I. - Sur la violation des droits du Parlement
A. - Selon les auteurs de la saisine, les droits du Parlement auraient été méconnus à un double titre.
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Constatant que le projet de loi dont les assemblées ont été saisies ne comportait pas, en annexe, le texte des codes dont la rédaction est achevée, ils en déduisent que les représentants de la Nation n'ont pas été suffisamment informés sur la portée de l'habilitation qui leur était demandée. En outre, la loi déférée aurait été adoptée en méconnaissance de l'obligation d'indiquer avec précision la finalité des mesures que le Gouvernement se propose de prendre. Les auteurs du recours estiment, à cet égard, que la nécessité de résorber le retard enregistré dans la procédure de codification ne pouvait suffire à justifier le recours à l'article 38 et que le Parlement aurait dû disposer de précisions sur les questions de fond posées par la codification. Les requérants considèrent également que les notions de « respect de la hiérarchie des normes » et d' « harmonisation du droit » retenues par la loi sont trop imprécises, et risquent, en particulier, de permettre la codification du droit communautaire, alors qu'une loi de transposition serait nécessaire.
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Par ailleurs, ils considèrent que le droit d'amendement est méconnu dès lors que, selon eux, le Parlement se trouverait privé, par la doctrine de la codification à droit constant, de son pouvoir de modification du contenu des codes. La loi d'habilitation méconnaîtrait à la fois les articles 34 et 44 de la Constitution en ne garantissant pas que ce pouvoir s'exercera lors de la ratification des ordonnances.
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne une telle argumentation, qui se méprend sur la portée exacte de l'article 38 de la Constitution.
On rappellera que cet article permet au Gouvernement, pour l'exécution de son programme, de demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Les mots « pour l'exécution de son programme » ont été interprétés, par le Conseil constitutionnel, comme excluant tout rapprochement avec la notion de programme figurant à l'article 49, mais comme imposant au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, tant la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances (no 76-72 DC du 12 janvier 1977), que leur domaine d'intervention (no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 ; no 95-370 DC du 30 décembre 1995).
Il résulte du même article que les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, mais que le Gouvernement est tenu de déposer un projet de loi de ratification avant une date limite qu'il appartient à la loi d'habilitation de fixer. Une fois le délai d'habilitation expiré, les ordonnances ne peuvent être modifiées que par la loi.
- S'agissant, en premier lieu, du droit d'information du Parlement, il a été parfaitement respecté en l'espèce.
A titre liminaire, on observera que les requérants se méprennent sur la portée de l'interprétation jurisprudentielle précitée de l'article 38 en soutenant que le motif de l'habilitation, indiqué au Parlement lors des travaux préparatoires, et tiré du retard pris dans la mise en oeuvre du programme de codification, serait inapte à justifier le recours à des ordonnances. Ce faisant, ils confondent la question de l'information nécessaire de la représentation nationale, que la jurisprudence précitée a déduite des termes de l'article 38, et celle du contrôle du bien-fondé du choix que fait le Gouvernement d'user de la faculté ouverte par cet article. Or il ne résulte pas de la jurisprudence que cette seconde question soit de celles qui peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité.
Cela étant, il convient de souligner que l'adoption de la loi déférée s'est faite dans le respect des prérogatives du Parlement.
a) La loi définit précisément les matières législatives concernées par l'habilitation en dressant la liste des neuf codes concernés. On remarquera que ces codes faisaient tous partie du programme de codification annexé à la circulaire du 30 mai 1996. Ils sont aussi au nombre de ceux qui étaient mentionnés dans la liste annexée à l'article 3 du projet de loi relatif au droits des citoyens dans leur relation avec les administrations. En outre, et contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, l'obligation d'information dont le Gouvernement s'est acquitté n'implique, ni que celui-ci fasse connaître la teneur des ordonnances qu'il envisage de prendre, ni bien sûr, a fortiori, que le texte en soit annexé au projet de loi d'habilitation. C'est donc en vain qu'il est fait grief à la loi de ne pas avoir été accompagnée du texte des projets de code qui feront l'objet d'ordonnances.
b) Par ailleurs, la loi limite strictement la portée de l'habilitation en la subordonnant à la condition que la codification se fasse à droit constant.
Les seules modifications que le texte initial du projet de loi permettait d'apporter aux textes législatifs auxquels les codes se substitueront sont celles qu'imposent le respect de la hiérarchie des normes, le souci de la cohérence rédactionnelle, et l'extension de la législation existante aux collectivités d'outre-mer, moyennant les adaptations nécessaires.
Ces différentes notions sont parfaitement claires, y compris celle de « respect de la hiérarchie des normes » sur laquelle, pourtant, les députés requérants s'interrogent. En prescrivant aux auteurs des ordonnances d'en tenir compte, le législateur s'est borné à rappeler une exigence qui se serait imposée dans le silence de la loi : celle de ne pas reprendre dans les codes des dispositions qui ne seraient pas conformes aux normes juridiques supérieures. Il ressort en effet de la jurisprudence - dont les auteurs de la saisine se prévalent par ailleurs - que les ordonnances doivent être édictées « dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, des principes généraux du droit qui s'imposent à toute autorité administrative, ainsi que des engagements internationaux de la France » (C.E., 4 novembre 1996, Association de défense des sociétés de courses des hippodromes de province, Rec. p. 427).
