LOI OUVRANT LE MARIAGE AUX COUPLES
DE PERSONNES DE MÊME SEXE
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe aux fins de déclarer les articles 1er, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 21 et 22 contraires aux principes d'intelligibilité de la loi et d'égalité, au respect de la vie privée et familiale, et à l'obligation du législateur d'assurer à l'individu les conditions nécessaires à son développement, ainsi qu'aux articles 1er, 34, 38, 55, 69, 74 et 77 de la Constitution, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du Préambule de 1946.
- Sur l'insuffisance manifeste des travaux préparatoires
Les auteurs de la saisine tiennent à souligner la particulière insuffisance de l'étude d'impact alors même que ce texte entraîne un bouleversement majeur de société ; ils tiennent à ajouter qu'aucun des avis obligatoires ou facultatifs requis n'a été favorable à la loi déférée et que le texte contient des contradictions et lacunes qui sont autant d'incitations à frauder la loi.
Ces éléments montrent, entre autres, que la loi déférée ne respecte pas le principe d'intelligibilité de la loi, régulièrement réaffirmé par votre Conseil.
1.1.1. En vertu de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, les projets de loi doivent être accompagnés d'une étude d'impact dont les documents doivent exposer « avec précision » notamment : l'impact du projet de loi sur l'ordre juridique interne, l'état d'application du droit dans le ou les domaines visés ; les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ; les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités d'outre-mer, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ; l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ; les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'Etat ; la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires.
Or, le rapport rendant compte de cette étude est notoirement insuffisant et ne répond pas aux exigences posées par le législateur organique. Il n'a donc pu mettre le Parlement en mesure d'apprécier sincèrement les considérables impacts de la loi, tant sur le plan juridique interne et international que sur le plan social.
1.1.2. Les auteurs de la saisine ont notamment relevé de graves carences dans les domaines suivants.
Pour justifier le recours à cette loi, l'étude se fonde sur un sondage prétendant qu'une majorité des Français y serait favorable, ou invoque encore la nécessité de régler un certain nombre de difficultés catégorielles liées à des situations de fait volontairement provoquées, sans les décrire ni démontrer que le droit positif n'y répondrait pas, alors même que la loi est censée être guidée par l'intérêt général et non par les revendications d'une minorité de personnes.
L'étude d'impact n'évoque aucune des conséquences, notamment sociales, de la loi déférée, pourtant prévues à l'article 8 de la loi n° 2009-403, notamment en ce qui concerne l'évolution de la famille et le sort des enfants adoptés qui auront pour « parents » deux personnes de même sexe. L'évaluation de l'impact psychologique, affectif et éducatif sur ces enfants est totalement absente.
De même, l'étude d'impact n'évoque pas les conséquences financières, ni les coûts et bénéfices financiers attendus alors même, à titre d'exemple, que le « mariage » entre deux personnes de même sexe aura des conséquences sur le budget de la nation, compte tenu des avantages fiscaux dont bénéficient les couples mariés.
Si l'étude d'impact évoque superficiellement l'impact juridique du texte en droit interne, elle ne traite pas sérieusement de la question de la constitutionnalité du projet de loi en s'abritant derrière une interprétation contestable de la portée de la décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011. Son contenu est aussi particulièrement indigent s'agissant des conséquences du texte sur le droit de la filiation, notamment concernant la présomption de paternité dans le cas d'un « mariage » entre deux personnes de même sexe. De même, elle néglige d'examiner sérieusement la question de l'impact réel sur les mariages existants et sur les remariages d'un conjoint divorcé avec un nouveau « conjoint » du même sexe.
De plus, l'étude d'impact n'apporte aucun éclairage précis sur le droit en la matière dans les différents pays qui ont adopté une législation, présentée à tort comme similaire, par des pays étrangers. En effet, quinze pays ont, à l'heure actuelle, reconnu le « mariage pour tous » : les cinq Etats scandinaves, le Portugal, l'Espagne, le Royaume-Uni, mais avec des conditions différentes des nôtres, le Canada, quelques Etats aux Etats-Unis et au Brésil, l'Argentine, l'Uruguay depuis hier, et l'Afrique du Sud. Mais en réalité le mariage n'a pas, dans ces pays, la même signification qu'en France. Ils ne transposent pas le mariage, à l'origine institution religieuse catholique, inscrit dans notre droit depuis 1804.
Le droit français a en effet voulu faire du mariage une institution et un contrat solennels. Or, dans les pays précités, le mariage n'a pas ce caractère. Par exemple, dans les Etats protestants, le mariage n'a pas du tout la même signification : il peut être dissous dans des conditions différentes des nôtres, et les règles applicables à l'adoption ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, au Portugal, on ne peut pas adopter et aux Pays-Bas, on ne peut adopter un enfant que si celui-ci a la nationalité de ce pays.
C'est pourquoi les requérants ont proposé un système d'union civile, proche de celui existant en Allemagne et dans d'autres Etats, qui ont établi légalement la différence entre le mariage, institution consacrée par le code civil depuis deux siècles, et l'union civile, réservée aux couples homosexuels.
Enfin, l'étude d'impact ne présente aucun élément relatif à l'impact de la loi déférée sur l'évolution de l'adoption internationale et les conséquences en matière d'autorité parentale, l'étude d'impact ne faisant même pas état d'une étude de législation comparée.
1.2.1. Les auteurs de la saisine avisent votre Conseil qu'aucun avis favorable à la loi déférée, qu'il soit obligatoire ou facultatif, n'a été rendu par un organisme ayant une compétence réelle en matière familiale.
