5.1. Introduction
L'Autorité impose aux entreprises identifiées comme exerçant une influence significative les obligations spécifiques appropriées, conformément aux articles L. 38 et L. 38-1 du CPCE. L'imposition de ces obligations doit être établie en tenant compte de la nature des obstacles au développement d'une concurrence effective et être proportionnée à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du CPCE.
Les principales obligations spécifiques prévues par le CPCE sont les suivantes :
― l'accès à des ressources de réseau spécifiques et à leur utilisation ;
― la transparence, notamment par l'établissement d'une offre de référence ;
― la non-discrimination ;
― la mise en place d'un système de comptabilisation des coûts ;
― la mise en place d'une séparation comptable ;
― le contrôle des prix.
A titre de rappel, l'Autorité a imposé aux trois opérateurs de réseau mobile métropolitains, dans sa décision n° 2010-1149 précitée, les obligations non tarifaires suivantes :
― obligation générale d'accès ;
― établissement d'une offre de référence ;
― obligation de non-discrimination ;
― mise en place d'un système de comptabilisation des coûts et de séparation comptable.
Dans la continuité de son action précédente sur ces marchés, l'Autorité estime que les obligations imposées aux opérateurs déclarés puissants doivent tenir compte notamment de la taille de l'acteur considéré et de la position concurrentielle relative de l'acteur.
Aucun commentaire n'a été apporté par les acteurs dans le cadre de leurs réponses aux consultations menées par l'Autorité. De même, la Commission européenne n'a émis aucun commentaire sur les obligations non tarifaires proposées par l'ARCEP dans le cadre de la présente décision.
5.2. Obligations d'accès
L'article L. 38 (I-3°) du CPCE prévoit que l'Autorité peut imposer des obligations d'accès à un opérateur disposant d'une influence significative sur le marché considéré.
L'existence de marchés de gros de l'accès et de l'interconnexion permet à des opérateurs qui ne possèdent pas l'ensemble des infrastructures nécessaires à l'acheminement de trafic de bout en bout de s'appuyer sur les réseaux existants pour intervenir sur les marchés de détail. Par conséquent, ces marchés de gros sont indispensables à l'existence et au bon fonctionnement d'une concurrence durable sur les marchés de communications électroniques. L'Autorité constate que tous les opérateurs mobiles font déjà droit à ce type de demande et que le CPCE, dans son article L. 34-8 (II), impose déjà de manière générale aux opérateurs exploitants de réseaux de faire droit aux demandes d'interconnexion à leur réseau.
Afin de permettre l'interopérabilité des services et des investissements efficaces au titre de l'interconnexion ou de l'accès et compte-tenu de la position monopolistique de chaque opérateur mobile sur le marché de la terminaison d'appel vocal vers les numéros mobiles ouverts à l'interconnexion sur son réseau, l'Autorité estime nécessaire de continuer, plus largement, d'imposer à chaque opérateur mobile visé dans la section 2.4 une obligation de faire droit à toute demande raisonnable d'accès à des fins de terminer du trafic à destination des numéros mobiles ouverts à l'interconnexion sur son réseau, conformément à l'article D. 310 (1°) du CPCE.
Il est également nécessaire et proportionné, au regard notamment de l'objectif de développement efficace dans les infrastructures et de compétitivité du secteur mentionné au 3° du II de l'article L. 32-1 du code précité, que les opérateurs mobiles présentent les conditions techniques et tarifaires de fourniture des prestations qu'ils offrent de façon suffisamment claire et détaillée, et qu'ils ne subordonnent pas l'octroi d'une prestation à une autre, afin de ne pas conduire les acteurs à payer pour des prestations qui ne leur seraient pas nécessaires.
En outre, l'Autorité estime également nécessaire que les opérateurs désignés puissants dans le chapitre précédent négocient de bonne foi, conformément à l'article D. 310 (2°) du CPCE afin, d'une part, de minimiser les cas de litige et, d'autre part, de ne pas profiter de l'influence significative qu'ils exercent sur ces marchés pour durcir les négociations avec les opérateurs. Enfin, compte-tenu des investissements réalisés par les acteurs qui demandent l'interconnexion, il est également justifié que les opérateurs puissants soient soumis à l'obligation de ne pas retirer un accès déjà accordé, hors accord de l'Autorité ou de l'opérateur concerné.
Compte tenu de l'impossibilité pour un opérateur souhaitant terminer un appel vers un numéro ouvert à l'interconnexion sur un autre réseau de déployer ses propres infrastructures, ces obligations d'accès et d'interconnexion sont justifiées et proportionnées, notamment au regard de l'objectif fixé à l'article L. 32-1 (II) du CPCE visant à définir des « conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ».
