Dès 1958 et plus encore depuis 1962, ce qu'il est convenu d'appeler le « bicéphalisme » de l'exécutif a été la marque de la Ve République. Entre le Président de la République qui le nomme et l'Assemblée nationale devant laquelle il est responsable, le Premier ministre occupe une position en réalité mal définie. A la différence des régimes parlementaires, dans lesquels le chef du Gouvernement détient à lui seul la totalité du pouvoir exécutif et des régimes présidentiels, dans lesquels il en va de même pour le chef de l'Etat, le partage des rôles entre le Président de la Ve République et le Premier ministre demeure ambigu.
Certes, les articles 5, 8, 20 et 21 de la Constitution ont fixé les attributions respectives du Président de la République et du Gouvernement. Certaines sont exercées en commun, mais le chef de l'Etat dispose de prérogatives propres qui rendent cette répartition peu claire. Tout d'abord, son élection au suffrage universel direct et les conséquences de ce mode de désignation sur l'existence et la cohésion de la majorité lui donnent un rôle politique prépondérant. En outre, la Constitution elle-même lui confère des compétences de grande importance, avec le droit de dissolution et celui de recourir au référendum. Il s'ensuit que les pouvoirs reconnus au Président de la République ont une portée réelle de beaucoup supérieure aux attributions de ses homologues des IIIe et IVe Républiques. Il en est ainsi, notamment, de la possibilité, que lui reconnaît la coutume en dehors des périodes de cohabitation, de mettre fin aux fonctions du Premier ministre, contrairement à la lettre de l'article 8 de la Constitution qui prévoit que seule la démission du Gouvernement met fin aux fonctions du Premier ministre.
On peut penser que le moment est venu de rompre avec l'équivoque, ce qui aurait pour avantage de donner une plus juste image de la réalité, compte tenu de la pratique politique dominante depuis près d'un demi-siècle. Mais le Comité s'est interrogé sur la portée et les limites d'une telle clarification. Il importe en effet de ne pas priver nos institutions de la souplesse nécessaire en cas de cohabitation.
En tout état de cause, le Comité a souhaité que cette clarification soit accompagnée de mesures propres à mieux encadrer les prérogatives des gouvernants et à assurer une plus grande transparence au sein du pouvoir exécutif.
A. - Des responsabilités plus clairement partagées :
La clarification des responsabilités au sein du pouvoir exécutif suppose une définition aussi nette que possible des rôles respectifs du Président de la République et du Gouvernement, dirigé par le Premier ministre. Celle-ci est en débat depuis de longues années. La pratique actuelle, confortée par la mise en vigueur du quinquennat et la synchronisation du calendrier entre les élections présidentielle et législatives, paraît la rendre plus nécessaire encore.
Dans leur rédaction en vigueur, les articles 8, 20 et 21 de la Constitution prévoient : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement » (art. 8) ; « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation./ Il dispose de l'administration et de la force armée./ Il est responsable devant le Parlement (...) » (art. 20) ; « Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale./ Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires (...) » (art. 21).
Les propositions de clarification qui pourraient s'en déduire sont simples. Elles viseraient à prendre acte de la prééminence que son élection au suffrage universel direct confère au chef de l'Etat, qui serait chargé de « déterminer la politique de la nation ». Par souci de conformité avec la pratique existante, l'article 8 de la Constitution serait modifié pour que le Président de la République puisse de lui-même mettre fin aux fonctions du Premier ministre sans attendre qu'il remette la démission du Gouvernement. Le Premier ministre aurait enfin le soin de « mettre en oeuvre » la politique de la nation, sous le contrôle du Parlement devant lequel il demeurerait responsable.
Il n'a pas échappé au Comité que de telles rédactions correspondraient à la pratique de la Ve République lorsque la majorité parlementaire et la majorité présidentielle coïncident. Mais il ne lui a pas échappé davantage qu'elles pourraient se révéler d'application délicate dans l'hypothèse d'une nouvelle « cohabitation ».
Pour répondre à cette préoccupation, le Comité a envisagé divers mécanismes tendant à renforcer la concomitance des élections présidentielle et législatives. Ainsi, l'article 12 de la Constitution pourrait être modifié de telle sorte qu'en cas de vacance ou d'empêchement de la présidence de la République l'Assemblée nationale soit dissoute de plein droit. De même - mais une telle disposition trouverait difficilement place dans la Constitution - on pourrait prévoir que, lorsque le Président de la République prononce la dissolution de l'Assemblée nationale et essuie un revers politique à l'occasion des élections législatives qui s'ensuivent, il serait contraint de présenter sa démission.
Mais le Comité a estimé que, sauf à introduire dans le texte de la Constitution des complexités excessives, qui non seulement feraient peser une contrainte disproportionnée sur l'Assemblée nationale, mais auraient pour effet de rigidifier les institutions, une telle voie de réforme ne pouvait être retenue.
A la vérité, il n'existe, en théorie, que deux solutions aux difficultés qui viennent d'être évoquées. Soit opter pour un régime purement parlementaire dans lequel la réalité et la totalité du pouvoir exécutif appartiennent au Premier ministre, mais l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel direct y fait obstacle dès lors que la Constitution lui confère des attributions qui ne sont pas exclusivement de pur arbitrage. Soit opter pour un régime de nature présidentielle. Certains des membres du Comité se sont déclarés favorables à une telle évolution. Mais eux-mêmes ont dû constater qu'il faudrait alors supprimer le droit de dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de la République, reconnaître à ce dernier un droit de veto sur les lois adoptées par le Parlement et développer une culture du compromis qui n'est pas toujours conforme aux traditions politiques de notre pays. Ils ont, par ailleurs, relevé qu'aucune des principales forces politiques n'est favorable à un tel régime et que celui-ci ne garantit pas, par lui-même, contre tout risque de conflit entre les pouvoirs législatif et exécutif.
