- Sur les atteintes au droit de propriété
et à la liberté individuelle
Sur la méconnaissance du droit de propriété
La décision no 98-403 DC du 29 juillet 1998, rendue par le conseil à propos de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, illustre bien le mode de conciliation que le législateur doit respecter entre l'objectif constitutionnel que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent et le droit de propriété, protégé par la Constitution. Il en ressort que le législateur ne peut pas justifier par l'objectif toutes les atteintes portées au droit. Entre l'objectif à valeur constitutionnelle (logement) et le principe constitutionnel (propriété), la conciliation n'est pas « mise en balance » mais fixation d'une « limite à ne pas franchir » (au profit du principe).
Le législateur doit, à raison de l'objectif de valeur constitutionnelle, assigner une finalité précise à la recherche de l'intérêt général dans le domaine du logement. Mais cette recherche ne doit pas conduire à dénaturer le droit de propriété. Le fait que la possibilité d'obtenir un logement décent soit seulement un objectif de valeur constitutionnelle prend ici toute son importance. En effet, s'il s'était agi d'un droit fondamental, le Conseil constitutionnel aurait contrôlé la conciliation opérée entre deux droits fondamentaux, à savoir le droit de propriété et le droit à un logement décent. Par contre, étant en présence d'un simple fondement constitutionnel à la compétence du législateur, il s'assure que l'exercice de celle-ci ne porte pas atteinte de façon trop importante au droit fondamental de propriété.
Ainsi, la décision du 29 juillet 1998 a posé une véritable limite à l'extension de cet objectif de valeur constitutionnelle, en rappelant que le droit de propriété et le régime de la propriété, définis par le législateur, sont des droits fondamentaux qui ne peuvent supporter certaines atteintes graves, sous peine de dénaturation de ce droit de propriété. En se fondant tant sur les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et sur le seizième alinéa de l'article 34 de la Constitution, qui dispose que la loi détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales », elle précise que « s'il appartient au législateur de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, et s'il lui est loisible, à cette fin, d'apporter au droit de propriété les limitations qu'il estime nécessaires, c'est à la condition que celles-ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ; que doit aussi être sauvegardée la liberté individuelle ».
Or, au regard de cette jurisprudence, il apparaît que l'article 187 du texte déféré porte gravement atteinte au droit de propriété, alors que la seule référence au critère pour le moins imprécis de décence ne saurait tenir lieu de motif d'intérêt général défini avec une précision suffisante, constamment exigé par la jurisprudence constitutionnelle dans ce cas (voir notamment C. const., no 85-189 DC du 17 juillet 1985, Rec. 49).
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