En outre, comme pour les trois opérateurs métropolitains régulés par la précédente décision d'analyse des marchés (18), l'Autorité estime qu'il n'y a pas lieu d'aller au-delà de l'obligation générale d'accès, et d'imposer par avance des obligations spécifiques. Enfin, d'une manière générale, tout refus de l'opérateur exerçant une influence significative de fournir ces prestations doit être dûment motivé.
5.3. Obligation de non-discrimination
L'article L. 38 (I-2°) du CPCE prévoit la possibilité d'imposer une obligation de non-discrimination dans la fourniture des prestations d'interconnexion ou d'accès.
Conformément à l'article D. 309 du CPCE, les obligations de non-discrimination visent notamment à garantir que les opérateurs appliquent des conditions équivalentes dans des circonstances équivalentes aux opérateurs fournissant des services équivalents. En outre, elles visent à assurer que les opérateurs fournissent aux autres opérateurs des services et informations dans les mêmes conditions et avec la même qualité que ceux qu'ils assurent pour leurs propres services, ou pour ceux de leurs filiales ou partenaires.
L'application d'une obligation de non-discrimination permet de garantir que les entreprises puissantes sur un marché de gros ne faussent pas la concurrence sur un marché de détail, notamment lorsqu'il s'agit d'entreprises intégrées verticalement qui fournissent des services à des entreprises avec lesquelles elles sont en concurrence sur des marchés en aval.
La grande technicité des prestations d'interconnexion ou d'accès rend aisée, pour un opérateur puissant, l'offre de conditions techniques et tarifaires différentes pour ses différents clients, ses partenaires et ses propres services.
Par ailleurs, la terminaison d'appel mobile ayant le caractère de facilité essentielle, des conditions techniques et tarifaires discriminatoires sur le marché de gros seraient préjudiciables à la concurrence sur les marchés de détail faisant intervenir de la terminaison d'appel vocal.
L'obligation de non-discrimination vise principalement dans ce cas à éviter que les opérateurs mobiles n'augmentent leurs charges vis-à-vis d'opérateurs acheteurs dont le pouvoir de négociation serait moindre, ou qu'ils n'avantagent leurs propres unités d'affaires, leurs partenaires ou leurs filiales en concurrence avec les autres acheteurs de terminaison d'appel vocal. De telles pratiques auraient pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les opérateurs sur les marchés de détail.
Il est donc justifié et proportionné d'imposer une obligation de non-discrimination, d'une part, entre clients, et, d'autre part, entre clients et services internes, notamment au regard de l'objectif visant à garantir « l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques » (2° du II de l'article L. 32-1 du CPCE).
Ainsi, un opérateur puissant n'est pas autorisé à pratiquer des conditions artificiellement différenciées, entre les prestations de terminaison d'appel qu'il s'auto-fournit et celles qu'il vend à ses clients de gros, de même qu'entre les prestations qu'il vend à différents clients, quels que soient le type d'acheteur ou la provenance de l'appel (métropole, outre-mer, international). Cette obligation n'exclut toutefois pas la possibilité, pour un opérateur, de différencier ses prestations en fonction de critères objectifs, notamment d'ordre technique, liés à la nature des réseaux.
5.4. Obligation de transparence
L'article L. 38 (I-1°) du CPCE prévoit que l'Autorité peut demander à un opérateur disposant d'une influence significative de rendre publiques certaines informations relatives à l'interconnexion et à l'accès. Les modalités ci-après définies précisent la nature de l'obligation de transparence imposée.
5.4.1. Conventions d'interconnexion
S'agissant des conventions d'interconnexion ou d'accès, l'article L. 34-8 du CPCE prévoit que toute convention doit être transmise sous forme de copie numérique océrisée à l'Autorité à sa demande. Afin de donner pleine mesure à cette disposition, et d'avoir la possibilité de vérifier le respect de l'obligation de non-discrimination, l'Autorité estime nécessaire d'imposer une obligation d'informer l'Autorité de la signature de toute nouvelle convention d'interconnexion ou d'accès, et de tout avenant à une convention existante, dans un délai de sept jours à compter de la signature du document.
5.4.2. Information préalable des modifications contractuelles
Conformément à l'article D. 307 du CPCE, l'Autorité impose à chaque opérateur identifié comme exerçant une influence significative sur le marché de sa terminaison d'appel de prévenir les opérateurs acheteurs, dans un délai raisonnable, des modifications de ses conditions techniques et tarifaires, notamment en ce qui concerne les prestations connexes telles que, par exemple, la colocalisation des équipements. Les acheteurs de terminaison d'appel ont, en effet, besoin de visibilité sur cet élément essentiel de leur plan d'affaires.
