JORF n°0143 du 22 juin 2023

Ce texte est une simplification générée par une IA.
Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.

Contrôle du Contrôle Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) sur les Centres de Rétention Administrative (CRA)

Résumé Le CGLPL a inspecté les CRA de Lyon, du Mesnil-Amelot, de Metz et de Sète. Les conditions de vie y sont mauvaises, avec peu d'intimité et beaucoup de violence. Les punitions sont souvent injustes et appliquées dans des conditions déplorables.

Depuis sa création, le CGLPL a visité tous les centres de rétention administrative (CRA) au moins une fois, la plupart trois ou quatre fois, à l'exception des établissements les plus récents. Ces lieux de privation de liberté dans lesquels sont enfermés, parfois avec leurs enfants mineurs, des hommes et des femmes dont la situation administrative est irrégulière au regard de la législation sur l'entrée et le séjour sur le territoire, ont vu leur nombre et leur taille s'accroitre au fil du temps (1), tandis que le nombre de mesures d'enfermement prises à l'encontre de personnes étrangères a également augmenté (2), de même que la durée maximale et moyenne de séjour (3).
Les constats régulièrement effectués par le CGLPL dans ces établissements révèlent non seulement que les conditions de prise en charge y sont, dans la majorité des cas, gravement attentatoires à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes retenues, mais surtout pour nombre de CRA, les visites successives du CGLPL donnent lieu à des recommandations récurrentes laissées sans suite face à l'inertie des autorités compétentes.
Tel est le cas de trois des CRA concernés par les présentes recommandations visités au cours des six derniers mois : ceux de Sète (4), du Mesnil-Amelot (5) et de Metz (6).
Quant au CRA n° 2 de Lyon, contrôlé du 13 au 17 mars 2023, il faisait l'objet d'une première visite du CGLPL. Ouvert en janvier 2022, il est supposé servir de modèle de « CRA du futur ». Or, l'agencement et l'organisation des lieux, entraînent des atteintes graves à l'intimité, à la dignité et à la sécurité des personnes qui y sont enfermées.
A l'issue de ses visites, conformément à l'article 10 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a adressé les présentes recommandations à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et au ministre de la santé et leur a donné un délai d'un mois pour faire part de leurs observations.

  1. Les personnes retenues en CRA y sont hébergées dans des conditions indignes et sont livrées à elles-mêmes

Les constats du CGLPL sur les conditions d'enfermement en CRA sont récurrents et sans corrélation systématique avec l'ancienneté du bâti : le CRA de Sète a rouvert en janvier 2022 après neuf mois de fermeture pour travaux, essentiellement destinés à améliorer les conditions de travail des fonctionnaires. Comme au très récent CRA n° 2 de Lyon, les hébergements y sont, comme ailleurs, inadaptés ou sous-dimensionnés, anxiogènes, dégradés et mal entretenus. Les retenus y sont privés d'intimité, d'activité, de perspectives et, dans l'ensemble, largement livrés à eux-mêmes.

1.1. Les locaux, dégradés ou vétustes, ne garantissent pas le respect de la dignité des personnes retenues

Les locaux d'hébergement des CRA du Mesnil-Amelot, Sète et Metz présentent un caractère vétuste ou dégradé, insuffisamment entretenu, dénoncé à chaque visite des contrôleurs. La visite du CRA n° 2 de Lyon a donné lieu à des constats équivalents.
Sols sales et abîmés à Metz, murs maculés de graffiti et de souillures de diverses natures à Lyon, sanitaires sales et rongés par l'humidié à Sète. Le CRA du Mesnil-Amelot, visité en 2022 pour la quatrième fois (7), fait l'objet des mêmes constats : les locaux sont dégradés et insuffisamment entretenus. Dans les chambres, les armoires n'ont pas de porte, des tables n'ont pas de chaise, des matelas n'ont pas de housse. Les murs sont parfois lépreux et généralement recouverts de graffitis.
En dépit des engagements (8) pris par les autorités après chacune des visites du CGLPL, les modalités d'entretien et de réparation sont insuffisantes. Au Mesnil-Amelot, contrairement à ce que prévoient les clauses techniques particulières du marché public, il n'y a pas de prestation de ménage le week-end. Le volume horaire quotidien des prestations, théoriquement fixé à une heure trente par pavillon, ne dépasse pas une demi-heure. A Metz, dans les bâtiments hommes, le temps consacré au nettoyage des sanitaires n'atteint pas non plus la demi-heure et s'élève à vingt-quatre minutes par bâtiment. Partout, sanitaires et salles d'eau sont dégradés - humidité, peinture écaillée, saleté incrustée.
En hiver, les personnes retenues ont froid. C'est le cas dans la zone famille du CRA de Metz, même fenêtres fermées. Les chauffe-eaux y sont sous-dimensionnés et seuls les premiers qui se douchent disposent d'une eau suffisamment chaude. Au CRA de Sète, le chauffage était hors service dans les chambres du premier étage lors de la visite du CGLPL (9).
Les espaces communs sont également dégradés, les salles collectives mal équipées et peu aménagées. Si les cours du Mesnil-Amelot disposent d'agrès, au CRA de Sète cet espace extérieur ne mérite guère la qualification de « cour de promenade » : d'une superficie de 45 m2, l'espace est enclos par trois murs et une grille. Couvert d'un grillage, il n'évoque qu'une cage. Les retenus y fument, immobiles, ou y tournent en rond sans but.
A l'indignité des conditions d'hébergement s'ajoute, à Lyon, une atmosphère particulièrement oppressante : les lieux et espaces de vie, enclavés au cœur du bâtiment, sont dépourvus de toute ouverture vers l'extérieur et sans éclairage naturel. Tel est le cas de la plupart des chambres ainsi que des réfectoires - dont les seules ouvertures donnent sur un couloir où les policiers se mettent en faction le temps des repas.
Les centres de rétention administrative doivent être construits, agencés et organisés de façon à permettre le respect effectif de la dignité et de l'intimité des personnes qui y sont hébergées. Les conditions matérielles d'hébergement des personnes retenues et l'hygiène des locaux doivent être améliorées. Les bâtiments doivent faire l'objet d'un entretien et d'un nettoyage régulier. Les équipements dégradés doivent être systématiquement réparés ou remplacés.

1.2. L'organisation des lieux ne permet aucune intimité

Au CRA n° 2 de Lyon cohabitaient, lors de la visite du CGLPL, 106 retenus répartis en sept blocs (10). 149 personnes étaient hébergées aux CRA 2 & 3 du Mesnil-Amelot, réparties dans deux centres de six bâtiments chacun (11). Le CRA de Metz accueillait 73 personnes dont 7 femmes, pour 98 places distribuées sur sept bâtiments. Plus petit, le CRA de Sète accueillait 26 retenus pour 28 places théoriques (12). Or, ni l'organisation ni l'agencement des locaux en ces lieux ne permettent de garantir aux personnes retenues la moindre intimité, même lorsqu'il s'agit de l'utilisation des sanitaires et des salles d'eau.
A Lyon, les portes des chambres sont percées de larges ouvertures qui permettent d'en observer l'intérieur depuis les couloirs. Les sanitaires ne sont séparés du reste de la pièce que par une porte battante de type saloon ; les retenus tendent des draps qu'ils font tenir avec du dentifrice pour préserver un semblant d'intimité. Au Mesnil-Amelot, rien ne distingue les portes des chambres et celles des sanitaires collectifs, si bien qu'on peut entrer par erreur dans une chambre en pensant entrer dans les sanitaires - et vice-versa. A Sète comme au Mesnil-Amelot, les portes des toilettes ou des douches ne peuvent être fermées de l'intérieur, faute de verrou. Le risque d'atteinte à l'intimité et d'intrusion est partout accentué par l'impossibilité de fermer les portes des chambres. Pour se protéger des intrusions, les retenus de Lyon tressent des lambeaux de draps pour fabriquer des cordes de fortune, dont ils nouent une extrémité à la table scellée au sol et l'autre à la poignée de la porte. A Metz, les personnes retenues tendent des tissus dans l'embrasure de leur porte et sur les fenêtres, ou tentent de bloquer les portes des chambres avec des matelas.
Lorsque qu'ils fonctionnent, les téléphones en libre accès, généralement fixés au mur dans des lieux de passage, ne garantissent aucunement l'intimité des échanges entre les retenus et leurs proches ou leurs avocats.
L'intimité des personnes retenues doit être préservée. Les portes des chambres, des sanitaires, et des armoires personnelles doivent être équipées de dispositifs de verrouillage.

1.3. Les personnes retenues sont livrées à elles-mêmes et exposées à des risques de violences

Dans le cadre de ses visites de CRA, le CGLPL a pu qualifier de bonne pratique le fait de permettre aux personnes retenues d'aller et venir et de s'organiser avec une certaine autonomie, notamment dans la zone de vie. Toutefois, une telle approche n'exonère pas les autorités de s'intéresser aux conditions dans lesquelles cette autonomie s'exerce (13). La mise à distance des retenus en raison de leur dangerosité présumée ne saurait être présentée comme une manière de leur garantir une certaine liberté de mouvement. Les constats effectués montrent au contraire que l'absence de cadre, résultant de la volonté de tenir les policiers à distance des retenus, est particulièrement défavorable à ces derniers.
Dans ce contexte, les actes de violences sont nombreux et les tensions permanentes. Le personnel de police, quand il n'y contribue pas, peine tant à les prévenir qu'à y mettre fin. Peu ou mal formé à la garde, il manifeste une inquiétude, voire une crainte, constante pour sa propre sécurité.

1.3.1. Aucune activité ou occupation n'est proposée aux personnes retenues

Dans les CRA, les journées se déroulent dans une atmosphère d'anxiété et de tensions, dans des locaux où rien n'est pensé pour s'occuper ou se distraire. Lors de leur visite au CRA du Mesnil-Amelot, les contrôleurs ont été témoins de l'arrivée d'un retenu, laissé à la grille d'entrée de la zone d'hébergement, alors que le lit qui lui avait été attribué était dépourvu de matelas. Au CRA de Sète, policiers et intervenants entrent le moins possible en zone d'hébergement. Les personnes retenues sont supposées s'auto-gérer, y compris pour accueillir et informer les nouveaux arrivants.
Si, à Sète, la création d'un poste d'agent de police CAEL (14) chargé d'apaiser les tensions et d'organiser des activités est une initiative à saluer, dans les autres centres, l'inoccupation est la règle.
Au Mesnil-Amelot, aucune activité n'est vraiment mise en place. En-dehors de la télévision, de quelques ballons et des agrès, rien n'est prévu pour occuper les retenus. Des jeux de société sont stockés dans une pièce attenante au local de fouilles du CRA 2, mais ni retenu ni agent n'en connaissent l'existence ou la localisation (15). A Sète, la « salle de détente » - un peu moins de 60 m2 - est lugubre et inconfortable, équipée d'un baby-foot (le deuxième a été retiré), d'une fontaine à eau, de deux tables et de chaises fixées au sol. Deux distributeurs de snacks automatiques y sont hors service depuis septembre 2022. Le téléviseur est toujours allumé mais la télécommande - « pour des raisons de sécurité » - n'est pas librement accessible ; ce sont les agents de la PAF qui, à la demande des retenus, changent de chaîne. La plupart du temps, les retenus sont confinés dans leur zone d'hébergement, d'où ils ne sortent, à leur demande et sur accord des agents, que pour se rendre dans le couloir où se situent les bureaux des partenaires institutionnels, dans le local de fouille ou la salle de restauration.
Au CRA de Lyon, l'organisation interne du centre est entièrement soumise à un fonctionnement par blocs ; les déplacements sont collectifs et ne concernent que les personnes d'un même bloc, qu'il s'agisse de se diriger vers la « zone d'autonomie commune » (ZAC) où se trouvent les bureaux des partenaires institutionnels et la bagagerie, ou au réfectoire. Cette organisation est mise en œuvre de manière rigide pour éviter les contacts entre occupants de blocs différents. Chaque bloc (entre 16 et 19 occupants lors du contrôle) a un droit d'accès d'une heure par jour à la ZAC : les retenus doivent mettre à profit le peu de temps ainsi imparti pour retirer des affaires dans leur bagage, se rendre au service médical, exposer leur situation juridique auprès des intervenants de Forum Réfugiés, rencontrer les agents de l'OFII pour effectuer des achats de première nécessité et préparer leur retour dans leur pays d'origine. Eu égard à l'importance de ces démarches, ce temps est plus qu'insuffisant, alors que les personnes retenues sont enfermées à peu près 22 heures sur 24 heures dans leurs blocs respectifs où, du fait de la faible présence policière, elles sont livrées à elles-mêmes et soumises à la loi du plus fort. Les changements de lits ou de chambres se font dans l'indifférence générale, sans contrôle ni suivi.
Dans ces blocs à l'atmosphère oppressante - grillages omniprésents et portes blindées - aucune activité n'est proposée. Télévisions et consoles de jeux sont presque toutes cassées. Plus aucun ballon n'étant distribué (16), il est impossible de jouer au football et les tables de ping-pong encore installées ne servent plus, faute de balles et de raquettes.
Afin d'occuper le temps de plus en plus long passé en rétention, des activités doivent être proposées aux personnes retenues, dont la liberté de circulation ne doit pas être restreinte au-delà de ce que requiert la préservation de l'ordre et de la sécurité du CRA.

