JORF n°0292 du 17 décembre 2010

VI. ― Sur la modulation du financement
des partis politiques liée au respect de la parité

Le grief porte ici sur l'article 81 de la loi, et en particulier sur les dispositions selon lesquelles :
« Dans un département ou une collectivité, lorsque, pour un parti ou un groupement politique, l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ayant déclaré se rattacher à ce parti ou ce groupement lors des dernières élections des conseillers territoriaux ou des membres de l'assemblée délibérante d'une collectivité créée en application du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, d'une collectivité régie par l'article 74 de la Constitution ou du congrès de la Nouvelle-Calédonie, conformément au dernier alinéa du 1° de l'article 9-1 A de la présente loi, dépasse 2 % du nombre total de ces candidats, le montant de la première part de la seconde partie de la première fraction qui lui est attribué, pour ce département ou cette collectivité, en application du même 1° du même article 9-1 A est diminué d'un pourcentage égal à la moitié de cet écart rapporté au nombre total de ces candidats.
« Pour l'ensemble d'une région, le pourcentage de diminution appliqué à chaque parti ou à chaque groupement politique conformément à l'alinéa précédent est celui du département de la région dans lequel l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ayant déclaré se rattacher au parti ou au groupement, rapporté au nombre total de ces candidats, est le plus élevé. »
Cette disposition n'est ni plus ni moins que l'aveu des promoteurs de cette loi que le mode de scrutin envisagé pour l'élection des conseilleurs territoriaux porte une atteinte manifeste à « l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (v. supra 111.3 et 4).
Mais surtout, au-delà de son évidente inefficacité en termes de parité, elle méconnaît à la fois le principe de clarté de la loi (1) et l'égalité entre les partis et groupements politiques devant le suffrage (2).

  1. Quant au principe de clarté de la loi :
    Comme vous le rappelez avec constance, « le principe de clarté de la loi » et « l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi » imposent au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, cons. 25).
    Le manque de lisibilité ― pour ne pas dire la contradiction ― du dispositif réside ici dans le fait que pour attribuer la première part de la seconde partie de la première fraction d'aides aux partis politiques qui ont présenté des candidats aux élections territoriales il soit tenu compte « des candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins trois cent cinquante cantons répartis entre au moins quinze départements », alors que d'un autre côté le calcul de la modulation des aides aux partis et groupements selon le nombre de candidats de chaque sexe qu'ils ont présenté se fait, lui, au niveau de la région.
    Autrement dit, le dispositif contesté met en place un système fondé sur l'attribution des aides en fonction de résultats départementaux, tandis que la modulation se fera, elle, à l'échelon régional.
    Or on ne peut raisonnablement imposer des contraintes de nature départementale en matière électorale aux partis et groupements politiques, tout en les amputant de leurs aides pour des considérations d'ordre régional, sans méconnaître l'intelligibilité du dispositif.
  2. Quant à l'égalité des partis et groupements politiques devant le suffrage :
    Comme vous l'avez rappelé, les articles 3 et 4 de la Constitution « ne font pas obstacle à ce que l'Etat accorde une aide financière aux candidats aux élections », mais cette aide « doit, pour être conforme au principe d'égalité, obéir à des critères objectifs » (décision n° 88-242 DC du 10 mars 1988, cons. 26).
    Or la rupture d'égalité entre les partis et groupements politiques réside ici dans le fait que, pour le calcul dans l'ensemble d'une région du pourcentage de diminution des aides, on prenne en compte le département de la région dans lequel l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ayant déclaré se rattacher au parti ou au groupement, rapporté au nombre total de ces candidats, est le plus élevé.
    Cette prise en compte du seul département dans lequel l'écart est le plus élevé est à lui seul porteur d'inégalité.
    En effet, il conduira à ceci de paradoxal qu'à l'échelle d'une région un parti pourra avoir présenté plus de candidates qu'un autre, mais qu'il se retrouvera néanmoins amputé d'une aide plus importante.
    Ce sera ainsi le cas si un parti ou un groupement politique se conduit de manière exemplaire dans tous les départements d'une région sauf un, dans lequel l'écart sera d'importance. Il perdra alors plus d'aides que le parti ou le groupement qui aura en valeur absolue présenté moins de candidates, mais dont l'écart systématique entre candidats de chaque sexe restera inférieur au parti ou groupement pourtant plus vertueux à l'échelle de la région.
    Cette prime au moins-disant n'obéit ainsi à aucun critère objectif, et méconnaît manifestement l'exigence constitutionnelle d'égalité entre les partis et les groupements politiques.
    En réalité, il ne fait aucun doute aux yeux des requérants que, loin de favoriser la parité, ce dispositif aura pour effet la multiplication des structures partisanes départementales auxquelles se rattacheront les candidats aux élections territoriales pour éviter tout recollement à l'échelon régional. Cela à l'éclatement en autant de structures l'octroi de la part de la première fraction de l'aide publique concernée, et fragilisera ainsi l'ensemble du dispositif de financement public des partis, puisque l'octroi de la seconde fraction dépend de celui de la première.
    Pour l'ensemble de ces motifs, les auteurs de la saisine considèrent que ces dispositions encourent votre censure.

VII. ― Sur la création du conseiller territorial
dans les départements et régions d'outre-mer

A titre subsidiaire, vous serez à tout le moins amené à constater que l'application du chapitre Ier du titre Ier dans les départements et régions d'outre-mer encourt votre censure.
Le chapitre Ier du titre Ier a pour objet, dans l'ensemble des collectivités se trouvant dans le champ d'application de ce titre du code général des collectivités territoriales, de substituer au conseiller général et au conseiller régional le conseiller territorial. Celui-ci, en vertu de l'article L. 3113-1, représente le territoire, circonscription électorale du département.
Or, pour la Guadeloupe et la Réunion, compte tenu du caractère monodépartemental de ces régions d'outre-mer ― la Martinique et la Guyane ayant été considérées à part, compte tenu du consentement donné par leurs électeurs au principe d'une collectivité unique ―, l'application de la réforme conduirait le département et la région, qui subsisteront en tant que personnes morales de droit public, à partager une assemblée unique commune.
A la fois en tant qu'il concerne l'ensemble des départements et régions d'outre-mer (A) et, en tant qu'il s'applique particulièrement à la Martinique et à la Guyane (B et C), la loi adoptée par le Parlement est inconstitutionnelle, à plusieurs égards.
Enfin, l'habilitation donnée au Gouvernement d'agir par voix d'ordonnance inscrite à l'article 87 méconnaît à l'évidence les exigences de l'article 38 de la Constitution (D).

A. ― Défaut de consultation et de recueil du consentement
des électeurs des régions monodépartementales d'outre-mer

La création d'un conseiller territorial représentant du territoire au sein du conseil général et du conseil régional revient, dans les régions monodépartementales d'outre-mer, à y instituer, au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, une assemblée délibérante unique pour le département et la région. Or une telle institution ne peut intervenir, toujours aux termes du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, sans qu'ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités.
L'absence de consultation des électeurs de la Guadeloupe et de la Réunion et, a fortiori de recueil de leur consentement, préalablement à l'institution d'une assemblée unique pour ces départements et régions d'outre-mer frappe d'inconstitutionnalité les dispositions de l'article 5 de la loi déférée en tant qu'elles concernent ces collectivités.

