JORF n°0118 du 21 mai 2011

(M. ION C.)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 mars 2011 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 490 du 24 mars 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Ion C., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 3336-2 et L. 3336-3 du code de la santé publique.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 15 avril 2011 ;
Vu les observations produites pour M. Jacques P. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 15 avril 2011 ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 avril 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Louis Boré, pour le requérant, Me François Molinié pour M. P. et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 10 mai 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

  1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3336-2 du code de la santé publique : « Ne peuvent exploiter des débits de boissons à consommer sur place :
    « 1° Les personnes condamnées pour crime de droit commun ou l'un des délits prévus aux articles 225-5, 225-6, 225-7 et 225-10 du code pénal ;
    « 2° Ceux qui ont été condamnés à un mois au moins d'emprisonnement pour vol, escroquerie, abus de confiance, recel, filouterie, recel de malfaiteurs, outrage public à la pudeur, tenue d'une maison de jeux, prise de paris clandestins sur les courses de chevaux, vente de marchandises falsifiées ou nuisibles à la santé, infraction aux dispositions législatives ou réglementaires en matière de stupéfiants ou pour récidive de coups et blessures et d'ivresse publique.
    « L'incapacité est perpétuelle à l'égard de toutes les personnes mentionnées au 1°. Elle cesse cinq ans après leur condamnation à l'égard de ceux mentionnés au 2°, si pendant ces cinq années elles n'ont encouru aucune condamnation correctionnelle à l'emprisonnement. L'incapacité cesse en cas de réhabilitation.
    « L'incapacité prévue au présent article peut être prononcée contre les personnes condamnées pour le délit prévu à l'article 227-22 du code pénal » ;
  2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3336-3 du même code : « Les mêmes condamnations, lorsqu'elles sont prononcées contre un débitant de boissons à consommer sur place, entraînent de plein droit contre lui et pendant le même délai l'interdiction d'exploiter un débit, à partir du jour où lesdites condamnations sont devenues définitives. Ce débitant ne peut être employé, à quelque titre que ce soit, dans l'établissement qu'il exploitait, comme au service de celui auquel il a vendu ou loué, ou par qui il fait gérer ledit établissement, ni dans l'établissement qui est exploité par son conjoint même séparé » ;
  3. Considérant que, selon le requérant, ces dispositions instituent des sanctions attachées de plein droit à des condamnations pénales, sans que la juridiction ait à les prononcer expressément ; que, par suite, elles porteraient atteinte aux principes de nécessité et d'individualisation des peines ; qu'elles méconnaîtraient également la liberté d'entreprendre ;
  4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; qu'il s'ensuit que ces principes ne s'appliquent qu'aux peines et aux sanctions ayant le caractère d'une punition ;
  5. Considérant, d'autre part, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
  6. Considérant que, parmi les conditions exigées pour l'exploitation d'un débit de boissons, les articles L. 3336-2 et L. 3336-3 du code de la santé publique instituent une incapacité et une interdiction professionnelles ; que cette interdiction et cette incapacité sont applicables à toute personne condamnée pour un crime ou pour le délit de proxénétisme ou un délit assimilé, ainsi qu'à toute personne condamnée à une peine d'au moins un mois d'emprisonnement pour certains délits ; que ces dispositions ont pour objet d'empêcher que l'exploitation d'un débit de boissons soit confiée à des personnes qui ne présentent pas les garanties de moralité suffisantes requises pour exercer cette profession ; qu'elles n'instituent pas des sanctions ayant le caractère d'une punition ;
  7. Considérant, par suite, que, d'une part, les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 sont inopérants ; que, d'autre part, eu égard aux objectifs qu'il s'est assignés, le législateur a adopté des mesures propres à assurer une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le principe de la liberté d'entreprendre et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ;
  8. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
    Décide :

Historique des versions

Version 1

(M. ION C.)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 mars 2011 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 490 du 24 mars 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Ion C., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 3336-2 et L. 3336-3 du code de la santé publique.

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 15 avril 2011 ;

Vu les observations produites pour M. Jacques P. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 15 avril 2011 ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 avril 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Louis Boré, pour le requérant, Me François Molinié pour M. P. et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 10 mai 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3336-2 du code de la santé publique : « Ne peuvent exploiter des débits de boissons à consommer sur place :

« 1° Les personnes condamnées pour crime de droit commun ou l'un des délits prévus aux articles 225-5, 225-6, 225-7 et 225-10 du code pénal ;

« 2° Ceux qui ont été condamnés à un mois au moins d'emprisonnement pour vol, escroquerie, abus de confiance, recel, filouterie, recel de malfaiteurs, outrage public à la pudeur, tenue d'une maison de jeux, prise de paris clandestins sur les courses de chevaux, vente de marchandises falsifiées ou nuisibles à la santé, infraction aux dispositions législatives ou réglementaires en matière de stupéfiants ou pour récidive de coups et blessures et d'ivresse publique.

« L'incapacité est perpétuelle à l'égard de toutes les personnes mentionnées au 1°. Elle cesse cinq ans après leur condamnation à l'égard de ceux mentionnés au 2°, si pendant ces cinq années elles n'ont encouru aucune condamnation correctionnelle à l'emprisonnement. L'incapacité cesse en cas de réhabilitation.

« L'incapacité prévue au présent article peut être prononcée contre les personnes condamnées pour le délit prévu à l'article 227-22 du code pénal » ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3336-3 du même code : « Les mêmes condamnations, lorsqu'elles sont prononcées contre un débitant de boissons à consommer sur place, entraînent de plein droit contre lui et pendant le même délai l'interdiction d'exploiter un débit, à partir du jour où lesdites condamnations sont devenues définitives. Ce débitant ne peut être employé, à quelque titre que ce soit, dans l'établissement qu'il exploitait, comme au service de celui auquel il a vendu ou loué, ou par qui il fait gérer ledit établissement, ni dans l'établissement qui est exploité par son conjoint même séparé » ;

3. Considérant que, selon le requérant, ces dispositions instituent des sanctions attachées de plein droit à des condamnations pénales, sans que la juridiction ait à les prononcer expressément ; que, par suite, elles porteraient atteinte aux principes de nécessité et d'individualisation des peines ; qu'elles méconnaîtraient également la liberté d'entreprendre ;

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; qu'il s'ensuit que ces principes ne s'appliquent qu'aux peines et aux sanctions ayant le caractère d'une punition ;

5. Considérant, d'autre part, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

6. Considérant que, parmi les conditions exigées pour l'exploitation d'un débit de boissons, les articles L. 3336-2 et L. 3336-3 du code de la santé publique instituent une incapacité et une interdiction professionnelles ; que cette interdiction et cette incapacité sont applicables à toute personne condamnée pour un crime ou pour le délit de proxénétisme ou un délit assimilé, ainsi qu'à toute personne condamnée à une peine d'au moins un mois d'emprisonnement pour certains délits ; que ces dispositions ont pour objet d'empêcher que l'exploitation d'un débit de boissons soit confiée à des personnes qui ne présentent pas les garanties de moralité suffisantes requises pour exercer cette profession ; qu'elles n'instituent pas des sanctions ayant le caractère d'une punition ;

7. Considérant, par suite, que, d'une part, les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 sont inopérants ; que, d'autre part, eu égard aux objectifs qu'il s'est assignés, le législateur a adopté des mesures propres à assurer une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le principe de la liberté d'entreprendre et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ;

8. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

Décide :