En d'autres termes, le Comité a pris acte du fait que, tant que coexistent, en France, deux sources de légitimité, l'une présidentielle, issue de l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel, l'autre parlementaire, issue de l'élection des députés au suffrage universel, on ne pouvait sérieusement imaginer d'éliminer, en fait, la possibilité d'une divergence d'orientation politique entre le chef de l'Etat et la majorité de l'Assemblée nationale. La concomitance du calendrier des élections présidentielles et législatives est en effet impossible à garantir dès lors que le Président de la République peut démissionner, décéder ou dissoudre l'Assemblée nationale. En outre, cette concomitance n'empêche pas par elle-même le peuple souverain d'opérer des choix politiques différents selon qu'il s'agit d'élire le chef de l'Etat ou les députés.
D'ailleurs, ce risque de divergence entre l'orientation politique du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif existe aussi bien dans le système présidentiel américain que dans les institutions de la Ve République. Mais il n'y emporte pas les mêmes conséquences. Aux Etats-Unis, cette divergence ne met pas en cause l'unité du pouvoir exécutif, qui demeure entre les mains du seul Président. En France et sous la Ve République, elle met au grand jour la dyarchie qui, quoi qu'on dise, existe au sein du pouvoir exécutif et y introduit la division.
Surtout, le Comité a considéré que, dès lors qu'il était impossible d'éliminer en fait tout risque de cohabitation, il était vain, et sans doute dangereux, de prétendre l'éliminer en droit. Tout au plus le Comité recommande-t-il, même si ce principe n'est pas de nature constitutionnelle, que la simultanéité des élections présidentielle et législatives soit renforcée, en faisant coïncider le premier tour de ces dernières avec le second tour du scrutin présidentiel.
Enfin, le Comité a observé que, depuis 1958, à l'exception des périodes de cohabitation, le texte actuel de la Constitution n'empêche pas le Président de la République de fixer lui-même les grandes orientations de la politique de la nation, qu'il revient au Premier ministre de mettre en oeuvre. On pourrait en déduire que la modification de la Constitution ne serait, dès lors, pas nécessaire lorsque la majorité présidentielle et la majorité parlementaire coïncident. On pourrait en déduire également que cette modification rendrait le fonctionnement effectif des pouvoirs publics plus difficile en cas de cohabitation.
Tout bien considéré, le Comité estime souhaitables une actualisation et une clarification des articles 20 et 21 de la Constitution. Il y aurait donc lieu, tout en laissant inchangés les termes de l'article 8 de la Constitution, de se borner à ajouter à l'article 5 de la Constitution, qui confère au chef de l'Etat un rôle d'arbitre, un dernier alinéa ainsi rédigé : « Il définit la politique de la nation. » Par ailleurs, la première phrase du premier alinéa de l'article 20 prévoirait que « le Gouvernement conduit la politique de la nation » et le deuxième alinéa du même article préciserait enfin que le Gouvernement « dispose à cet effet de l'administration et de la force armée ».
Aux yeux du Comité, les termes de l'article 21 de la Constitution, qui disposent dans leur rédaction actuellement en vigueur : « Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale./ Il assure l'exécution des lois (...) » ne devraient donc être modifiés, en conséquence de ce qui précède, que pour ce qui concerne le rôle du Premier ministre dans le domaine de la défense nationale. La pratique de la Ve République en cette matière ne correspond que de manière lointaine aux textes applicables, fussent-ils de nature organique. La responsabilité du Président de la République, chef des armées, est plus éminente que les textes ne le prévoient et le partage des rôles entre le chef de l'Etat et le Premier ministre demeure flou, même en période de cohabitation, la pratique ayant montré qu'en une telle occurrence ni le Président de la République ni le Premier ministre ne pouvaient exercer pleinement la responsabilité que leur confère le texte de la Constitution. Le Comité a estimé qu'il était sage d'en prendre acte. Aussi propose-t-il que la phrase : « Il est responsable de la défense nationale » soit remplacée, au premier alinéa de l'article 21 de la Constitution, par les mots : « Il met en oeuvre les décisions prises dans les conditions prévues à l'article 15 en matière de défense nationale. »
Le Comité propose ainsi que les articles 5, 20 et 21 soient modifiés dans le sens qui vient d'être indiqué et que coïncide le premier tour des élections législatives avec le second tour de l'élection présidentielle (propositions n°s 1, 2, 3 et 4).
Nota. - Dans la colonne de droite figurent les textes constitutionnels que le Comité propose de modifier. En gras apparaissent les modifications. En italique, seront mentionnées les modifications proposées par le Comité mais présentées dans une autre partie du rapport.
B. - Des prérogatives mieux encadrées :
La mission assignée au Comité par le Président de la République met en relief la nécessité de rendre plus transparent l'exercice des attributions du pouvoir exécutif dans son ensemble et du chef de l'Etat en particulier. Il est de fait que, même si la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale reste, avec l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, la pierre angulaire du régime dans la mesure où sa nature parlementaire demeure inchangée, bien des améliorations peuvent être apportées au mode actuel d'exercice des pouvoirs dévolus au Président de la République. C'est bien de « modernisation » qu'il s'agit ici, les exigences d'une démocratie qui se veut exemplaire s'accommodant de moins en moins d'un exercice du pouvoir qui n'est, en pratique, borné par aucun contrôle.
