- Sur l'insuffisante conciliation entre l'objectif
et les principes à valeur constitutionnelle
La décision no 94-359 DC du 19 janvier 1995 (Rec. 176), portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, a érigé « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent » comme « un objectif de valeur constitutionnelle », fondé sur le dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », sur le onzième alinéa de ce préambule, aux termes duquel la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens considérables d'existence » et sur le principe de valeur constitutionnelle de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel à propos des éléments constitutifs essentiels de la personne humaine (décision no 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Lois Bioéthique, Rec. 100), et ainsi étendu à ses conditions d'existence. Aux termes de la jurisprudence constitutionnelle, la « décence » du logement ne peut ainsi correspondre qu'à la mise en oeuvre d'un objectif de valeur constitutionnelle que seul le législateur est compétent pour mettre en oeuvre. L'objectif est assigné au pouvoir législatif en vue de réaliser certains droits fondamentaux constitutionnels, tels que la dignité de la personne humaine, la protection de la santé, la sécurité matérielle. Il n'existe donc pas de droit constitutionnel à un logement décent, énoncé nulle part dans le texte de la Constitution, mais un objectif qui forme une limitation au pouvoir discrétionnaire du législateur.
Or, dans la mise en oeuvre de cet objectif de valeur constitutionnelle, il appartient au législateur d'opérer, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, une véritable conciliation entre le contenu de l'objectif et les autres principes de valeur constitutionnelle, sans réduire la portée d'aucun. A cet égard, la mise en application par le législateur de l'objectif constitutionnel de possession d'un logement décent doit certes respecter les principes généraux de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que les dispositions des dixième et onzième alinéas du préambule de 1946, comme l'indique la décision du 19 janvier 1995, mais ne doit en aucun cas négliger de respecter d'autres droits de même valeur constitutionnelle.
Cette conciliation doit prendre en compte la consécration par le Conseil constitutionnel non pas d'un « droit au logement » de caractère général et absolu mais d'un objectif potestatif, sur le terrain d'un « droit-liberté » (ne pas se voir interdire...) et non d'un droit-créance (être certain d'obtenir...). En conséquence, c'est en tant que fondement constitutionnel à la compétence du législateur que la possibilité d'obtenir un logement a été consacrée. Elle s'apparente à un objectif à atteindre mais en aucun cas à un droit à réaliser de façon absolue et dans toutes les situations, au détriment d'autres droits de même valeur constitutionnelle.
Or, le texte déféré n'opère pas cette nécessaire conciliation, en contrariété avec les exigences posées par la jurisprudence constitutionnelle. En particulier, l'article 85 A porte des atteintes excessives et non justifiées au droit de propriété.
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