Le caractère raisonnable du délai doit s'apprécier au regard des conséquences techniques, économiques, commerciales ou juridiques sur l'opérateur interconnecté ou bénéficiant d'un accès et de la nécessité pour ce dernier d'assurer la continuité de son service. Par exemple, les délais ne seront pas nécessairement identiques selon qu'il s'agisse d'une baisse ou d'une hausse des tarifs intervenant dans la fourniture de la terminaison d'appel.
En tout état de cause, des délais de préavis raisonnables ne pourront pas être d'une durée inférieure à deux mois.
Pour assurer la transparence nécessaire, chaque opérateur mobile déclaré puissant doit mettre en œuvre ces principes dans ses conventions.
5.4.3. Offre de référence
Dans un souci d'équité et de transparence, l'Autorité envisage de fixer les mêmes obligations en matière de transparence et de non-discrimination, pour Free Mobile, Lycamobile et Oméa Télécom, que celles imposées aux trois opérateurs mobiles métropolitains déjà régulés. Conformément au II de l'article D. 307 du CPCE, il s'agit en particulier de la publication d'une offre de référence.
Une offre technique et tarifaire ou « offre de référence » poursuit quatre objectifs :
― concourir à la mise en place de processus transparents, pour limiter la capacité de l'opérateur exerçant une influence significative à déstabiliser ses concurrents ou favoriser ses filiales ;
― donner de la visibilité aux acteurs sur les termes et les conditions dans lesquelles ils s'interconnectent avec l'opérateur sur lequel pèse l'obligation ;
― pallier le déficit de pouvoir de négociation des opérateurs acheteurs ;
― permettre l'élaboration d'une offre cohérente de prestations aussi découplées que possible les unes des autres pour permettre à chaque opérateur de n'acheter que les prestations dont il a besoin.
La publication de l'offre de référence est ainsi de nature à contribuer au fonctionnement harmonieux du marché, et permet aux opérateurs de développer un plan d'affaires et de programmer leurs investissements avec une visibilité suffisante sur des paramètres qui conditionnent fortement leur structure de coûts. L'Autorité sera d'ailleurs attentive à ce que le contenu des offres de référence puisse effectivement apporter des informations suffisantes aux opérateurs acheteurs, en ce qui concerne les conditions techniques et tarifaires des prestations d'acheminement du trafic mais aussi des prestations d'accès aux sites associées (tel que le service de colocalisation et les liaisons de raccordement).
L'Autorité considère que l'imposition de l'obligation de publication d'une offre de référence est nécessaire afin de limiter l'effet de la puissance de marché de ces opérateurs, en ce qu'elle renforce la transparence des offres de gros et permet notamment de prévenir d'éventuelles pratiques discriminatoires.
5.5. Obligations de séparation comptable et de comptabilisation des coûts
5.5.1. Obligations imposées
L'article L. 38 (I-5°) du CPCE dispose que « les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se voir imposer, (...) [d'] isoler sur le plan comptable certaines activités en matière d'interconnexion ou d'accès, ou tenir une comptabilité des services et des activités qui permette de vérifier le respect des obligations imposées au titre du présent article ».
Les obligations comptables sont actuellement imposées aux trois opérateurs métropolitains et visent à donner à l'Autorité :
― d'une part, une connaissance fine et fiable des coûts des opérateurs, notamment afin de lui permettre de mettre en œuvre, le cas échéant, un encadrement tarifaire reflétant les coûts pertinents pour l'encadrement tarifaire des marchés de la terminaison d'appel ;
― d'autre part, les moyens de vérifier la mise en œuvre de l'obligation de non-discrimination et l'absence de subventions croisées abusives sur les marchés concernés par cette obligation.
Au regard de la qualité de nouvel entrant sur le marché de la téléphonie mobile de Free Mobile et étant donné que son réseau est, pour encore plusieurs années, en phase de déploiement, l'Autorité estime qu'il n'est pas proportionné d'imposer à ce stade les mêmes obligations comptables à Free Mobile que celles auxquelles sont actuellement soumis les trois opérateurs de réseau mobile commercialement actifs en métropole.
En revanche la mise en œuvre de l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts (cf. 6.3) imposée à cet opérateur nécessite que l'Autorité puisse prendre en compte, à court ou à moyen terme, des données de coûts fiables le concernant dans l'établissement d'un référentiel de coûts commun aux opérateurs mobiles métropolitains (cf. 6.3.2).
