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