A l'heure actuelle, on compte environ 8 000 lois en vigueur. Quant au nombre de textes réglementaires en vigueur, il est difficile à évaluer mais on estime qu'il avoisine les 90 000. Face à l'inflation et à la dispersion des normes, les citoyens ont de plus en plus de mal à connaître et comprendre la loi que « nul n'est censé ignorer ». Lorsque seuls quelques initiés sont en mesure d'y parvenir, c'est le problème de l'égal accès au droit qui est posé et c'est même l'égalité devant la loi qui risque de se trouver compromise.
Une première réponse consiste à améliorer l'information des citoyens sur les textes applicables. Il convient, à cet égard, de souligner que l'obligation d'organiser un accès simple aux règles de droit relève de la responsabilité de l'Etat. C'est ce dont témoigne la décision du 17 décembre 1997, Ordre des avocats à la Cour de Paris, par laquelle le Conseil d'Etat a jugé que « la mise à disposition et la diffusion de textes .. constituent une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il appartient à l'Etat de veiller ».
Une seconde réponse, plus ambitieuse, passe par la réorganisation de ce corpus normatif en codes thématiques permettant d'adopter une présentation cohérente et structurée des règles de droit et en même temps de le rendre plus clair et plus accessible.
Assurer une meilleure accessibilité des textes, sans remettre en cause le droit applicable, tel est le but de la codification, telle qu'elle a été définie dès les débuts de la IVe République par le décret du 10 mai 1948 qui a créé la première commission chargée d'étudier la codification et la simplification des textes législatifs et réglementaires : il s'agit de codifier à « droit constant », en rassemblant au sein de codes thématiques des dispositions législatives et réglementaires dispersées dans de multiples textes.
Jusqu'en 1989, la codification a pris la forme d'une procédure de nature administrative, les codes étant publiés par décret en Conseil d'Etat. Cette procédure avait l'inconvénient majeur de laisser subsister, à côté du nouveau code, les anciennes dispositions législatives qu'un décret ne pouvait naturellement pas abroger. Elle rendait nécessaire l'intervention ultérieure du législateur, parfois tardive, sans être pour autant exhaustive. C'est ainsi que la loi du 3 avril 1958 a validé quinze codes publiés depuis 1951 et a procédé aux abrogations concomitantes. Mais d'autres parties législatives de codes n'ont jamais reçu l'approbation du Parlement et les textes d'origine qui s'y trouvaient rassemblés sont, par ailleurs, demeurés en vigueur.
C'est, tout à la fois, une relance du processus de codification et une redéfinition des méthodes permettant d'y parvenir qui ont été décidées en 1989. Le décret du 12 septembre 1989 a ainsi substitué la commission supérieure de codification à l'ancienne commission créée en 1948 qui avait cessé depuis longtemps de se réunir. Le fait que la nouvelle commission soit présidée par le Premier ministre et siège à Matignon lui confère une autorité accrue par rapport à sa devancière.
Le principe d'une codification à droit constant a été réaffirmé et ses modalités ont été précisées. Mais il a été décidé d'abandonner la codification par décret des textes législatifs et d'associer le Parlement à l'élaboration des codes en lui soumettant des projets de loi portant approbation de leur partie législative.
L'abandon de la codification par décret a répondu à un souci de sécurité juridique que le premier rapport de la commission supérieure de codification expliquait de la façon suivante : « tant qu'elle n'a pas eu lieu, l'absence d'approbation par le Parlement entraîne de sérieux inconvénients. D'une part, les lois codifiées demeuraient en vigueur puisque le décret de codification ne pouvait naturellement les abroger. D'autre part, un risque non négligeable de contentieux apparaissait. On pouvait, en effet, soutenir que le texte codifié avait illégalement apporté à la loi des modifications autres que de pure forme. Tant le Conseil d'Etat que la Cour de cassation ont ainsi été conduits à écarter l'application de certains articles des codes les plus variés. Récemment encore, la chambre criminelle de la Cour de cassation (arrêt du 23 janvier 1989) puis le Conseil d'Etat (arrêt du 22 mai 1989) ont constaté l'illégalité d'un article du livre des procédures fiscales. Dans de telles conditions, la codification, loin de simplifier le droit, complique plutôt la situation et accroît l'insécurité ».
La politique de codification, menée à bien sous l'égide de la commission supérieure de codification, a été relayée par tous les Premiers ministres depuis 1989. C'est dans ce cadre que le Parlement a adopté la partie législative de plusieurs codes importants, le dernier en date étant le code général des collectivités territoriales, adopté par la loi du 21 février 1996.
La circulaire du Premier ministre du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et réglementaires a témoigné de la place reconnue à la codification. Cette circulaire a en effet repris les règles définies par la commission supérieure concernant la procédure et la méthode d'élaboration des projets de codes. Un programme général de codification ambitieux y était annexé. Pour la période 1996-2000, il prévoyait l'élaboration de 22 nouveaux codes et la refonte de 18 codes existants.