  1. La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a instauré des garanties démocratiques nouvelles quant à l'évolution statutaire ou institutionnelle des départements et régions d'outre-mer que la loi de réforme des collectivités territoriales ne respecte pas.
    La question de l'évolution statutaire (passage de l'un à l'autre des régimes législatifs prévus aux articles 73 et 74 de la Constitution) des départements et régions d'outre-mer ou de leur évolution institutionnelle (création d'une collectivité se substituant à un département et une région ou institution d'une assemblée unique pour ces deux collectivités) a été considérée comme suffisamment importante par le Constituant pour subordonner ces évolutions au recueil préalable du consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités. Il s'agit bien d'un consentement : en l'absence d'accord, le projet en cause doit être regardé comme rejeté (comme cela a été le cas avec le rejet, le 7 décembre 2003, par les électeurs de Guadeloupe et de Martinique d'un projet de collectivité unique).
    L'intention du constituant de 2003 était bien de créer « un véritable droit de veto » (présentation du projet de loi constitutionnelle devant le Sénat par le garde des sceaux, ministre de la justice, Dominique Perben le 29 octobre 2002) « s'agissant de la possibilité ouverte au législateur de modifier l'organisation et le régime législatif des collectivités d'outre-mer ».
    Cette intention était motivée par la situation particulière des collectivités concernées, par le caractère très sensible des questions statutaires et institutionnelles dans ces collectivités, notamment en ce qui concerne la concentration des pouvoirs. Lors de son audition, le 16 octobre 2002, devant la commission des lois du Sénat, la ministre de l'outre-mer, Brigitte Girardin, précisait en effet que « l'assentiment des électeurs constituait une nécessité démocratique pour mettre en œuvre des évolutions institutionnelles aussi importantes que [...] la concentration dans une seule assemblée [...] des compétences régionales et départementales [...] ».
    En les subordonnant à la même procédure de consultation et de recueil du consentement des électeurs, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a donc bien mis sur le même plan, au regard de l'importance que pouvaient constituer ces changements, le passage de l'un à l'autre des articles 73 et 74 de la Constitution, la création d'une collectivité unique et l'institution d'une assemblée unique et c'est bien la question de la concentration des compétences du département et de la région entre les mains d'un seul groupe d'élus qui a motivé la mise en place, dans la Constitution, de ce droit de veto pour les électeurs.
    Or les dispositions de l'article 5 de la loi de réforme des collectivités territoriales reviennent à créer en Guadeloupe et à La Réunion, une telle assemblée unique. Force est de constater que cette création, applicable en même temps dans l'Hexagone et dans ces deux régions d'outre-mer, se ferait sans que le consentement des électeurs eut été recueilli, en méconnaissance des règles prévues par le dernier alinéa de l'article 73 et de l'article 72-4. Cela entache la disposition contestée d'inconstitutionnalité.
  2. Il ne saurait être en effet contesté que la loi de réforme des collectivités territoriales crée, dans les départements et régions d'outre-mer, une assemblée unique, commune au département et à la région.
    Une assemblée est une « réunion de personnes formant corps... » (Littré) ou un « ensemble institutionnel ou statutaire de personnes formant un corps constitué... » (Petit Larousse). Il est donc clair que ce qui définit en premier lieu une assemblée, ce sont les personnes qui la constituent, voire les modalités de leur désignation en tant que membres de cette assemblée.
    Dans le cas d'espèce, en Guadeloupe et à La Réunion, l'article 5 de la loi revient à créer un ensemble unique de personnes pour siéger au conseil général du département de la Guadeloupe ou de La Réunion et au conseil régional de la région Guadeloupe ou de la Réunion. Issues d'une seule et même élection, organisée dans un seul ensemble territorial, elles constitueraient incontestablement une assemblée unique, commune au département et à la région, au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, puisque la région n'est composée que d'un département.
    Le fait que les appellations « conseil général » et « conseil régional » subsistent, de même que les deux personnes morales, ne contredit en rien le constat que, dans la réalité, la loi crée une assemblée unique pour le département et la région, ce qui caractérise une assemblée n'étant pas son appellation mais bien sa composition. Il suffit pour s'en convaincre de se référer au Conseil de Paris. Bien qu'il statue, tantôt comme conseil municipal, tantôt comme conseil général, il n'en demeure pas moins une assemblée délibérante unique (v. supra 11.1).
    C'est en effet la composition de l'assemblée et non le fait qu'elle puisse avoir des dénominations différentes selon qu'elle délibère des affaires du département ou de la région, qui est déterminant pour apprécier si l'exercice des compétences du département ou de la région est ou non concentré dans les mains d'un même groupe de personnes. Or c'est précisément cette question du risque de concentration des pouvoirs que le constituant a voulu réserver aux électeurs.
  3. L'argument consistant à considérer que l'obligation de recueil du consentement des électeurs inscrits ne vaudrait qu'en cas de réforme institutionnelle spécifique aux départements et régions d'outre-mer et qu'elle ne s'imposerait pas dans le cas de l'application, dans ces collectivités, d'une réforme nationale ne trouve aucun fondement constitutionnel.
    Le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution ne souffre pas d'ambiguïté : le recueil du consentement des électeurs inscrits dans le ressort d'un département et d'une région d'outre-mer est obligatoire avant la création d'une collectivité unique « ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ».
    Quel que soit le texte qui institue, dans ces départements et régions, une assemblée unique, cette formalité substantielle s'impose : le principe d'identité législative, prévu par le premier alinéa de l'article 73, n'a pas d'autorité supérieure à celui exigeant le consentement des populations du dernier alinéa du même article. Que l'article 5 de la loi de réforme des collectivités territoriales s'applique également aux collectivités de l'Hexagone et constitue en cela une réforme « nationale », n'exonère en rien le Président de la République et le Gouvernement de l'obligation constitutionnelle d'organiser, pour les départements et régions d'outre-mer, la consultation destinée à recueillir leur consentement sur l'institution d'une assemblée unique.
    Cette distinction entre les procédures à suivre dans l'Hexagone et dans les départements et régions d'outre-mer ne résulte pas seulement de la nécessité de respecter la lettre du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution mais aussi l'esprit de cette disposition. Le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution crée des garanties démocratiques supplémentaires pour les départements et régions d'outre-mer en cas de projet d'évolution statutaire ou institutionnelle. Ces garanties sont justifiées par leur situation particulière de collectivités ultramarines mais aussi par leur spécificité en tant que régions monodépartementales.
    De même qu'il est prévu par la Constitution de prendre en compte les caractéristiques particulières de l'outre-mer dans l'expression démocratique des populations concernées, la question de l'équilibre des pouvoirs, qui est au cœur des motivations du constituant de 2003 quand il subordonne l'institution d'une assemblée unique pour un département et une région d'outre-mer au recueil préalable du consentement des électeurs, se pose de manière éminemment différente dans des régions pluridépartementales et dans des régions monodépartementales d'outre-mer.
    Si la création de conseillers territoriaux dans les régions pluridépartementales de l'Hexagone paraît à l'évidence anticonstitutionnelle pour les raisons évoquées ci-dessus, son application dans une région monodépartementale pose donc une difficulté supplémentaire.
  4. De même l'argument consistant à considérer que, faute d'application de la loi de réforme des collectivités territoriales en Guadeloupe et La Réunion, ces collectivités risqueraient de se trouver en dehors du droit commun n'est pas plus pertinent.
    L'article 73 de la Constitution a précisément prévu que soit donné aux électeurs des régions monodépartementales d'outre-mer, un « droit de veto » à l'égard de certaines formes d'évolution institutionnelle. Le corollaire de ce droit de veto est que la Constitution offre aux électeurs d'une région monodépartementale d'outre-mer la faculté de choisir de rester dans le statu quo institutionnel même si ce statu quo évolue dans l'Hexagone ou dans d'autres régions monodépartementales d'outre-mer. Cela, depuis la révision constitutionnelle de 2003, est possible sans préjudice de l'application du principe d'identité législative. Il a ainsi été jugé que le législateur pouvait modifier le régime d'impositions spécifiques aux seuls départements d'outre-mer (décision n° 84-174 DC, 25 juillet 1984, Journal officiel du 28 juillet 1984, p. 2493, cons. 29, rec. p. 48) qui peuvent relever d'un régime différent de la métropole. Depuis 2003, cela concerne également l'organisation institutionnelle et, en Guyane et à la Martinique, une loi viendra leur donner une organisation particulière, dans le cadre de l'article 73 de la Constitution.