L'Autorité souhaite ainsi imposer à Free Mobile une obligation de restitution comptable portant sur une partie des éléments que doivent restituer les opérateurs déjà en place, conformément à la décision n° 2010-0200 du 11 février 2010 (19). Free Mobile respecte ainsi l'ensemble des spécifications, principes et obligations de restitution prévus par cette décision, à l'exception de la restitution des fiches n° 3V, 4V et 5V de l'annexe H, des fiches n° 3S, 4S et 5S de l'annexe I, et de la fiche n° 4B de l'annexe J de la décision n° 2010-0200.
Cette obligation est proportionnée aux objectifs fixés au II de l'article L. 32-1 du CPCE, et en particulier les 2°, 3° et 4°. Cette obligation constitue le minimum nécessaire pour s'assurer notamment de l'absence de comportements anticoncurrentiels et de la mise en œuvre de l'obligation de pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants (cf. 6.1.2).
En revanche, l'Autorité considère qu'une obligation de séparation comptable et de restitution des coûts n'est ni proportionnée ni pertinente, s'agissant de Lycamobile et d'Oméa Télécom, en vertu de leur statut de full-MVNO qui utilise intégralement la boucle locale radio de son opérateur hôte. L'Autorité n'envisage donc pas d'imposer une telle obligation à Lycamobile et Oméa Télécom.
5.5.2. Spécifications et principes
Le format du rapport des comptes répondra au besoin du suivi spécifique des obligations portant sur le marché de gros analysé. Il devra par ailleurs fournir à l'Autorité une vision suffisamment exhaustive pour lui permettre de s'assurer de la cohérence d'ensemble du dispositif comptable mis en place.
Au titre de ces obligations, l'Autorité dispose de la possibilité d'établir en vertu de l'article D. 312 du CPCE les spécifications du système de comptabilisation des coûts, ainsi que les méthodes de valorisation et les règles d'allocation des coûts. Elle peut, par ailleurs, préciser le format et le degré de détail des comptes, pour permettre la vérification du respect des obligations de non-discrimination et de reflet des coûts, lorsqu'elles s'appliquent.
Afin d'assurer un degré d'information suffisant, les éléments pertinents du système d'information et les données comptables sont tenus à la disposition de l'Autorité, à la demande de cette dernière.
En outre, le système de comptabilisation des coûts devra être construit de manière à produire des informations pertinentes, fiables et vérifiables. Il devra donc être entouré d'un environnement de contrôle de qualité et répondre à une exigence de cohérence avec les comptes de l'entreprise ou du groupe certifiés par les commissaires aux comptes, de lisibilité et d'auditabilité, en conservant la trace de tous les calculs et de toutes les données, afin que les résultats puissent être vérifiés et interprétés sans ambiguïté.
5.5.3. Audits
L'article L. 38 du CPCE prévoit des audits du système de comptabilisation des coûts, à l'occasion desquels « le respect [des spécifications de comptabilisation des coûts établies par l'Autorité] est vérifié, aux frais de l'opérateur, par un organisme indépendant désigné par l'autorité ».
Conformément à l'article L. 38 (I-5°) du CPCE, dans la mesure où l'Autorité impose à Free Mobile une obligation de séparation comptable et de comptabilisation des coûts, les comptes produits au titre des obligations comptables et les systèmes de comptabilisation des coûts devront donc être audités annuellement par des organismes indépendants. Ces organismes seront désignés par l'Autorité. Cette vérification sera assurée aux frais de Free Mobile. Les organismes désignés publieront annuellement une attestation de conformité des comptes.
Un audit du système comptable est nécessaire pour en garantir la robustesse, la conformité avec les décisions de l'Autorité et la fiabilité des données comptables qui en découlent.
5.5.4. Décision applicable portant sur la spécification des obligations comptables
La spécification (20) des obligations comptables, auxquelles les cinq opérateurs aujourd'hui concernés sont soumis, est précisée par une décision distincte des analyses de marché. La décision applicable à ce jour est la décision n° 2010-0200 susmentionnée.
Comme vu dans la section 5.5.1, l'Autorité estime pertinent que la décision n° 2010-0200 précitée constitue la référence applicable pour la mise en œuvre de l'obligation comptable par Free Mobile. Toutefois, dès lors que de nouveaux éléments l'exigeront, l'Autorité pourra être amenée à faire à nouveau évoluer ces spécifications. Dans ce cas, comme pour les précédentes décisions de spécifications, l'Autorité mettra en œuvre ces évolutions après une phase de concertation avec les opérateurs concernés. L'Autorité renvoie à la décision n° 2010-0200 pour une description précise des spécifications applicables.
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