1.2.2. Les organismes devant être obligatoirement consultés n'ont pas rendu d'avis favorable ; il s'agit des avis rendus par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), émis le 18 octobre 2012, celui rendu, le 9 janvier 2013, par le Conseil supérieur de l'adoption fait état de nombreuses réserves et inquiétudes, et l'avis du Conseil d'Etat, en date du 31 octobre 2012, comporte de si nombreuses réserves qu'il ne peut être considéré comme favorable.
1.2.3. L'Académie des sciences morales et politiques, dont la consultation n'était pas obligatoire, a rendu, le 21 janvier 2013, un avis défavorable à la loi déférée.
1.2.4. Enfin, d'autres instances, dont l'éclairage aurait été nécessaire, n'ont pas été consultées. L'Académie française, dont l'avis sur les terminologies imposées par la loi déférée et leur conformité à la langue française et aux notions constitutionnelles aurait pu être sollicitée. Le Conseil économique, social et environnemental, dont la compétence sur le sujet ne fait aucun doute selon les requérants, n'a pas été saisi par le Premier ministre et a, selon la logique avancée par le Gouvernement, refusé d'examiner une pétition déposée par plus de 700 000 citoyens, contrairement aux dispositions de l'article 69 de la Constitution. Enfin, le Comité consultatif national d'éthique, dont la mission est pourtant de donner des avis sur les questions éthiques et de société, soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, a délibérément été ignoré.
- Sur le conflit de loi engendré
avec les règles du droit public international
2.1. L'étude d'impact, précédemment critiquée, a également fait preuve d'une insuffisance significative quant à la compatibilité de la loi avec les conventions internationales conclues par la France. Elle ne mentionne qu'une minorité d'accords bilatéraux impactés par le changement (unilatéral à l'égard de nos cocontractants) de la définition du mariage. Comme en témoigne le refus du ministre des affaires étrangères d'informer un parlementaire (1), l'inventaire très incomplet des conventions internationales concernées n'a nullement mis le Parlement en situation d'apprécier l'impact international du texte.
En particulier, les conséquences au regard de la règle Pacta sunt servanda, de la règle d'interprétation des traités de bonne foi, selon leur sens originel, en fonction du contexte existant au moment de leur négociation (art. 31 de la Convention de Vienne), ainsi que des coutumes de droit international relatives aux droits des personnes, n'ont pas été évaluées. De nombreux accords bilatéraux contractés par la France renferment des stipulations relatives aux régimes matrimoniaux, à la filiation, à l'adoption, au mariage, à l'acquisition de la nationalité par mariage, par exemple, dont les effets peuvent être très variés, selon l'objet de l'accord et qui n'ont pas été envisagés dans l'étude d'impact.
2.2. Le Conseil constitutionnel n'est certes pas juge de la conformité des lois aux engagements internationaux mais les auteurs de la saisine se doivent d'attirer votre attention sur le quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ».
Votre Conseil a précisément reconnu qu'au nombre de ces règles figure la règle Pacta sunt servanda qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi (2).
Il résulte de cet alinéa, et de l'article 55 de la Constitution, qu'il appartient aux divers organes de l'Etat ― et notamment au Parlement ― de veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, à l'application des conventions internationales dès lors que celles-ci restent en vigueur (3).
2.3. Le législateur ne saurait, sans méconnaître le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, adopter des dispositions législatives qui violeraient manifestement les conventions internationales auxquelles la France est partie. En effet, l'adoption par le Parlement de la loi déférée, clairement et délibérément contraire aux traités ou accords internationaux en vigueur dans l'ordre interne, caractérise la « mauvaise foi » du législateur dans l'exécution des conventions internationales, et donc la méconnaissance du quatorzième alinéa précité.
2.4. En l'espèce, la définition du « mariage » et de la filiation résultant de la loi déférée violent la règle Pacta sunt servanda qui a valeur supérieure aux lois. L'autorisation du « mariage » en France entre personnes de même sexe dont l'un au moins sera ressortissant d'un Etat ne reconnaissant pas la validité d'une union entre « personnes de même sexe » n'est donc pour les requérants pas compatible avec les engagements internationaux de la France.
2.5. Il en est de même des accords multilatéraux ; ainsi, la loi déférée méconnaît les articles 3-1 et 7-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Son article 7-1, directement applicable en droit français (Cass. 1re civ., 7 avril 2006, n° 05-11.285) stipule que « L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ». Le terme « parents » visé par cet article ne peut être interprété, « suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes » selon les règles coutumières d'interprétation des traités internationaux et en vertu de l'article 31 de la convention de Vienne de 1969, que comme renvoyant au père et à la mère de l'enfant, c'est-à-dire à ses parents qui lui ont donné la vie. Or, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint par le « conjoint » de ce dernier, de même sexe que celui-ci, aura pour effet de rompre le lien de filiation biologique de l'enfant avec son père ou sa mère par l'effet de transcription de la décision d'adoption.
2.6. Les auteurs de la saisine estiment ainsi que les dispositions de la loi déférée violent manifestement et de mauvaise foi les conventions internationales auxquelles la France est partie. Cette négligence est d'ailleurs de nature à engendrer de multiples contentieux internationaux et, plus globalement, une insécurité juridique très préoccupante pour les justiciables.
(1) Question AN n° 14720, 14e législature. (2) Décision n° 92-308 DC, cons. 7 ; décision n° 93-321 DC, cons. 36 et 37. (3) Décision n° 93-321 DC, cons. 37.
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