    Au cas d'espèce, c'est bien la question de l'équilibre des pouvoirs locaux que le constituant a voulu traiter différemment dans les régions pluridépartementales de l'Hexagone et dans les régions monodépartementales d'outre-mer en en laissant l'appréciation aux électeurs.
    Le « risque » de différence de traitement institutionnel entre les collectivités de l'Hexagone et les régions monodépartementales d'outre-mer ne saurait donc justifier que l'institution d'une assemblée unique puisse y intervenir sans qu'ait été préalablement recueilli le consentement des électeurs ainsi que l'impose le troisième alinéa de l'article 73 de la Constitution dont la vocation même est de permettre ce type de différenciation.
    En effet, les dispositions du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution ont été conçues pour offrir la garantie aux électeurs des régions monodépartementales que la situation institutionnelle de leur collectivité ne pourra évoluer par rapport à la situation existante (le statu quo) vers une collectivité ou assemblée unique sans qu'ait été au préalable recueilli leur consentement. Considérer que cette garantie ne s'imposerait que dans le cas d'un projet d'évolution par rapport au droit commun, surtout dans l'hypothèse d'un droit commun qui aurait préalablement évolué vers une assemblée unique, ne repose sur aucun fondement constitutionnel. Le principe du consentement de la population prime.
    En posant au dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution l'obligation de recueillir le consentement des électeurs préalablement à l'institution d'une assemblée unique dans les régions monodépartementales d'outre-mer, le constituant de 2003 a fixé une règle spécifique, postérieure au principe d'identité législative défini au premier alinéa de ce même article pour ces régions, obligation qui dès lors prévaut sur ce principe. Il est en effet constant en droit théorique et pratique que des dispositions particulières, surtout lorsqu'elles sont postérieures, prévalent sur des dispositions générales (lex specialis derogat lex generali). Le Conseil constitutionnel a déjà eu plusieurs fois l'occasion d'appliquer ce principe, notamment dans sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 lorsqu'il a validé la loi relative au Pacte civil de solidarité (PACS). Il a ainsi répondu négativement à la question de savoir si le PACS allait porter atteinte aux principes fondamentaux des contrats en ce qu'il aurait violé le principe que le contrat fait loi entre les parties et le principe d'immutabilité en ouvrant la voie à une sorte de répudiation unilatérale contraire à la dignité humaine.
  5. L'argument avancé, devant le Sénat, le 29 juin 2010, par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, M. Brice Hortefeux, en réponse au sénateur Jean-Paul Virapoullé et selon lequel « l'application du projet de loi ne revient pas, sur le plan juridique, à créer, à La Réunion et en Guadeloupe, une assemblée unique, au sens de l'article 73 de la Constitution, puisque les deux assemblées resteront juridiquement distinctes en tant qu'organes délibérants de deux personnes publiques différentes » ne résiste pas à l'analyse.
    Cet argument est en contradiction avec la lettre et l'esprit du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution. Ce dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution distingue très clairement deux cas d'évolution institutionnelle suffisamment importants pour que leur mise en œuvre soit (comme pour le passage de l'un à l'autre des articles 73 et 74 de la Constitution) subordonnée non seulement à la consultation des électeurs mais aussi à leur consentement : d'une part, la création d'une collectivité se substituant au département et à la région, c'est-à-dire la disparition de deux personnes morales de droit public, au profit d'une troisième nouvellement créée et, d'autre part, l'institution d'une assemblée unique pour deux collectivités subsistantes.
    En distinguant ces deux possibilités d'évolution, le constituant a incontestablement marqué sa volonté de subordonner au consentement préalable des électeurs non seulement le cas où le département et la région disparaîtraient et se fondant en une seule collectivité (une seule personne juridique) mais aussi celui où les deux collectivités ― département et région ― subsisteraient en tant que personnes juridiques différentes en partageant la même assemblée délibérante, situation précisément créée dans les régions monodépartementales d'outre-mer par la loi de réforme des collectivités territoriales.
    Le fait qu'en Guadeloupe et à La Réunion la loi contestée laisse subsister le département et la région n'infirme donc en rien que l'assemblée, composée des mêmes membres que ces deux collectivités partageraient, soit une assemblée unique au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution qui a précisément été introduit dans la Constitution, en 2003, pour traiter ce cas et celui de la création d'une collectivité unique.
  6. L'argument consistant à considérer que l'existence de compétences et d'exécutifs distincts témoignerait de l'inexistence d'une assemblée unique ne convainc pas davantage.
    Le fait que l'assemblée ainsi créée en Guadeloupe et à La Réunion par la loi de réforme des collectivités territoriales, soit amenée à délibérer, d'une part, dans le domaine de compétences du département et, d'autre part, dans celui de la région ne lui ôte pas son caractère d'assemblée unique.
    Les compétences du département et de la région sont clairement des attributs de ces collectivités en tant que personnes juridiques et non des attributs de leurs assemblées qui ne sont que les organes de ces personnes juridiques. Le maintien de compétences départementales et de compétences régionales traitées par la même assemblée est précisément l'une des deux possibilités d'évolution institutionnelle que le constituant de 2003 a voulu subordonner au consentement des électeurs.
    De même, le fait que le département et la région de la Guadeloupe et de La Réunion continueraient à avoir des exécutifs distincts, en application de la loi de réforme des collectivités territoriales et des dispositions relatives au non-cumul des mandats, ne constitue en rien un indice d'un caractère non unique de l'assemblée créée par cette même loi dans ces collectivités. En effet, l'exécutif est, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs appliqué au plan local, un organe attaché à la collectivité, distinct de l'autre organe que constitue l'assemblée délibérante (le délibératif voire « législatif local »). La meilleure preuve est que le Conseil constitutionnel a même admis que l'exécutif d'une collectivité pouvait être confié à un fonctionnaire nommé... alors même que les collectivités territoriales s'administrent « par un conseil élu » (art. 72, al. 3).
    Les articles L. 3221-1 et L. 4231-1 du code général des collectivités territoriales disposent bien que « le président du conseil général [régional] est l'organe exécutif du département [de la région] ». L'exécutif n'est donc pas un attribut de l'assemblée mais un organe de la collectivité et le fait que subsistent deux exécutifs ne constitue donc en rien un affaiblissement du caractère unique de l'assemblée créée en Guadeloupe et à La Réunion par la loi de réforme des collectivités territoriales.
  7. L'argument consistant à considérer que, dotés de présidents, de commissions permanentes et de sièges distincts, le conseil général et le conseil régional, malgré une composition unique, ne constitueraient pas une assemblée unique est clairement insuffisant.
    Certes, aux termes de la loi de réforme des collectivités territoriales, l'assemblée unique créée en Guadeloupe et à La Réunion serait présidée par des présidents différents selon qu'elle délibérerait des affaires du département ou des affaires de la région. Indépendamment de la question des exécutifs (cf. point 6) qui se trouvent être aussi les présidents de cette assemblée, cette dualité n'est pas une différenciation suffisante pour amener à considérer que l'assemblée créée en Guadeloupe et à La Réunion par la loi de réforme des collectivités territoriales n'est pas une assemblée unique.
    De même, le fait que des commissions permanentes différentes puissent être constituées pour le conseil général et le conseil régional, ne constitue pas un signe que l'assemblée dont seraient issues ces commissions permanentes ne serait pas unique. En effet, les commissions permanentes du conseil général et du conseil régional ne sont que des émanations de ces assemblées qui, au cas d'espèce, seraient constituées des mêmes membres et formeraient donc une assemblée unique sans que la composition de commissions permanentes distinctes puisse altérer le caractère unique de l'assemblée.
    Enfin, le fait que cette assemblée puisse se réunir à l'hôtel du département ou à l'hôtel de région selon qu'elle délibère des affaires du département ou des affaires de la région est sans incidence sur le caractère unique de l'assemblée.
    Comme développé supra, le caractère unique de l'assemblée est constitué par la composition unique de l'assemblée qui marque la réunion entre les mains des mêmes personnes des compétences du département et de la région. C'est ce point que le Constituant de 2003 a voulu subordonner au recueil du consentement des électeurs. Les différences tenant à la présidence, à la composition des commissions permanentes ou encore au lieu des réunions ne concernent que des modalités de fonctionnement de cette assemblée unique insuffisantes pour autoriser la contestation de cette unicité.
    Deux autres griefs d'inconstitutionnalité sont également avancés, en tant que la réforme s'applique en Martinique et en Guyane.

