JORF n°289 du 14 décembre 2000

Sur les atteintes à la liberté individuelle

Enfin, l'ensemble du dispositif prévu par l'article 187 porte atteinte au principe général de liberté énoncé par l'article 4 de la Déclaration de 1789 à travers deux de ses modalités essentielles, puisque le bailleur se voit à la fois privé de la libre disposition de son bien et de la plénitude de sa liberté contractuelle, alors que le motif d'intérêt général invoqué est insuffisamment précisé par la loi pour justifier la méconnaissance de principes constitutionnels aussi fondamentaux que la liberté et la propriété.

Il ressort en effet de la décision du Conseil constitutionnel de 1998, rendue à propos de la loi relative à la lutte contre les exclusions, que la défense du droit de propriété s'inscrit dans le prolongement et en tant que complément de la liberté individuelle du bailleur. En l'espèce, l'insuffisante définition législative des critères de la « décence » porte donc non seulement atteinte au droit de propriété, mais aussi par là au principe de liberté individuelle. Or, le bloc de constitutionnalité mis en oeuvre par la jurisprudence constitutionnelle impose de faire prévaloir des droits aussi essentiels que le droit de propriété et la liberté individuelle sur l'objectif du logement décent, même de valeur constitutionnelle, dès lors que le législateur, en méconnaissant sa compétence, ne précise pas suffisamment les modalités de mise en oeuvre de cet objectif, franchissant ainsi la limite des atteintes admises à ces droits essentiels.

Par ailleurs, l'article 187 du texte de loi porte atteinte à la liberté des conventions entre bailleur et locataire et donc plus généralement à la liberté contractuelle et à la sécurité juridique des conventions.

En effet, la possible remise en cause des conditions admises par le bail, en particulier la possible réduction de loyer, touche le coeur de la relation contractuelle entre propriétaire et locataire. Or, la jurisprudence constitutionnelle considère que « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 » (C. const., no 98-401 DC, 10 juin 1998, Première loi sur les 35 heures, Rec. 258). Cette position a été reprise dans la décision relative à la loi portant création d'une couverture maladie universelle (C. const., no 99-416 DC, 23 juillet 1999, Rec. 100), le Conseil précisant que seul un motif d'intérêt général peut permettre au législateur d'apporter des modifications aux contrats en cours.

Ce raisonnement se fonde sur un principe général sous-jacent qui est celui de la sécurité juridique et qui conduit le Conseil constitutionnel à vérifier l'existence de motifs d'intérêt général suffisamment pertinents pour remettre en cause des situations acquises. Il a dernièrement conduit le Conseil à censurer une disposition de la seconde loi sur les 35 heures qui remettait en cause les conventions passées sous le régime de la première loi sur les 35 heures sans motif d'intérêt général suffisant (C. const., no 99-423 DC, 13 janvier 2000, JO, 20 janvier 2000, p. 992 et s.).

Or, l'article 187 du présent texte, à travers la possibilité qu'il institue de remettre en cause a posteriori le bail pour le motif de non-respect de l'exigence de « décence », dont on a vu qu'il n'était pas plus précisément défini par la loi, porte une atteinte excessive et non justifiée à la stabilité des conventions et donc au principe de sécurité juridique.

Au vu de tous ces éléments, il apparaît que la question du « logement décent » doit s'apprécier comme un objectif à atteindre qui nécessite une définition précise et objective de ses critères par le législateur, sous peine de porter atteinte, au travers de cette incompétence négative, au droit de propriété et à la stabilité des conventions et par là à la liberté individuelle. De plus, les différences prévisibles d'appréciation de la « décence » par l'administration et le juge portent également atteinte au principe d'égalité, tant en ce qui concerne les bailleurs que les locataires. La nécessaire conciliation entre l'objectif et ces différents principes de valeur constitutionnelle n'est ainsi pas assurée, au détriment de ces derniers comme du niveau de protection garantie au premier. En conséquence, l'article 187 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution.


