(M. BERNARD P.)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 septembre 2025 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1356 du 24 septembre 2025), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Bernard P. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1175 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l'article 471 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations en intervention présentées pour M. Guénaël C. par Me Pierre de Combles de Nayves, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 8 octobre 2025 ;
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 13 octobre 2025 ;
- les observations présentées pour M. Aurélien A. et la société Caribbean Street Food, parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Anticor par Mes Théo Lamballe et Jean-Baptiste Soufron, avocats au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 27 octobre 2025 ;
- les secondes observations présentées pour M. Guénaël C. par Me de Combles de Nayves, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Claire Waquet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, Me de Combles de Nayves pour M. Guénaël C., Mes Lamballe et Soufron pour l'association Anticor, et M. Thibault Cayssials, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 18 novembre 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
- Le quatrième alinéa de l'article 471 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ».
- Le requérant reproche à ces dispositions de permettre au juge pénal d'ordonner l'exécution provisoire de certaines sanctions pénales alors que la condamnation n'est pas définitive. Ce faisant, sa décision aboutirait à imposer une peine à une personne présumée innocente et emporterait des effets irrémédiables privant de toute portée un éventuel recours contre la condamnation. Il en résulterait une méconnaissance de la présomption d'innocence et du droit à un recours juridictionnel effectif.
- Par ailleurs, le requérant, rejoint par l'une des parties intervenantes, critique le fait que ces dispositions n'imposent pas au juge de motiver sa décision ordonnant l'exécution provisoire des sanctions prononcées. Seraient dès lors privées de garanties légales les exigences découlant des principes de légalité, de nécessité et d'individualisation des peines. Selon lui, ces dispositions méconnaîtraient en outre, pour les mêmes motifs, le principe d'égalité devant la justice.
- En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».
- Selon l'article 708 du code de procédure pénale, l'exécution de la ou des peines prononcées à la requête du ministère public a lieu, en principe, lorsque la décision est devenue définitive.
- Par dérogation, le tribunal correctionnel peut, en vertu des dispositions contestées, déclarer exécutoires par provision les peines alternatives et les peines complémentaires à l'emprisonnement ou à l'amende prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 du code pénal, ainsi que les mesures de personnalisation de la peine prises sur le fondement des articles 132-25 à 132-70 du même code.
- Dès lors que l'exécution provisoire prévue par ces dispositions s'attache à une sanction pénale prononcée par la juridiction répressive après que celle-ci a décidé que la culpabilité du prévenu est légalement établie, elle n'est pas incompatible avec le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration de 1789.
- En deuxième lieu, il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 qu'il appartient au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine.
- En vertu de l'article 132-1 du code pénal, toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine.
- Selon l'article 485-1 du code de procédure pénale, sauf pour les exceptions qu'il prévoit, la motivation doit également porter, en cas de condamnation, sur le choix de la peine au regard notamment des dispositions précitées de l'article 132-1 du code pénal.
- Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort de l'arrêt de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que la juridiction n'a pas l'obligation de motiver la décision par laquelle elle déclare exécutoire par provision une sanction pénale, autre que l'inéligibilité, prononcée en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du même code.
- Toutefois, les dispositions contestées s'appliquent à des sanctions de nature à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis d'une personne qui n'est pas définitivement condamnée. Au surplus, dans le cas où l'exécution provisoire risquerait d'entraîner des conséquences manifestement excessives, la personne condamnée ne dispose pas de procédure lui permettant d'en obtenir la suspension.
- Sauf à méconnaître le principe d'individualisation des peines, il revient au juge d'apprécier, en motivant spécialement sa décision sur ce point, le caractère proportionné de l'atteinte que l'exécution provisoire de la sanction est susceptible de porter à un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Dans ce cadre, il se détermine au regard des éléments contradictoirement discutés devant lui, y compris à son initiative, afin de tenir compte des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale.
- Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, qui ne s'applique qu'aux affaires dont la juridiction de jugement est saisie postérieurement à la date de publication de la présente décision, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.
- En dernier lieu, selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
- En permettant au juge d'ordonner l'exécution provisoire de certaines sanctions pénales, le législateur a souhaité assurer, en cas de recours, l'efficacité de la peine et prévenir la récidive. Ce faisant, il a entendu mettre en œuvre l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'exécution des décisions de justice en matière pénale, et a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.
- Les dispositions contestées sont sans incidence sur l'exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation.
- Par ailleurs, d'une part, l'exécution provisoire des sanctions prononcées ne peut être ordonnée par le juge pénal qu'à la suite d'un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation.
- D'autre part, le juge est tenu, ainsi qu'il a été dit au paragraphe 13, d'apprécier le caractère proportionné de l'atteinte que l'exécution provisoire de la sanction est susceptible de porter à un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
- Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
- Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 13 et dans les conditions fixées au paragraphe 14, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus les principes de légalité et de nécessité des peines, ni le principe d'égalité devant la justice, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :
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