1.3.2. Une atmosphère de tension et de violence à laquelle cèdent parfois les membres du personnel de police

L'atmosphère de tensions engendrée par ces conditions d'enfermement entraîne régulièrement, en dehors de tout cadre légal, des mesures à visée disciplinaire, notamment de mise à l'écart, qui nourrissent à leur tour une atmosphère nocive. L'impact de ces tensions sur le comportement des policiers ne l'est pas moins.
Au Mesnil-Amelot, le CGLPL relève une augmentation préoccupante du niveau de violence depuis sa dernière visite : en 2018, on faisait état de 29 faits de violence pour toute l'année 2017 ; leur nombre s'élève à 61 sur la seule période du 1er janvier au 7 novembre 2022 (17). Plus précisément, au CRA n° 3, 41 faits de violences entre retenus étaient dénombrés, contre 30 en 2021 sur cette même période. Si les violences sont en diminution au CRA n° 2, ce constat doit être mis en relation avec la fermeture des bâtiments pour hommes.
Au CRA de Lyon, entre 2021 et 2022, le nombre d'incidents a également augmenté, passant de 52 à 86 (18) - et ce en dépit d'un risque sérieux de sous-détection du fait de l'organisation des lieux, en particulier de la faible présence des policiers en zone de vie. Le personnel est également mis en cause : en 2021, 21 procédures judiciaires ont été ouvertes pour violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique ; 6 étaient en cours lors de la visite et dans 2 d'entre elles les retenus concernés faisaient en outre état de propos racistes imputés à des policiers.
Toujours à Lyon, entre le 1er janvier et le 10 mars 2023, 83 mesures de mises à l'écart avaient été prises pour « troubles à l'ordre public » (19). Les contrôleurs ont aléatoirement sélectionné 34 mesures afin de les analyser. Leur durée moyenne était de 26 heures. Trois d'entre elles avaient duré plus de 55 heures, la plus longue ayant atteint 59 heures (20).
Ces mesures sont mises en œuvre dans des pièces d'une saleté repoussante, qui n'avaient manifestement fait l'objet d'aucun entretien depuis plusieurs jours et peut-être davantage. Leurs murs étaient maculés de graffitis, certains tracés au moyen de matières fécales. L'odeur y était pestilentielle. Le bloc inox, identique à ceux des quartiers disciplinaires en prison, comportait un point d'eau et un WC. Dans l'une des trois chambres de mise à l'écart, le point d'eau ne fonctionnait pas. Dans deux d'entre elles, les lits - métalliques et fixés au sol - n'avaient pas de matelas - le matelas de la troisième n'avait pas de housse.
En l'absence de médecin pour donner un avis sur la compatibilité de l'état de santé de la personne concernée avec cette mesure en journée (21), il est fait appel à l'infirmier ; la nuit, aucun médecin ni infirmier de garde n'est sollicité. Sur les 92 mesures de mises à l'écart effectuées entre le 1er janvier et le 10 mars 2023, 28 avaient été mises en œuvre sans avis médical. A ces conditions d'isolement s'ajoutent d'autres restrictions - confiscation des téléphones, repas sommaires (22) - sans fondement ni cadre pour en définir les modalités.
A Lyon également, les contrôleurs ont constaté la présence d'un kit psychiatrique de contention, dont il leur a été indiqué qu'il était susceptible d'être utilisé à l'encontre des personnes agitées, placées en chambre de mise à l'écart. Le recours à une telle mesure n'étant cependant pas tracé de manière fiable (23), il est impossible d'en contrôler la fréquence, les motifs ou la durée moyenne. Ce matériel médical ne saurait être utilisé en dehors du cadre légal défini aux dispositions L. 3222-5-1 du code de la santé publique. Son utilisation par des policiers à l'encontre des personnes retenues doit être proscrite. Cette mesure manifestement illégale est au demeurant susceptible d'engager la responsabilité individuelle des fonctionnaires qui y procèdent.
Au CRA du Mesnil-Amelot, le recours à des mesures de mises à l'écart à visée disciplinaire est également en augmentation depuis la dernière visite. A titre d'exemple, le registre du CRA n° 3 recensait 28 mesures d'isolement, dont seulement 4 pour motif sanitaire, pour la période du 22 septembre au 7 novembre 2022 (24). En 2018, les contrôleurs avaient relevé 17 mesures sur une période de neuf mois. Les durées d'isolement vont d'une heure à deux jours et demi, pour une moyenne de 23 heures.
Ces pratiques témoignent de graves violations des normes applicables en la matière. En premier lieu, une circulaire du ministre de l'intérieur du 14 juin 2010 (25) souligne expressément la nécessité de respecter strictement un certain nombre de règles en cas de recours à une mesure de mise à l'écart d'une personne retenue (26), « en cas de trouble à l'ordre public ou de menace à la sécurité des autres étrangers retenus ». L'attention des services opérationnels est ainsi appelée sur le fait que « cette procédure, qui relève de la responsabilité du chef de centre, doit avoir un caractère exceptionnel, être très limitée dans le temps et strictement justifiée par le comportement de l'intéressé (…). Elle ne doit revêtir aucun caractère disciplinaire et ne doit nullement aggraver les conditions de la rétention administrative ». Excepté le fait que la décision appartient au seul chef de centre, les constats exposés plus haut démontrent qu'aucune de ces instructions n'est respectée dans les CRA objets des présentes recommandations.
Outre des précisions sur la tenue du registre et la nécessité de solliciter le médecin présent au CRA « pour un examen médical sur la base duquel il pourra, si nécessaire, prescrire d'autres dispositions pour le retenu », la circulaire impose également au chef de centre « d'informer sans délai de cette décision le procureur de la République du lieu de rétention à qui, en vertu des dispositions de l'article L. 553-3 du CESEDA, il est loisible de venir vérifier les conditions du maintien et de se faire communiquer le registre prévu à l'article L. 553-1 du CESEDA ». Or, les constats effectués sur ce point au CRA de Lyon révèlent que sur les 92 mesures de mises à l'écart prises entre le 1er janvier et le 10 mars 2023 (9 motivés par des considérations sanitaires et 83 pour « troubles à l'ordre public »), seules 2 ont fait l'objet d'une information du parquet plus de six heures après le début de l'isolement.
Enfin, la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui a jugé contraires à la Constitution les dispositions du code de la santé publique permettant le recours à des mesures d'isolement et de contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement au motif « qu'aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l'article 66 de la Constitution » (27), permet en tout état de cause de questionner l'applicabilité de l'instruction ministérielle précitée.
Ces mesures sont par ailleurs mises en œuvre dans des conditions indignes, dans des chambres d'isolement dépourvues de boutons d'appel, d'interrupteur, de point d'eau (28). La chambre de mise à l'écart au CRA n° 3 du Mesnil-Amelot ne dispose pas de fenêtre ; celle du CRA n° 2 dispose d'une fenêtre qui ne s'ouvre pas.
Au CRA de Sète également, la chambre de mise à l'écart est fréquemment utilisée à des fins disciplinaires. La consultation du registre, ouvert le 15 janvier 2022, fait état de 46 placements - dont aucun pour motif sanitaire, les mises à l'écart sanitaires s'effectuant dans des chambres ordinaires à proximité de l'UMCRA. Parmi les motifs invoqués : « les fonctionnaires de surveillance vidéo ont constaté que le nommé X s'affaire sur la grille du distributeur automatique dans la salle de convivialité. Quelques secondes plus tard, le retenu avait réussi à ouvrir la grille. Les effectifs sont intervenus dans le centre pour écarter le retenu qui obtempère sans incident » (mise à l'écart de 18 heures). « Les fonctionnaires de surveillance vidéo constatent que le nommé Y continu de fumer dans les locaux (chambre et couloir) malgré plusieurs rappels lors de la semaine précédente » (durée de la mise à l'écart : 21 heures). Des durées de mise à l'écart de 99 heures (29) et une de 108 heures ont également été relevées, le motif de cette dernière se passant de commentaire : « retour CHU suite automutilation ». Lors de la visite, les contrôleurs ont relevé que la chasse d'eau des toilettes de la chambre de mise à l'écart ne fonctionnait pas.
Cette atmosphère de tension observée lors des visites des CRA de Lyon, de Sète et du Mesnil-Amelot est symptomatique de la dégradation plus générale des conditions d'enfermement et de prise en charge qui y règnent. Le personnel de police est impuissant à le prévenir, et semble même y contribuer. Sont notamment rapportés à cet égard des comportements inadaptés, brutalités, moqueries, propos racistes. Beaucoup de retenus disent être traités « comme des chiens », l'expression revenant répétitivement dans les entretiens menés au Mesnil-Amelot et à Sète notamment. Le comportement inadapté de certains agents du Mesnil-Amelot a été constaté par les contrôleurs eux-mêmes. A Lyon, à Sète et au Mesnil-Amelot, le tutoiement des personnes retenues par les policiers est systématique et les moqueries fréquentes (30). Témoin au CRA n° 2 de Lyon de faits susceptibles de caractériser des violences commises par deux agents de la police aux frontières sur deux retenus, le CGLPL a par ailleurs procédé à leur signalement au procureur de la République de Lyon le 24 mars 2023 au titre des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale. Au CRA de Sète, un policier a utilisé son Taser sur un retenu qui venait de s'entailler le corps avec une lame de rasoir et de l'avaler, sans qu'aucune menace ou violence de sa part ne soit relevée dans le compte-rendu de l'incident en cause, qui se borne à indiquer : « voyant son état d'excitation et pour sa sécurité, il est fait usage du pistolet à impulsion électrique ».
L'intégrité physique des personnes retenues doit être garantie. Les autorités doivent garantir aux personnes retenues la protection contre toute forme de violences. Elles doivent prendre toute mesure propre à les prévenir et à y mettre fin, dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes enfermées.
Il doit être mis fin sans délai aux mesures d'isolement et de contention prises à l'encontre de personnes retenues, aucune disposition législative ne permettant le recours à de telles mesures en dehors du cadre des soins sans consentement strictement défini par le code de la santé publique.

1.4. La santé et l'intégrité physique et psychique des personnes retenues ne sont pas garanties

Depuis la publication de son avis du 17 décembre 2018 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes étrangères au sein des centres de rétention administrative, le CGLPL constate la persistance des dysfonctionnements et reprend les mêmes recommandations : actualiser l'encadrement juridique des UMCRA, renforcer leur pilotage et financement, faciliter l'accès aux soignants, ou encore mieux préserver le secret médical. Si de récentes évolutions normatives (31) et les améliorations observées dans le fonctionnement des services médicaux du CRA du Mesnil-Amelot semblent témoigner de la prise en compte d'un certain nombre de ces recommandations, la situation du CRA de Lyon, qui se caractérise par des atteintes particulièrement graves aux droits des personnes retenues et par la mise en danger de leur intégrité physique et psychique, ne peut que susciter l'inquiétude.
L'accès aux soins des personnes retenues au CRA de Lyon n'est, de fait, plus garanti, puisque les prestations sanitaires, régies par une convention passée entre la préfecture et les hospices civils de Lyon (HCL) ne sont plus mises en œuvre : alors que cette convention a été actualisée en septembre 2022 et prévoit la présence d'un praticien cinq demi-journées par semaine, de cinq infirmiers, d'une assistante médico administrative et de 0,05 ETP de pharmacien, aucun médecin ou soignant des HCL n'intervient au CRA depuis janvier 2023 (32). Les soins sont en conséquence entièrement délégués à une société privée d'assistance médicale, qui assure uniquement la présence d'un à deux infirmiers chaque jour et d'un médecin deux à trois demi-journées par semaine. De nombreux retenus ont rapporté n'avoir vu aucun médecin, psychiatre ou psychologue depuis leur arrivée au CRA.
Les contrôleurs ont également relevé dans ce CRA une pratique de distribution massive, sans analyse pharmaceutique préalable, de traitements médicamenteux que les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) réservent au traitement des douleurs neuropathiques et crises épileptiques partielles (33), alors qu'il est statistiquement impossible qu'une telle proportion (34) de retenus présente ces pathologies. La majorité des prescriptions faites à ce titre méconnaît donc les dispositions du code de la santé publique et les recommandations de la HAS, en plus de mettre potentiellement en danger la santé des retenus concernés. Cette situation est en outre à l'origine d'un trafic de médicaments au sein du centre de rétention. Ces constats ont en conséquence également justifié un signalement au procureur de la République de Lyon.
Enfin, la santé et l'intégrité physique des personnes retenues sont mises en péril par les carences affectant leur alimentation. Conformément à un constat effectué de manière récurrente du CGLPL s'agissant des CRA, si les rations proposées correspondent généralement aux recommandations standard, elles s'avèrent insuffisantes.
L'ensemble des retenus avec lesquels les contrôleurs se sont entretenus au CRA du Mesnil-Amelot ont affirmé souffrir de la faim et avoir maigri, parfois significativement, depuis le début de leur rétention, ce que confirment les données médicales recueillies par l'UMCRA.
Les contrôleurs ont pu en effet constater que les portions servies ne suffisent pas à rassasier des hommes jeunes - soit la majorité des retenus - même lorsqu'elles sont conformes aux clauses du marché, ce qui n'est pas systématique. Ainsi, la pesée des morceaux de pain accompagnant les repas montre régulièrement un poids de 80 grammes au lieu des 100 grammes prévus par le marché. Pour le dîner du mercredi 9 novembre 2022, la barquette de semoule pesait 263 grammes (barquette comprise) alors que les clauses prévoient pour les féculents un poids brut compris entre 380 et 560 g (poids net : 300 à 450g). Aucun menu confessionnel (hallal ou casher) n'est servi. De nombreux retenus ne mangent donc que les légumes ou féculents servis en accompagnement.
Au CRA de Metz, les contrôleurs ont constaté, lors du retour de l'audience du juge des libertés et de la détention du 8 décembre 2022 à 12 h 30, que le réfectoire était fermé et le sachet repas distribué ne comprenait qu'un morceau de pain, un biscuit, une compote, un sachet de chips et une bouteille d'eau.
A Lyon, Metz et Sète, il est par ailleurs impossible d'obtenir le moindre supplément ou portion complémentaire et il est interdit d'apporter des denrées alimentaires dans la zone de vie, par mesure d'hygiène. Les visiteurs peuvent apporter de la nourriture que les retenus peuvent consommer uniquement pendant la visite.
La santé physique et psychique des personnes retenues doit être garantie, de même que leur accès à des soins d'une qualité équivalente à ceux qui sont accessibles à l'extérieur.
La nourriture doit être préparée et servie en quantité suffisante, conformément aux normes sanitaires et aux recommandations nutritionnelles, en lien avec l'âge et la condition physique des personnes retenues ; les autorités en charge des CRA doivent veiller au respect des clauses des marchés publics de restauration à cette fin.