B. ― Défaut de fixation du nombre de conseillers territoriaux
en Martinique et en Guyane par l'article 6

Le régime législatif des régions monodépartementales d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion) est celui de l'identité législative : les lois et règlements y sont applicables de plein droit.
Sur cette base, l'étude d'impact, fournie le 21 octobre 2009 lors du dépôt, au Sénat, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, indique (p. 20) qu'en « application de ce principe d'identité législative, les dispositions du présent projet de loi ont vocation à s'appliquer de plein droit aux départements et régions d'outre-mer et cela sans qu'il soit nécessaire de procéder à des adaptations. [...] Toutefois, le projet de loi habilite le Gouvernement à fixer les mesures d'adaptation des dispositions relatives aux régions d'outre-mer de la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe à l'exclusion de La Réunion, par ordonnance, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution. Le congrès de la Martinique a saisi le Gouvernement d'une demande pouvant conduire à des évolutions institutionnelles ou statutaires. La Guyane vient de demander une évolution vers l'article 74 de la Constitution. [...]. En Guadeloupe, les élus ont sollicité un délai de réflexion avant de saisir le congrès d'un projet équivalent. Le projet de loi permet donc de ne pas préjuger du résultat des procédures en cours et préserve la liberté des électeurs qui seront appelés à se prononcer. La Réunion n'ayant pas manifesté l'intention de s'engager dans une démarche de ce type, il n'est pas utile de prévoir, pour ce département d'outre-mer, de mesure particulière d'adaptation. »
C'est ainsi que l'article 87 du projet de loi, d'abord supprimé par le Sénat, puis rétabli à l'Assemblée nationale, dispose que « le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi, les dispositions fixant les mesures d'adaptation du chapitre Ier du titre Ier de la présente loi dans les départements et régions d'outre-mer ». Il est à noter que cette faculté d'adaptation concerne donc aussi La Réunion, contrairement à ce que mentionné dans l'étude d'impact.
En Martinique et en Guyane, ces mesures d'adaptation de la création du conseiller territorial dans les régions monodépartementales d'outre-mer seraient donc motivées par la volonté de respecter le résultat des consultations ayant finalement eu lieu dans ces régions monodépartementales le 24 janvier 2010, consultations qui ont permis de recueillir le consentement des électeurs sur la création d'une collectivité unique au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution.
En revanche, en Guadeloupe, il ne peut plus être soutenu sérieusement qu'elles sont encore motivées par le souhait de tenir compte du processus de discussion et de respecter la volonté des électeurs guadeloupéens qui pourraient, le cas échéant, être appelés à se prononcer sur un éventuel projet d'évolution institutionnelle, au terme du délai de dix-huit mois accepté par le Président de la République, le 26 juin 2009. En effet, dans la mesure où la loi de réforme des collectivités territoriales va, en Guadeloupe, jusqu'à fixer le nombre de conseillers territoriaux, les marges d'adaptation qu'elle admet sont mineures et enferment le processus accepté politiquement par le Président de la République dans le cadre très contraint de la réforme nationale.
Pour autant il demeure que le tableau annexé à l'article 6 de la loi qui fixe le nombre de conseillers territoriaux en Guadeloupe et à La Réunion omet la Guyane et la Martinique.
Or, aucun projet de loi relatif à la future organisation institutionnelle de la Guyane et de la Martinique n'ayant été adopté (ni même déposé) à la date d'adoption définitive du projet de loi qui vous est déféré, aucune disposition de droit positif ne peut, a fortiori, justifier cette omission qui touche deux régions monodépartementales d'outre-mer pourtant soumises au principe d'identité législative de l'article 73 de la Constitution.
Le seul fait qu'une consultation locale organisée selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution ait eu lieu dans ces départements ne peut en effet constituer une caractéristique ou une contrainte particulière pouvant, au sens du premier alinéa de l'article 73 de la Constitution, justifier sur le plan juridique, la différence de traitement entre, d'une part, la Guyane et la Martinique et, d'autre part, la Guadeloupe et La Réunion.
En effet, le résultat positif d'une consultation organisée dans les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution ne saurait lier juridiquement ni le Gouvernement ni le Parlement qui restent libres de leur pouvoir d'appréciation quant à la suite à donner au résultat positif d'une telle consultation.
Le législateur a donc clairement fait preuve d'incompétence négative en limitant la détermination du nombre de conseillers territoriaux à la Guadeloupe et à La Réunion et donc en ne déterminant pas ce nombre pour la Guyane et La Martinique, dans le tableau annexe de l'article 6, ceci en violation du principe d'identité législative posé par l'article 73 de la Constitution.

C. ― Défaut d'intelligibilité de la loi concernant
son application outre-mer

L'article 5 du projet de loi de réforme des collectivités territoriales n'excluant pas de son champ d'application les régions monodépartementales d'outre-mer, les conseils régionaux et généraux de Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion devraient être composés de conseillers territoriaux.
Toutefois, le tableau annexe de l'article 6 (v. supra) ne mentionne les effectifs de conseillers territoriaux que pour deux de ces départements et régions, la Guadeloupe et La Réunion et non pour les deux autres, la Guyane et la Martinique.
Si l'article 87 renvoie à une ordonnance la possibilité d'adaptation de ces articles 5 et 6 dans ces départements, il n'apparaît pas compréhensible, comme vu précédemment, que le nombre de conseillers territoriaux ne soit pas déterminé pour ces deux départements.
Surtout, une contradiction flagrante existe entre les articles 5 et 87 de la loi posant le principe de la création de conseillers territoriaux dans les départements d'outre-mer et l'article 81 qui prévoit explicitement l'application, dans les départements d'outre-mer, de règles de financement spécifiques par rapport à celles rendues nécessaires par la création de conseillers territoriaux et rend manifestement inintelligible la loi dans son application outre-mer.
En première lecture à l'Assemblée nationale, le rapporteur de la commission des lois a fait adopter un amendement n° 599 rectifié introduisant un article 36 C (devenu article 81 dans le texte définitif) relatif à l'introduction de dispositions financières destinées à favoriser l'objectif constitutionnel d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs par l'instauration d'une aide publique aux partis ayant présenté des candidats aux élections des conseillers territoriaux, modulée en fonction du respect des exigences de parité par chaque parti.
Or, l'exposé des motifs de cet amendement indique explicitement que ce projet de loi ne crée pas de conseillers territoriaux dans les départements et collectivités d'outre-mer : « l'amendement prend également en compte la situation particulière des départements et collectivités d'outre-mer qui n'éliront pas de conseillers territoriaux, et qui ne doivent pas, pour cette raison, être privés de ce nouveau type d'aide publique en fonction des résultats aux élections territoriales ». Le rapporteur de la commission des lois du Sénat confirme également qu'« en outre, un mécanisme similaire [de répartition de l'aide publique accordée aux partis politiques] serait prévu pour les départements et collectivités d'outre-mer : bien que ces territoires n'aient pas vocation à élire des conseillers territoriaux, les partis qui y présentent des candidats lors des élections locales seraient soumis aux mêmes règles qu'en métropole » (rapport 559 [2009-2010] du 16 juin 2010, p. 116). Ainsi, ces nouvelles dispositions de financement s'appliqueraient de manière spécifique dans les départements d'outre-mer au motif, justement, de l'absence de création de conseillers territoriaux dans ces départements.
Le législateur ne peut, en effet, sauf à méconnaître gravement le principe de clarté et d'intelligibilité de la loi, d'une part, poser le principe de la création de conseillers territoriaux dans tous les départements d'outre-mer (article 5) même sous réserve d'adaptation (article 87) et fixer le nombre de conseillers territoriaux dans deux départements d'outre-mer seulement, la Guadeloupe et La Réunion, dans le tableau prévu à son article 6 et, d'autre part, prévoir des règles spécifiques de financement des partis politiques dans l'ensemble de l'outre-mer au motif que ceux-ci, justement, n'éliraient pas de conseillers territoriaux (article 81).

D. ― Quant à l'article 87

A titre subsidiaire, vous serez à tout le moins amenés à constater que l'habilitation donnée au Gouvernement d'agir par voix d'ordonnance inscrite à l'article 87 méconnaît les exigences de l'article 38 de la Constitution.
Selon les termes de l'article 87 : « Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi, les dispositions fixant les mesures d'adaptation du chapitre Ier du titre Ier de la présente loi dans les départements et régions d'outre-mer. Le projet de loi portant ratification de cette ordonnance est déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du troisième mois suivant la publication de l'ordonnance ».
Un premier grief provient du détournement de l'article 38 auquel il est ici procédé. En effet, si le Gouvernement peut être habilité à agir par voix d'ordonnance, ce n'est pas pour décaler dans le temps ses prises de décision, mais bien pour l'exécution de son « programme » (décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977, cons. 2).
Ensuite, s'il est d'une jurisprudence bien établie que le Gouvernement « n'est pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra », c'est à la stricte condition de « définir avec précision les finalités de l'habilitation qu'il demande », « ainsi que leur domaine d'intervention » (décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, cons. 21 et 2008-573 DC du 8 janvier 2009, cons. 18).
Or, comme l'a relevé sans ambiguïté aucune le rapporteur de la commission des lois du Sénat en première lecture, « la simple référence à des "mesures d'adaptation” est insuffisamment précise et semble indiquer que le Parlement accorde un blanc-seing à l'exécutif. Or, dans cette hypothèse, le présent article encourrait la censure du Conseil constitutionnel » (rapport n° 169 [2009-2010] du 16 décembre 2009, p. 172. Caractères gras dans le texte).
Sans ligne directrice aucune, le Gouvernement pourra selon son bon vouloir adapter la création du conseiller territorial et son mode d'élection indistinctement dans tous les départements et régions d'outre mer, sans qu'il lui soit fait obligation de tenir compte de leurs spécificités propres, et notamment de leur caractère monodépartemental.
Enfin, « les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement [...] du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle », et qu'il appartient à votre haute juridiction « d'une part, de vérifier que la loi d'habilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître ces règles et principes, d'autre part, de n'admettre la conformité à la Constitution de la loi d'habilitation que sous l'expresse condition qu'elle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution » (décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, cons. 14 et 15).
Or, dans la mesure où l'habilitation vise à appliquer l'article 5 aux régions monodépartementales d'outre-mer sans consultation préalable de leur population, elle méconnaît les règles inscrites au dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution (v. point A précédent).
Pour tous ces motifs, et ceux que vous relèveriez d'office, les requérants vous invitent à prononcer la censure de l'ensemble de ces dispositions.