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Sur les atteintes à la liberté individuelle

Enfin, l'ensemble du dispositif prévu par l'article 187 porte atteinte au principe général de liberté énoncé par l'article 4 de la Déclaration de 1789 à travers deux de ses modalités essentielles, puisque le bailleur se voit à la fois privé de la libre disposition de son bien et de la plénitude de sa liberté contractuelle, alors que le motif d'intérêt général invoqué est insuffisamment précisé par la loi pour justifier la méconnaissance de principes constitutionnels aussi fondamentaux que la liberté et la propriété.

Il ressort en effet de la décision du Conseil constitutionnel de 1998, rendue à propos de la loi relative à la lutte contre les exclusions, que la défense du droit de propriété s'inscrit dans le prolongement et en tant que complément de la liberté individuelle du bailleur. En l'espèce, l'insuffisante définition législative des critères de la « décence » porte donc non seulement atteinte au droit de propriété, mais aussi par là au principe de liberté individuelle. Or, le bloc de constitutionnalité mis en oeuvre par la jurisprudence constitutionnelle impose de faire prévaloir des droits aussi essentiels que le droit de propriété et la liberté individuelle sur l'objectif du logement décent, même de valeur constitutionnelle, dès lors que le législateur, en méconnaissant sa compétence, ne précise pas suffisamment les modalités de mise en oeuvre de cet objectif, franchissant ainsi la limite des atteintes admises à ces droits essentiels.

Par ailleurs, l'article 187 du texte de loi porte atteinte à la liberté des conventions entre bailleur et locataire et donc plus généralement à la liberté contractuelle et à la sécurité juridique des conventions.

En effet, la possible remise en cause des conditions admises par le bail, en particulier la possible réduction de loyer, touche le coeur de la relation contractuelle entre propriétaire et locataire. Or, la jurisprudence constitutionnelle considère que « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 » (C. const., no 98-401 DC, 10 juin 1998, Première loi sur les 35 heures, Rec. 258). Cette position a été reprise dans la décision relative à la loi portant création d'une couverture maladie universelle (C. const., no 99-416 DC, 23 juillet 1999, Rec. 100), le Conseil précisant que seul un motif d'intérêt général peut permettre au législateur d'apporter des modifications aux contrats en cours.

Ce raisonnement se fonde sur un principe général sous-jacent qui est celui de la sécurité juridique et qui conduit le Conseil constitutionnel à vérifier l'existence de motifs d'intérêt général suffisamment pertinents pour remettre en cause des situations acquises. Il a dernièrement conduit le Conseil à censurer une disposition de la seconde loi sur les 35 heures qui remettait en cause les conventions passées sous le régime de la première loi sur les 35 heures sans motif d'intérêt général suffisant (C. const., no 99-423 DC, 13 janvier 2000, JO, 20 janvier 2000, p. 992 et s.).

Or, l'article 187 du présent texte, à travers la possibilité qu'il institue de remettre en cause a posteriori le bail pour le motif de non-respect de l'exigence de « décence », dont on a vu qu'il n'était pas plus précisément défini par la loi, porte une atteinte excessive et non justifiée à la stabilité des conventions et donc au principe de sécurité juridique.

Au vu de tous ces éléments, il apparaît que la question du « logement décent » doit s'apprécier comme un objectif à atteindre qui nécessite une définition précise et objective de ses critères par le législateur, sous peine de porter atteinte, au travers de cette incompétence négative, au droit de propriété et à la stabilité des conventions et par là à la liberté individuelle. De plus, les différences prévisibles d'appréciation de la « décence » par l'administration et le juge portent également atteinte au principe d'égalité, tant en ce qui concerne les bailleurs que les locataires. La nécessaire conciliation entre l'objectif et ces différents principes de valeur constitutionnelle n'est ainsi pas assurée, au détriment de ces derniers comme du niveau de protection garantie au premier. En conséquence, l'article 187 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution.