JORF n°0174 du 30 juillet 2014

LOI RELATIVE À LA SÉCURISATION DES CONTRATS DE PRÊTS STRUCTURÉS SOUSCRITS PAR LES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 17 juillet 2014.
Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée, notamment en ses articles Ier à 3, porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.
A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.

La « [l]oi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public » intervient à la suite de votre décision du 29 décembre 2013, qui a notamment déclaré les II et Ill de l'article 92 de la loi de finances pour 2014 contraires à la Constitution.
Les motifs retenus étaient, pour l'article 92-II, l'absence d'adéquation entre l'objectif poursuivi et la rédaction retenue ainsi que le caractère excessif de la portée de la validation et, pour l'article 92-III, son caractère étranger au domaine des lois de finances (CC, n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 79 et 80).
La loi déférée revient sur ces dispositions tout en en élargissant la portée.
L'article 1er, qui est la reprise de l'article 92-II dans une version étendue, vise à remettre en cause la sanction par les juridictions de l'ordre judiciaire de l'absence de mention du taux effectif global (« TEG »), du taux de période ou de la durée de la période dans les contrats de prêt conclus par les personnes morales de droit public.
Cet article s'inscrit dans le contexte des décisions des 8 février 2013 et 7 mars 2014 par lesquelles le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré qu'un échange de télécopies entre une collectivité territoriale et Dexia constituait de véritables contrats de prêt. Or, ces derniers ne mentionnant pas, en méconnaissance des dispositions du code de la consommation, soit le TEG, soit le taux de période et la durée de la période, le tribunal a substitué le taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel pour les contrats de prêt contestés.
L'article 1er vise précisément à neutraliser ces moyens contentieux pour « tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la (…) loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public », dès lors que cet écrit précise un certain nombre d'éléments énumérés par la loi.
L'article 2, quant à lui, élargit le champ de la loi de validation par rapport à la version issue de la loi de finances pour 2014. Il institue un nouveau cas de validation des contrats de prêt conclus avec les personnes morales de droit public en remettant en cause la sanction, par les juridictions de l'ordre judiciaire, des erreurs dans le calcul du TEG, du taux de période ou de la durée de la période.
Le contexte dans lequel s'inscrit cet article est le suivant. La Cour de cassation considère que si le TEG mentionné dans le contrat de prêt n'est pas déterminé conformément aux dispositions du code de la consommation, le taux d'intérêt légal doit être substitué au taux d'intérêt conventionnel (1).
L'article 2 vise précisément à neutraliser ce moyen contentieux.
Tous les contentieux portant sur des contrats antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi devant être tranchés conformément à ces nouvelles dispositions, ces deux moyens ne pourront plus être invoqués par les personnes morales de droit public pour obtenir la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel.
L'article 2, alinéa 2, précise toutefois que dans l'hypothèse où le TEG serait inférieur au TEG déterminé conformément au code de la consommation, « l'emprunteur a droit au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance ».
L'article 3, quant à lui, exclut du champ d'application de la loi de validation les prêts « comportant un taux d'intérêt fixe ou un taux d'intérêt variable défini comme l'addition d'un indice et d'une marge fixe exprimée en points de pourcentage ».
Les articles 1er à 3 de la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public ainsi explicités soulèvent plusieurs difficultés d'ordre constitutionnel. Les requérants souhaitent attirer l'attention du Conseil sur cinq griefs en particulier.
Sur la forme, les articles 1er à 3 de la loi relèvent du domaine exclusif de la loi de finances et auraient donc dû être adoptés conformément aux règles qui leur sont applicables (Ier ). Sur la substance, la validation législative opérée par les articles 1er à 3 ne répond pas aux exigences posées par les articles 16 (II), 4 et 17 (III) et 6 (IV) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Sur le plan des conséquences que ces dispositions peuvent avoir sur la liberté des collectivités territoriales, les articles contestés portent atteinte aux principes garantis par les articles 72 et 72-2 de la Constitution (V).

(1) Cass. civ. 1re chambre, 19 septembre 2007, Société civile immobilière Cassin, bull. 2007, I, n° 291.