Historique des versions

Version 1

VI. ― Sur la modulation du financement

des partis politiques liée au respect de la parité

Le grief porte ici sur l'article 81 de la loi, et en particulier sur les dispositions selon lesquelles :

« Dans un département ou une collectivité, lorsque, pour un parti ou un groupement politique, l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ayant déclaré se rattacher à ce parti ou ce groupement lors des dernières élections des conseillers territoriaux ou des membres de l'assemblée délibérante d'une collectivité créée en application du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, d'une collectivité régie par l'article 74 de la Constitution ou du congrès de la Nouvelle-Calédonie, conformément au dernier alinéa du 1° de l'article 9-1 A de la présente loi, dépasse 2 % du nombre total de ces candidats, le montant de la première part de la seconde partie de la première fraction qui lui est attribué, pour ce département ou cette collectivité, en application du même 1° du même article 9-1 A est diminué d'un pourcentage égal à la moitié de cet écart rapporté au nombre total de ces candidats.

« Pour l'ensemble d'une région, le pourcentage de diminution appliqué à chaque parti ou à chaque groupement politique conformément à l'alinéa précédent est celui du département de la région dans lequel l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ayant déclaré se rattacher au parti ou au groupement, rapporté au nombre total de ces candidats, est le plus élevé. »

Cette disposition n'est ni plus ni moins que l'aveu des promoteurs de cette loi que le mode de scrutin envisagé pour l'élection des conseilleurs territoriaux porte une atteinte manifeste à « l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (v. supra 111.3 et 4).

Mais surtout, au-delà de son évidente inefficacité en termes de parité, elle méconnaît à la fois le principe de clarté de la loi (1) et l'égalité entre les partis et groupements politiques devant le suffrage (2).

1. Quant au principe de clarté de la loi :

Comme vous le rappelez avec constance, « le principe de clarté de la loi » et « l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi » imposent au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, cons. 25).

Le manque de lisibilité ― pour ne pas dire la contradiction ― du dispositif réside ici dans le fait que pour attribuer la première part de la seconde partie de la première fraction d'aides aux partis politiques qui ont présenté des candidats aux élections territoriales il soit tenu compte « des candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins trois cent cinquante cantons répartis entre au moins quinze départements », alors que d'un autre côté le calcul de la modulation des aides aux partis et groupements selon le nombre de candidats de chaque sexe qu'ils ont présenté se fait, lui, au niveau de la région.

Autrement dit, le dispositif contesté met en place un système fondé sur l'attribution des aides en fonction de résultats départementaux, tandis que la modulation se fera, elle, à l'échelon régional.

Or on ne peut raisonnablement imposer des contraintes de nature départementale en matière électorale aux partis et groupements politiques, tout en les amputant de leurs aides pour des considérations d'ordre régional, sans méconnaître l'intelligibilité du dispositif.

2. Quant à l'égalité des partis et groupements politiques devant le suffrage :

Comme vous l'avez rappelé, les articles 3 et 4 de la Constitution « ne font pas obstacle à ce que l'Etat accorde une aide financière aux candidats aux élections », mais cette aide « doit, pour être conforme au principe d'égalité, obéir à des critères objectifs » (décision n° 88-242 DC du 10 mars 1988, cons. 26).

Or la rupture d'égalité entre les partis et groupements politiques réside ici dans le fait que, pour le calcul dans l'ensemble d'une région du pourcentage de diminution des aides, on prenne en compte le département de la région dans lequel l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ayant déclaré se rattacher au parti ou au groupement, rapporté au nombre total de ces candidats, est le plus élevé.

Cette prise en compte du seul département dans lequel l'écart est le plus élevé est à lui seul porteur d'inégalité.

En effet, il conduira à ceci de paradoxal qu'à l'échelle d'une région un parti pourra avoir présenté plus de candidates qu'un autre, mais qu'il se retrouvera néanmoins amputé d'une aide plus importante.

Ce sera ainsi le cas si un parti ou un groupement politique se conduit de manière exemplaire dans tous les départements d'une région sauf un, dans lequel l'écart sera d'importance. Il perdra alors plus d'aides que le parti ou le groupement qui aura en valeur absolue présenté moins de candidates, mais dont l'écart systématique entre candidats de chaque sexe restera inférieur au parti ou groupement pourtant plus vertueux à l'échelle de la région.

Cette prime au moins-disant n'obéit ainsi à aucun critère objectif, et méconnaît manifestement l'exigence constitutionnelle d'égalité entre les partis et les groupements politiques.

En réalité, il ne fait aucun doute aux yeux des requérants que, loin de favoriser la parité, ce dispositif aura pour effet la multiplication des structures partisanes départementales auxquelles se rattacheront les candidats aux élections territoriales pour éviter tout recollement à l'échelon régional. Cela à l'éclatement en autant de structures l'octroi de la part de la première fraction de l'aide publique concernée, et fragilisera ainsi l'ensemble du dispositif de financement public des partis, puisque l'octroi de la seconde fraction dépend de celui de la première.

Pour l'ensemble de ces motifs, les auteurs de la saisine considèrent que ces dispositions encourent votre censure.

VII. ― Sur la création du conseiller territorial

dans les départements et régions d'outre-mer

A titre subsidiaire, vous serez à tout le moins amené à constater que l'application du chapitre Ier du titre Ier dans les départements et régions d'outre-mer encourt votre censure.

Le chapitre Ier du titre Ier a pour objet, dans l'ensemble des collectivités se trouvant dans le champ d'application de ce titre du code général des collectivités territoriales, de substituer au conseiller général et au conseiller régional le conseiller territorial. Celui-ci, en vertu de l'article L. 3113-1, représente le territoire, circonscription électorale du département.

Or, pour la Guadeloupe et la Réunion, compte tenu du caractère monodépartemental de ces régions d'outre-mer ― la Martinique et la Guyane ayant été considérées à part, compte tenu du consentement donné par leurs électeurs au principe d'une collectivité unique ―, l'application de la réforme conduirait le département et la région, qui subsisteront en tant que personnes morales de droit public, à partager une assemblée unique commune.

A la fois en tant qu'il concerne l'ensemble des départements et régions d'outre-mer (A) et, en tant qu'il s'applique particulièrement à la Martinique et à la Guyane (B et C), la loi adoptée par le Parlement est inconstitutionnelle, à plusieurs égards.

Enfin, l'habilitation donnée au Gouvernement d'agir par voix d'ordonnance inscrite à l'article 87 méconnaît à l'évidence les exigences de l'article 38 de la Constitution (D).

A. ― Défaut de consultation et de recueil du consentement

des électeurs des régions monodépartementales d'outre-mer

La création d'un conseiller territorial représentant du territoire au sein du conseil général et du conseil régional revient, dans les régions monodépartementales d'outre-mer, à y instituer, au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, une assemblée délibérante unique pour le département et la région. Or une telle institution ne peut intervenir, toujours aux termes du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, sans qu'ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités.

L'absence de consultation des électeurs de la Guadeloupe et de la Réunion et, a fortiori de recueil de leur consentement, préalablement à l'institution d'une assemblée unique pour ces départements et régions d'outre-mer frappe d'inconstitutionnalité les dispositions de l'article 5 de la loi déférée en tant qu'elles concernent ces collectivités.

1. La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a instauré des garanties démocratiques nouvelles quant à l'évolution statutaire ou institutionnelle des départements et régions d'outre-mer que la loi de réforme des collectivités territoriales ne respecte pas.

La question de l'évolution statutaire (passage de l'un à l'autre des régimes législatifs prévus aux articles 73 et 74 de la Constitution) des départements et régions d'outre-mer ou de leur évolution institutionnelle (création d'une collectivité se substituant à un département et une région ou institution d'une assemblée unique pour ces deux collectivités) a été considérée comme suffisamment importante par le Constituant pour subordonner ces évolutions au recueil préalable du consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités. Il s'agit bien d'un consentement : en l'absence d'accord, le projet en cause doit être regardé comme rejeté (comme cela a été le cas avec le rejet, le 7 décembre 2003, par les électeurs de Guadeloupe et de Martinique d'un projet de collectivité unique).

L'intention du constituant de 2003 était bien de créer « un véritable droit de veto » (présentation du projet de loi constitutionnelle devant le Sénat par le garde des sceaux, ministre de la justice, Dominique Perben le 29 octobre 2002) « s'agissant de la possibilité ouverte au législateur de modifier l'organisation et le régime législatif des collectivités d'outre-mer ».

