Sur l'article 58
L'article 58 vise à remplacer le second alinéa de l'article L. 2241-2 du code des transports par trois alinéas ainsi rédigés :
« Si le contrevenant refuse ou se déclare dans l'impossibilité de justifier de son identité, les agents mentionnés au premier alinéa du II de l'article 529-4 du code de procédure pénale en avisent sans délai et par tout moyen un officier de police judiciaire territorialement compétent.
« Pendant le temps nécessaire à l'information et à la décision de l'officier de police judiciaire, le contrevenant est tenu de demeurer à la disposition d'un agent visé au premier alinéa du même II.
« Sur l'ordre de l'officier de police judiciaire, les agents peuvent conduire l'auteur de l'infraction devant lui ou bien le retenir le temps nécessaire à son arrivée ou à celle d'un agent de police judiciaire agissant sous son contrôle. »
L'actuel second alinéa de l'article L. 2241-2 du code des transports est rédigé en ces termes : « Si le contrevenant refuse ou se trouve dans l'impossibilité de justifier de son identité, ces agents en avisent sans délai et par tout moyen un officier de police judiciaire territorialement compétent. Sur l'ordre de ce dernier, les agents visés au premier alinéa du II de l'article 529-4 du code de procédure pénale peuvent être autorisés à retenir l'auteur de l'infraction le temps strictement nécessaire à l'arrivée de l'officier de police judiciaire ou, le cas échéant, à le conduire sur-le-champ devant lui. »
Sur le fond, et en apparence, les pouvoirs octroyés aux agents assermentés de l'exploitant du service de transport visés au 4° de l'article L. 2241-1 du code des transports auquel renvoie l'article L. 2241-2 ne sont pas modifiés : pouvoir de faire prévenir un officier de police judiciaire ; pouvoir de retenir le contrevenant ; et pouvoir de le conduire à un OPJ.
Ce qui, en revanche, est radicalement modifié, ce sont les garanties offertes à l'intéressé que les délais dans lesquels il peut être ainsi retenu contre sa volonté seront les plus courts possible. En effet, l'obligation de diligence consistant à ne pouvoir retenir le contrevenant uniquement le « temps strictement nécessaire à l'arrivée » de l'OPJ ou à ce qu'il soit conduit devant lui « sur-le-champ » a été supprimée.
Or, en n'encadrant pas suffisamment les délais pendant lesquels le contrevenant peut être retenu par les agents de transport, le législateur est resté en deçà de sa compétence, et a ainsi privé de garanties légales les exigences constitutionnelles protectrices de la liberté individuelle, et particulièrement de la liberté d'aller et venir.
Il ressort en effet de manière constante de votre jurisprudence qu'il incombe au législateur de préciser les limites s'imposant aux autorités compétentes afin d'éviter toute « rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions » (2010-604 DC du 25 février 2010, cons. 8).
Ainsi se doit-il « d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties », au nombre desquelles figurent la liberté individuelle, et particulièrement la « liberté d'aller et venir » (2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13).
Et s'il lui est loisible à tout moment « d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité », ce n'est qu'à la stricte condition que l'exercice de ce pouvoir n'aboutisse pas « à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 6 et 10).
Aussi, parce que la possibilité donnée aux agents des transports de retenir une personne contre sa volonté doit répondre à l'ensemble de ces exigences constitutionnelles, qu'elle doit être adaptée, nécessaire et proportionnée (2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13), elle ne doit pouvoir se faire que dans les délais strictement nécessaires à la réalisation des raisons qui la justifient, et non être laissée à la discrétion soit de l'OPJ, soit des agents en question.
Or, en ne limitant pas de manière suffisamment restreinte les délais pendant lesquels les personnes pourront être retenues par les agents ou conduites devant l'OPJ pour vérification de leur identité, le législateur a laissé ici une marge de manœuvre trop importante à ces autorités, et ainsi privé de garanties légales l'exigence constitutionnelle de la liberté d'aller et venir (80-127 DC du 20 janvier 1981, cons. 58, et 93-323 DC du 5 août 1993, cons. 9). C'est pourquoi vous censurerez également cette disposition.
L'article 60 introduit un article L. 332-16-1 dans le code du sport qui permet au ministre de l'intérieur, par arrêté, d'« interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public ».
L'article 61 introduit, lui, un article L. 332-16-2, dans le même code, qui autorise les préfets de départements, par arrêté, à « restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public ».
Il est également prévu que ces arrêtés énoncent, dans le premier cas, « la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent, ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique », et, dans le second, « la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique ».
Enfin, il prévoit une peine de six mois d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, en cas de violation desdits arrêtés.
Les requérants ne peuvent qu'adhérer aux objectifs poursuivis par le législateur visant à combattre le fléau des violences perpétrées à l'occasion de certaines manifestations sportives. En atteste le fait que, dans aucun de leurs recours déposés à l'encontre des lois précédentes contenant des dispositions « anti-hooligan », ils n'ont mis en cause lesdites dispositions (12). Ils ne sauraient souscrire en revanche au dispositif ici en cause qui va bien au-delà de ce que peut justifier la préservation de l'ordre public, et qui porte en lui des risques trop importants pour les libertés individuelles, particulièrement celle d'aller et de venir, en raison de l'imprécision des dispositions en cause (1), et du manque d'encadrement des pouvoirs de police administrative ainsi conférés au ministre de l'intérieur et aux préfets (2).
(12) Cf. les recours précédents contre la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public. Et l'absence de recours contre la loi n° 2006-784 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives.
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