La loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, adoptée le 28 juin 2001, est contestée devant le Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs. Les requérants invoquent, à l'encontre de ce texte, trois séries de moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur l'article 6
A. - L'article 6 de la loi déférée insère, dans le titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale, un nouveau chapitre V bis relatif au Fonds de réserve pour les retraites.
Initialement créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 sous la forme d'une section du Fonds de solidarité vieillesse, ce fonds devient, selon le nouvel article L. 135-6, un établissement public de l'Etat à caractère administratif. Il a pour mission « de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite ». Le même article précise que les réserves sont constituées au profit des régimes obligatoires d'assurance vieillesse visés à l'article L. 222-1 et aux 1o et 2o de l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire, d'une part, le régime général des salariés, d'autre part, ceux des professions artisanales et des professions industrielles et commerciales.
Par ailleurs, l'article L. 135-10 confie la gestion administrative du fonds à la Caisse des dépôts et consignations, tout en spécifiant que cette activité est indépendante de toute autre activité de la caisse et de ses filiales.
Selon les sénateurs, auteurs du recours, ces dispositions seraient contraires à la Constitution, à un double titre. En premier lieu, l'article L. 135-6 méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi en réservant le bénéfice du fonds au seul régime général et aux régimes dits « alignés », alors que les autres régimes d'assurance vieillesse ne sont pas dans une situation différente. En second lieu, les dispositions de l'article L. 135-10 confiant la gestion administrative du fonds à la Caisse des dépôts et consignations méconnaîtraient le principe de liberté du commerce et de l'industrie et placeraient les concurrents des filiales de la caisse dans une situation d'inégalité au regard des appels d'offres qui seront organisés pour la gestion financière.
B. - Ces moyens ne sont pas fondés.
- S'agissant des régimes bénéficiaires du Fonds de réserve des retraites, il convient d'abord de rappeler que la création de ce fonds se situe dans la perspective de la sauvegarde des systèmes de retraite par répartition. Son objet est d'intervenir pour assurer une sorte de « lissage », à compter de 2020, en complément de réformes structurelles engagées par les régimes d'assurance vieillesse.
Au regard de cet objet, il existe une différence de situation objective entre les régimes visés à l'article L. 222-1 et aux 1o et 2o de l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale et les autres. Les premiers ont fait l'objet, en juillet 1993, d'une réforme se traduisant notamment par un allongement de la durée d'assurance et de la période prise en compte pour la détermination du salaire annuel moyen, ainsi que par une maîtrise de l'évolution des prestations.
Ces caractéristiques justifiaient que le législateur ne retienne pas, à la date à laquelle il se prononçait, les autres régimes qui n'ont pas entrepris de telles réformes. S'agissant, en particulier, de celui des professions libérales (CNAVPL) mentionné dans la saisine, il est dans une situation objectivement différente, à plusieurs titres :
- il ne fonctionne pas selon les mêmes principes que le régime général et les régimes alignés, dans la mesure où la prestation servie par le régime de base est une prestation forfaitaire qui ne représente qu'une part faible de la pension, celle-ci étant, pour l'essentiel, assurée par le régime complémentaire ;
- ce régime doit, par construction, être équilibré en vertu de l'article R. 642-13 du code de la sécurité sociale ;
- en outre, il dispose lui-même d'un fonds de réserve et de compensation, défini à l'article R. 642-4 du même code.
Il convient cependant de rappeler que les sommes mises en réserve sont indisponibles jusqu'en 2020 et que la liste des régimes concernés n'est pas définitive : comme il a été souligné par le Gouvernement au cours des débats devant le Parlement, celui-ci sera appelé à se prononcer sur l'intégration d'autres régimes d'assurance vieillesse parmi ceux qui sont éligibles au fonds.
Cela étant, il est traditionnel de ne pas appliquer les mêmes règles à tous les régimes, étant rappelé que des mécanismes de financement fondés sur la solidarité entre régimes ou faisant intervenir la solidarité nationale fonctionnent d'ores et déjà au bénéfice de tous les régimes de base. On relève de nombreux précédents de ressources « universelles » non affectées à l'ensemble des régimes. On peut à cet égard mentionner :
- le prélèvement social de 2 % sur les produits de placements et les revenus de patrimoine, prévu à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale, qui n'a longtemps financé que la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et la Caisse nationale des allocations familiales avant d'être affecté pour une large part au Fonds de réserve des retraites ;
- la contribution à la charge des laboratoires pharmaceutiques assise sur leur dépenses d'information et de prospection, définie à l'article L. 245-1 du code de la sécurité sociale, et dont le produit est affecté à la seule Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés.