Cette intention était motivée par la situation particulière des collectivités concernées, par le caractère très sensible des questions statutaires et institutionnelles dans ces collectivités, notamment en ce qui concerne la concentration des pouvoirs. Lors de son audition, le 16 octobre 2002, devant la commission des lois du Sénat, la ministre de l'outre-mer, Brigitte Girardin, précisait en effet que « l'assentiment des électeurs constituait une nécessité démocratique pour mettre en œuvre des évolutions institutionnelles aussi importantes que [...] la concentration dans une seule assemblée [...] des compétences régionales et départementales [...] ».

En les subordonnant à la même procédure de consultation et de recueil du consentement des électeurs, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a donc bien mis sur le même plan, au regard de l'importance que pouvaient constituer ces changements, le passage de l'un à l'autre des articles 73 et 74 de la Constitution, la création d'une collectivité unique et l'institution d'une assemblée unique et c'est bien la question de la concentration des compétences du département et de la région entre les mains d'un seul groupe d'élus qui a motivé la mise en place, dans la Constitution, de ce droit de veto pour les électeurs.

Or les dispositions de l'article 5 de la loi de réforme des collectivités territoriales reviennent à créer en Guadeloupe et à La Réunion, une telle assemblée unique. Force est de constater que cette création, applicable en même temps dans l'Hexagone et dans ces deux régions d'outre-mer, se ferait sans que le consentement des électeurs eut été recueilli, en méconnaissance des règles prévues par le dernier alinéa de l'article 73 et de l'article 72-4. Cela entache la disposition contestée d'inconstitutionnalité.

2. Il ne saurait être en effet contesté que la loi de réforme des collectivités territoriales crée, dans les départements et régions d'outre-mer, une assemblée unique, commune au département et à la région.

Une assemblée est une « réunion de personnes formant corps... » (Littré) ou un « ensemble institutionnel ou statutaire de personnes formant un corps constitué... » (Petit Larousse). Il est donc clair que ce qui définit en premier lieu une assemblée, ce sont les personnes qui la constituent, voire les modalités de leur désignation en tant que membres de cette assemblée.

Dans le cas d'espèce, en Guadeloupe et à La Réunion, l'article 5 de la loi revient à créer un ensemble unique de personnes pour siéger au conseil général du département de la Guadeloupe ou de La Réunion et au conseil régional de la région Guadeloupe ou de la Réunion. Issues d'une seule et même élection, organisée dans un seul ensemble territorial, elles constitueraient incontestablement une assemblée unique, commune au département et à la région, au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, puisque la région n'est composée que d'un département.

Le fait que les appellations « conseil général » et « conseil régional » subsistent, de même que les deux personnes morales, ne contredit en rien le constat que, dans la réalité, la loi crée une assemblée unique pour le département et la région, ce qui caractérise une assemblée n'étant pas son appellation mais bien sa composition. Il suffit pour s'en convaincre de se référer au Conseil de Paris. Bien qu'il statue, tantôt comme conseil municipal, tantôt comme conseil général, il n'en demeure pas moins une assemblée délibérante unique (v. supra 11.1).

C'est en effet la composition de l'assemblée et non le fait qu'elle puisse avoir des dénominations différentes selon qu'elle délibère des affaires du département ou de la région, qui est déterminant pour apprécier si l'exercice des compétences du département ou de la région est ou non concentré dans les mains d'un même groupe de personnes. Or c'est précisément cette question du risque de concentration des pouvoirs que le constituant a voulu réserver aux électeurs.

3. L'argument consistant à considérer que l'obligation de recueil du consentement des électeurs inscrits ne vaudrait qu'en cas de réforme institutionnelle spécifique aux départements et régions d'outre-mer et qu'elle ne s'imposerait pas dans le cas de l'application, dans ces collectivités, d'une réforme nationale ne trouve aucun fondement constitutionnel.

Le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution ne souffre pas d'ambiguïté : le recueil du consentement des électeurs inscrits dans le ressort d'un département et d'une région d'outre-mer est obligatoire avant la création d'une collectivité unique « ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ».

Quel que soit le texte qui institue, dans ces départements et régions, une assemblée unique, cette formalité substantielle s'impose : le principe d'identité législative, prévu par le premier alinéa de l'article 73, n'a pas d'autorité supérieure à celui exigeant le consentement des populations du dernier alinéa du même article. Que l'article 5 de la loi de réforme des collectivités territoriales s'applique également aux collectivités de l'Hexagone et constitue en cela une réforme « nationale », n'exonère en rien le Président de la République et le Gouvernement de l'obligation constitutionnelle d'organiser, pour les départements et régions d'outre-mer, la consultation destinée à recueillir leur consentement sur l'institution d'une assemblée unique.

Cette distinction entre les procédures à suivre dans l'Hexagone et dans les départements et régions d'outre-mer ne résulte pas seulement de la nécessité de respecter la lettre du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution mais aussi l'esprit de cette disposition. Le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution crée des garanties démocratiques supplémentaires pour les départements et régions d'outre-mer en cas de projet d'évolution statutaire ou institutionnelle. Ces garanties sont justifiées par leur situation particulière de collectivités ultramarines mais aussi par leur spécificité en tant que régions monodépartementales.

De même qu'il est prévu par la Constitution de prendre en compte les caractéristiques particulières de l'outre-mer dans l'expression démocratique des populations concernées, la question de l'équilibre des pouvoirs, qui est au cœur des motivations du constituant de 2003 quand il subordonne l'institution d'une assemblée unique pour un département et une région d'outre-mer au recueil préalable du consentement des électeurs, se pose de manière éminemment différente dans des régions pluridépartementales et dans des régions monodépartementales d'outre-mer.

Si la création de conseillers territoriaux dans les régions pluridépartementales de l'Hexagone paraît à l'évidence anticonstitutionnelle pour les raisons évoquées ci-dessus, son application dans une région monodépartementale pose donc une difficulté supplémentaire.

4. De même l'argument consistant à considérer que, faute d'application de la loi de réforme des collectivités territoriales en Guadeloupe et La Réunion, ces collectivités risqueraient de se trouver en dehors du droit commun n'est pas plus pertinent.

L'article 73 de la Constitution a précisément prévu que soit donné aux électeurs des régions monodépartementales d'outre-mer, un « droit de veto » à l'égard de certaines formes d'évolution institutionnelle. Le corollaire de ce droit de veto est que la Constitution offre aux électeurs d'une région monodépartementale d'outre-mer la faculté de choisir de rester dans le statu quo institutionnel même si ce statu quo évolue dans l'Hexagone ou dans d'autres régions monodépartementales d'outre-mer. Cela, depuis la révision constitutionnelle de 2003, est possible sans préjudice de l'application du principe d'identité législative. Il a ainsi été jugé que le législateur pouvait modifier le régime d'impositions spécifiques aux seuls départements d'outre-mer (décision n° 84-174 DC, 25 juillet 1984, Journal officiel du 28 juillet 1984, p. 2493, cons. 29, rec. p. 48) qui peuvent relever d'un régime différent de la métropole. Depuis 2003, cela concerne également l'organisation institutionnelle et, en Guyane et à la Martinique, une loi viendra leur donner une organisation particulière, dans le cadre de l'article 73 de la Constitution.

Au cas d'espèce, c'est bien la question de l'équilibre des pouvoirs locaux que le constituant a voulu traiter différemment dans les régions pluridépartementales de l'Hexagone et dans les régions monodépartementales d'outre-mer en en laissant l'appréciation aux électeurs.

Le « risque » de différence de traitement institutionnel entre les collectivités de l'Hexagone et les régions monodépartementales d'outre-mer ne saurait donc justifier que l'institution d'une assemblée unique puisse y intervenir sans qu'ait été préalablement recueilli le consentement des électeurs ainsi que l'impose le troisième alinéa de l'article 73 de la Constitution dont la vocation même est de permettre ce type de différenciation.

En effet, les dispositions du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution ont été conçues pour offrir la garantie aux électeurs des régions monodépartementales que la situation institutionnelle de leur collectivité ne pourra évoluer par rapport à la situation existante (le statu quo) vers une collectivité ou assemblée unique sans qu'ait été au préalable recueilli leur consentement. Considérer que cette garantie ne s'imposerait que dans le cas d'un projet d'évolution par rapport au droit commun, surtout dans l'hypothèse d'un droit commun qui aurait préalablement évolué vers une assemblée unique, ne repose sur aucun fondement constitutionnel. Le principe du consentement de la population prime.