  1. Carcéralisation et enfermement croissant

Au-delà de l'augmentation du nombre et de la durée des mesures de rétention, on assiste à un phénomène de « carcéralisation » des CRA dont l'organisation et le fonctionnement du CRA n° 2 de Lyon est une illustration préoccupante. L'inquiétude du CGLPL est d'autant plus vive que cette approche témoigne de l'absence totale de prise en compte de ses recommandations.

2.1. Augmentation du nombre et de la durée des mesures de rétention

De même que le nombre de personnes enfermées dans les CRA augmente globalement avec l'augmentation du nombre de places en CRA, la durée moyenne de rétention s'allonge avec l'augmentation de la durée maximale de rétention (34).

2.1.1. La hausse du nombre d'enfermements se poursuivra avec l'augmentation prévue du nombre de CRA

On assiste ces dernières années à une augmentation continue du nombre de mesures d'éloignement prises par les autorités préfectorales à l'encontre des étrangers en situation irrégulière. Le taux d'éloignement depuis les CRA reste inférieur à 50 %, mais le nombre de placements en CRA augmente en dépit du principe qui en fait une mesure de dernier recours (36), strictement conditionnée à l'existence d'une perspective d'éloignement.
Une augmentation significative du nombre de places en CRA est d'ores et déjà programmée (1 788 en 2022, 2 178 prévues pour fin 2023) (37), la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (38) fixant l'objectif de 3 000 places en CRA en 2027.
Ainsi que le CGLPL le soulignait dans son rapport annuel d'activité au titre de l'année 2021, la baisse du taux d'éloignement et l'augmentation, au sein de la population des personnes retenues, du nombre de sortants de prison laissent à penser que la perspective d'éloignement n'est plus le seul moteur de cette décision. Des considérations liées à « l'ordre public » entrent désormais en ligne de compte, et tendent à conférer à la rétention une dimension punitive.

2.1.2. Les personnes retenues passent de plus en plus de temps dans les CRA

Au-delà de ses réserves, le CGLPL avait appelé l'attention du Gouvernement sur les conditions de rétention qui rendent cette mesure insupportable dans la durée. Comme dans son rapport annuel d'activité de 2019 (39), il ne peut qu'exprimer ici sa préoccupation dans les mêmes termes qu'alors : « le CGLPL observe que depuis [l'augmentation de la durée maximum de rétention de 45 à 90 jours] le climat général des centres s'est tendu ; des suicides ou tentatives de suicide semblent plus fréquents, les associations d'aide juridique rencontrent des difficultés pour exercer leur mission au point de se retirer (…) ».
Le temps moyen passé en rétention augmente également, en particulier pour les ressortissants de certains pays, du fait de la forte réticence des autorités du pays de destination à accorder des laissez-passer ajoutée à la prolongation des mesures en dépit des faibles perspectives d'éloignement.
La durée moyenne de rétention a presque doublé depuis 2017 (40). Année après année, l'analyse des données statistiques en la matière démontre pourtant que la majorité des éloignements sont réalisés dans les premiers jours de la rétention, et que l'accroissement de la durée de l'enfermement n'a pas d'incidence significative sur le nombre d'éloignement effectifs (41).

2.2. Une surenchère sécuritaire matérialisée par la carcéralisation des CRA

Parmi les facteurs participant du caractère attentatoire à la dignité des conditions de prise en charge dans les CRA figure leur « carcéralisation », dont témoignent aussi bien leurs modalités de fonctionnement que, pour certains CRA, leur aspect extérieur et leur configuration. Dans son rapport annuel d'activité de 2019, le CGLPL appelait déjà sur ce point l'attention des pouvoirs publics en ces termes :
« La succession des visites de CRA par le CGLPL met en évidence une évolution très nette de ces structures vers une vocation sécuritaire de plus en plus affirmée, en décalage complet avec leur fonction comme avec la nature de la population hébergée (…). L'organisation interne et la sécurisation (…) donnent en effet l'impression d'un milieu carcéral avec des espaces cloisonnés, des circulations internes compliquées et des clôtures surmontées de barbelés. Le menottage est systématique pour tous les déplacements, le plus souvent dans le dos. La pratique des isolements disciplinaires (donnant fréquemment lieu à une contention stricte), sans être massive, n'est pas rare alors même que rien ne les prévoit, pas même le règlement intérieur, qui serait du reste impuissant à les autoriser, toute restriction de liberté au sein du lieu devant être prévue par la loi et assortie d'une procédure garantissant les droits de la défense. La surveillance se fait parfois exclusivement via des caméras, sans contact entre la population retenue et les policiers qui, parfois, ne pénètrent dans la zone de rétention que pour assurer la sécurité de l'équipe de nettoyage, contrôler l'accès à l'unité médicale, à l'OFII ou à l'association d'aide juridique et contrôler les repas. Un chef de CRA a même affirmé avec clarté que « [S]on premier objectif est d'éviter toute évasion ». Le plus souvent, (…) le personnel (…) se comporte en gardien de dangereux individus (…) ».
La circonstance que les visites menées depuis donnent lieu, au mieux à la répétition de ces constats vieux de quatre ans (et qui déjà n'étaient pas neufs), au pire à leur aggravation, révèle l'absence de prise en compte des recommandations du CGLPL et pointe la responsabilité de l'administration dans la dégradation des conditions de vie dans les CRA : le double constat de l'inefficacité du recours croissant à l'enfermement et de la multiplication des atteintes aux droits des personnes retenues commande l'engagement d'une politique ferme de réduction de la pression sur ces structures.
L'impossibilité manifeste de garantir aux étrangers retenus, en l'état des structures existantes, une prise en charge respectueuse de leurs droits et de leur dignité devrait en tout état de cause conduire à une réduction drastique du recours à la rétention administrative, lequel devrait, conformément à la loi, concerner uniquement les étrangers qui « ne présentent pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision » (42).

2.2.1. Des bâtiments conçus comme des espaces de haute sécurité

Lors de sa première visite du CRA n° 2 de Lyon, le CGLPL a pu constater que l'architecture du centre se distingue par la dimension carcérale du bâtiment et de ses abords. Le bâtiment est sécurisé par une enceinte murale surmontée de grillages hérissés de barbelés d'une hauteur de quatre mètres, des herses anti-intrusion disposées devant les deux entrées réservées aux véhicules et 185 caméras de vidéosurveillance réparties dans le centre et ses abords.
Si un doute devait persister quant aux motifs ayant présidé à ces choix architecturaux et à cette conception exclusivement sécuritaire du bâti, il serait levé par la lecture du compte-rendu de la séance du 1er juin 2022 du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), aux termes duquel « le CRA 2 est un prototype de CRA nouvelle génération (…). L'idée est d'éviter le maximum de contact avec les retenus. Ainsi moins les agents sont au contact des retenus, moins ils sont exposés aux blessures en service. C'est un CRA ultra sécurisé ».
Les conditions de vie, combinées à l'allongement des durées légales et effectives de rétention sont les facteurs principaux, si ce n'est exclusifs, à l'origine du climat de violence qui règne dans de trop nombreux CRA.
Si le souci qu'a l'administration de veiller à la sécurité de ses agents et d'améliorer leurs conditions de travail est naturellement légitime, l'approche consistant à « limiter le contact » entre policiers et retenus est contestable à plusieurs titres. Tout d'abord, elle ne saurait protéger que les premiers en laissant les seconds livrés à eux-mêmes. Ensuite, loin de prévenir les violences, l'éloignement du personnel de police de la population retenue ne fait que renforcer la méconnaissance - et donc la crainte - que les agents sont susceptibles de nourrir à l'endroit des personnes qui leur sont confiées et qui, à leur tour, ne peuvent les identifier comme un recours ou, plus simplement, un interlocuteur. En d'autres termes, une telle logique ne peut que nourrir la violence qu'elle prétend combattre - qui serait bien plus efficacement prévenue par la réduction du nombre de retenus et de leur durée d'enfermement.
S'agissant du CRA de Metz, le constat de sa dimension sécuritaire est le même que celui dressé en 2017, renforcée par la mitoyenneté avec le centre pénitentiaire, dont l'un des miradors surplombe le parking d'entrée. Depuis la dernière visite, la sécurité a encore été renforcée, ce que l'administration justifie en invoquant d'une part une tentative d'intrusion en 2020 (43) et, d'autre part, l'évolution du profil des retenus qui seraient majoritairement sortants de prison. Il faut souligner, à cet égard, que cette dernière affirmation ne reflète pas la réalité statistique, puisque les sortants de prison ne représentent pas plus de 25 % des personnes retenues depuis le 1er janvier 2022 (44).
Parmi les aménagements effectués au CRA de Metz au titre de la sécurisation du site, peuvent être également mentionnés le rehaussement de la double clôture grillagée de quatre mètres qui entoure le CRA, le renforcement et le doublage du chemin de ronde, l'instauration d'outils de sécurisation passive extérieure, notamment des lasers de détection à hauteur des grillages, ainsi que le renforcement du barreaudage des fenêtres des bâtiments réservés aux hommes.
Le nombre de caméras de vidéosurveillance réparties dans le centre et à ses abords a sensiblement augmenté, passant de 56 en 2017 à 65 en 2022. A la suite de l'évasion de douze personnes retenues en septembre 2022, une évaluation de sûreté a été réalisée, préconisant de restreindre le plus possible les allers et venues des retenus dans la zone administrative. Dans ce but, la construction en 2023, dans la cour des retenus d'un bâtiment réservé à l'OFII et à l'ASSFAM, est prévue et budgétée. Les policiers ont indiqué que cette nouvelle organisation aurait l'avantage de limiter le plus possible les contacts entre la PAF et les personnes retenues.

2.2.2. Surveillance et restriction des mouvements, mises à l'écart de plus en plus fréquentes

Une fois franchis les dispositifs de sécurité, les personnes retenues sont soumises à une surveillance vidéo constante et à des restrictions croissantes de leur liberté de mouvement.
Au CRA n° 2 de Lyon tous les secteurs de circulation, y compris les couloirs d'accès aux chambres ainsi que les salles télévision et détente de chaque bloc et leurs cours respectives, sont surveillés en permanence par des caméras. Les images captées par ces dernières sont projetées sur les écrans de contrôle de la salle de veille et de surveillance. Elles sont conservées trente jours et peuvent être extraites sur support numérique.
Les conditions de surveillance et l'organisation des déplacements dans ces lieux évoquent ainsi celles que l'on peut observer dans un établissement pénitentiaire. La référence à ce « modèle » est constante et assumée par les agents comme par leur hiérarchie, qui évoquent sans cesse l'augmentation du nombre de sortants de prison retenus pour justifier la dimension de plus en plus sécuritaire de leur prise en charge. Une argumentation qui peine à convaincre car l'augmentation du nombre de sortants de prison parmi les retenus est la conséquence directe de l'absence de diligence de l'administration aux fins d'éloignement des étrangers détenus qui pourrait être prévue en amont de leur sortie de prison.
Enfin, l'augmentation significative du nombre de mesures de mise à l'écart dans les CRA témoigne également de la place centrale conférée aux mesures d'enfermement dans la prise en charge des étrangers retenus, soit à l'encontre de personnes qui sont déjà privées de liberté et, de surcroît, selon des modalités qui contreviennent aux règles et principes applicables en la matière.
Aucune mesure de mise à l'écart ne peut être imposée aux personnes retenues en l'absence d'un fondement légal et d'un cadre réglementaire en définissant les finalités et les modalités de mise en œuvre ; toute décision d'y recourir doit être tracée, motivée et doit pouvoir faire l'objet d'un recours.

2.3. Des mineurs sont toujours enfermés en CRA avec leurs familles (45)

Le CGLPL considère que l'enfermement d'enfants en centre de rétention est contraire à leurs droits fondamentaux (46) ; le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme partagent cette analyse. Pourtant, entre 2015 et 2017, cet enfermement a augmenté de manière constante. Si la loi du 7 mars 2016 (47) a posé des conditions strictes quant à la possibilité de rétention des mineurs accompagnants leur famille, au prétexte d'en encadrer la pratique, son application ne l'a nullement réduite.
En 2022, 94 enfants mineurs ont été placés en rétention, soit 18 de plus qu'en 2021. Si les conditions matérielles de leur prise en charge sont généralement correctes, leur enfermement en lui-même entraîne des atteintes à leur dignité ainsi qu'à leur intégrité psychique, de telles mesures n'étant jamais compatibles avec le respect de leur intérêt supérieur.
La pratique à cet égard varie fortement et si certains CRA hébergent régulièrement des mineurs, comme ceux de Metz ou du Mesnil-Amelot, d'autres n'en accueillent jamais.
Le rapport de la visite du CRA de Metz en octobre 2017 faisait ainsi état d'une hausse du nombre de familles et de mineurs placés en rétention, qualifiée de spectaculaire pour l'année 2017 : 164 mineurs placés au centre de rétention administrative de Metz, contre 107 en 2016. Le plus jeune d'entre eux avait 4 mois. L'autre point d'importance relevé par les contrôleurs lors de cette visite concerne l'état des bâtiments d'hébergement, des cours intérieures et des abords extérieurs, dans un état de saleté déplorable.
Quelques mois auparavant, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait condamné la France pour avoir enfermé au CRA de Metz des enfants retenus avec leurs parents dans des conditions et pour une durée qui, combinés, excédaient le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme prohibant la torture et les traitements inhumains ou dégradants (48). A l'issue de sa visite, le CGLPL avait recommandé « que l'enfermement d'enfants soit interdit dans les CRA, seule la mesure d'assignation à résidence pouvant être mise en œuvre à l'égard des familles accompagnées d'enfants ». La quatrième visite du CRA de Metz par le CGLPL, en 2022, a également eu lieu quelques mois après que la CEDH a condamné la France une seconde fois, le 31 mars 2022, pour des faits de même nature (49).
Pour autant, la situation n'a pas évolué et de nombreux mineurs ont été retenus au CRA avec leurs familles. En 2021, 41 familles accompagnés de 57 enfants y ont été placées. Près de 40 % des enfants placés étaient âgés de 5 ans ou moins, le plus jeune était âgé de deux mois. En 2022, ce sont 72 mineurs qui ont été retenus avec leurs familles.
S'agissant des durées d'enfermement, en 2021 et 2022, quatre familles avec des enfants mineurs sont restées retenues pendant 8, 11, 12 et jusqu'à 27 jours. Le second cas concernait une famille avec deux enfants nés en 2017 et en 2018 qui n'a été libérée qu'après 10 jours de rétention à la suite de la notification par la CEDH, le 21 novembre 2022, d'une mesure provisoire au titre de l'article 39 de son règlement.
Toujours à Metz, les conditions d'hébergement des familles avec enfants mineurs restent indignes. La cour de la zone réservée aux familles n'est séparée de la zone des hommes que par un grillage « permettant de voir tout ce qui s'y passe » (50). Les enfants sont témoins d'altercations et de violences. Aucun matériel de puériculture n'est disponible. Seuls les très jeunes enfants disposent de rares jouets pour s'occuper à l'intérieur. Les enfants âgés de deux ans reçoivent les mêmes plateaux-repas que les adultes. Le marché prévoit pourtant des repas « pour des enfants de différents âges conformes à leurs besoins nutritionnels ».
En outre, deux décisions récentes (51) de la CEDH qui concernent deux des CRA objets des présentes recommandations, condamnent à nouveau la France au regard de pratiques constatées et dénoncées par le CGLPL à propos du placement en rétention de deux mères avec leurs enfants Dans les deux cas, la Cour a estimé que compte tenu de l'âge des enfants, de la durée de leur placement en rétention et des conditions d'accueil des CRA concernés - Metz et le Mesnil-Amelot - les autorités compétentes avaient soumis les enfants concernés à un traitement ayant dépassé le seuil de gravité requis par l'article 3 de la Convention, qui prohibe torture, peines et traitements inhumains ou dégradants.
La Cour retient également que les autorités françaises n'avaient pas effectivement vérifié que les placements rétention et leurs prolongations constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles ne pouvait être substituée aucune autre mesure moins restrictive.
L'enfermement des familles avec enfants en CRA, même pour une courte durée, doit être proscrit.
Les constats récurrents du CGLPL relatifs aux CRA semblent ainsi ne pas porter leurs fruits en dépit des engagements pris à la suite de ses rapports de visite. Les mesures de rétention, dont l'efficacité opérationnelle n'est pas démontrée, croissent en nombre et en durée. Les conditions de rétention se dégradent, à la fois en raison du vieillissement de locaux mal entretenus, suroccupés, conçus pour de brefs séjours, et en raison de choix organisationnels ou architecturaux opérés sans qu'il soit tenu compte des obligations de l'administration en matière de respect des droits des personnes retenues. L'exemple du CRA de Lyon en montre pourtant les effets nocifs, y compris au regard des objectifs de sécurité qu'ils sont censés poursuivre. En outre, ces recommandations ne concernent que des établissements situés sur le territoire métropolitain ; le CGLPL s'alarme a fortiori des conditions de rétention et d'éloignement mises en œuvre outre-mer.
Les dernières condamnations de la France par la CEDH et les constats exposés dans les présentes recommandations démontrent l'urgence de modifier profondément l'approche actuelle en matière de prise en charge des étrangers en situation irrégulière placés en rétention. Sans une volonté résolue d'assurer le respect des principes qui régissent en droit français le recours à la rétention administrative, sans une élévation des standards concernant les conditions de rétention, et sans une professionnalisation accrue des fonctionnaires en charge de la mise en œuvre de ces mesures, les atteintes sévères à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes retenues se poursuivront, et donneront lieu à des condamnations répétées de notre pays par les instances internationales.

(1) En 2022, on compte 25 CRA en France, dont 4 outre-mer, pour un total de 1 936 places. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, adoptée en décembre 2022, prévoit d'atteindre 3 000 places de CRA en 2027.
(2) En 2022, 15 922 personnes ont été retenues sur le territoire métropolitain et 27 643 personnes outre-mer.
(3) De 7 jours en 1981, la durée maximale a continuellement augmenté, passant à 10 jours en 1993, 12 en 1998, 32 en 2003, 45 en 2011 et 90 en 2019. Parallèlement, la durée moyenne de rétention augmente. Elle est passée de 13 jours en 2009 à 23 jours en 2022 (sources : rapport annuel d'activités 2009 du CGLPL et Rapport national et local inter associatif sur les centres et locaux de rétention administrative 2022).
(4) Troisième visite du CRA de Sète du 13 au 16 février 2023.
(5) Quatrième visite des CRA 2 et 3 du Mesnil-Amelot du 7 au 10 novembre 2022.
(6) Quatrième visite du CRA de Metz-Queuleu du 5 au 9 décembre 2022.
(7) Les précédentes visites se sont déroulées en novembre 2011, février 2014, et mars 2018.
(8) Dans ses observations du 16 mars 2020 sur le rapport de la visite du CRA du Mesnil Amelot menée en mars 2018, le ministre de l'intérieur faisait ainsi valoir que des réparations étaient réalisées « dès constatation de dégradations » et, s'agissant de l'entretien des bâtiments, que « le prestataire [s'était] vu imposer une opération de récurage à ses frais, compte tenu de l'insuffisance des prestations antérieures » ; ses observations de février 2019 sur le rapport de la visite du CRA de Metz en août 2018, faisaient quant à elles état du prochain renouvellement du marché public de nettoyage des locaux, précisant que le nouveau contrat serait « adapté afin de prendre en compte les observations formulées par la Contrôleure générale ».
(9) Du 13 au 17 mars 2023.
(10) Appellation utilisée au CRA.
(11) Lors de la visite, seules 40 places étaient ouvertes au CRA n° 2, correspondant aux zones familles et femmes en raison d'un manque d'effectif chronique.
(12) Une chambre était condamnée pour travaux.
(13) Dans le contexte de certains CRA, il peut même s'agir de bonnes pratiques que le CGLPL a parfois pu souligner.
(14) Cellule d'appui à l'éloignement.
(15) Un projet d'installation de consoles de jeux au CRA 2 s'est trouvé bloqué depuis la crise sanitaire.
(16) L'argument avancé pour motiver ce refus étant que les parties de football entraînent disputes et violences.
(17) La date correspond au début de la visite de l'établissement par le CGLPL.
(18) Chiffres concernant le CRA n° 1 en 2021 et le CRA n° 2 en 2022.
(19) Et 9 mises à l'écart à titre sanitaire. La motivation, dans la grande majorité des cas, n'est pas plus développée.
(20) Lors de la dernière visite du CGLPL au CRA n° 1 de Lyon, en 2018, la durée moyenne des mises à l'écart mises en œuvre était de 8 heures.
(21) Le médecin n'est présent que deux à trois demi-journées par semaine.
(22) Ce sont les repas prévus pour les retenus extraits hors du CRA.
(23) Seule la mention « pour sa sécurité, il était entravé au lit » est portée sur une fiche d'information adressée à la direction zonale de la police aux frontières.
(24) La date du 22 septembre 2022 correspond à la date à laquelle le registre consulté avait été ouvert.
(25) Circulaire n° NOR : IMIM1000105C du 14 juin 2010.
(26) Cette possibilité est en effet prévue à l'article 17 du modèle de règlement intérieur des CRA annexé à l'arrêté du 2 mai 2006 pris en application de l'article 4 du décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d'attente pris en application des articles L. 111-9, L. 551-2, L. 553-6 et L. 821-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
(27) Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020.
(28) Sauf au CRA n° 3 du Mesnil-Amelot.
(29) Pour le motif suivant : « tentative de suicide », ce qui soulève l'inquiétude au regard de la prophylaxie de la crise suicidaire.
(30) Des contrôleurs en ont été témoins.
(31) Arrêté du 17 décembre 2021 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative et instruction du Gouvernement du 11 février 2022 relative aux centres de rétention administrative.
(32) Seule l'assistante médico-administrative est présente deux jours par semaine, depuis septembre 2022.
(33) Sur les 106 personnes retenues au CRA lors de la visite, 64 recevaient quotidiennement un traitement par Lyrica© ou Pregabaline© et 62 recevaient du Diazepam©, fréquemment associé au premier.
(34) Ces prescriptions concernent 60 % d'entre elles.
(35) La durée moyenne de rétention, calculée à 5,6 jours en 2003, s'élève à 23 jours en 2022 (Cf. rapport annuel d'activité 2022 du CGLPL, p. 205 et Rapport national et local inter associatif sur les centres et locaux de rétention administrative 2022, p. 13).
(36) L'article L. 741-1du CESEDA dispose que l'autorité administrative peut placer en rétention les étrangers éligibles à une mesure d'éloignement lorsqu'« aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision ».
(37) Rapport inter associatif national et local 2022 sur les CRA et LRA.
(38) Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
(39) CGLPL, Rapport annuel d'activité 2019, p. 63.
(40) 12,8 jours en 2017, 23 en 2022 selon le rapport inter associatif national et local 2022 sur les CRA et LRA.
(41) Voir en ce sens le Rapport inter associatif national et local 2022 sur les CRA et LRA.
(42) Article L. 741-1 du CESEDA.
(43) Le site a été pris d'assaut au moyen d'un véhicule.
(44) La proportion de retenus sortants de prison a augmenté de 11 % fin 2019, à 22 % en 2020 pour atteindre 26 % en 2021. Depuis le 1er janvier 2022, 25 % des entrants sont des sortants de prison. Le premier jour de la visite, 23 des 73 personnes retenues présentent ce profil, soit une proportion de 31,5 % et trois sont inscrits au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
(45) Les données chiffrées figurant dans cette partie se rapportent à la seule situation métropolitaine.
(46) Voir en ce sens son avis du 9 mai 2018 relatif à l'enfermement des enfants en centres de rétention administrative, publié au JO du 14 juin 2018.
(47) Loi n° n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
(48) A.M. et autres c. France, n° 24587/12, 12 juillet 2016.
(49) N.B. et autres c. France, n° 49775/20, 31 mars 2022.
(50) A.M. et autres c. France, n° 24587/12, 12 juillet 2016, § 50.
(51) A.C. et M. C. c. France et A.M. et autres c. France, n° 4289/21 et 7534/20, 4 mai 2023.


Historique des versions

Version 1

Depuis sa création, le CGLPL a visité tous les centres de rétention administrative (CRA) au moins une fois, la plupart trois ou quatre fois, à l'exception des établissements les plus récents. Ces lieux de privation de liberté dans lesquels sont enfermés, parfois avec leurs enfants mineurs, des hommes et des femmes dont la situation administrative est irrégulière au regard de la législation sur l'entrée et le séjour sur le territoire, ont vu leur nombre et leur taille s'accroitre au fil du temps (1), tandis que le nombre de mesures d'enfermement prises à l'encontre de personnes étrangères a également augmenté (2), de même que la durée maximale et moyenne de séjour (3).

Les constats régulièrement effectués par le CGLPL dans ces établissements révèlent non seulement que les conditions de prise en charge y sont, dans la majorité des cas, gravement attentatoires à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes retenues, mais surtout pour nombre de CRA, les visites successives du CGLPL donnent lieu à des recommandations récurrentes laissées sans suite face à l'inertie des autorités compétentes.

Tel est le cas de trois des CRA concernés par les présentes recommandations visités au cours des six derniers mois : ceux de Sète (4), du Mesnil-Amelot (5) et de Metz (6).

Quant au CRA n° 2 de Lyon, contrôlé du 13 au 17 mars 2023, il faisait l'objet d'une première visite du CGLPL. Ouvert en janvier 2022, il est supposé servir de modèle de « CRA du futur ». Or, l'agencement et l'organisation des lieux, entraînent des atteintes graves à l'intimité, à la dignité et à la sécurité des personnes qui y sont enfermées.

A l'issue de ses visites, conformément à l'article 10 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a adressé les présentes recommandations à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et au ministre de la santé et leur a donné un délai d'un mois pour faire part de leurs observations.

1. Les personnes retenues en CRA y sont hébergées dans des conditions indignes et sont livrées à elles-mêmes

Les constats du CGLPL sur les conditions d'enfermement en CRA sont récurrents et sans corrélation systématique avec l'ancienneté du bâti : le CRA de Sète a rouvert en janvier 2022 après neuf mois de fermeture pour travaux, essentiellement destinés à améliorer les conditions de travail des fonctionnaires. Comme au très récent CRA n° 2 de Lyon, les hébergements y sont, comme ailleurs, inadaptés ou sous-dimensionnés, anxiogènes, dégradés et mal entretenus. Les retenus y sont privés d'intimité, d'activité, de perspectives et, dans l'ensemble, largement livrés à eux-mêmes.

1.1. Les locaux, dégradés ou vétustes, ne garantissent pas le respect de la dignité des personnes retenues

Les locaux d'hébergement des CRA du Mesnil-Amelot, Sète et Metz présentent un caractère vétuste ou dégradé, insuffisamment entretenu, dénoncé à chaque visite des contrôleurs. La visite du CRA n° 2 de Lyon a donné lieu à des constats équivalents.

Sols sales et abîmés à Metz, murs maculés de graffiti et de souillures de diverses natures à Lyon, sanitaires sales et rongés par l'humidié à Sète. Le CRA du Mesnil-Amelot, visité en 2022 pour la quatrième fois (7), fait l'objet des mêmes constats : les locaux sont dégradés et insuffisamment entretenus. Dans les chambres, les armoires n'ont pas de porte, des tables n'ont pas de chaise, des matelas n'ont pas de housse. Les murs sont parfois lépreux et généralement recouverts de graffitis.

En dépit des engagements (8) pris par les autorités après chacune des visites du CGLPL, les modalités d'entretien et de réparation sont insuffisantes. Au Mesnil-Amelot, contrairement à ce que prévoient les clauses techniques particulières du marché public, il n'y a pas de prestation de ménage le week-end. Le volume horaire quotidien des prestations, théoriquement fixé à une heure trente par pavillon, ne dépasse pas une demi-heure. A Metz, dans les bâtiments hommes, le temps consacré au nettoyage des sanitaires n'atteint pas non plus la demi-heure et s'élève à vingt-quatre minutes par bâtiment. Partout, sanitaires et salles d'eau sont dégradés - humidité, peinture écaillée, saleté incrustée.

En hiver, les personnes retenues ont froid. C'est le cas dans la zone famille du CRA de Metz, même fenêtres fermées. Les chauffe-eaux y sont sous-dimensionnés et seuls les premiers qui se douchent disposent d'une eau suffisamment chaude. Au CRA de Sète, le chauffage était hors service dans les chambres du premier étage lors de la visite du CGLPL (9).

Les espaces communs sont également dégradés, les salles collectives mal équipées et peu aménagées. Si les cours du Mesnil-Amelot disposent d'agrès, au CRA de Sète cet espace extérieur ne mérite guère la qualification de « cour de promenade » : d'une superficie de 45 m2, l'espace est enclos par trois murs et une grille. Couvert d'un grillage, il n'évoque qu'une cage. Les retenus y fument, immobiles, ou y tournent en rond sans but.

A l'indignité des conditions d'hébergement s'ajoute, à Lyon, une atmosphère particulièrement oppressante : les lieux et espaces de vie, enclavés au cœur du bâtiment, sont dépourvus de toute ouverture vers l'extérieur et sans éclairage naturel. Tel est le cas de la plupart des chambres ainsi que des réfectoires - dont les seules ouvertures donnent sur un couloir où les policiers se mettent en faction le temps des repas.

Les centres de rétention administrative doivent être construits, agencés et organisés de façon à permettre le respect effectif de la dignité et de l'intimité des personnes qui y sont hébergées. Les conditions matérielles d'hébergement des personnes retenues et l'hygiène des locaux doivent être améliorées. Les bâtiments doivent faire l'objet d'un entretien et d'un nettoyage régulier. Les équipements dégradés doivent être systématiquement réparés ou remplacés.

1.2. L'organisation des lieux ne permet aucune intimité

Au CRA n° 2 de Lyon cohabitaient, lors de la visite du CGLPL, 106 retenus répartis en sept blocs (10). 149 personnes étaient hébergées aux CRA 2 & 3 du Mesnil-Amelot, réparties dans deux centres de six bâtiments chacun (11). Le CRA de Metz accueillait 73 personnes dont 7 femmes, pour 98 places distribuées sur sept bâtiments. Plus petit, le CRA de Sète accueillait 26 retenus pour 28 places théoriques (12). Or, ni l'organisation ni l'agencement des locaux en ces lieux ne permettent de garantir aux personnes retenues la moindre intimité, même lorsqu'il s'agit de l'utilisation des sanitaires et des salles d'eau.

A Lyon, les portes des chambres sont percées de larges ouvertures qui permettent d'en observer l'intérieur depuis les couloirs. Les sanitaires ne sont séparés du reste de la pièce que par une porte battante de type saloon ; les retenus tendent des draps qu'ils font tenir avec du dentifrice pour préserver un semblant d'intimité. Au Mesnil-Amelot, rien ne distingue les portes des chambres et celles des sanitaires collectifs, si bien qu'on peut entrer par erreur dans une chambre en pensant entrer dans les sanitaires - et vice-versa. A Sète comme au Mesnil-Amelot, les portes des toilettes ou des douches ne peuvent être fermées de l'intérieur, faute de verrou. Le risque d'atteinte à l'intimité et d'intrusion est partout accentué par l'impossibilité de fermer les portes des chambres. Pour se protéger des intrusions, les retenus de Lyon tressent des lambeaux de draps pour fabriquer des cordes de fortune, dont ils nouent une extrémité à la table scellée au sol et l'autre à la poignée de la porte. A Metz, les personnes retenues tendent des tissus dans l'embrasure de leur porte et sur les fenêtres, ou tentent de bloquer les portes des chambres avec des matelas.

Lorsque qu'ils fonctionnent, les téléphones en libre accès, généralement fixés au mur dans des lieux de passage, ne garantissent aucunement l'intimité des échanges entre les retenus et leurs proches ou leurs avocats.

L'intimité des personnes retenues doit être préservée. Les portes des chambres, des sanitaires, et des armoires personnelles doivent être équipées de dispositifs de verrouillage.

1.3. Les personnes retenues sont livrées à elles-mêmes et exposées à des risques de violences

Dans le cadre de ses visites de CRA, le CGLPL a pu qualifier de bonne pratique le fait de permettre aux personnes retenues d'aller et venir et de s'organiser avec une certaine autonomie, notamment dans la zone de vie. Toutefois, une telle approche n'exonère pas les autorités de s'intéresser aux conditions dans lesquelles cette autonomie s'exerce (13). La mise à distance des retenus en raison de leur dangerosité présumée ne saurait être présentée comme une manière de leur garantir une certaine liberté de mouvement. Les constats effectués montrent au contraire que l'absence de cadre, résultant de la volonté de tenir les policiers à distance des retenus, est particulièrement défavorable à ces derniers.

Dans ce contexte, les actes de violences sont nombreux et les tensions permanentes. Le personnel de police, quand il n'y contribue pas, peine tant à les prévenir qu'à y mettre fin. Peu ou mal formé à la garde, il manifeste une inquiétude, voire une crainte, constante pour sa propre sécurité.

1.3.1. Aucune activité ou occupation n'est proposée aux personnes retenues

Dans les CRA, les journées se déroulent dans une atmosphère d'anxiété et de tensions, dans des locaux où rien n'est pensé pour s'occuper ou se distraire. Lors de leur visite au CRA du Mesnil-Amelot, les contrôleurs ont été témoins de l'arrivée d'un retenu, laissé à la grille d'entrée de la zone d'hébergement, alors que le lit qui lui avait été attribué était dépourvu de matelas. Au CRA de Sète, policiers et intervenants entrent le moins possible en zone d'hébergement. Les personnes retenues sont supposées s'auto-gérer, y compris pour accueillir et informer les nouveaux arrivants.

Si, à Sète, la création d'un poste d'agent de police CAEL (14) chargé d'apaiser les tensions et d'organiser des activités est une initiative à saluer, dans les autres centres, l'inoccupation est la règle.

Au Mesnil-Amelot, aucune activité n'est vraiment mise en place. En-dehors de la télévision, de quelques ballons et des agrès, rien n'est prévu pour occuper les retenus. Des jeux de société sont stockés dans une pièce attenante au local de fouilles du CRA 2, mais ni retenu ni agent n'en connaissent l'existence ou la localisation (15). A Sète, la « salle de détente » - un peu moins de 60 m2 - est lugubre et inconfortable, équipée d'un baby-foot (le deuxième a été retiré), d'une fontaine à eau, de deux tables et de chaises fixées au sol. Deux distributeurs de snacks automatiques y sont hors service depuis septembre 2022. Le téléviseur est toujours allumé mais la télécommande - « pour des raisons de sécurité » - n'est pas librement accessible ; ce sont les agents de la PAF qui, à la demande des retenus, changent de chaîne. La plupart du temps, les retenus sont confinés dans leur zone d'hébergement, d'où ils ne sortent, à leur demande et sur accord des agents, que pour se rendre dans le couloir où se situent les bureaux des partenaires institutionnels, dans le local de fouille ou la salle de restauration.

Au CRA de Lyon, l'organisation interne du centre est entièrement soumise à un fonctionnement par blocs ; les déplacements sont collectifs et ne concernent que les personnes d'un même bloc, qu'il s'agisse de se diriger vers la « zone d'autonomie commune » (ZAC) où se trouvent les bureaux des partenaires institutionnels et la bagagerie, ou au réfectoire. Cette organisation est mise en œuvre de manière rigide pour éviter les contacts entre occupants de blocs différents. Chaque bloc (entre 16 et 19 occupants lors du contrôle) a un droit d'accès d'une heure par jour à la ZAC : les retenus doivent mettre à profit le peu de temps ainsi imparti pour retirer des affaires dans leur bagage, se rendre au service médical, exposer leur situation juridique auprès des intervenants de Forum Réfugiés, rencontrer les agents de l'OFII pour effectuer des achats de première nécessité et préparer leur retour dans leur pays d'origine. Eu égard à l'importance de ces démarches, ce temps est plus qu'insuffisant, alors que les personnes retenues sont enfermées à peu près 22 heures sur 24 heures dans leurs blocs respectifs où, du fait de la faible présence policière, elles sont livrées à elles-mêmes et soumises à la loi du plus fort. Les changements de lits ou de chambres se font dans l'indifférence générale, sans contrôle ni suivi.

Dans ces blocs à l'atmosphère oppressante - grillages omniprésents et portes blindées - aucune activité n'est proposée. Télévisions et consoles de jeux sont presque toutes cassées. Plus aucun ballon n'étant distribué (16), il est impossible de jouer au football et les tables de ping-pong encore installées ne servent plus, faute de balles et de raquettes.

Afin d'occuper le temps de plus en plus long passé en rétention, des activités doivent être proposées aux personnes retenues, dont la liberté de circulation ne doit pas être restreinte au-delà de ce que requiert la préservation de l'ordre et de la sécurité du CRA.

1.3.2. Une atmosphère de tension et de violence à laquelle cèdent parfois les membres du personnel de police

L'atmosphère de tensions engendrée par ces conditions d'enfermement entraîne régulièrement, en dehors de tout cadre légal, des mesures à visée disciplinaire, notamment de mise à l'écart, qui nourrissent à leur tour une atmosphère nocive. L'impact de ces tensions sur le comportement des policiers ne l'est pas moins.

Au Mesnil-Amelot, le CGLPL relève une augmentation préoccupante du niveau de violence depuis sa dernière visite : en 2018, on faisait état de 29 faits de violence pour toute l'année 2017 ; leur nombre s'élève à 61 sur la seule période du 1er janvier au 7 novembre 2022 (17). Plus précisément, au CRA n° 3, 41 faits de violences entre retenus étaient dénombrés, contre 30 en 2021 sur cette même période. Si les violences sont en diminution au CRA n° 2, ce constat doit être mis en relation avec la fermeture des bâtiments pour hommes.

Au CRA de Lyon, entre 2021 et 2022, le nombre d'incidents a également augmenté, passant de 52 à 86 (18) - et ce en dépit d'un risque sérieux de sous-détection du fait de l'organisation des lieux, en particulier de la faible présence des policiers en zone de vie. Le personnel est également mis en cause : en 2021, 21 procédures judiciaires ont été ouvertes pour violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique ; 6 étaient en cours lors de la visite et dans 2 d'entre elles les retenus concernés faisaient en outre état de propos racistes imputés à des policiers.

Toujours à Lyon, entre le 1er janvier et le 10 mars 2023, 83 mesures de mises à l'écart avaient été prises pour « troubles à l'ordre public » (19). Les contrôleurs ont aléatoirement sélectionné 34 mesures afin de les analyser. Leur durée moyenne était de 26 heures. Trois d'entre elles avaient duré plus de 55 heures, la plus longue ayant atteint 59 heures (20).

Ces mesures sont mises en œuvre dans des pièces d'une saleté repoussante, qui n'avaient manifestement fait l'objet d'aucun entretien depuis plusieurs jours et peut-être davantage. Leurs murs étaient maculés de graffitis, certains tracés au moyen de matières fécales. L'odeur y était pestilentielle. Le bloc inox, identique à ceux des quartiers disciplinaires en prison, comportait un point d'eau et un WC. Dans l'une des trois chambres de mise à l'écart, le point d'eau ne fonctionnait pas. Dans deux d'entre elles, les lits - métalliques et fixés au sol - n'avaient pas de matelas - le matelas de la troisième n'avait pas de housse.

En l'absence de médecin pour donner un avis sur la compatibilité de l'état de santé de la personne concernée avec cette mesure en journée (21), il est fait appel à l'infirmier ; la nuit, aucun médecin ni infirmier de garde n'est sollicité. Sur les 92 mesures de mises à l'écart effectuées entre le 1er janvier et le 10 mars 2023, 28 avaient été mises en œuvre sans avis médical. A ces conditions d'isolement s'ajoutent d'autres restrictions - confiscation des téléphones, repas sommaires (22) - sans fondement ni cadre pour en définir les modalités.

A Lyon également, les contrôleurs ont constaté la présence d'un kit psychiatrique de contention, dont il leur a été indiqué qu'il était susceptible d'être utilisé à l'encontre des personnes agitées, placées en chambre de mise à l'écart. Le recours à une telle mesure n'étant cependant pas tracé de manière fiable (23), il est impossible d'en contrôler la fréquence, les motifs ou la durée moyenne. Ce matériel médical ne saurait être utilisé en dehors du cadre légal défini aux dispositions L. 3222-5-1 du code de la santé publique. Son utilisation par des policiers à l'encontre des personnes retenues doit être proscrite. Cette mesure manifestement illégale est au demeurant susceptible d'engager la responsabilité individuelle des fonctionnaires qui y procèdent.

Au CRA du Mesnil-Amelot, le recours à des mesures de mises à l'écart à visée disciplinaire est également en augmentation depuis la dernière visite. A titre d'exemple, le registre du CRA n° 3 recensait 28 mesures d'isolement, dont seulement 4 pour motif sanitaire, pour la période du 22 septembre au 7 novembre 2022 (24). En 2018, les contrôleurs avaient relevé 17 mesures sur une période de neuf mois. Les durées d'isolement vont d'une heure à deux jours et demi, pour une moyenne de 23 heures.

Ces pratiques témoignent de graves violations des normes applicables en la matière. En premier lieu, une circulaire du ministre de l'intérieur du 14 juin 2010 (25) souligne expressément la nécessité de respecter strictement un certain nombre de règles en cas de recours à une mesure de mise à l'écart d'une personne retenue (26), « en cas de trouble à l'ordre public ou de menace à la sécurité des autres étrangers retenus ». L'attention des services opérationnels est ainsi appelée sur le fait que « cette procédure, qui relève de la responsabilité du chef de centre, doit avoir un caractère exceptionnel, être très limitée dans le temps et strictement justifiée par le comportement de l'intéressé (…). Elle ne doit revêtir aucun caractère disciplinaire et ne doit nullement aggraver les conditions de la rétention administrative ». Excepté le fait que la décision appartient au seul chef de centre, les constats exposés plus haut démontrent qu'aucune de ces instructions n'est respectée dans les CRA objets des présentes recommandations.

Outre des précisions sur la tenue du registre et la nécessité de solliciter le médecin présent au CRA « pour un examen médical sur la base duquel il pourra, si nécessaire, prescrire d'autres dispositions pour le retenu », la circulaire impose également au chef de centre « d'informer sans délai de cette décision le procureur de la République du lieu de rétention à qui, en vertu des dispositions de l'article L. 553-3 du CESEDA, il est loisible de venir vérifier les conditions du maintien et de se faire communiquer le registre prévu à l'article L. 553-1 du CESEDA ». Or, les constats effectués sur ce point au CRA de Lyon révèlent que sur les 92 mesures de mises à l'écart prises entre le 1er janvier et le 10 mars 2023 (9 motivés par des considérations sanitaires et 83 pour «  troubles à l'ordre public  »), seules 2 ont fait l'objet d'une information du parquet plus de six heures après le début de l'isolement.

Enfin, la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui a jugé contraires à la Constitution les dispositions du code de la santé publique permettant le recours à des mesures d'isolement et de contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement au motif « qu'aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l'article 66 de la Constitution » (27), permet en tout état de cause de questionner l'applicabilité de l'instruction ministérielle précitée.

Ces mesures sont par ailleurs mises en œuvre dans des conditions indignes, dans des chambres d'isolement dépourvues de boutons d'appel, d'interrupteur, de point d'eau (28). La chambre de mise à l'écart au CRA n° 3 du Mesnil-Amelot ne dispose pas de fenêtre ; celle du CRA n° 2 dispose d'une fenêtre qui ne s'ouvre pas.

Au CRA de Sète également, la chambre de mise à l'écart est fréquemment utilisée à des fins disciplinaires. La consultation du registre, ouvert le 15 janvier 2022, fait état de 46 placements - dont aucun pour motif sanitaire, les mises à l'écart sanitaires s'effectuant dans des chambres ordinaires à proximité de l'UMCRA. Parmi les motifs invoqués : « les fonctionnaires de surveillance vidéo ont constaté que le nommé X s'affaire sur la grille du distributeur automatique dans la salle de convivialité. Quelques secondes plus tard, le retenu avait réussi à ouvrir la grille. Les effectifs sont intervenus dans le centre pour écarter le retenu qui obtempère sans incident » (mise à l'écart de 18 heures). « Les fonctionnaires de surveillance vidéo constatent que le nommé Y continu de fumer dans les locaux (chambre et couloir) malgré plusieurs rappels lors de la semaine précédente » (durée de la mise à l'écart : 21 heures). Des durées de mise à l'écart de 99 heures (29) et une de 108 heures ont également été relevées, le motif de cette dernière se passant de commentaire : « retour CHU suite automutilation ». Lors de la visite, les contrôleurs ont relevé que la chasse d'eau des toilettes de la chambre de mise à l'écart ne fonctionnait pas.

Cette atmosphère de tension observée lors des visites des CRA de Lyon, de Sète et du Mesnil-Amelot est symptomatique de la dégradation plus générale des conditions d'enfermement et de prise en charge qui y règnent. Le personnel de police est impuissant à le prévenir, et semble même y contribuer. Sont notamment rapportés à cet égard des comportements inadaptés, brutalités, moqueries, propos racistes. Beaucoup de retenus disent être traités « comme des chiens », l'expression revenant répétitivement dans les entretiens menés au Mesnil-Amelot et à Sète notamment. Le comportement inadapté de certains agents du Mesnil-Amelot a été constaté par les contrôleurs eux-mêmes. A Lyon, à Sète et au Mesnil-Amelot, le tutoiement des personnes retenues par les policiers est systématique et les moqueries fréquentes (30). Témoin au CRA n° 2 de Lyon de faits susceptibles de caractériser des violences commises par deux agents de la police aux frontières sur deux retenus, le CGLPL a par ailleurs procédé à leur signalement au procureur de la République de Lyon le 24 mars 2023 au titre des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale. Au CRA de Sète, un policier a utilisé son Taser sur un retenu qui venait de s'entailler le corps avec une lame de rasoir et de l'avaler, sans qu'aucune menace ou violence de sa part ne soit relevée dans le compte-rendu de l'incident en cause, qui se borne à indiquer : « voyant son état d'excitation et pour sa sécurité, il est fait usage du pistolet à impulsion électrique ».

L'intégrité physique des personnes retenues doit être garantie. Les autorités doivent garantir aux personnes retenues la protection contre toute forme de violences. Elles doivent prendre toute mesure propre à les prévenir et à y mettre fin, dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes enfermées.

Il doit être mis fin sans délai aux mesures d'isolement et de contention prises à l'encontre de personnes retenues, aucune disposition législative ne permettant le recours à de telles mesures en dehors du cadre des soins sans consentement strictement défini par le code de la santé publique.

1.4. La santé et l'intégrité physique et psychique des personnes retenues ne sont pas garanties

Depuis la publication de son avis du 17 décembre 2018 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes étrangères au sein des centres de rétention administrative, le CGLPL constate la persistance des dysfonctionnements et reprend les mêmes recommandations : actualiser l'encadrement juridique des UMCRA, renforcer leur pilotage et financement, faciliter l'accès aux soignants, ou encore mieux préserver le secret médical. Si de récentes évolutions normatives (31) et les améliorations observées dans le fonctionnement des services médicaux du CRA du Mesnil-Amelot semblent témoigner de la prise en compte d'un certain nombre de ces recommandations, la situation du CRA de Lyon, qui se caractérise par des atteintes particulièrement graves aux droits des personnes retenues et par la mise en danger de leur intégrité physique et psychique, ne peut que susciter l'inquiétude.

L'accès aux soins des personnes retenues au CRA de Lyon n'est, de fait, plus garanti, puisque les prestations sanitaires, régies par une convention passée entre la préfecture et les hospices civils de Lyon (HCL) ne sont plus mises en œuvre : alors que cette convention a été actualisée en septembre 2022 et prévoit la présence d'un praticien cinq demi-journées par semaine, de cinq infirmiers, d'une assistante médico administrative et de 0,05 ETP de pharmacien, aucun médecin ou soignant des HCL n'intervient au CRA depuis janvier 2023 (32). Les soins sont en conséquence entièrement délégués à une société privée d'assistance médicale, qui assure uniquement la présence d'un à deux infirmiers chaque jour et d'un médecin deux à trois demi-journées par semaine. De nombreux retenus ont rapporté n'avoir vu aucun médecin, psychiatre ou psychologue depuis leur arrivée au CRA.

Les contrôleurs ont également relevé dans ce CRA une pratique de distribution massive, sans analyse pharmaceutique préalable, de traitements médicamenteux que les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) réservent au traitement des douleurs neuropathiques et crises épileptiques partielles (33), alors qu'il est statistiquement impossible qu'une telle proportion (34) de retenus présente ces pathologies. La majorité des prescriptions faites à ce titre méconnaît donc les dispositions du code de la santé publique et les recommandations de la HAS, en plus de mettre potentiellement en danger la santé des retenus concernés. Cette situation est en outre à l'origine d'un trafic de médicaments au sein du centre de rétention. Ces constats ont en conséquence également justifié un signalement au procureur de la République de Lyon.

Enfin, la santé et l'intégrité physique des personnes retenues sont mises en péril par les carences affectant leur alimentation. Conformément à un constat effectué de manière récurrente du CGLPL s'agissant des CRA, si les rations proposées correspondent généralement aux recommandations standard, elles s'avèrent insuffisantes.

L'ensemble des retenus avec lesquels les contrôleurs se sont entretenus au CRA du Mesnil-Amelot ont affirmé souffrir de la faim et avoir maigri, parfois significativement, depuis le début de leur rétention, ce que confirment les données médicales recueillies par l'UMCRA.