Le Comité a distingué trois catégories de mesures à prendre pour doter le Président de la République d'un statut conforme à ces exigences.
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Inviter le Président de la République à rendre compte de son action devant la représentation nationale :
En premier lieu, il convient de réformer le mode de relation existant entre le Président de la République et le Parlement. Actuellement, ces relations sont placées sous le signe de l'interdit. L'article 18 de la Constitution dispose que le chef de l'Etat « communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat (...) ». On sait quelle est l'origine historique de cette situation : le célèbre « cérémonial chinois » instauré le 13 mars 1873 par la « loi de Broglie » contre Adolphe Thiers. La loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 alla plus loin encore en interdisant l'accès des assemblées parlementaires au chef de l'Etat, lequel était contraint de ne communiquer avec les chambres que « par des messages qui sont lus à la tribune ». Depuis lors, la pratique est inchangée et les Constitutions de 1946 et 1958 ont consacré cette conception étroite de la séparation des pouvoirs.
Le Comité a estimé que c'était aller dans le sens d'une meilleure transparence de la vie publique et d'un renforcement du rôle du Parlement que de permettre au Président de la République de s'exprimer directement devant celui-ci pour l'informer de son action et de ses intentions, objectif d'autant plus nécessaire qu'il définirait la politique de la nation. Mais, une fois posé le principe, reste à en fixer les modalités, qui revêtent une importance particulière dans la mesure où seul le Premier ministre demeure responsable devant le Parlement « dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 » de la Constitution - c'est-à-dire devant l'Assemblée nationale - ainsi qu'en dispose le dernier alinéa de l'article 20.
Il est apparu au Comité que le droit reconnu au Président de s'exprimer directement devant le Parlement devait s'appliquer indistinctement dans l'une ou l'autre des deux assemblées, qu'il ne pouvait déboucher sur aucune forme de mise en cause de sa responsabilité politique mais que, pour cette raison même, rien ne devait faire obstacle à ce que l'intervention du Président de la République pût donner lieu à un débat dès lors que celui-ci n'est suivi d'aucun vote. Aussi est-il proposé de modifier l'article 18 de la Constitution en conséquence de ce qui précède (proposition n° 5).
S'il advenait, à l'usage, que les groupes de l'opposition parlementaire souhaitent tirer des conclusions politiques de l'allocution du chef de l'Etat, ils auraient tout loisir de le faire ensuite dans l'une ou l'autre des deux assemblées, selon les procédures existantes, lesquelles peuvent permettre, devant l'Assemblée nationale, la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement si les conditions en sont réunies.
Le Comité s'est tout naturellement posé la question de savoir si le discours prononcé personnellement par le Président de la République devant les deux assemblées n'ouvrait pas la voie à la possibilité d'une audition du chef de l'Etat par telle commission parlementaire d'enquête. Il n'a pas souhaité interdire cette évolution, qui peut correspondre aux nécessités politiques. C'est pourquoi il suggère que cette possibilité soit ouverte au Président de la République, « à sa demande » (proposition n° 6).
Les modifications de l'article 18 de la Constitution qui résulteraient de ces propositions se traduiraient par une réécriture complète de ses dispositions.
Elles pourraient être ainsi rédigées : « Le Président de la République peut prendre la parole devant l'une ou l'autre des deux assemblées du Parlement. Son allocution peut donner lieu à un débat, qui n'est suivi d'aucun vote. / Hors session, le Parlement est réuni spécialement à cet effet. / Le Président de la République peut être entendu, à sa demande, par une commission d'enquête parlementaire. » -
Encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République :
En deuxième lieu, le Comité s'est penché sur la nécessité d'encadrer les nominations décidées par le pouvoir exécutif et singulièrement par le Président de la République. Il a pris acte d'une triple exigence : clarifier les compétences respectives du Président de la République et du Premier ministre en matière de nominations ; circonscrire le champ des nominations susceptibles d'être visées par une procédure d'encadrement dans le but de d'éviter qu'elles n'apparaissent comme le « fait du Prince » ; définir une procédure à la fois efficace et transparente.
Sur le premier point, qui ne concerne pas la Constitution proprement dite mais les textes pris pour son application, le Comité recommande qu'il soit mis fin au désordre actuel. Les articles 13 et 21 de la Constitution combinent les compétences du Président de la République et du Premier ministre, la compétence du second s'exerçant sous réserve de celle du premier. Mais, s'agissant des nominations en conseil des ministres, la liste des emplois énumérés par la Constitution et par l'ordonnance organique du 28 novembre 1958 peut, en vertu de l'article 1er de cette dernière, être augmentée, pour les entreprises et les établissements publics, par la voie d'un simple décret en conseil des ministres, toutes les dispositions législatives et réglementaires particulières restant par ailleurs en vigueur. Pour ce qui est des autres nominations, l'article 3 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 prévoit une procédure de délégation du chef de l'Etat au Premier ministre qui n'a guère été utilisée. Paradoxalement, enfin, l'article 4 du même texte s'accommode de nombreuses dispositions particulières attribuant aux ministres, voire aux autorités subordonnées, une compétence en matière de nomination.
L'oeuvre de clarification que le Comité appelle de ses voeux pourrait s'articuler autour des propositions suivantes : laisser au président de la République le soin de nommer aux emplois militaires, sous réserve d'une délégation de ce pouvoir au Premier ministre dans des conditions plus claires prévues par une loi ; distinguer, s'agissant des nominations aux emplois civils, entre celles délibérées en conseil des ministres et les autres, les premières étant fixées par la Constitution ou par la loi, afin que le Président de la République ne puisse en modifier la liste par le simple jeu de la fixation de l'ordre du jour du conseil des ministres comme cela a été le cas dans le passé ; conférer au Premier ministre le soin de procéder aux nominations autres que celles délibérées en conseil des ministres, sauf si la loi en dispose autrement (proposition n° 7).
Sur le deuxième point, il est apparu au Comité que l'encadrement des nominations par une procédure d'audition parlementaire, qui se développe dans nombre de régimes démocratiques et au sein des organes de l'Union européenne, présenterait de solides avantages. Il permettrait au Président de la République, qui conserverait son entier pouvoir de nomination, de soumettre à l'appréciation des parlementaires une candidature, afin de leur permettre de vérifier les compétences de l'intéressé et d'exprimer clairement leur avis à l'issue de séances publiques d'audition.
Pour ce qui est des emplois visés par la procédure d'encadrement décrite ci-dessous, ils ne devraient comprendre ni ceux qui sont mentionnés au troisième alinéa de l'article 13 de la Constitution ni ceux qui, de manière générale, sont la traduction du pouvoir, conféré au Gouvernement par l'article 20 de la Constitution, de « disposer de l'administration » (préfets et sous-préfets, directeurs d'administration centrale et leurs subordonnés directs, diplomates...). En revanche, le Comité a estimé que le rôle joué par certaines autorités administratives indépendantes en matière de garantie du pluralisme, de protection des libertés publiques ou de régulation des activités économiques justifiait que les nominations de leurs présidents ou, selon les cas, de leurs membres se voient appliquer cette procédure. Il a enfin relevé que l'on pourrait y adjoindre un petit nombre d'entreprises et établissements publics qui, par l'importance des services publics dont ils assurent la gestion, exercent une influence déterminante sur les équilibres économiques, sociaux, d'aménagement du territoire et de développement durable de notre pays. Le Comité recommande que ces critères figurent dans le texte de la Constitution et que leur application soit renvoyée à une loi organique.
La première catégorie regrouperait une trentaine d'organismes au nombre desquels pourraient figurer, en l'état actuel du droit et sous réserve des modifications proposées plus loin par le Comité, l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l'Autorité des marchés financiers, l'Autorité de sûreté nucléaire, le Comité consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, la Commission consultative du secret de la défense nationale, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la Commission nationale des interceptions de sécurité, la Commission nationale du débat public, la Commission des participations et des transferts, la Commission nationale d'équipement commercial, la Commission de régulation de l'énergie, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, la Commission des sondages, le Conseil de la concurrence, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le Défenseur des enfants, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la Haute Autorité de santé et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. On verra plus loin que le Comité souhaite que le rôle du Médiateur de la République, dont la nomination entrerait dans le champ de cette catégorie, fasse l'objet d'un traitement spécifique.
Dans la seconde catégorie figureraient la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations, le Centre national de la recherche scientifique, Charbonnages de France, le Commissariat à l'énergie atomique, Electricité de France, la Compagnie nationale du Rhône, l'Institut national de l'audiovisuel, la Société nationale des chemins de fer français, la Société financière de radiodiffusion-télédiffusion de France, Voies navigables de France.
Viendraient s'y ajouter des personnalités qualifiées nommées au Conseil supérieur de la magistrature et au Conseil économique et social, ainsi que les nominations du président et des membres du Conseil constitutionnel.
Sur le troisième point, la procédure souhaitée par le Comité est la suivante : une commission mixte ad hoc de l'Assemblée nationale et du Sénat, composée à la proportionnelle des groupes, serait constituée à seule fin de procéder à l'audition de la personne dont le Gouvernement envisage de soumettre au Président de la République la nomination à l'un des emplois mentionnés ci-dessus. Ses auditions seraient publiques. Elles comporteraient, après que la personnalité entendue s'est exprimée, un temps de parole, fixé à l'avance et garantissant aux parlementaires un temps d'expression suffisant pour interroger le candidat.
Cette commission rendrait un avis public, donné à la majorité simple. Ainsi seraient à la fois respectés la compétence que la Constitution confère aux autorités investies du pouvoir de nomination, le droit de l'opinion à l'information sur des choix essentiels à l'avenir de la nation et le rôle du Parlement dans la protection et la garantie de ce droit (proposition n° 8).
Cette commission mixte ad hoc exercerait également sa compétence à l'égard des nominations de même rang auxquelles doivent procéder le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.
De ces propositions résulteraient les modifications constitutionnelles suivantes : -
Rendre plus démocratique l'exercice des pouvoirs du chef de l'Etat :
Après la clarification des rapports entre le Président de la République et le Parlement et l'encadrement du pouvoir de nomination, c'est, en troisième lieu, l'exercice, par le chef de l'Etat, de ses attributions, que le Comité s'est efforcé de moderniser.