Ce type d'affectation n'a pas été jugé contraire à la Constitution. C'est ainsi que, à propos de l'affectation, à la seule Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, du produit des prélèvements instaurés par la loi no 83-25 du 20 janvier 1983, portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision no 82-152 DC du 14 janvier 1983 « que pour décider de l'attribution du produit des nouvelles contributions à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, le législateur a pu, sans contrevenir au principe d'égalité, prendre en considération la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les différentes caisses participant à la couverture du risque maladie tant du point de vue de leur charges que de leurs ressources ».
De même peut-on remarquer que l'article 21 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 comportait également un dispositif spécifique au bénéfice du régime général et de certains autres régimes : il s'agissait de la prise en charge, par la Caisse nationale des allocations familiales, du coût global des majorations de pensions pour enfants dont bénéficient seulement le régime général et les régimes alignés. Or, le Conseil constitutionnel a écarté, par sa décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000, des critiques d'inspiration semblable, fondées sur le principe d'égalité.
Il est donc clair que le législateur peut, sans méconnaître ce principe, décider de limiter l'affectation de certaines ressources afférentes à un risque, à certains des organismes de sécurité sociale concourant à la couverture dudit risque.
- Les moyens dirigés contre l'article L. 135-10 nouveau du code de la sécurité sociale, relatif au rôle de la Caisse des dépôts et consignations dans la gestion du fonds, ne sont pas davantage fondés.
a) S'agissant, en premier lieu, de la gestion administrative du fonds, il convient de souligner que le fait de la confier à cet établissement public relève des modalités d'organisation du service public, lesquelles ne mettent en cause, par elles-mêmes, ni la liberté du commerce et de l'industrie ni le principe d'égalité.
En outre, et contrairement à ce qui est soutenu, la notion de gestion administrative ne présente aucune ambiguïté, y compris en tant qu'elle inclut la centralisation de la conservation des titres. Il s'agit en effet d'un élément important de sécurité, dans la mesure où la bonne exécution des autres fonctions de la gestion administrative repose en partie sur les informations données par le service de conservation. A ce titre, l'inclusion de la fonction de conservation dans la gestion administrative permettra en particulier un meilleur suivi des risques par le fonds.
b) En second lieu, les autres critiques adressées au dispositif manquent en fait, dès lors que la loi n'implique pas, par elle-même, de rupture d'égalité entre les participants aux appels d'offres de la gestion financière. La loi ne comporte, en effet, aucune disposition favorisant les sociétés du groupe de la Caisse des dépôts pour la participation à ces appels d'offres. Dans le cas où son application donnerait lieu à des abus, il appartiendrait aux autorités compétentes, et notamment au juge administratif ainsi que, le cas échéant, au Conseil de la concurrence, d'assurer l'égalité de traitement des candidats.
Il convient à cet égard de souligner que c'est, au contraire, l'exclusion des filiales de la Caisse des dépôts de la participation aux appels d'offres qui aurait été juridiquement contestable. En effet, les sociétés de ce groupe ont un objet propre, juridiquement autonome de celui de l'établissement public Caisse des dépôts. En outre, et au-delà du principe d'autonomie des sociétés, la séparation opérationnelle des activités concurrentielles des autres activités du groupe CDC limite le risque de conflits d'intérêt.
De surcroît, la loi contient des dispositions spécifiques pour la prévention de conflits d'intérêt potentiels. Ainsi, l'article L. 135-13 du code de la sécurité sociale prévoit-il que, pour la mise en oeuvre de la gestion financière, aucun membre du directoire ne peut délibérer dans une affaire dans laquelle lui-même ou, le cas échéant, une personne morale au sein de laquelle il exerce des fonctions ou détient un mandat a un intérêt. Cette disposition s'appliquera, le cas échéant, au directeur général de la Caisse des dépôts, président du directoire du fonds.
Enfin, on peut aussi relever que, suivant le premier alinéa de l'article L. 135-10 du code de la sécurité sociale, l'activité de gestion administrative du fonds sera indépendante de toute autre activité de la Caisse des dépôts et de ses filiales.
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