Les contrôleurs ont pu en effet constater que les portions servies ne suffisent pas à rassasier des hommes jeunes - soit la majorité des retenus - même lorsqu'elles sont conformes aux clauses du marché, ce qui n'est pas systématique. Ainsi, la pesée des morceaux de pain accompagnant les repas montre régulièrement un poids de 80 grammes au lieu des 100 grammes prévus par le marché. Pour le dîner du mercredi 9 novembre 2022, la barquette de semoule pesait 263 grammes (barquette comprise) alors que les clauses prévoient pour les féculents un poids brut compris entre 380 et 560 g (poids net : 300 à 450g). Aucun menu confessionnel (hallal ou casher) n'est servi. De nombreux retenus ne mangent donc que les légumes ou féculents servis en accompagnement.

Au CRA de Metz, les contrôleurs ont constaté, lors du retour de l'audience du juge des libertés et de la détention du 8 décembre 2022 à 12 h 30, que le réfectoire était fermé et le sachet repas distribué ne comprenait qu'un morceau de pain, un biscuit, une compote, un sachet de chips et une bouteille d'eau.

A Lyon, Metz et Sète, il est par ailleurs impossible d'obtenir le moindre supplément ou portion complémentaire et il est interdit d'apporter des denrées alimentaires dans la zone de vie, par mesure d'hygiène. Les visiteurs peuvent apporter de la nourriture que les retenus peuvent consommer uniquement pendant la visite.

La santé physique et psychique des personnes retenues doit être garantie, de même que leur accès à des soins d'une qualité équivalente à ceux qui sont accessibles à l'extérieur.

La nourriture doit être préparée et servie en quantité suffisante, conformément aux normes sanitaires et aux recommandations nutritionnelles, en lien avec l'âge et la condition physique des personnes retenues ; les autorités en charge des CRA doivent veiller au respect des clauses des marchés publics de restauration à cette fin.

2. Carcéralisation et enfermement croissant

Au-delà de l'augmentation du nombre et de la durée des mesures de rétention, on assiste à un phénomène de « carcéralisation » des CRA dont l'organisation et le fonctionnement du CRA n° 2 de Lyon est une illustration préoccupante. L'inquiétude du CGLPL est d'autant plus vive que cette approche témoigne de l'absence totale de prise en compte de ses recommandations.

2.1. Augmentation du nombre et de la durée des mesures de rétention

De même que le nombre de personnes enfermées dans les CRA augmente globalement avec l'augmentation du nombre de places en CRA, la durée moyenne de rétention s'allonge avec l'augmentation de la durée maximale de rétention (34).

2.1.1. La hausse du nombre d'enfermements se poursuivra avec l'augmentation prévue du nombre de CRA

On assiste ces dernières années à une augmentation continue du nombre de mesures d'éloignement prises par les autorités préfectorales à l'encontre des étrangers en situation irrégulière. Le taux d'éloignement depuis les CRA reste inférieur à 50 %, mais le nombre de placements en CRA augmente en dépit du principe qui en fait une mesure de dernier recours (36), strictement conditionnée à l'existence d'une perspective d'éloignement.

Une augmentation significative du nombre de places en CRA est d'ores et déjà programmée (1 788 en 2022, 2 178 prévues pour fin 2023) (37), la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (38) fixant l'objectif de 3 000 places en CRA en 2027.

Ainsi que le CGLPL le soulignait dans son rapport annuel d'activité au titre de l'année 2021, la baisse du taux d'éloignement et l'augmentation, au sein de la population des personnes retenues, du nombre de sortants de prison laissent à penser que la perspective d'éloignement n'est plus le seul moteur de cette décision. Des considérations liées à « l'ordre public » entrent désormais en ligne de compte, et tendent à conférer à la rétention une dimension punitive.

2.1.2. Les personnes retenues passent de plus en plus de temps dans les CRA

Au-delà de ses réserves, le CGLPL avait appelé l'attention du Gouvernement sur les conditions de rétention qui rendent cette mesure insupportable dans la durée. Comme dans son rapport annuel d'activité de 2019 (39), il ne peut qu'exprimer ici sa préoccupation dans les mêmes termes qu'alors : « le CGLPL observe que depuis [l'augmentation de la durée maximum de rétention de 45 à 90 jours] le climat général des centres s'est tendu ; des suicides ou tentatives de suicide semblent plus fréquents, les associations d'aide juridique rencontrent des difficultés pour exercer leur mission au point de se retirer (…) ».

Le temps moyen passé en rétention augmente également, en particulier pour les ressortissants de certains pays, du fait de la forte réticence des autorités du pays de destination à accorder des laissez-passer ajoutée à la prolongation des mesures en dépit des faibles perspectives d'éloignement.

La durée moyenne de rétention a presque doublé depuis 2017 (40). Année après année, l'analyse des données statistiques en la matière démontre pourtant que la majorité des éloignements sont réalisés dans les premiers jours de la rétention, et que l'accroissement de la durée de l'enfermement n'a pas d'incidence significative sur le nombre d'éloignement effectifs (41).

2.2. Une surenchère sécuritaire matérialisée par la carcéralisation des CRA

Parmi les facteurs participant du caractère attentatoire à la dignité des conditions de prise en charge dans les CRA figure leur « carcéralisation », dont témoignent aussi bien leurs modalités de fonctionnement que, pour certains CRA, leur aspect extérieur et leur configuration. Dans son rapport annuel d'activité de 2019, le CGLPL appelait déjà sur ce point l'attention des pouvoirs publics en ces termes :

« La succession des visites de CRA par le CGLPL met en évidence une évolution très nette de ces structures vers une vocation sécuritaire de plus en plus affirmée, en décalage complet avec leur fonction comme avec la nature de la population hébergée (…). L'organisation interne et la sécurisation (…) donnent en effet l'impression d'un milieu carcéral avec des espaces cloisonnés, des circulations internes compliquées et des clôtures surmontées de barbelés. Le menottage est systématique pour tous les déplacements, le plus souvent dans le dos. La pratique des isolements disciplinaires (donnant fréquemment lieu à une contention stricte), sans être massive, n'est pas rare alors même que rien ne les prévoit, pas même le règlement intérieur, qui serait du reste impuissant à les autoriser, toute restriction de liberté au sein du lieu devant être prévue par la loi et assortie d'une procédure garantissant les droits de la défense. La surveillance se fait parfois exclusivement via des caméras, sans contact entre la population retenue et les policiers qui, parfois, ne pénètrent dans la zone de rétention que pour assurer la sécurité de l'équipe de nettoyage, contrôler l'accès à l'unité médicale, à l'OFII ou à l'association d'aide juridique et contrôler les repas. Un chef de CRA a même affirmé avec clarté que « [S]on premier objectif est d'éviter toute évasion ». Le plus souvent, (…) le personnel (…) se comporte en gardien de dangereux individus (…) ».

La circonstance que les visites menées depuis donnent lieu, au mieux à la répétition de ces constats vieux de quatre ans (et qui déjà n'étaient pas neufs), au pire à leur aggravation, révèle l'absence de prise en compte des recommandations du CGLPL et pointe la responsabilité de l'administration dans la dégradation des conditions de vie dans les CRA : le double constat de l'inefficacité du recours croissant à l'enfermement et de la multiplication des atteintes aux droits des personnes retenues commande l'engagement d'une politique ferme de réduction de la pression sur ces structures.

L'impossibilité manifeste de garantir aux étrangers retenus, en l'état des structures existantes, une prise en charge respectueuse de leurs droits et de leur dignité devrait en tout état de cause conduire à une réduction drastique du recours à la rétention administrative, lequel devrait, conformément à la loi, concerner uniquement les étrangers qui « ne présentent pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision » (42).

2.2.1. Des bâtiments conçus comme des espaces de haute sécurité

Lors de sa première visite du CRA n° 2 de Lyon, le CGLPL a pu constater que l'architecture du centre se distingue par la dimension carcérale du bâtiment et de ses abords. Le bâtiment est sécurisé par une enceinte murale surmontée de grillages hérissés de barbelés d'une hauteur de quatre mètres, des herses anti-intrusion disposées devant les deux entrées réservées aux véhicules et 185 caméras de vidéosurveillance réparties dans le centre et ses abords.

Si un doute devait persister quant aux motifs ayant présidé à ces choix architecturaux et à cette conception exclusivement sécuritaire du bâti, il serait levé par la lecture du compte-rendu de la séance du 1er juin 2022 du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), aux termes duquel « le CRA 2 est un prototype de CRA nouvelle génération (…). L'idée est d'éviter le maximum de contact avec les retenus. Ainsi moins les agents sont au contact des retenus, moins ils sont exposés aux blessures en service. C'est un CRA ultra sécurisé ».

Les conditions de vie, combinées à l'allongement des durées légales et effectives de rétention sont les facteurs principaux, si ce n'est exclusifs, à l'origine du climat de violence qui règne dans de trop nombreux CRA.

Si le souci qu'a l'administration de veiller à la sécurité de ses agents et d'améliorer leurs conditions de travail est naturellement légitime, l'approche consistant à « limiter le contact » entre policiers et retenus est contestable à plusieurs titres. Tout d'abord, elle ne saurait protéger que les premiers en laissant les seconds livrés à eux-mêmes. Ensuite, loin de prévenir les violences, l'éloignement du personnel de police de la population retenue ne fait que renforcer la méconnaissance - et donc la crainte - que les agents sont susceptibles de nourrir à l'endroit des personnes qui leur sont confiées et qui, à leur tour, ne peuvent les identifier comme un recours ou, plus simplement, un interlocuteur. En d'autres termes, une telle logique ne peut que nourrir la violence qu'elle prétend combattre - qui serait bien plus efficacement prévenue par la réduction du nombre de retenus et de leur durée d'enfermement.

S'agissant du CRA de Metz, le constat de sa dimension sécuritaire est le même que celui dressé en 2017, renforcée par la mitoyenneté avec le centre pénitentiaire, dont l'un des miradors surplombe le parking d'entrée. Depuis la dernière visite, la sécurité a encore été renforcée, ce que l'administration justifie en invoquant d'une part une tentative d'intrusion en 2020 (43) et, d'autre part, l'évolution du profil des retenus qui seraient majoritairement sortants de prison. Il faut souligner, à cet égard, que cette dernière affirmation ne reflète pas la réalité statistique, puisque les sortants de prison ne représentent pas plus de 25 % des personnes retenues depuis le 1er janvier 2022 (44).

Parmi les aménagements effectués au CRA de Metz au titre de la sécurisation du site, peuvent être également mentionnés le rehaussement de la double clôture grillagée de quatre mètres qui entoure le CRA, le renforcement et le doublage du chemin de ronde, l'instauration d'outils de sécurisation passive extérieure, notamment des lasers de détection à hauteur des grillages, ainsi que le renforcement du barreaudage des fenêtres des bâtiments réservés aux hommes.

Le nombre de caméras de vidéosurveillance réparties dans le centre et à ses abords a sensiblement augmenté, passant de 56 en 2017 à 65 en 2022. A la suite de l'évasion de douze personnes retenues en septembre 2022, une évaluation de sûreté a été réalisée, préconisant de restreindre le plus possible les allers et venues des retenus dans la zone administrative. Dans ce but, la construction en 2023, dans la cour des retenus d'un bâtiment réservé à l'OFII et à l'ASSFAM, est prévue et budgétée. Les policiers ont indiqué que cette nouvelle organisation aurait l'avantage de limiter le plus possible les contacts entre la PAF et les personnes retenues.

2.2.2. Surveillance et restriction des mouvements, mises à l'écart de plus en plus fréquentes

Une fois franchis les dispositifs de sécurité, les personnes retenues sont soumises à une surveillance vidéo constante et à des restrictions croissantes de leur liberté de mouvement.

Au CRA n° 2 de Lyon tous les secteurs de circulation, y compris les couloirs d'accès aux chambres ainsi que les salles télévision et détente de chaque bloc et leurs cours respectives, sont surveillés en permanence par des caméras. Les images captées par ces dernières sont projetées sur les écrans de contrôle de la salle de veille et de surveillance. Elles sont conservées trente jours et peuvent être extraites sur support numérique.

Les conditions de surveillance et l'organisation des déplacements dans ces lieux évoquent ainsi celles que l'on peut observer dans un établissement pénitentiaire. La référence à ce « modèle » est constante et assumée par les agents comme par leur hiérarchie, qui évoquent sans cesse l'augmentation du nombre de sortants de prison retenus pour justifier la dimension de plus en plus sécuritaire de leur prise en charge. Une argumentation qui peine à convaincre car l'augmentation du nombre de sortants de prison parmi les retenus est la conséquence directe de l'absence de diligence de l'administration aux fins d'éloignement des étrangers détenus qui pourrait être prévue en amont de leur sortie de prison.

Enfin, l'augmentation significative du nombre de mesures de mise à l'écart dans les CRA témoigne également de la place centrale conférée aux mesures d'enfermement dans la prise en charge des étrangers retenus, soit à l'encontre de personnes qui sont déjà privées de liberté et, de surcroît, selon des modalités qui contreviennent aux règles et principes applicables en la matière.