A cet effet, il a souhaité qu'il soit mis fin à un certain nombre d'anomalies.
a) Le droit de grâce :
La première de ces anomalies est la survivance d'un droit de grâce non encadré, l'article 17 de la Constitution se contentant de disposer : « Le Président de la République a le droit de faire grâce. » Le Comité s'est accordé sans peine sur la question des grâces collectives, dont il est clair à ses yeux qu'elles doivent être abandonnées, la tradition de telles grâces ne pouvant tenir lieu de mécanisme de régulation de l'engorgement des lieux de détention. Il a souhaité, en revanche, que le droit de grâce soit maintenu à titre individuel mais que, même dans cette hypothèse, son usage soit mieux encadré afin d'éviter certaines dérives qui ont pu choquer la conscience publique. C'est pourquoi le Comité recommande que l'article 17 de la Constitution soit modifié pour prévoir qu'une instance consultative, qui pourrait être, comme naguère, le Conseil supérieur de la magistrature, donne son avis au chef de l'Etat avant que celui-ci exerce son droit de faire grâce (proposition n° 9). Il conviendrait alors de compléter la loi organique prise pour l'application de l'article 65 de la Constitution.
L'article 17 de la Constitution serait ainsi rédigé : « Le Président de la République a le droit de faire grâce après que le Conseil supérieur de la magistrature a émis un avis sur la demande. »
b) L'article 16 :
La deuxième de ces anomalies est l'insuffisance des mécanismes de contrôle en cas de mise en oeuvre de l'article 16 de la Constitution. Le Comité a estimé qu'il n'existait pas de raisons suffisantes pour revenir sur l'existence même de ces dispositions qui permettent, on le sait, au Président de la République, « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés de manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu », de prendre « les mesures exigées par ces circonstances », lesquelles « doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ». Force est en effet de constater que, même s'il y a lieu de mettre à jour les mécanismes de l'état de siège et de l'état d'urgence - ce que le Comité recommande de faire en modifiant les dispositions de l'article 36 de la Constitution de telle sorte que le régime de chacun de ces états de crise soit défini par la loi organique et la ratification de leur prorogation autorisée par le Parlement dans des conditions harmonisées (proposition n° 10) - la diversité des menaces potentielles qui pèsent sur la sécurité nationale à l'ère du terrorisme mondialisé justifie le maintien de dispositions d'exception.
En revanche, le Comité a relevé que le principal reproche adressé à ces dispositions, d'ailleurs formulé lors de la seule utilisation jamais faite de l'article 16, du 23 avril au 29 septembre 1961, tenait à la longueur du délai pendant lequel il a été appliqué. Aussi recommande-t-il que l'article 16 soit modifié de telle sorte que soixante parlementaires puissent, au terme d'un délai d'un mois après sa mise en oeuvre, saisir le Conseil constitutionnel aux fins de vérifier que les conditions de celle-ci demeurent réunies et que le Conseil constitutionnel soit ensuite habilité à le vérifier par lui-même. Il doit au demeurant être rappelé que le premier alinéa de l'article 68 de la Constitution permet aux membres du Parlement, réuni de plein droit en ces circonstances, de destituer le Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».
Il serait, en conséquence, ajouté à l'article 16 un avant-dernier alinéa ainsi rédigé : « Au terme d'un délai de trente jours, le Conseil constitutionnel peut être saisi par soixante députés ou soixante sénateurs aux fins d'apprécier si les conditions fixées à l'alinéa premier demeurent réunies. Il se prononce par un avis qu'il rend dans les moindres délais. Il procède de lui-même à cet examen après soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà » (proposition n° 11).
c) La procédure de révision constitutionnelle :
La troisième de ces anomalies concerne la procédure de révision de la Constitution prévue à l'article 89 de celle-ci. Si un projet ou une proposition de révision de la Constitution a été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, il est aujourd'hui admis que le Président de la République peut ne pas provoquer le référendum ou, à défaut, la réunion du Congrès nécessaires à l'adoption définitive du texte de la révision. En d'autres termes, la pratique observée a conduit à conférer au chef de l'Etat un véritable droit de veto en matière de révision de la Constitution, alors que celle-ci ne le prévoit pas. Dans un souci de démocratisation des institutions, le Comité souhaite qu'il soit mis fin à cette situation et que le chef de l'Etat ne puisse pas faire obstacle, par sa seule inertie, à la volonté du pouvoir constituant. Aussi propose-t-il que le deuxième alinéa de l'article 89 soit ainsi rédigé : « Lorsque le projet ou la proposition de révision a été voté par les deux assemblées en termes identiques, la révision est définitive après avoir été approuvée par un référendum organisé dans les six mois par le Président de la République » (proposition n° 12).
d) Le temps de parole du Président de la République dans les médias :
La quatrième des anomalies sur lesquelles le Comité s'est penché concerne des temps plus ordinaires. C'est ainsi qu'il recommande que, dans la répartition des temps de parole dans les médias audiovisuels, à laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel est chargé de veiller, les interventions du Président de la République soient comptabilisées avec celles du Gouvernement (proposition n° 13).