Il en résulte que l'obligation faite aux auteurs des codes de s'en tenir au droit constant doit naturellement céder le pas devant la nécessité de ne pas maintenir dans l'ordonnancement juridique celles des dispositions entrant dans le champ des codes qui s'avéreraient contraires à de tels principes ou engagements.
A cet égard, la question particulière des directives communautaires, évoquée dans la saisine, conduit à distinguer deux hypothèses :
- lorsque la disposition en cause est incompatible avec les exigences qui découlent des objectifs d'une directive et qu'il suffit de l'abroger pour assurer la conformité du droit national, l'ordonnance y procédera ;
- dans le cas, au contraire, où cette mise en conformité nécessiterait des mesures de transposition, la détermination de celles-ci peut faire intervenir des choix d'ordre politique qui relèvent naturellement d'un autre exercice, et ne sauraient dès lors être opérés à l'occasion de la codification.
c) A ces critères a été ajoutée, par un amendement de la commission des lois du Sénat, la possibilité de procéder à une « harmonisation du droit ».
Le rapport de cette commission et les indications données par son rapporteur, le sénateur Gélard, lors de la discussion du texte, font apparaître que, ce faisant, les parlementaires ont entendu se montrer cohérents avec la définition de la codification figurant à l'article 3 de la loi sur les droits des citoyens dans leurs rapports avec les administrations, actuellement en cours de discussion. Une rédaction incluant cette notion avait, en effet, été adoptée dans les mêmes termes par les deux Assemblées. On notera d'ailleurs que la possibilité de procéder à l'harmonisation du droit à l'occasion de la codification figurait déjà dans la circulaire du 30 mai 1996.
Adopté sur l'avis favorable du Gouvernement, cet amendement permettra que la codification s'éloigne, mais seulement dans certaines hypothèses bien déterminées, de la reprise à l'identique des textes en vigueur : il s'agit de pouvoir, le cas échéant, lever les difficultés qui pourraient naître du rapprochement, dans un code, de plusieurs textes traitant des questions analogues de manière différente. La codification est en effet souvent l'occasion de constater que des dispositions, qui ont été adoptées à des époques différentes, se contredisent ou sont difficilement compatibles, sans que le législateur ait marqué son intention qu'il en soit ainsi. Il arrive également que la comparaison de textes fasse apparaître, dans l'un d'entre eux, une omission dont on est certain qu'elle ne correspond pas à l'intention du législateur.
La possibilité, ouverte au codificateur, de procéder à une harmonisation du droit permettra de résoudre de telles contradictions ou de combler ces lacunes, dans le sens le plus conforme à l'économie générale d'un texte ou à l'évolution de la législation.
On peut, sur ce dernier point, reprendre l'exemple, que citait le député Vidalies, rapporteur de la loi d'habilitation devant l'Assemblée nationale (JO AN, séance du 23 novembre 1999), du code pénal et du code de la route qui contiennent des infractions définies en termes identiques mais réprimées par des peines différentes. L'harmonisation du droit pourra ainsi permettre que les dispositions pénales des codes soient rédigées suivant les principes généraux énoncés dans le nouveau code pénal, non seulement quant à la technique de rédaction, mais aussi quant à la nature et au montant maximal des peines.
On peut également évoquer le cas de la loi no 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières, qui transpose, à l'égard des sociétés de bourse, le pouvoir de sanction que la Commission bancaire détenait auparavant à l'encontre des seuls établissements de crédit : l'élaboration du code monétaire et financier a mis en évidence que la loi avait involontairement omis de transposer au cas des sociétés de bourse la possibilité, antérieurement ouverte à la Commission s'agissant des établissements de crédit, de prendre des mesures provisoires de suspension.
Il est bien conforme à l'objectif de clarification et de simplification que poursuit la codification de permettre que de telles contradictions ou lacunes puissent être levées.
- En second lieu, on voit mal comment la loi contestée méconnaîtrait le droit d'amendement.
On observera d'abord que ce droit a pu naturellement s'exercer lors des débats qui ont précédé l'adoption de la loi déférée.
On remarquera ensuite que l'obligation de codifier à droit constant ne s'impose naturellement qu'aux auteurs des ordonnances, mais la loi laisse intacte, pour l'avenir, la possibilité qu'a le Parlement de modifier les parties législatives des codes qui auront été ainsi adoptées. Après l'expiration du délai d'habilitation, il peut exercer ce droit lors de l'examen de la loi de ratification, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le droit d'amendement s'exerce intégralement sur tous les éléments du texte soumis à ratification, y compris bien sûr le texte du code lui-même.
Il faut en outre souligner que la possibilité de modifier un code adopté par ordonnance peut aussi s'exercer, sans attendre l'examen de la loi de ratification, à l'occasion de la discussion d'un projet ou d'une proposition de la loi touchant à des articles du code sans avoir la ratification pour objet direct.
On ajoutera enfin que rien ne s'oppose même à ce qu'une telle modification intervienne avant le dépôt du projet de loi de ratification, dès lors que le Gouvernement ne fait pas usage de la possibilité, que lui ouvre l'article 41 de la Constitution, d'opposer l'irrecevabilité tirée de l'existence de l'habilitation (no 86-224 DC du 23 janvier 1987). Au cas particulier, l'article 41 ne pourrait d'ailleurs être utilisé que dans la mesure où une proposition ou un amendement tendrait à procéder à une codification concurrente de celle qui fait l'objet de l'habilitation.
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