II. - Sur l'article 3
A. - L'article 3 de la loi déférée insère, dans le code général des impôts, un article 80 duodecies qui entend clarifier le régime d'imposition des sommes versées à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail ou de la cessation de fonctions de mandataire social. Après avoir posé le principe de la soumission de ces sommes à l'impôt sur le revenu, la loi en excepte un certain nombre d'indemnités dont le versement est prévu par le code du travail ou par des accords collectifs.
Le deuxième alinéa du nouvel article 80 duodecies précise en outre que la fraction exonérée des indemnités de licenciement, lorsqu'elles dépassent les prévisions légales ou conventionnelles, ne peut être inférieure ni à 50 % de leur montant ni à deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié l'année précédant la rupture. Toutefois les sommes exonérées ne peuvent excéder un montant égal à la moitié de la première tranche de l'impôt de solidarité sur la fortune, soit actuellement 2,35 millions de francs.
Selon les sénateurs, auteurs du second recours, la limite ainsi fixée porte atteinte à un principe d'où il résulterait que les indemnités ayant le caractère de dommages-intérêts ne sont pas imposables. Cette mesure créerait une inégalité de traitement injustifiée entre les contribuables, selon que les indemnités perçues se situent en deçà ou au-delà du seuil. Enfin le législateur aurait également méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques en prévoyant des dispositions spécifiques à une catégorie socioprofessionnelle.
B. - Pour sa part, le Gouvernement estime que cette disposition est conforme à la Constitution.
- Il faut en premier lieu rappeler qu'à l'heure actuelle, le régime, au regard de l'impôt sur le revenu, des indemnités versées aux salariés ou aux mandataires sociaux à l'occasion de la cessation du contrat de travail ou de mandat social est singulièrement complexe. Il repose sur l'application, au cas par cas, d'un principe général selon lequel toutes les sommes versées à cette occasion sont imposables dans la mesure où elles ne réparent pas un préjudice, notamment d'ordre moral ou professionnel, distinct de celui résultant pour l'intéressé de la seule perte de sa rémunération. Ce principe a été déduit des dispositions du code général des impôts, et notamment de celles de l'article 12 et des articles 79 et suivants, qui donnent une définition large de la rémunération imposable.
De ce fait, le sort définitif des indemnités au regard de l'impôt sur le revenu dépend d'une appréciation des circonstances propres à chaque situation particulière. Pourtant, les parties préjugent souvent du caractère de dommages et intérêts non imposables des sommes versées, notamment dans la rédaction des accords transactionnels qui accompagnent fréquemment la rupture. La partie versante et le bénéficiaire sont alors incités à ne pas les déclarer. Dès lors que cette appréciation n'est opposable ni à l'administration ni au juge de l'impôt, il en résulte une grande insécurité juridique, qui est facteur d'inégalités importantes entre les contribuables.
Lorsque la déclaration du contribuable est vérifiée, l'administration et, le cas échéant, le juge, procèdent de la manière suivante pour identifier la part imposable de l'indemnité perçue, et qui se compose, a priori, d'une partie financière et d'une partie non financière.
a) La composante financière, qui peut apparaître soit comme un complément de revenu au titre de la période passée, soit comme une compensation de la perte de revenus futurs, est naturellement dans le champ de l'impôt sur le revenu tel qu'il est défini à l'article 12 du code général des impôts. Le fait qu'elle ait pour élément générateur la rupture d'un contrat ne modifie pas cette analyse. L'unique particularité de ce revenu est que, alors qu'il n'est pas par sa nature annuel, il est toutefois appréhendé sur une seule année, et donc imposable au titre de cette seule année, ce qui, compte tenu de la progressivité du barème de l'impôt sur le revenu, peut conduire à des conséquences excessives. L'article 163-0 A du code général des impôts, qui prévoit dans ce cas l'application du mécanisme du quotient, résout cette difficulté.
b) La composante non financière peut apparaître, en conséquence de la règle qui vient être rappelée, comme tout à fait exceptionnelle. Elle doit en effet être justifiée par les troubles causés par la rupture, notamment par l'atteinte à l'honneur de l'intéressé qu'elle a pu comporter.
C'est pour mettre fin aux incertitudes découlant de la complexité de ces critères et pour fournir a priori aux intéressés des indications claires que l'article 3 pose un principe général d'imposition de l'ensemble des indemnités de rupture du contrat de travail, sous réserve des indemnités versées dans le cadre de plans sociaux ou à l'occasion de ruptures abusives, et de la fraction des indemnités de licenciement qui n'excède pas le montant prévu par l'accord collectif applicable ou, à défaut, par la loi. Et c'est dans le même but que la loi définit les seuils mentionnés plus haut.