En l'état actuel du droit, qui résulte d'une recommandation du Conseil supérieur de l'audiovisuel prise sur le fondement de la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de la communication, les interventions du Président de la République ne sont prises en compte à aucun titre dans le calcul des équilibres entre le Gouvernement, la majorité et l'opposition. Fût-elle consacrée par la jurisprudence et l'articulation actuelle des textes constitutionnels, cette situation est la traduction d'une conception dépassée du rôle du chef de l'Etat. C'est pourquoi le Comité souhaite que le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui a d'ailleurs indiqué qu'il entendait engager prochainement une réflexion d'ensemble sur la répartition des temps de parole entre les représentants de l'exécutif, ceux de la majorité et ceux de l'opposition, modifie, à cette occasion et en considération des éventuelles réformes constitutionnelles à venir, sa recommandation sur ce point. A défaut, la loi du 30 septembre 1986 devrait être modifiée en ce sens.
e) Le budget de la présidence de la République :
Dans le même esprit, et tout en reconnaissant les efforts déployés en ce sens au cours des dernières années, le Comité a formé le voeu que le budget de la présidence de la République soit plus nettement identifié dans le budget de la nation et qu'il fasse l'objet d'un contrôle approprié.
Comme les autres « pouvoirs publics constitutionnels », à savoir l'Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil constitutionnel, la présidence de la République est soumise à un régime budgétaire et financier particulier. Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé, dans sa décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, il appartient à ces institutions de déterminer elles-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement, cette règle étant inhérente au principe de leur autonomie financière, expression du principe de la séparation des pouvoirs. L'article 7-I de la loi organique relative aux lois de finances prévoit que les crédits en cause sont regroupés dans une « mission » spécifique. L'article 115 de la loi de finances pour 2002 prévoit en outre que doit être joint au projet de loi de finances un rapport détaillant les crédits demandés et, au projet de loi de règlement, une annexe explicative présentant le montant définitif des crédits ouverts et des dépenses constatées, ainsi que les écarts avec les crédits initiaux. Mais ces institutions ne sont pas soumises à la « démarche de performance » applicable aux autres dépenses de l'Etat et ni le principe de la séparation de l'ordonnateur et du comptable ni le contrôle des dépenses engagées ne trouvent à s'y appliquer.
Le Comité a estimé que ce régime spécifique pourrait être amélioré sur deux points (proposition n° 14).
Le Comité recommande, en premier lieu, que soient inclus dans le budget de la présidence de la République, dans un double souci de transparence et de bonne gestion, l'ensemble des charges qui lui incombent, ce qui n'est encore que partiellement le cas à l'heure actuelle. Cela impliquerait notamment, pour les dépenses de personnel, que les emplois de cabinet occupés par les collaborateurs du Président de la République soient créés en tant que tels et qu'ils soient assortis des échelles de rémunération et régimes indemnitaires idoines. Il n'y aurait d'ailleurs que des avantages, a observé le Comité, à ce que cette règle fût appliquée à l'ensemble des cabinets ministériels. La mise en oeuvre de ce principe se traduirait - mais ce serait pure apparence ne traduisant pas la réalité - par une forte augmentation de la dotation annuelle, qui doit par ailleurs s'adapter aux exigences d'une présidence moderne. En outre, il serait souhaitable que la rémunération du chef de l'Etat soit fixée par la loi.
En second lieu, il a conclu qu'en l'absence même de comptable public au sein des services de la présidence de la République il serait opportun de confier à la Cour des comptes ou à une formation spéciale de cette Cour le soin, d'une part, d'en certifier les comptes et, d'autre part, de contrôler annuellement, selon des modalités particulières à définir dans une loi spécifique, le bon emploi des crédits. Si le principe de la séparation des pouvoirs commande que la présidence de la République continue à déterminer le montant de la dotation dont elle a besoin, il n'est, aux yeux du Comité, pas de nature à justifier l'absence de contrôle a posteriori quant à l'utilisation qui en est faite.
Cette constatation conduit d'ailleurs le Comité à proposer d'étendre ce régime de contrôle par la Cour des comptes aux autres pouvoirs publics constitutionnels, le raisonnement qui vaut pour la présidence de la République leur étant parfaitement applicable.
Même si ces mesures devaient marquer une rupture avec des conceptions et des pratiques anciennes, leur mise en oeuvre n'appellerait pas de modifications de la Constitution proprement dite.
Le Comité a également porté sa réflexion sur deux autres aspects du statut du Président de la République : le nombre de mandats qu'il peut exercer ; les conditions de sélection des candidats à la présidence de la République.
f) Le nombre de mandats présidentiels :
S'agissant du nombre de mandats successifs exercés par le chef de l'Etat, le sentiment du Comité est que le « temps politique » correspondant, dans l'ensemble des grandes démocraties, à la détention et à l'exercice du pouvoir, n'excède guère dix ans. Forts de ce constat mais soucieux de ne pas porter atteinte à la souveraineté du suffrage, les membres du Comité ont estimé, pour la majorité d'entre eux, qu'il était inutile, voire inopportun, au vu de la rédaction de l'article 6 de la Constitution issue de la révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 qui a instauré le quinquennat, de prévoir que le Président de la République ne puisse être élu plus de deux fois.
En conséquence, le Comité ne propose pas de modifier les dispositions de l'article 6 de la Constitution.
g) Le parrainage des candidatures à l'élection présidentielle :
Pour ce qui concerne le mode de sélection des candidats à la présidence de la République, il est apparu au Comité que le système actuel des parrainages avait vécu.
