Rapport avec l'objet de la loi
Considérant que si la différence de régime se justifie par l'existence de situations différentes, elle doit, en outre, être en rapport avec l'objet de la loi, ou ses objectifs, ou le but que s'est assigné le législateur. Ainsi vous avez précisé, à propos de la communication par voie hertzienne ou par satellite que « toute différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi se trouve prohibée » (décision no 91-304 DC du 15 février 1992).
Considérant que dans la décision de 1983, le Conseil constitutionnel considère que les dispositions instituant en matière de paiement une différence entre les particuliers selon qu'ils ont ou non leur domicile fiscal en France, se justifie par l'objet de la loi qui est de lutter contre la fraude fiscale (décision no 83-164 DC).
Considérant que le Conseil constitutionnel estime qu'une loi dont le but est d'assurer la transparence financière des entreprises de communication peut décider que des autorisations en matière de radiodiffusion et de télévision ne seront données qu'à des sociétés, car celles-ci présentent sur le plan de cette transparence plus de garanties que les particuliers ou que les associations (décision no 86-217 DC du 18 septembre 1986).
Considérant que dans l'affaire du renouvellement triennal des conseillers généraux, le Conseil constitutionnel considère que la dérogation au principe d'égalité n'apparaît que comme la conséquence d'une réforme qui répond à la volonté du législateur d'assurer la mise en oeuvre des objectifs qu'il s'est fixés, en l'espèce, assurer le regroupement des consultations électorales en évitant toute confusion dans l'esprit des électeurs (décision no 93-331 DC du 13 janvier 1994).
Dans la décision portant sur la loi de nationalisation des activités bancaires, le Conseil constitutionnel a observé que l'exclusion des banques contrôlées par des mutuelles ou des coopératives de la nationalisation n'avait aucun lien avec le but de la loi consistant à « donner aux pouvoirs publics les moyens de faire face à la crise économique, de promouvoir la croissance et de combattre le chômage ».
Considérant que le Conseil constitutionnel a estimé que l'exclusion des banques sous contrôle étranger était justifiée par le fait que leur nationalisation aurait pu susciter des difficultés internationales compromettant l'intérêt général s'attachant aux objectifs poursuivis par la nationalisation (décision no 81-132 DC du 16 janvier 1982).
Considérant que l'intérêt général peut caractériser l'objectif poursuivi par le législateur. Dans l'affaire relative à la lutte contre le tabagisme, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur a pu prévoir des différences de régime compte tenu d'un objectif tendant à lutter contre la consommation excessive d'alcool (décision no 82-152 DC du 14 janvier 1983).
L'intérêt général peut également être constitué par la bonne marche de la justice (décision no 80-127 DC du 19 janvier 1981), la continuité du service public (décision no 87-229 DC du 22 juillet 1987), la « préservation de la vocation spécifique du Crédit agricole au service du monde agricole et rural » (décision no 87-232 DC du 7 janvier 1988) ou encore l'incitation à la création et au développement des fondations et associations à caractère culturel (décision no 84-184 DC du 29 décembre 1984).
Sur la finalité de la loi sur la communication :
Considérant que la loi justifie la différence de traitement entre câblo-opérateurs et distributeurs de services par satellite, par « la situation de monopole local de droit ou de fait dans laquelle se trouvent la quasi-totalité des câblo-opérateurs sur une zone considérée » (rapport Assemblée nationale, no 1578, p. 245).
Considérant qu'il est disproportionné et contradictoire de vouloir résoudre une difficulté en droit de la concurrence (l'éventuelle existence d'un monopole local) par une atteinte plus grave et plus générale. Cette atteinte consiste dans la discrimination au regard du droit à l'égalité concurrentielle entre opérateurs sur le même marché. En effet, l'exigence de l'autorisation posée par la loi limite les libertés d'établissement et d'entreprendre des câblo-opérateurs par rapport aux exploitants par satellite alors que la différence entre eux réside essentiellement sur les moyens techniques pour assurer l'exploitation. En cela, cette règle spécifique n'est pas de nature à favoriser le développement d'une concurrence effective entre les câblo-opérateurs et les distributeurs par satellite. Par ailleurs, la mesure est manifestement disproportionnée au regard de l'objectif de libre concurrence visé par la loi. Rappelons à cet égard que le principe de proportionnalité tel que défini par la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE, 21 octobre 1999, aff. C-67/98 ; CJCE octobre 1995, aff. C-55/94) pour la libre prestation de services exige que l'ampleur de la réglementation ne dépasse pas le niveau nécessaire à la réalisation de l'objectif visé.
Considérant que s'il apparaît vraiment qu'un câblo-opérateur jouit d'un pouvoir de marché significatif sur un marché local et que les éléments d'un abus de position dominante se trouvent réunis, il convient de faire jouer les dispositions relevant du droit français et européen de la concurrence.
Considérant que la mesure spécifique ne correspond pas à l'objectif de la loi qui est d'adopter le droit applicable au secteur privé de l'audiovisuel afin d'accompagner la constitution des nouveaux services et d'encourager le renforcement de grands groupes privés français capables de s'affirmer au plan international dans des conditions qui respectent la libre concurrence, l'indépendance de la formation et le pluralisme des opérateurs et de la création.
Considérant que précisément la différence de traitement entre les opérateurs est contraire à l'objectif majeur de pluralisme poursuivi par le législateur. D'ailleurs, le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 4e section, 3e chambre, 28 juin 1999) a déjà eu l'occasion de sanctionner une différence de traitement entre ces deux catégories d'opérateurs portant atteinte au droit à la pluralité des sources d'information offertes au public sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Considérant que le Conseil constitutionnel a enfin affirmé que l'objectif de ce principe à valeur constitutionnelle vise à ce que « les auditeurs et les téléspectateurs, qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789, soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché » (décision no 86-217 DC du 18 octobre 1986). La différence de régime applicable aux câblo-opérateurs et aux opérateurs par satellite porterait atteinte à ce principe dans la mesure où « la libre communication ne serait pas effective si le public n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant d'informations de tendance et de caractère différents » (décision no 84-181 DC du 10 octobre 1984).
Sur les dispositions du I de l'article 58 de la loi sur la liberté de communication :
Considérant que le paragraphe I de l'article 58 de la loi sur la liberté de communication introduit à l'article 34 de la loi du 30 septembre 1986 un quatrième alinéa ainsi rédigé : « Pour le territoire de la Polynésie française, un tel réseau peut comporter une ou plusieurs liaisons radioélectriques permettant la réception directe ou individuelle par les foyers abonnés des signaux transportés. »
Considérant que ce dispositif, de par sa rédaction même, ne concerne que les opérateurs de réseau installés en Polynésie française, à l'exclusion de toute autre partie du territoire de la République.
Considérant qu'aucun argument n'a été avancé, lors de la présentation de cet amendement, pour justifier cette disposition dérogatoire sinon qu'il convenait de pallier les problèmes de réception hertzienne et les difficultés de câblage. Cette rupture d'égalité devant la loi n'étant justifiée ni par des motifs d'intérêt général, ni par la situation particulière de la Polynésie française, les mêmes difficultés devant se rencontrer dans d'autres parties du territoire de la République, doit être considérée comme inconstitutionnelle.
Considérant que la rédaction du texte est de surcroît en contradiction avec les autres dispositions de l'article 34 de la loi du 30 septembre 1986 qui ne traite que des réseaux distribuant par câble des services de radiodiffusion sonore et de télévision, laisse entendre que les réseaux, comportant une ou plusieurs liaisons radioélectriques, peuvent être installés sans au préalable avoir reçu l'autorisation d'usage de la ou des fréquences nécessaires par l'autorité compétente en vertu de l'article 21 de la loi du 30 septembre 1986.
En conséquence, les articles 58 et 60 de la loi sur la liberté de communication doivent être considérés comme contraires à la Constitution, portant atteinte au principe d'égalité reconnu principe constitutionnel.
Pour l'ensemble des motifs exposés ci-dessus, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
(Liste des signataires : voir décision no 2000-433 DC.)
1 version