- La loi est contraire au principe d'égalité
figurant dans la Constitution française
Constat du traitement différencié des câblo-opérateurs
et des distributeurs par satellite
Considérant que la loi modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication traite différemment les câblo-opérateurs et les distributeurs par satellite.
Ainsi les articles 58 et 60 prévoient deux régimes différents.
Considérant que l'article 58 soumet l'exploitation initiale de réseaux câblés au régime de l'autorisation préalable. En substance, le pouvoir de décision appartient au CSA sur proposition des communes ou groupements de communes. L'autorisation délivrée précise « sa durée ainsi que la composition et la structure de l'offre de services, ses modalités de commercialisation et tout accord de commercialisation du système d'accès sous condition ».
L'autorisation peut comporter des obligations dont elle définit les modalités de contrôle. Il s'agit des obligations concernant :
- la reprise des services reçus par voie hertzienne ;
- la composition et la structure de l'offre de services, notamment la proportion minimale de services indépendants du distributeur et de ses actionnaires.
L'autorisation peut comporter d'autres points :
- l'affectation d'un canal local à temps complet ou partagé à la commune ou au groupement de communes intéressées ;
- l'affectation d'un canal associatif à temps complet ou partagé ;
- la distribution d'un nombre minimal de programmes propres ;
- le paiement pour l'exploitant d'une redevance aux communes.
Considérant que le CSA doit veiller à ce que la composition de l'offre soit conforme à l'intérêt public au regard de la variété des services proposés, de l'équilibre des relations énonomiques avec les éditeurs de service et, s'agissant des services conventionnés, de la contribution de ceux-ci à la production.
Considérant que cet article confère au CSA le pouvoir de s'opposer - par décision motivée - à toute modification de la composition et de la structure d'une offre.
Considérant que l'article 60 du projet organise pour les distributeurs de services par satellite un régime moins contraignant de simple déclaration préalable. Cette déclaration est accompagnée d'un dossier précisant la composition et la structure de l'offre de services, ses modalités de commercialisation, l'équilibre économique avec les éditeurs de services, la composition du capital de la société ainsi que tout accord de commercialisation du système d'accès sous condition. Certes, le CSA conserve le droit de s'opposer à l'exploitation par décision motivée, dans le délai d'un mois suivant la déclaration initiale ou la notification d'une modification de la composition et de la structure de l'offre de services. Mais, il ne peut user de ce pouvoir que pour autant que l'offre ou sa modification ne satisfait pas à des obligations minimales qui seront précisées par décret en Conseil d'Etat. Ces obligations portent sur les pourcentages de services qui doivent être assurés en langue française et sur l'indépendance de ces services en langue française à l'égard du distributeur.
Compte tenu des éléments présentés ci-dessus, on mesure l'inégalité de traitement dont les deux opérateurs font l'objet.
Considérant que le tribunal de grande instance de Bayonne a rendu un jugement, confirmé en appel le 27 juin 2000 par la cour d'appel de Pau (76/2000), relatif à la différence de traitement entre câblo-opérateurs et opérateurs par satellite et qui stipule qu'en « soumettant le câble à un régime d'autorisation d'exploitation qui n'existe pas pour le satellite, l'article 34, alinéa 5, de la loi du 30 septembre 1986, est contraire à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Considérant que le principe d'égalité est reconnu comme principe général du droit communautaire par la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE, 10 octobre 1977, aff. Jtes 117/76 et 16/77, Ruckdeschel c/ Hauptzollamt Hamburg St. Annen) et comme principe constitutionnel en droit français (décision no 73-51 DC du 29 décembre 1973). Ainsi, selon un considérant désormais classique, le Conseil constitutionnel a jugé que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qu'il établit » (décisions no 232 DC du 7 janvier 1988, no 302 DC du 30 décembre 1991, no 304 DC du 15 janvier 1992 et no 348 DC du 3 août 1994).
Considérant que dans les décisions de 1979 (no 78-101 DC du 17 janvier 1979) et de 1986 (no 86-209 DC du 3 juillet 1986), vous déclariez que « si le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi établisse des règles non identiques à l'égard des personnes se trouvant dans des situations différentes, il n'en est ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation ».
Par situation différente, le Conseil constitutionnel entend les différences relatives à la condition et celles relatives à l'activité.
La recherche de différences dans la condition est inopérante ici, puisque les câblo-opérateurs et les opérateurs par satellite ont la qualité d'exploitants de réseau et aucun élément afférent à leurs conditions ne peut être à la source d'un traitement différencié. Il faut donc rechercher s'il existe des différences liées aux activités. Sur ce point, vous avez jugé au cas par cas.
Considérant que le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur peut édicter des dispositions fiscales différentes pour des activités professionnelles différentes, en l'espèce des activités agricoles, d'une part, et artisanales et commerciales, d'autre part (décision no 83-164 DC du 29 décembre 1983).
Considérant que le Conseil constitutionnel a jugé que la contribution particulière imposée aux différentes catégories d'institutions financières telles que les banques, les établissements financiers, les établissements de crédit à statut légal spécial, les établissements de crédit différé, les entreprises d'assurance, de capitalisation et de réassurance ainsi que les sociétés immobilières pour le financement du commerce et de l'industrie, était justifiée par leur domaine d'activité différent de celui des autres entreprises industrielles, commerciales ou agricoles (décision no 84-184 DC du 29 décembre 1984).