La Constitution est muette sur ce sujet ; elle se borne à renvoyer à une loi organique. En l'état actuel du droit, c'est la loi du 6 novembre 1962 modifiée relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel et le décret du 8 mars 2001 qui fixent les règles applicables. A l'origine, les candidatures à la présidence de la République devaient être présentées par un minimum de cent parrains choisis parmi les députés, les sénateurs, les membres du Conseil économique et social, les conseillers généraux et les maires, émanant d'au moins dix départements ou territoires d'outre-mer. Cette réglementation n'a pas empêché une inflation du nombre des candidatures : six en 1965, sept en 1969, douze en 1974. Ces circonstances ont conduit le Conseil constitutionnel à recommander, en 1974, un durcissement des conditions de recevabilité des candidatures. C'est la loi organique du 18 juin 1976 qui a procédé à cet aménagement, en relevant à cinq cents parrainages provenant d'au moins trente départements ou territoires d'outre-mer le nombre de parrains nécessaires et en excluant les membres du Conseil économique et social du collège des parrains. Puis, la loi organique du 5 février 2001 a tenu compte des modifications apportées à l'organisation des collectivités territoriales, notamment à la faveur du développement de l'intercommunalité.
Ces modifications n'ont pas entravé l'accroissement du nombre des candidatures : dix en 1981, neuf en 1988 et 1995, seize en 2002 et douze en 2007. Surtout, il apparaît que le nombre de signataires possibles est aujourd'hui, compte tenu des règles limitant le cumul des mandats, de l'ordre de quarante-sept mille, les maires étant les plus nombreux et, pour plus de la moitié d'entre eux, des maires de communes de moins de mille habitants. Il s'ensuit, de la part des candidats à la candidature, de véritables campagnes de démarchage, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ternissent l'image de la démocratie. Le Conseil constitutionnel a ainsi relevé, en 2007, des pratiques « incompatibles avec la dignité qui sied aux opérations concourant à toute élection » et rappelé que le parrainage est un acte volontaire et personnel qui ne peut donner lieu ni à marchandage ni à rémunération. Au surplus, la question de la publication de la liste des parrains a donné lieu à des hésitations : la loi du 6 novembre 1962 interdisait la publicité des noms et qualités des parrains, celle de 1976 a pris le parti inverse en limitant la publicité au nombre requis pour la validité de chaque candidature ; puis le Conseil constitutionnel a interprété ce texte comme n'interdisant pas la publication, dans ses locaux, de l'affichage temporaire de l'intégralité des noms des parrains, mais il a renoncé à cette pratique en 2007, les cinq cents noms publiés étant dorénavant tirés au sort.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Comité a estimé nécessaire de proposer un système de sélection des candidatures obéissant à des règles d'inspiration différente et de nature à garantir que le choix des citoyens entre les différents candidats à la présidence de la République puisse se dérouler dans les meilleures conditions de dignité et d'efficacité, sans que ce choix soit perturbé par l'émergence d'une multiplicité de candidatures nuisant à la clarté de la campagne électorale et du scrutin.
A cette fin, il recommande que la loi organique prise en application de l'article 6 de la Constitution soit modifiée de telle sorte que la sélection des candidats soit le fait d'un collège de quelque cent mille élus (soit plus du double du nombre des personnes susceptibles, dans le système actuel, de parrainer des candidatures) composé des parlementaires, conseillers régionaux, conseillers généraux, maires et délégués des conseils municipaux qui, sélectionnés à proportion de la population qu'ils représentent et soumis à l'obligation de voter, seraient appelés, au chef-lieu du département, à désigner, à bulletin secret, le candidat qu'ils souhaitent voir concourir à la présidence de la République. Cette désignation, qui interviendrait partout le même jour dans un délai suffisant avant le début de la campagne présidentielle proprement dite, serait de nature, si elle était assortie de la fixation d'un seuil en deçà duquel les candidats ne pourraient être retenus et de l'exigence de franchir la barre d'un minimum de voix dans un nombre donné de départements, à limiter la multiplication des candidatures. Elle permettrait d'atteindre l'objectif poursuivi en vain ces dernières années : donner au premier tour de l'élection présidentielle la qualité d'un scrutin qui engage l'avenir du pays en offrant aux citoyens la possibilité d'un choix clair entre les représentants des principaux courants politiques qui concourent à l'expression du suffrage (proposition n° 15).
Une autre solution, qui permettrait également d'atteindre cet objectif, consisterait à confier à une fraction des citoyens le soin de parrainer eux-mêmes les candidatures. On pourrait ainsi imaginer que seuls les candidats ayant recueilli la signature d'une proportion déterminée des électeurs inscrits seraient à même de présenter leur candidature à l'élection présidentielle. Il reste que cette seconde proposition, qui suppose surmontés de nombreux obstacles techniques liés notamment au contrôle des signatures, se heurterait à la difficulté de réunir rapidement ces signatures en cas de vacance de la présidence de la République.
C. - Des structures plus efficaces :
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La composition du Gouvernement :
Invité par la lettre de mission du Président de la République à porter sa réflexion sur la nécessité de stabiliser la structure du Gouvernement, le Comité a pris acte du fait que la moyenne du nombre de membres du Gouvernement s'établit, sous la Ve République, à un peu plus de trente-cinq et que les attributions des ministres connaissaient, sauf pour les ministères « régaliens », d'importantes variations en fonction des nécessités politiques du moment. Se tournant vers l'étranger, le Comité a relevé que le nombre des ministres est, en règle générale, plus restreint dans les grandes démocraties qu'en France. Encore le propos doit-il être nuancé : au Royaume-Uni, le nombre de ministres de plein exercice n'excède guère la vingtaine, mais les « ministers of state » et « parliamentary secretaries » sont au nombre de quatre-vingts ; en République fédérale d'Allemagne, le Gouvernement actuel compte quatorze ministres de plein exercice et six ministres délégués mais chaque ministre est assisté de deux « secrétaires d'Etat parlementaires ».
