JORF n°289 du 14 décembre 2000

  1. Sur l'incompétence négative du législateur

et ses conséquences

En effet, les requérants soutiennent que la rédaction de l'article 187, qui se contente d'énoncer le critère de « décence » du logement sans le préciser davantage, ne respecte pas les exigences constitutionnelles quant à la mise en oeuvre d'un objectif de valeur constitutionnelle et à sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle.

En effet, la compétence constitutionnellement reconnue au législateur pour fixer « les principes fondamentaux (...) du régime de la propriété » (article 34 de la Constitution) lui impose d'inscrire dans la loi les critères de la « décence » du logement, afin de préciser le contenu et l'étendue des obligations du bailleur. A défaut de critères législatifs précisément définis, il est impossible de déterminer les atteintes éventuelles portées au droit de propriété et donc d'apprécier la portée et les termes de la conciliation opérée entre l'objectif constitutionnel du droit au logement et le principe constitutionnel du droit de propriété.

L'absence de tels critères législatifs précisément énumérés constitue un cas d'incompétence négative du législateur. Or, dans sa décision précitée no 94-359 DC du 19 janvier 1995 (Rec. 176) portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, le conseil avait précisé « qu'il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ». Autrement dit, la mise en oeuvre de cet objectif de valeur constitutionnelle doit respecter les règles constitutionnelles de répartition des compétences, qui distinguent clairement le domaine législatif du domaine réglementaire.

De plus, en ne précisant pas davantage les critères de la « décence » du logement, le législateur non seulement méconnaît sa compétence constitutionnelle en contrariété avec les règles de répartition des compétences prévues par les articles 34 et 37 de la Constitution, mais aussi prive de garanties légales un objectif à valeur constitutionnelle, en contrariété avec une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel (C. const., no 84-185 DC du 18 janvier 1985, Rec. 36 ; no 94-348 DC du 3 août 1994, Rec. 117). Il en résulte que la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle pourrait être modifiée à l'avenir par voie réglementaire ou jurisprudentielle sans bénéficier de la garantie constitutionnelle que représente l'intervention du législateur. Elle se verrait donc aussi privée du bénéfice de la jurisprudence constitutionnelle à « l'effet cliquet » qui n'accepte les modifications législatives que dans le sens de l'augmentation des garanties constitutionnelles et les refuse lorsqu'elles aboutiraient à une réduction de celles-ci. De plus, on pourrait assister à de grandes disparités d'appréciation de la « décence », génératrices d'atteintes au principe d'égalité, ces atteintes pouvant d'ailleurs toucher autant les locataires que les propriétaires.

Il aurait donc fallu non seulement que ces critères de « décence » soient inscrits précisément dans la loi, mais encore qu'ils y soient définis de la façon la plus objective possible, afin d'éviter qu'ils puissent être l'objet d'interprétations tendancieuses de la part du locataire ou du propriétaire, par exemple en se référant à ceux énoncés par le Conseil national de l'habitat, c'est-à-dire, entre autres, la sécurité, un minimum de confort ainsi que le bon usage de l'immeuble fait par les parties.

Cette absence de critères législatifs objectifs pour évaluer la « décence » d'un logement laisse de plus planer une grande incertitude sur les critères qui pourraient être utilisés par le juge, éventuellement amené, aux termes de l'article 85 A, à déterminer la nature des travaux à réaliser ainsi que le délai de leur exécution et même à réduire le montant du loyer. Cette absence d'encadrement législatif de l'intervention du juge risque de porter atteinte tant aux éléments du droit de propriété, qu'à la liberté des conventions et au principe d'égalité. En effet, l'appréciation portée par le juge sur la « décence » du logement pourra profiter, ou au contraire nuire, tant au bailleur qu'au locataire, selon la façon dont cette décence sera appréciée par un juge ou par un autre.


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Version 1

2. Sur l'incompétence négative du législateur

et ses conséquences

En effet, les requérants soutiennent que la rédaction de l'article 187, qui se contente d'énoncer le critère de « décence » du logement sans le préciser davantage, ne respecte pas les exigences constitutionnelles quant à la mise en oeuvre d'un objectif de valeur constitutionnelle et à sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle.

En effet, la compétence constitutionnellement reconnue au législateur pour fixer « les principes fondamentaux (...) du régime de la propriété » (article 34 de la Constitution) lui impose d'inscrire dans la loi les critères de la « décence » du logement, afin de préciser le contenu et l'étendue des obligations du bailleur. A défaut de critères législatifs précisément définis, il est impossible de déterminer les atteintes éventuelles portées au droit de propriété et donc d'apprécier la portée et les termes de la conciliation opérée entre l'objectif constitutionnel du droit au logement et le principe constitutionnel du droit de propriété.

L'absence de tels critères législatifs précisément énumérés constitue un cas d'incompétence négative du législateur. Or, dans sa décision précitée no 94-359 DC du 19 janvier 1995 (Rec. 176) portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, le conseil avait précisé « qu'il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ». Autrement dit, la mise en oeuvre de cet objectif de valeur constitutionnelle doit respecter les règles constitutionnelles de répartition des compétences, qui distinguent clairement le domaine législatif du domaine réglementaire.

De plus, en ne précisant pas davantage les critères de la « décence » du logement, le législateur non seulement méconnaît sa compétence constitutionnelle en contrariété avec les règles de répartition des compétences prévues par les articles 34 et 37 de la Constitution, mais aussi prive de garanties légales un objectif à valeur constitutionnelle, en contrariété avec une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel (C. const., no 84-185 DC du 18 janvier 1985, Rec. 36 ; no 94-348 DC du 3 août 1994, Rec. 117). Il en résulte que la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle pourrait être modifiée à l'avenir par voie réglementaire ou jurisprudentielle sans bénéficier de la garantie constitutionnelle que représente l'intervention du législateur. Elle se verrait donc aussi privée du bénéfice de la jurisprudence constitutionnelle à « l'effet cliquet » qui n'accepte les modifications législatives que dans le sens de l'augmentation des garanties constitutionnelles et les refuse lorsqu'elles aboutiraient à une réduction de celles-ci. De plus, on pourrait assister à de grandes disparités d'appréciation de la « décence », génératrices d'atteintes au principe d'égalité, ces atteintes pouvant d'ailleurs toucher autant les locataires que les propriétaires.

Il aurait donc fallu non seulement que ces critères de « décence » soient inscrits précisément dans la loi, mais encore qu'ils y soient définis de la façon la plus objective possible, afin d'éviter qu'ils puissent être l'objet d'interprétations tendancieuses de la part du locataire ou du propriétaire, par exemple en se référant à ceux énoncés par le Conseil national de l'habitat, c'est-à-dire, entre autres, la sécurité, un minimum de confort ainsi que le bon usage de l'immeuble fait par les parties.

Cette absence de critères législatifs objectifs pour évaluer la « décence » d'un logement laisse de plus planer une grande incertitude sur les critères qui pourraient être utilisés par le juge, éventuellement amené, aux termes de l'article 85 A, à déterminer la nature des travaux à réaliser ainsi que le délai de leur exécution et même à réduire le montant du loyer. Cette absence d'encadrement législatif de l'intervention du juge risque de porter atteinte tant aux éléments du droit de propriété, qu'à la liberté des conventions et au principe d'égalité. En effet, l'appréciation portée par le juge sur la « décence » du logement pourra profiter, ou au contraire nuire, tant au bailleur qu'au locataire, selon la façon dont cette décence sera appréciée par un juge ou par un autre.