Considérant que le Conseil constitutionnel a estimé que l'application d'un taux réduit de TVA aux exploitants d'un service municipal de l'eau était justifiée par la différence entre les prestations fournies dans le cadre du service municipal et les prestations portant sur des installations privées (décision no 84-186 DC du 29 décembre 1984). Vous avez fait application de la notion d'activité différente en matière de fonction publique. Vous avez indiqué que les fonctionnaires du même corps mais occupant des emplois différents peuvent être soumis à des règles différentes concernant la limite d'âge (décision no 84-179 DC du 12 septembre 1984). En l'espèce, il s'agissait, d'une part, des fonctions de vice-président du Conseil d'Etat, de premier président et de procureur général de la Cour des comptes, et, d'autre part, de celles des autres membres de ces deux institutions.
Considérant que le Conseil constitutionnel a jugé qu'en matière d'audiovisuel, des aides publiques peuvent être réservées à des associations qui ne recourent pas à la publicité et refusées à celles qui y recourent (décision no 84-176 du 25 juillet 1984).
Considérant que le Conseil constitutionnel a jugé que les établissements commerciaux qui sont sûrs d'écouler leur production dès leur installation, peuvent être assujettis à la taxe professionnelle alors que tous les autres établissements sont dispensés de cette taxe (décision no 79-112 DC du 9 janvier 1980).
Considérant que le Conseil constitutionnel a jugé que les banques mutualistes ou coopératives ne sont ni par les caractères spécifiques de leurs statuts ni par la nature de leur activité dans une situation différente des autres établissements bancaires et ne peuvent donc être exclues du champ de la nationalisation (décision no 81-132 DC du 16 janvier 1982).
Considérant que, compte tenu de la jurisprudence qui précède, aucun élément, en terme d'activité, ne peut légitimement différencier câblo-opérateurs et opérateurs satellite. L'analyse concurrentielle montre que ces opérateurs exercent leurs activités sur un même marché, en l'espèce le marché de la télévision à péage. La différence technologique qui distingue les uns des autres n'est qu'accessoire ; la distinction ne peut qu'être neutralisée pour que soit préservée, sur ce marché unique, la faculté des différents opérateurs à se concurrencer à armes égales. L'existence d'un marché unique de produits distincts postule le respect, par le législateur, d'une neutralité technologique sans faille.
Sur la notion de marché de produits distincts :
Considérant qu'en droit français, la cour d'appel de Paris (CA 15 juin 1999, GP 1er janvier 2000, p. 5) s'est prononcée sur la position dominante de la société Canal Plus sur le marché de la télévision à péage. Elle a énoncé que « l'existence de trois modalités d'acheminement de la télévision à péage ne constitue pas un critère de segmentation du marché dans la mesure où les produits offerts présentent toujours une même finalité et une similarité importante dans le contenu des programmes offerts ». Il en ressort que la nature du support qui n'est qu'une variante technique d'accès ne caractérise pas trois sous-marchés distincts.
Considérant que la Commission européenne a reconnu que les systèmes de distribution par câble ou par satellite participent à la distribution d'un même produit, en l'occurrence l'offre de services de télévision à péage. Dans sa décision TPS (décision du 3 mars 1998, Journal officiel des Communautés européennes no L 90-6 du 2 avril 1999), elle retient en effet, que les « câblo-opérateurs commercialisent la plupart des chaînes reprises dans les offres des plates-formes satellites (...) ce qui rend leur contenu similaire à celui de l'offre du satellite ». Elle en conclut que cette substituabilité entre la télévision à péage par câble et la télévision à péage par satellite permet d'inclure dans un même marché ces différents supports de diffusion offrant des services identiques au consommateur.
Dans ces conditions, dès lors que les câblo-opérateurs et les distributeurs de services par satellite offrent aux consommateurs finaux les mêmes services sur un marché où ils se trouvent en concurrence, une différence de traitement ne saurait être justifiée.
Sur la notion de différence technologique :
Considérant que la loi justifie le traitement du câblo-opérateur sur le fondement du monopole local. Cet éventuel monopole repose à son tour sur la particularité technologique du câble. L'élément proprement technique joue donc un rôle discriminant essentiel qui va à l'encontre des évolutions constatées et en particulier des recommandations communautaires. En effet, la Commission européenne propose d'instaurer un nouveau cadre couvrant toutes les infrastructures de communications et services liés à l'accès à ces infrastructures. Dans sa communication « Vers un nouveau cadre pour les infrastructures de communications électroniques et les services associés - Réexamen 1999 du cadre réglementaire des communications» (COM 1999 539 final, 10 novembre 1999), la Commission vise en particulier le principe de neutralité technologique qui devrait conduire à traiter de manière homogène toutes les infrastructures de réseaux et les services associés indépendamment des types de services auxquels ces réseaux servent de vecteur. Il est intéressant de noter qu'un large consensus a été observé sur cette question à la suite de la consultation publique organisée par la Commission sur le réexamen du cadre des communications et lignes directrices pour le nouveau cadre réglementaire (COM 2000 239, 26 avril 2000). Ce concept introduit par la Commission européenne est de nature à favoriser le développement d'une concurrence entre les câblo-opérateurs et les distributeurs de services par satellite en leur réservant une égalité de traitement. Il devrait, en principe, figurer dans les cinq propositions de directives de la Commission dont le Conseil européen a recommandé l'adoption d'ici à 2001. Le principe de neutralité technologique résulte de la convergence technologique qui signifie que des services qui passaient autrefois par un nombre limité de réseaux de communication, peuvent désormais fonctionner sur plusieurs réseaux concurrents.
Considérant que compte tenu de ces évolutions, le principe de neutralité technologique ne peut conduire à un traitement différencié entre câblo-opérateurs et distributeurs par satellite.
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