En posant au dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution l'obligation de recueillir le consentement des électeurs préalablement à l'institution d'une assemblée unique dans les régions monodépartementales d'outre-mer, le constituant de 2003 a fixé une règle spécifique, postérieure au principe d'identité législative défini au premier alinéa de ce même article pour ces régions, obligation qui dès lors prévaut sur ce principe. Il est en effet constant en droit théorique et pratique que des dispositions particulières, surtout lorsqu'elles sont postérieures, prévalent sur des dispositions générales (lex specialis derogat lex generali). Le Conseil constitutionnel a déjà eu plusieurs fois l'occasion d'appliquer ce principe, notamment dans sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 lorsqu'il a validé la loi relative au Pacte civil de solidarité (PACS). Il a ainsi répondu négativement à la question de savoir si le PACS allait porter atteinte aux principes fondamentaux des contrats en ce qu'il aurait violé le principe que le contrat fait loi entre les parties et le principe d'immutabilité en ouvrant la voie à une sorte de répudiation unilatérale contraire à la dignité humaine.

5. L'argument avancé, devant le Sénat, le 29 juin 2010, par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, M. Brice Hortefeux, en réponse au sénateur Jean-Paul Virapoullé et selon lequel « l'application du projet de loi ne revient pas, sur le plan juridique, à créer, à La Réunion et en Guadeloupe, une assemblée unique, au sens de l'article 73 de la Constitution, puisque les deux assemblées resteront juridiquement distinctes en tant qu'organes délibérants de deux personnes publiques différentes » ne résiste pas à l'analyse.

Cet argument est en contradiction avec la lettre et l'esprit du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution. Ce dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution distingue très clairement deux cas d'évolution institutionnelle suffisamment importants pour que leur mise en œuvre soit (comme pour le passage de l'un à l'autre des articles 73 et 74 de la Constitution) subordonnée non seulement à la consultation des électeurs mais aussi à leur consentement : d'une part, la création d'une collectivité se substituant au département et à la région, c'est-à-dire la disparition de deux personnes morales de droit public, au profit d'une troisième nouvellement créée et, d'autre part, l'institution d'une assemblée unique pour deux collectivités subsistantes.

En distinguant ces deux possibilités d'évolution, le constituant a incontestablement marqué sa volonté de subordonner au consentement préalable des électeurs non seulement le cas où le département et la région disparaîtraient et se fondant en une seule collectivité (une seule personne juridique) mais aussi celui où les deux collectivités ― département et région ― subsisteraient en tant que personnes juridiques différentes en partageant la même assemblée délibérante, situation précisément créée dans les régions monodépartementales d'outre-mer par la loi de réforme des collectivités territoriales.

Le fait qu'en Guadeloupe et à La Réunion la loi contestée laisse subsister le département et la région n'infirme donc en rien que l'assemblée, composée des mêmes membres que ces deux collectivités partageraient, soit une assemblée unique au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution qui a précisément été introduit dans la Constitution, en 2003, pour traiter ce cas et celui de la création d'une collectivité unique.

6. L'argument consistant à considérer que l'existence de compétences et d'exécutifs distincts témoignerait de l'inexistence d'une assemblée unique ne convainc pas davantage.

Le fait que l'assemblée ainsi créée en Guadeloupe et à La Réunion par la loi de réforme des collectivités territoriales, soit amenée à délibérer, d'une part, dans le domaine de compétences du département et, d'autre part, dans celui de la région ne lui ôte pas son caractère d'assemblée unique.

Les compétences du département et de la région sont clairement des attributs de ces collectivités en tant que personnes juridiques et non des attributs de leurs assemblées qui ne sont que les organes de ces personnes juridiques. Le maintien de compétences départementales et de compétences régionales traitées par la même assemblée est précisément l'une des deux possibilités d'évolution institutionnelle que le constituant de 2003 a voulu subordonner au consentement des électeurs.

De même, le fait que le département et la région de la Guadeloupe et de La Réunion continueraient à avoir des exécutifs distincts, en application de la loi de réforme des collectivités territoriales et des dispositions relatives au non-cumul des mandats, ne constitue en rien un indice d'un caractère non unique de l'assemblée créée par cette même loi dans ces collectivités. En effet, l'exécutif est, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs appliqué au plan local, un organe attaché à la collectivité, distinct de l'autre organe que constitue l'assemblée délibérante (le délibératif voire « législatif local »). La meilleure preuve est que le Conseil constitutionnel a même admis que l'exécutif d'une collectivité pouvait être confié à un fonctionnaire nommé... alors même que les collectivités territoriales s'administrent « par un conseil élu » (art. 72, al. 3).

Les articles L. 3221-1 et L. 4231-1 du code général des collectivités territoriales disposent bien que « le président du conseil général [régional] est l'organe exécutif du département [de la région] ». L'exécutif n'est donc pas un attribut de l'assemblée mais un organe de la collectivité et le fait que subsistent deux exécutifs ne constitue donc en rien un affaiblissement du caractère unique de l'assemblée créée en Guadeloupe et à La Réunion par la loi de réforme des collectivités territoriales.

7. L'argument consistant à considérer que, dotés de présidents, de commissions permanentes et de sièges distincts, le conseil général et le conseil régional, malgré une composition unique, ne constitueraient pas une assemblée unique est clairement insuffisant.

Certes, aux termes de la loi de réforme des collectivités territoriales, l'assemblée unique créée en Guadeloupe et à La Réunion serait présidée par des présidents différents selon qu'elle délibérerait des affaires du département ou des affaires de la région. Indépendamment de la question des exécutifs (cf. point 6) qui se trouvent être aussi les présidents de cette assemblée, cette dualité n'est pas une différenciation suffisante pour amener à considérer que l'assemblée créée en Guadeloupe et à La Réunion par la loi de réforme des collectivités territoriales n'est pas une assemblée unique.

De même, le fait que des commissions permanentes différentes puissent être constituées pour le conseil général et le conseil régional, ne constitue pas un signe que l'assemblée dont seraient issues ces commissions permanentes ne serait pas unique. En effet, les commissions permanentes du conseil général et du conseil régional ne sont que des émanations de ces assemblées qui, au cas d'espèce, seraient constituées des mêmes membres et formeraient donc une assemblée unique sans que la composition de commissions permanentes distinctes puisse altérer le caractère unique de l'assemblée.

Enfin, le fait que cette assemblée puisse se réunir à l'hôtel du département ou à l'hôtel de région selon qu'elle délibère des affaires du département ou des affaires de la région est sans incidence sur le caractère unique de l'assemblée.

Comme développé supra, le caractère unique de l'assemblée est constitué par la composition unique de l'assemblée qui marque la réunion entre les mains des mêmes personnes des compétences du département et de la région. C'est ce point que le Constituant de 2003 a voulu subordonner au recueil du consentement des électeurs. Les différences tenant à la présidence, à la composition des commissions permanentes ou encore au lieu des réunions ne concernent que des modalités de fonctionnement de cette assemblée unique insuffisantes pour autoriser la contestation de cette unicité.

Deux autres griefs d'inconstitutionnalité sont également avancés, en tant que la réforme s'applique en Martinique et en Guyane.

B. ― Défaut de fixation du nombre de conseillers territoriaux

en Martinique et en Guyane par l'article 6

Le régime législatif des régions monodépartementales d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion) est celui de l'identité législative : les lois et règlements y sont applicables de plein droit.

Sur cette base, l'étude d'impact, fournie le 21 octobre 2009 lors du dépôt, au Sénat, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, indique (p. 20) qu'en « application de ce principe d'identité législative, les dispositions du présent projet de loi ont vocation à s'appliquer de plein droit aux départements et régions d'outre-mer et cela sans qu'il soit nécessaire de procéder à des adaptations. [...] Toutefois, le projet de loi habilite le Gouvernement à fixer les mesures d'adaptation des dispositions relatives aux régions d'outre-mer de la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe à l'exclusion de La Réunion, par ordonnance, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution. Le congrès de la Martinique a saisi le Gouvernement d'une demande pouvant conduire à des évolutions institutionnelles ou statutaires. La Guyane vient de demander une évolution vers l'article 74 de la Constitution. [...]. En Guadeloupe, les élus ont sollicité un délai de réflexion avant de saisir le congrès d'un projet équivalent. Le projet de loi permet donc de ne pas préjuger du résultat des procédures en cours et préserve la liberté des électeurs qui seront appelés à se prononcer. La Réunion n'ayant pas manifesté l'intention de s'engager dans une démarche de ce type, il n'est pas utile de prévoir, pour ce département d'outre-mer, de mesure particulière d'adaptation. »

C'est ainsi que l'article 87 du projet de loi, d'abord supprimé par le Sénat, puis rétabli à l'Assemblée nationale, dispose que « le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi, les dispositions fixant les mesures d'adaptation du chapitre Ier du titre Ier de la présente loi dans les départements et régions d'outre-mer ». Il est à noter que cette faculté d'adaptation concerne donc aussi La Réunion, contrairement à ce que mentionné dans l'étude d'impact.