Aucune mesure de mise à l'écart ne peut être imposée aux personnes retenues en l'absence d'un fondement légal et d'un cadre réglementaire en définissant les finalités et les modalités de mise en œuvre ; toute décision d'y recourir doit être tracée, motivée et doit pouvoir faire l'objet d'un recours.

2.3. Des mineurs sont toujours enfermés en CRA avec leurs familles (45)

Le CGLPL considère que l'enfermement d'enfants en centre de rétention est contraire à leurs droits fondamentaux (46) ; le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme partagent cette analyse. Pourtant, entre 2015 et 2017, cet enfermement a augmenté de manière constante. Si la loi du 7 mars 2016 (47) a posé des conditions strictes quant à la possibilité de rétention des mineurs accompagnants leur famille, au prétexte d'en encadrer la pratique, son application ne l'a nullement réduite.

En 2022, 94 enfants mineurs ont été placés en rétention, soit 18 de plus qu'en 2021. Si les conditions matérielles de leur prise en charge sont généralement correctes, leur enfermement en lui-même entraîne des atteintes à leur dignité ainsi qu'à leur intégrité psychique, de telles mesures n'étant jamais compatibles avec le respect de leur intérêt supérieur.

La pratique à cet égard varie fortement et si certains CRA hébergent régulièrement des mineurs, comme ceux de Metz ou du Mesnil-Amelot, d'autres n'en accueillent jamais.

Le rapport de la visite du CRA de Metz en octobre 2017 faisait ainsi état d'une hausse du nombre de familles et de mineurs placés en rétention, qualifiée de spectaculaire pour l'année 2017 : 164 mineurs placés au centre de rétention administrative de Metz, contre 107 en 2016. Le plus jeune d'entre eux avait 4 mois. L'autre point d'importance relevé par les contrôleurs lors de cette visite concerne l'état des bâtiments d'hébergement, des cours intérieures et des abords extérieurs, dans un état de saleté déplorable.

Quelques mois auparavant, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait condamné la France pour avoir enfermé au CRA de Metz des enfants retenus avec leurs parents dans des conditions et pour une durée qui, combinés, excédaient le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme prohibant la torture et les traitements inhumains ou dégradants (48). A l'issue de sa visite, le CGLPL avait recommandé « que l'enfermement d'enfants soit interdit dans les CRA, seule la mesure d'assignation à résidence pouvant être mise en œuvre à l'égard des familles accompagnées d'enfants ». La quatrième visite du CRA de Metz par le CGLPL, en 2022, a également eu lieu quelques mois après que la CEDH a condamné la France une seconde fois, le 31 mars 2022, pour des faits de même nature (49).

Pour autant, la situation n'a pas évolué et de nombreux mineurs ont été retenus au CRA avec leurs familles. En 2021, 41 familles accompagnés de 57 enfants y ont été placées. Près de 40 % des enfants placés étaient âgés de 5 ans ou moins, le plus jeune était âgé de deux mois. En 2022, ce sont 72 mineurs qui ont été retenus avec leurs familles.

S'agissant des durées d'enfermement, en 2021 et 2022, quatre familles avec des enfants mineurs sont restées retenues pendant 8, 11, 12 et jusqu'à 27 jours. Le second cas concernait une famille avec deux enfants nés en 2017 et en 2018 qui n'a été libérée qu'après 10 jours de rétention à la suite de la notification par la CEDH, le 21 novembre 2022, d'une mesure provisoire au titre de l'article 39 de son règlement.

Toujours à Metz, les conditions d'hébergement des familles avec enfants mineurs restent indignes. La cour de la zone réservée aux familles n'est séparée de la zone des hommes que par un grillage « permettant de voir tout ce qui s'y passe » (50). Les enfants sont témoins d'altercations et de violences. Aucun matériel de puériculture n'est disponible. Seuls les très jeunes enfants disposent de rares jouets pour s'occuper à l'intérieur. Les enfants âgés de deux ans reçoivent les mêmes plateaux-repas que les adultes. Le marché prévoit pourtant des repas « pour des enfants de différents âges conformes à leurs besoins nutritionnels ».

En outre, deux décisions récentes (51) de la CEDH qui concernent deux des CRA objets des présentes recommandations, condamnent à nouveau la France au regard de pratiques constatées et dénoncées par le CGLPL à propos du placement en rétention de deux mères avec leurs enfants Dans les deux cas, la Cour a estimé que compte tenu de l'âge des enfants, de la durée de leur placement en rétention et des conditions d'accueil des CRA concernés - Metz et le Mesnil-Amelot - les autorités compétentes avaient soumis les enfants concernés à un traitement ayant dépassé le seuil de gravité requis par l'article 3 de la Convention, qui prohibe torture, peines et traitements inhumains ou dégradants.

La Cour retient également que les autorités françaises n'avaient pas effectivement vérifié que les placements rétention et leurs prolongations constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles ne pouvait être substituée aucune autre mesure moins restrictive.

L'enfermement des familles avec enfants en CRA, même pour une courte durée, doit être proscrit.

Les constats récurrents du CGLPL relatifs aux CRA semblent ainsi ne pas porter leurs fruits en dépit des engagements pris à la suite de ses rapports de visite. Les mesures de rétention, dont l'efficacité opérationnelle n'est pas démontrée, croissent en nombre et en durée. Les conditions de rétention se dégradent, à la fois en raison du vieillissement de locaux mal entretenus, suroccupés, conçus pour de brefs séjours, et en raison de choix organisationnels ou architecturaux opérés sans qu'il soit tenu compte des obligations de l'administration en matière de respect des droits des personnes retenues. L'exemple du CRA de Lyon en montre pourtant les effets nocifs, y compris au regard des objectifs de sécurité qu'ils sont censés poursuivre. En outre, ces recommandations ne concernent que des établissements situés sur le territoire métropolitain ; le CGLPL s'alarme a fortiori des conditions de rétention et d'éloignement mises en œuvre outre-mer.

Les dernières condamnations de la France par la CEDH et les constats exposés dans les présentes recommandations démontrent l'urgence de modifier profondément l'approche actuelle en matière de prise en charge des étrangers en situation irrégulière placés en rétention. Sans une volonté résolue d'assurer le respect des principes qui régissent en droit français le recours à la rétention administrative, sans une élévation des standards concernant les conditions de rétention, et sans une professionnalisation accrue des fonctionnaires en charge de la mise en œuvre de ces mesures, les atteintes sévères à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes retenues se poursuivront, et donneront lieu à des condamnations répétées de notre pays par les instances internationales.

(1) En 2022, on compte 25 CRA en France, dont 4 outre-mer, pour un total de 1 936 places. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, adoptée en décembre 2022, prévoit d'atteindre 3 000 places de CRA en 2027.

(2) En 2022, 15 922 personnes ont été retenues sur le territoire métropolitain et 27 643 personnes outre-mer.

(3) De 7 jours en 1981, la durée maximale a continuellement augmenté, passant à 10 jours en 1993, 12 en 1998, 32 en 2003, 45 en 2011 et 90 en 2019. Parallèlement, la durée moyenne de rétention augmente. Elle est passée de 13 jours en 2009 à 23 jours en 2022 (sources : rapport annuel d'activités 2009 du CGLPL et Rapport national et local inter associatif sur les centres et locaux de rétention administrative 2022).

(4) Troisième visite du CRA de Sète du 13 au 16 février 2023.

(5) Quatrième visite des CRA 2 et 3 du Mesnil-Amelot du 7 au 10 novembre 2022.

(6) Quatrième visite du CRA de Metz-Queuleu du 5 au 9 décembre 2022.

(7) Les précédentes visites se sont déroulées en novembre 2011, février 2014, et mars 2018.

(8) Dans ses observations du 16 mars 2020 sur le rapport de la visite du CRA du Mesnil Amelot menée en mars 2018, le ministre de l'intérieur faisait ainsi valoir que des réparations étaient réalisées « dès constatation de dégradations » et, s'agissant de l'entretien des bâtiments, que « le prestataire [s'était] vu imposer une opération de récurage à ses frais, compte tenu de l'insuffisance des prestations antérieures » ; ses observations de février 2019 sur le rapport de la visite du CRA de Metz en août 2018, faisaient quant à elles état du prochain renouvellement du marché public de nettoyage des locaux, précisant que le nouveau contrat serait « adapté afin de prendre en compte les observations formulées par la Contrôleure générale ».

(9) Du 13 au 17 mars 2023.

(10) Appellation utilisée au CRA.

(11) Lors de la visite, seules 40 places étaient ouvertes au CRA n° 2, correspondant aux zones familles et femmes en raison d'un manque d'effectif chronique.

(12) Une chambre était condamnée pour travaux.

(13) Dans le contexte de certains CRA, il peut même s'agir de bonnes pratiques que le CGLPL a parfois pu souligner.

(14) Cellule d'appui à l'éloignement.

(15) Un projet d'installation de consoles de jeux au CRA 2 s'est trouvé bloqué depuis la crise sanitaire.

(16) L'argument avancé pour motiver ce refus étant que les parties de football entraînent disputes et violences.

(17) La date correspond au début de la visite de l'établissement par le CGLPL.

(18) Chiffres concernant le CRA n° 1 en 2021 et le CRA n° 2 en 2022.

(19) Et 9 mises à l'écart à titre sanitaire. La motivation, dans la grande majorité des cas, n'est pas plus développée.

(20) Lors de la dernière visite du CGLPL au CRA n° 1 de Lyon, en 2018, la durée moyenne des mises à l'écart mises en œuvre était de 8 heures.

(21) Le médecin n'est présent que deux à trois demi-journées par semaine.

(22) Ce sont les repas prévus pour les retenus extraits hors du CRA.

(23) Seule la mention « pour sa sécurité, il était entravé au lit » est portée sur une fiche d'information adressée à la direction zonale de la police aux frontières.

(24) La date du 22 septembre 2022 correspond à la date à laquelle le registre consulté avait été ouvert.

(25) Circulaire n° NOR : IMIM1000105C du 14 juin 2010.

(26) Cette possibilité est en effet prévue à l'article 17 du modèle de règlement intérieur des CRA annexé à l'arrêté du 2 mai 2006 pris en application de l'article 4 du décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d'attente pris en application des articles L. 111-9, L. 551-2, L. 553-6 et L. 821-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

(27) Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020.

(28) Sauf au CRA n° 3 du Mesnil-Amelot.

(29) Pour le motif suivant : « tentative de suicide », ce qui soulève l'inquiétude au regard de la prophylaxie de la crise suicidaire.

(30) Des contrôleurs en ont été témoins.

(31) Arrêté du 17 décembre 2021 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative et instruction du Gouvernement du 11 février 2022 relative aux centres de rétention administrative.

(32) Seule l'assistante médico-administrative est présente deux jours par semaine, depuis septembre 2022.

(33) Sur les 106 personnes retenues au CRA lors de la visite, 64 recevaient quotidiennement un traitement par Lyrica© ou Pregabaline© et 62 recevaient du Diazepam©, fréquemment associé au premier.

(34) Ces prescriptions concernent 60 % d'entre elles.

(35) La durée moyenne de rétention, calculée à 5,6 jours en 2003, s'élève à 23 jours en 2022 (Cf. rapport annuel d'activité 2022 du CGLPL, p. 205 et Rapport national et local inter associatif sur les centres et locaux de rétention administrative 2022, p. 13).

(36) L'article L. 741-1du CESEDA dispose que l'autorité administrative peut placer en rétention les étrangers éligibles à une mesure d'éloignement lorsqu'« aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision ».

(37) Rapport inter associatif national et local 2022 sur les CRA et LRA.

(38) Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

(39) CGLPL, Rapport annuel d'activité 2019, p. 63.

(40) 12,8 jours en 2017, 23 en 2022 selon le rapport inter associatif national et local 2022 sur les CRA et LRA.

(41) Voir en ce sens le Rapport inter associatif national et local 2022 sur les CRA et LRA.

(42) Article L. 741-1 du CESEDA.

(43) Le site a été pris d'assaut au moyen d'un véhicule.

(44) La proportion de retenus sortants de prison a augmenté de 11 % fin 2019, à 22 % en 2020 pour atteindre 26 % en 2021. Depuis le 1er janvier 2022, 25 % des entrants sont des sortants de prison. Le premier jour de la visite, 23 des 73 personnes retenues présentent ce profil, soit une proportion de 31,5 % et trois sont inscrits au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

(45) Les données chiffrées figurant dans cette partie se rapportent à la seule situation métropolitaine.

(46) Voir en ce sens son avis du 9 mai 2018 relatif à l'enfermement des enfants en centres de rétention administrative, publié au JO du 14 juin 2018.

(47) Loi n° n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

(48) A.M. et autres c. France, n° 24587/12, 12 juillet 2016.

(49) N.B. et autres c. France, n° 49775/20, 31 mars 2022.

(50) A.M. et autres c. France, n° 24587/12, 12 juillet 2016, § 50.

(51) A.C. et M. C. c. France et A.M. et autres c. France, n° 4289/21 et 7534/20, 4 mai 2023.