De ces constatations et de sa propre réflexion, le Comité a tiré deux séries de conclusions. D'une part, il ne lui est apparu ni utile ni opportun de prévoir qu'une loi organique fixerait la structure du Gouvernement, le Président de la République et le Premier ministre devant conserver la possibilité d'adapter celle-ci aux nécessités du moment et les impératifs mêmes de la « réforme de l'Etat » exigeant parfois de la souplesse dans la définition du périmètre de chaque département ministériel. On pourrait, d'autre part, envisager que le législateur organique fixe le nombre maximal des membres du Gouvernement, le principe étant alors que les ministres de plein exercice ne voient pas leur nombre excéder quinze et que les ministres délégués et secrétaires d'Etat ne soient pas plus d'une dizaine.
Mais, au total, le Comité ne s'est pas montré favorable à semblable innovation, qui présenterait à ses yeux plus d'inconvénients que d'avantages. -
Les cabinets ministériels :
Il est, en revanche, apparu nécessaire au Comité d'aménager le régime des cabinets ministériels. Il ne s'agit certes pas, dans son esprit, de reprendre à son compte des propositions aussi anciennes qu'illusoires tendant, par exemple, à la limitation du nombre de conseillers dont un ministre peut s'entourer. Mais il serait souhaitable que soient créés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, de véritables emplois budgétaires de cabinet, auxquels les fonctionnaires accéderaient par la voie du détachement ou de la mise en disponibilité au lieu d'être, comme à l'heure actuelle, pris en charge, pour leur traitement, par leur administration d'origine, ce qui s'avère peu compatible avec les principes qui régissent dorénavant les lois de finances (proposition n° 16). Ces emplois seraient assortis, par voie réglementaire, d'échelles de rémunérations et de régimes indemnitaires adaptés à la nature des fonctions exercées et feraient l'objet d'une présentation détaillée en annexe à la loi de finances de l'année. L'Etat pourrait aussi s'appliquer à lui-même la règle qu'il impose aux collectivités territoriales en plafonnant le traitement des collaborateurs de cabinet par rapport aux fonctionnaires de plus haut rang du ministère concerné. -
Le retour au Parlement des anciens ministres :
Le Comité a également reçu pour mission de formuler des propositions relatives au retour au Parlement des anciens membres du Gouvernement.
La question est pendante depuis 1974. A cette époque, le Président de la République avait annoncé, à la faveur d'un message au Parlement lu le 30 mai 1974, son intention de modifier les règles résultant de la combinaison des articles 23 et 25 de la Constitution, qui obligent les parlementaires devenus membres du Gouvernement à se soumettre à nouveau au suffrage universel s'ils souhaitent redevenir membres de l'Assemblée nationale ou du Sénat après avoir quitté le Gouvernement. Un projet de révision constitutionnelle en ce sens avait été soumis à l'examen des deux assemblées mais n'avait pu être présenté au vote du Congrès.
Le Comité a estimé qu'il n'y avait pas lieu de revenir sur la règle selon laquelle les fonctions de membres du Gouvernement et du Parlement sont incompatibles. L'idée d'une incompatibilité absolue entre les fonctions du contrôleur et du contrôlé était au nombre de celles auxquelles le général de Gaulle était le plus attaché. Il n'existe aujourd'hui aucune raison de revenir sur cette interdiction. En revanche, le recours à des élections partielles provoquées, après qu'un ministre a quitté ses fonctions gouvernementales, par la démission « forcée » du parlementaire élu en même temps que lui en qualité de suppléant revêt un caractère artificiel. La participation électorale est d'ailleurs particulièrement faible en pareille occurrence. Enfin, il y a quelque inconséquence à prévoir que les anciens ministres d'origine non parlementaire peuvent retrouver sans délai leurs activités professionnelles antérieures et à interdire qu'il en aille de même pour ceux qui, avant leur entrée au Gouvernement, exerçaient un mandat parlementaire.
Il n'y aurait donc aucun inconvénient à ce que le projet de loi constitutionnelle du 27 septembre 1974 fût remis au jour. Son adoption permettrait en outre, sans mettre à mal la solidarité gouvernementale, de renforcer l'autorité des ministres et de favoriser un renouvellement plus apaisé des membres du Gouvernement. Il conviendrait d'ajouter au dernier alinéa de l'article 25 de la Constitution les mots : « ou leur remplacement temporaire en cas d'acceptation par eux de fonctions gouvernementales » (proposition n° 17). Le Comité recommande que cette disposition ne s'applique qu'aux membres du Gouvernement nommés postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi organique permettant l'application de cette révision constitutionnelle. -
L'interdiction du cumul d'une fonction ministérielle et d'un mandat local :
Le Comité a souhaité saisir l'occasion de cette proposition pour appeler l'attention sur la nécessité de renforcer, par ailleurs, les règles qui interdisent le cumul entre les fonctions ministérielles et l'exercice d'un mandat électif local (proposition n° 18). Comme on le verra plus loin, le Comité est favorable à une limitation plus stricte du cumul des mandats électifs. Les préoccupations qui ont inspiré sa réflexion sur ce point valent également pour les membres du Gouvernement : rien ne justifie, à ses yeux, qu'un ministre ne se consacre pas exclusivement à sa tâche. L'article 23 de la Constitution devrait être modifié en ce sens.
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