En Martinique et en Guyane, ces mesures d'adaptation de la création du conseiller territorial dans les régions monodépartementales d'outre-mer seraient donc motivées par la volonté de respecter le résultat des consultations ayant finalement eu lieu dans ces régions monodépartementales le 24 janvier 2010, consultations qui ont permis de recueillir le consentement des électeurs sur la création d'une collectivité unique au sens du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution.

En revanche, en Guadeloupe, il ne peut plus être soutenu sérieusement qu'elles sont encore motivées par le souhait de tenir compte du processus de discussion et de respecter la volonté des électeurs guadeloupéens qui pourraient, le cas échéant, être appelés à se prononcer sur un éventuel projet d'évolution institutionnelle, au terme du délai de dix-huit mois accepté par le Président de la République, le 26 juin 2009. En effet, dans la mesure où la loi de réforme des collectivités territoriales va, en Guadeloupe, jusqu'à fixer le nombre de conseillers territoriaux, les marges d'adaptation qu'elle admet sont mineures et enferment le processus accepté politiquement par le Président de la République dans le cadre très contraint de la réforme nationale.

Pour autant il demeure que le tableau annexé à l'article 6 de la loi qui fixe le nombre de conseillers territoriaux en Guadeloupe et à La Réunion omet la Guyane et la Martinique.

Or, aucun projet de loi relatif à la future organisation institutionnelle de la Guyane et de la Martinique n'ayant été adopté (ni même déposé) à la date d'adoption définitive du projet de loi qui vous est déféré, aucune disposition de droit positif ne peut, a fortiori, justifier cette omission qui touche deux régions monodépartementales d'outre-mer pourtant soumises au principe d'identité législative de l'article 73 de la Constitution.

Le seul fait qu'une consultation locale organisée selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution ait eu lieu dans ces départements ne peut en effet constituer une caractéristique ou une contrainte particulière pouvant, au sens du premier alinéa de l'article 73 de la Constitution, justifier sur le plan juridique, la différence de traitement entre, d'une part, la Guyane et la Martinique et, d'autre part, la Guadeloupe et La Réunion.

En effet, le résultat positif d'une consultation organisée dans les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution ne saurait lier juridiquement ni le Gouvernement ni le Parlement qui restent libres de leur pouvoir d'appréciation quant à la suite à donner au résultat positif d'une telle consultation.

Le législateur a donc clairement fait preuve d'incompétence négative en limitant la détermination du nombre de conseillers territoriaux à la Guadeloupe et à La Réunion et donc en ne déterminant pas ce nombre pour la Guyane et La Martinique, dans le tableau annexe de l'article 6, ceci en violation du principe d'identité législative posé par l'article 73 de la Constitution.

C. ― Défaut d'intelligibilité de la loi concernant

son application outre-mer

L'article 5 du projet de loi de réforme des collectivités territoriales n'excluant pas de son champ d'application les régions monodépartementales d'outre-mer, les conseils régionaux et généraux de Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion devraient être composés de conseillers territoriaux.

Toutefois, le tableau annexe de l'article 6 (v. supra) ne mentionne les effectifs de conseillers territoriaux que pour deux de ces départements et régions, la Guadeloupe et La Réunion et non pour les deux autres, la Guyane et la Martinique.

Si l'article 87 renvoie à une ordonnance la possibilité d'adaptation de ces articles 5 et 6 dans ces départements, il n'apparaît pas compréhensible, comme vu précédemment, que le nombre de conseillers territoriaux ne soit pas déterminé pour ces deux départements.

Surtout, une contradiction flagrante existe entre les articles 5 et 87 de la loi posant le principe de la création de conseillers territoriaux dans les départements d'outre-mer et l'article 81 qui prévoit explicitement l'application, dans les départements d'outre-mer, de règles de financement spécifiques par rapport à celles rendues nécessaires par la création de conseillers territoriaux et rend manifestement inintelligible la loi dans son application outre-mer.

En première lecture à l'Assemblée nationale, le rapporteur de la commission des lois a fait adopter un amendement n° 599 rectifié introduisant un article 36 C (devenu article 81 dans le texte définitif) relatif à l'introduction de dispositions financières destinées à favoriser l'objectif constitutionnel d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs par l'instauration d'une aide publique aux partis ayant présenté des candidats aux élections des conseillers territoriaux, modulée en fonction du respect des exigences de parité par chaque parti.

Or, l'exposé des motifs de cet amendement indique explicitement que ce projet de loi ne crée pas de conseillers territoriaux dans les départements et collectivités d'outre-mer : « l'amendement prend également en compte la situation particulière des départements et collectivités d'outre-mer qui n'éliront pas de conseillers territoriaux, et qui ne doivent pas, pour cette raison, être privés de ce nouveau type d'aide publique en fonction des résultats aux élections territoriales ». Le rapporteur de la commission des lois du Sénat confirme également qu'« en outre, un mécanisme similaire [de répartition de l'aide publique accordée aux partis politiques] serait prévu pour les départements et collectivités d'outre-mer : bien que ces territoires n'aient pas vocation à élire des conseillers territoriaux, les partis qui y présentent des candidats lors des élections locales seraient soumis aux mêmes règles qu'en métropole » (rapport 559 [2009-2010] du 16 juin 2010, p. 116). Ainsi, ces nouvelles dispositions de financement s'appliqueraient de manière spécifique dans les départements d'outre-mer au motif, justement, de l'absence de création de conseillers territoriaux dans ces départements.

Le législateur ne peut, en effet, sauf à méconnaître gravement le principe de clarté et d'intelligibilité de la loi, d'une part, poser le principe de la création de conseillers territoriaux dans tous les départements d'outre-mer (article 5) même sous réserve d'adaptation (article 87) et fixer le nombre de conseillers territoriaux dans deux départements d'outre-mer seulement, la Guadeloupe et La Réunion, dans le tableau prévu à son article 6 et, d'autre part, prévoir des règles spécifiques de financement des partis politiques dans l'ensemble de l'outre-mer au motif que ceux-ci, justement, n'éliraient pas de conseillers territoriaux (article 81).

D. ― Quant à l'article 87

A titre subsidiaire, vous serez à tout le moins amenés à constater que l'habilitation donnée au Gouvernement d'agir par voix d'ordonnance inscrite à l'article 87 méconnaît les exigences de l'article 38 de la Constitution.

Selon les termes de l'article 87 : « Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi, les dispositions fixant les mesures d'adaptation du chapitre Ier du titre Ier de la présente loi dans les départements et régions d'outre-mer. Le projet de loi portant ratification de cette ordonnance est déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du troisième mois suivant la publication de l'ordonnance ».

Un premier grief provient du détournement de l'article 38 auquel il est ici procédé. En effet, si le Gouvernement peut être habilité à agir par voix d'ordonnance, ce n'est pas pour décaler dans le temps ses prises de décision, mais bien pour l'exécution de son « programme » (décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977, cons. 2).

Ensuite, s'il est d'une jurisprudence bien établie que le Gouvernement « n'est pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra », c'est à la stricte condition de « définir avec précision les finalités de l'habilitation qu'il demande », « ainsi que leur domaine d'intervention » (décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, cons. 21 et 2008-573 DC du 8 janvier 2009, cons. 18).

Or, comme l'a relevé sans ambiguïté aucune le rapporteur de la commission des lois du Sénat en première lecture, « la simple référence à des "mesures d'adaptation” est insuffisamment précise et semble indiquer que le Parlement accorde un blanc-seing à l'exécutif. Or, dans cette hypothèse, le présent article encourrait la censure du Conseil constitutionnel » (rapport n° 169 [2009-2010] du 16 décembre 2009, p. 172. Caractères gras dans le texte).

Sans ligne directrice aucune, le Gouvernement pourra selon son bon vouloir adapter la création du conseiller territorial et son mode d'élection indistinctement dans tous les départements et régions d'outre mer, sans qu'il lui soit fait obligation de tenir compte de leurs spécificités propres, et notamment de leur caractère monodépartemental.

Enfin, « les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement [...] du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle », et qu'il appartient à votre haute juridiction « d'une part, de vérifier que la loi d'habilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître ces règles et principes, d'autre part, de n'admettre la conformité à la Constitution de la loi d'habilitation que sous l'expresse condition qu'elle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution » (décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, cons. 14 et 15).

Or, dans la mesure où l'habilitation vise à appliquer l'article 5 aux régions monodépartementales d'outre-mer sans consultation préalable de leur population, elle méconnaît les règles inscrites au dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution (v. point A précédent).

Pour tous ces motifs, et ceux que vous relèveriez d'office, les requérants vous invitent à prononcer la censure de l'ensemble de ces dispositions.