Au demeurant, le Parlement s'est déjà fixé par le passé un tel objectif. En effet, par le 3o de l'article 10 de la loi no 96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997, codifié en particulier au 5o du II de l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, il a précisé l'assiette qu'il convenait de retenir pour l'assujettissement des indemnités de licenciement à la contribution sociale généralisée, laquelle est une imposition de toute nature frappant le revenu, et soumise à ce titre aux mêmes exigences constitutionnelles que la législation sur l'impôt sur le revenu.
- En deuxième lieu, on observera que l'argumentation des sénateurs requérants est inopérante, dès lors qu'il n'existe aucun principe de valeur constitutionnelle conférant aux indemnités perçues par un salarié ou un mandataire social à la suite de la rupture du contrat de travail ou de mandat social le caractère de dommages et intérêts non soumis à l'impôt sur le revenu.
En matière d'imposition, les seules contraintes constitutionnelles sont celles tirées du principe d'égalité devant les charges publiques. Dès lors qu'il se détermine suivant des critères objectifs et rationnels, il est a priori loisible au législateur de déterminer celles des indemnités qu'il entend imposer, sous réserve, bien entendu, de ne pas conférer un caractère confiscatoire au prélèvement.
- En troisième lieu, et en tout état de cause, cette argumentation manque en fait, dès lors que la simplification de ce régime retient, sans méconnaître le principe d'égalité, une solution plutôt avantageuse pour les contribuables concernés.
a) Tout d'abord, il règle de manière spécifique, par une exonération totale, un certain nombre de cas où l'on peut raisonnablement considérer qu'un préjudice non financier existe. Il s'agit tout d'abord des indemnités versées à la suite d'une rupture abusive ou irrégulière du contrat de travail. Il s'agit également des indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre de plans sociaux.
b) Ensuite, il assortit la règle d'ores et déjà retenue en matière de contribution sociale généralisée - savoir l'exonération de la fraction de l'indemnité de licenciement qui n'excède pas le montant conventionnel ou légal -, d'un mécanisme correcteur, qui ne peut jouer qu'à la hausse, et qui, dans la pratique, porte la part exonérée au niveau le plus élevé reconnu par la jurisprudence du Conseil d'Etat, lorsque celui-ci est amené à se prononcer en cas de contentieux.
La fixation du seuil en valeur absolue que contestent les sénateurs consiste donc seulement, dans les cas où le code du travail ne reconnaît a priori aucun préjudice non financier, à plafonner le mécanisme de relèvement de la fraction exonérée de l'indemnité. En instituant ce plafonnement, le législateur n'a méconnu aucune exigence.
c) La rupture d'égalité entre les contribuables n'est pas plus avérée. Le mécanisme retenu n'emporte, pour le contribuable dont l'indemnité perçue dépasse de peu le plafond retenu, aucune conséquence disproportionnée par rapport à ce dépassement. L'article 3 de la loi de finances pour 2000 n'institue qu'un plafonnement exceptionnel, selon un mécanisme courant en matière fiscale. Il ne s'agit nullement d'un « effet de seuil » brutal, mais d'un abattement à la base analogue, dans son principe, à celui dont le Conseil constitutionnel a admis la validité, en matière de cotisations sociales, dans sa décision no 99-416 DC du 23 juillet 1999. En conséquence, deux contribuables percevant des indemnités dont l'une est juste inférieure au plafond et l'autre juste supérieure, sous réserve par ailleurs qu'ils soient soumis à la même convention collective et qu'ils aient perçu le même salaire, ne verront leur imposition différer que de quelques francs.
d) Enfin, s'agissant du sort particulier réservé aux mandataires sociaux, dont les auteurs de la saisine contestent qu'ils puissent être traités différemment par la loi, il convient de remarquer qu'ils ne sont pas dans la même situation juridique que les salariés, puisque leur contrat de mandat est, en vertu notamment des articles 55, 110 et 116 de la loi no 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, révocable à tout moment. L'assiette retenue par le législateur pour l'imposition des indemnités perçues par ces mandataires sociaux n'est pas plus défavorable que celle fixée pour l'imposition des indemnités perçues par les salariés.
En définitive, il importe de souligner que cette mesure a essentiellement pour objet et pour effet de procéder à une clarification et à une simplification de la règle de droit en cette matière afin, notamment, de la rendre plus accessible. Ce faisant, le législateur poursuit des objectifs dont le caractère constitutionnel a récemment été mis en évidence (no 99-421 DC du 16 décembre 1999).
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