Or, les nombreux codes qui, conformément au programme fixé par les instructions du Premier ministre, ont été élaborés par les administrations concernées, approuvés par la commission supérieure de codification, examinés par le Conseil d'Etat et entérinés par le conseil des ministres, n'ont pu aboutir devant le Parlement.
Les raisons pour lesquelles les lois de codification n'ont pu être votées, ainsi que les inconvénients résultant de cette situation, sont parfaitement résumés dans le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale consacré au projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations :
« Le travail de codification est austère, voire ingrat. Il n'est guère attrayant, en effet, pour des élus d'examiner des projets complexes qui, parce qu'ils sont élaborés à droit constant, ne s'inscrivent pas dans le cadre d'un programme politique. Il s'agit même parfois pour le Parlement, compte tenu des changements de majorité, d'adopter, dans le cadre d'un code, des dispositions dont la modification est envisagée. On peut donc comprendre, même s'il faut le regretter, que les projets de code soient les premiers textes sacrifiés face à l'encombrement de l'ordre du jour. »
Pour sa part, la commission supérieure de codification a détaillé, dans son neuvième rapport annuel, les conséquences dommageables de cette situation :
« Les projets de code une fois déposés sur le bureau d'une assemblée vieillissent rapidement du fait des réformes de fond envisagées entre-temps ou du fait de l'intervention de lois nouvelles dans la matière considérée, ce qui induit soit le report de l'examen du projet, soit une mise à jour toujours délicate à opérer.
Le blocage d'un projet de code au stade parlementaire se répercute non seulement sur l'élaboration de la partie réglementaire dudit code mais encore sur l'élaboration des autres projets de code législatif avec lesquels il s'articule.
L'ensemble de la chaîne participant à la confection de codes, des missions de codification jusqu'au Conseil d'Etat, se trouve affecté par le goulot d'étranglement que constitue l'absence de débouchés parlementaires. »
Le processus de codification s'est donc trouvé dans l'impasse. Depuis la publication du code général des collectivités territoriales, en février 1996, seul le livre VI du code rural a été définitivement adopté par le Parlement.
Souhaitant relancer le processus de codification, le Gouvernement a inclus dans le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations un article 3 définissant un programme de codification, comprenant 13 nouveaux codes et 8 codes à refondre, et dont la mise en oeuvre devait être achevée avant la fin de la législature.
Lors de l'examen de ce texte, au mois de mars 1999, le Sénat a supprimé cette disposition. S'exprimant le 10 mars 1999 devant cette Assemblée, le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation a alors fait état, dans les termes suivants, de l'intention du Gouvernement de recourir à des ordonnances pour résorber le retard accumulé dans l'élaboration des codes :
« Pour ma part, j'ai demandé à M. le Premier ministre d'envisager la possibilité d'adopter certains codes par ordonnance, si le Parlement l'y autorise.
M. le Premier ministre a consulté sur ce point M. le Président de la République, et je crois pouvoir dire que ce dernier ne s'opposera pas à cette procédure... »
Lorsqu'il a présenté le même projet de loi devant l'Assemblée nationale, le 27 mai 1999, M. Zuccarelli a précisé :
« Le Gouvernement proposera ultérieurement, pour qu'un travail énorme ne soit pas gâché, pour que les codes déjà prêts ne soient pas périmés, qu'on l'habilite à adopter ceux-ci par ordonnance. Cette méthode n'est pas valable de manière pérenne, et ce n'est que pour régler ce problème de stock qu'un projet de loi d'habilitation sera présenté au conseil des ministres au mois de juin. Le Gouvernement souhaite ainsi débloquer la situation actuelle due à l'encombrement des ordres du jour des assemblées, avant de revenir ensuite à des méthodes classiques d'adoption. Car, bien entendu, il n'est de meilleure méthode que celle consistant à faire discuter par les assemblées les textes que le Gouvernement prépare. »
C'est dans ces conditions qu'a été présenté le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par voie d'ordonnances, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, les dispositions législatives nécessaires à l'adoption de neuf codes dont la rédaction était suffisamment avancée, voire achevée. Ce projet a recueilli un accueil très favorable au Sénat, qui l'a adopté à l'unanimité.
Il a cependant été contesté lors de sa discussion devant l'Assemblée nationale, ce qui n'a pas empêché son adoption, le 23 novembre 1999. Mais des députés ont saisi le Conseil constitutionnel d'un recours, suivi d'un mémoire complémentaire, qui adressent à la loi de nombreuses critiques. Plusieurs d'entre elles, notamment celles qui mettent en cause le travail de la commission supérieure de codification ou les orientations retenues par la circulaire du Premier ministre du 30 mai 1996, relèvent de considérations d'opportunité et ne sauraient, comme telles, avoir d'incidence sur la conformité de la loi à la Constitution.
En dehors de ce qui a été dit ci-dessus, ces critiques n'appellent pas d'observations particulières de la part du Gouvernement, qui entend s'en tenir au débat constitutionnel. A cet égard, il paraît possible de dégager des écritures des requérants six séries de moyens, qui appellent les observations suivantes.
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