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Version 1

LOI RELATIVE À LA SÉCURISATION DES CONTRATS DE PRÊTS STRUCTURÉS SOUSCRITS PAR LES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les conseillers,

Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 17 juillet 2014.

Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée, notamment en ses articles Ier à 3, porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.

A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.

La « [l]oi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public » intervient à la suite de votre décision du 29 décembre 2013, qui a notamment déclaré les II et Ill de l'article 92 de la loi de finances pour 2014 contraires à la Constitution.

Les motifs retenus étaient, pour l'article 92-II, l'absence d'adéquation entre l'objectif poursuivi et la rédaction retenue ainsi que le caractère excessif de la portée de la validation et, pour l'article 92-III, son caractère étranger au domaine des lois de finances (CC, n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 79 et 80).

La loi déférée revient sur ces dispositions tout en en élargissant la portée.

L'article 1er, qui est la reprise de l'article 92-II dans une version étendue, vise à remettre en cause la sanction par les juridictions de l'ordre judiciaire de l'absence de mention du taux effectif global (« TEG »), du taux de période ou de la durée de la période dans les contrats de prêt conclus par les personnes morales de droit public.

Cet article s'inscrit dans le contexte des décisions des 8 février 2013 et 7 mars 2014 par lesquelles le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré qu'un échange de télécopies entre une collectivité territoriale et Dexia constituait de véritables contrats de prêt. Or, ces derniers ne mentionnant pas, en méconnaissance des dispositions du code de la consommation, soit le TEG, soit le taux de période et la durée de la période, le tribunal a substitué le taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel pour les contrats de prêt contestés.

L'article 1er vise précisément à neutraliser ces moyens contentieux pour « tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la (…) loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public », dès lors que cet écrit précise un certain nombre d'éléments énumérés par la loi.

L'article 2, quant à lui, élargit le champ de la loi de validation par rapport à la version issue de la loi de finances pour 2014. Il institue un nouveau cas de validation des contrats de prêt conclus avec les personnes morales de droit public en remettant en cause la sanction, par les juridictions de l'ordre judiciaire, des erreurs dans le calcul du TEG, du taux de période ou de la durée de la période.

Le contexte dans lequel s'inscrit cet article est le suivant. La Cour de cassation considère que si le TEG mentionné dans le contrat de prêt n'est pas déterminé conformément aux dispositions du code de la consommation, le taux d'intérêt légal doit être substitué au taux d'intérêt conventionnel (1).

L'article 2 vise précisément à neutraliser ce moyen contentieux.

Tous les contentieux portant sur des contrats antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi devant être tranchés conformément à ces nouvelles dispositions, ces deux moyens ne pourront plus être invoqués par les personnes morales de droit public pour obtenir la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel.

L'article 2, alinéa 2, précise toutefois que dans l'hypothèse où le TEG serait inférieur au TEG déterminé conformément au code de la consommation, « l'emprunteur a droit au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance ».

L'article 3, quant à lui, exclut du champ d'application de la loi de validation les prêts « comportant un taux d'intérêt fixe ou un taux d'intérêt variable défini comme l'addition d'un indice et d'une marge fixe exprimée en points de pourcentage ».

Les articles 1er à 3 de la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public ainsi explicités soulèvent plusieurs difficultés d'ordre constitutionnel. Les requérants souhaitent attirer l'attention du Conseil sur cinq griefs en particulier.

Sur la forme, les articles 1er à 3 de la loi relèvent du domaine exclusif de la loi de finances et auraient donc dû être adoptés conformément aux règles qui leur sont applicables (Ier ). Sur la substance, la validation législative opérée par les articles 1er à 3 ne répond pas aux exigences posées par les articles 16 (II), 4 et 17 (III) et 6 (IV) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Sur le plan des conséquences que ces dispositions peuvent avoir sur la liberté des collectivités territoriales, les articles contestés portent atteinte aux principes garantis par les articles 72 et 72-2 de la Constitution (V).

(1) Cass. civ. 1re chambre, 19 septembre 2007, Société civile immobilière Cassin, bull. 2007, I, n° 291.