Séance du 30 juin 2011
L'An deux mille onze et le trente juin, l'Assemblée de Corse, régulièrement convoquée s'est réunie au nombre prescrit par la loi, dans le lieu habituel de ses séances, sous la présidence de M. Dominique BUCCHINI, président de l'Assemblée de Corse.
Etaient présents :
Mmes et MM. ANGELINI Jean-Christophe, BARTOLI Marie-France, BASTELICA Etienne, BEDUPASQUALAGGI Diane, BENEDETII Paul-Félix, BIANCUCCI Jean, BUCCHINI Dominique, CASTELLANI Michel, CASTELLANI Pascaline, CHAUBON Pierre, FEDERICI Balthazar, FEDI Marie-Jeanne, FERRI-PISANI Rosy, GIACOMETTI Josepha, GIOVANNINI Fabienne, GUERRINI Christine, LACAVE Mattea, LUCCIONI Jean-Baptiste, LUCIANI Xavier, MOSCONI François, NICOLAI Marc-Antoine, NIELLINI Annonciade, NIVAGGIONI Nadine, ORSINI Antoine, PANUNZI JeanJacques, de ROCCA SERRA Camille, SANTINI Ange, SANTONI-BRUNELLI MarieAntoinette, SCIARETII Véronique, SIMEONI Gilles, SINDALI Antoine, STEFANI Michel, TALAMONI Jean-Guy, VALENTINI Marie-Hélène, VANNI Hyacinthe.
Etaient absents et avaient donné pouvoir :
Mme BIANCARELLI Viviane à M. BASTELICA Etienne.
Mme CASALTA Laetitia à Mme NIELLINI Annonciade.
M. CASTELLI Yannick à M. FEDERICI Balthazar.
Mme COLONNA Christine à M. BIANCUCCI Jean.
Mme DONSIMONI-CALENDINI Simone à Mme BARTOU Marie-France.
M. FRANCISCI Marcel à M. PANUNZI Jean-Jacques.
Mme GRIMALDI Stéphanie à Mme GUERRINI Christine.
Mme HOUDEMER Marie-Paule à Mme CASTELLANI Pascaline.
Mme MARTELLI Benoite à M. ORSINI Antoine.
Mme NATALI Anne-Marie à M. SANTINI Ange.
M. ORSUCCI Jean-Charles à Mme VALENTINI Marie-Hélène.
Mme RISTERUCCI Josette à Mme FEDI Marie-Jeanne.
Mme RUGGERI Nathalie à M. SINDALI Antoine.
Mme SIMONPIETRI Agnès à M. SIMEONI Gilles.
M. SUZZONI Etienne à BEDU-PASQUALAGGI Diane.
M. TATII François à Mme FERRI-PISANI Rosy.
L'Assemblée de Corse,
Vu la Constitution ;
Vu le code général des collectivités territoriales, titre II, livre IV, quatrième partie ;
Vu le code général des impôts ;
Sur rapport conjoint de la commission des compétences législatives et réglementaires et de la commission des finances, de la planification, des affaires européennes et de la coopération,
Considérant que le III de l'article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales lui donne compétence pour présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration concernant notamment les compétences, l'organisation et le fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse ;
Considérant que la Corse est confrontée, dans le domaine du patrimoine immobilier et plus généralement du foncier, à une situation extrêmement problématique qui se développe depuis plus de quinze années et est même aujourd'hui constitutive d'une crise véritable ;
Considérant que cette situation est engendrée par la conjonction de plusieurs éléments marqués par une rupture d'équilibre : celui des prix de l'immobilier qui, dans les zones urbaines et sur la ceinture littorale, ont alleint un niveau élevé inconsidéré ; celui de la structure sociologique de la propriété qui se modifie gravement au détriment des résidents ; celui de l'accession à la propriété et au logement qui est de plus en plus difficile pour la population locale ; celui de la configuration spatiale, démographique et économique du territoire de l'île ;
Considérant que, dans la population, le sentiment d'une certaine « dépossession » s'amplifie, accentué par le fait insulaire et le réflexe de défense auto-protectrice que celui-ci génère ;
Considérant que, de surcroît, la situation juridique du patrimoine immobilier est affectée depuis très longtemps de désordres ayant largement dépassé un niveau critique ;
Considérant que plus de la moitié des biens situés en milieu rural, et principalement ceux qui ne sont pas bâtis, demeurent dans l'indivision, soit un taux plus de cinq fois supérieur au taux moyen national, ce qui a conduit à leur abandon physique, patrimonial et économique ainsi qu'à une dégradation écologique et à une multiplication des incendies ;
Considérant que l'absence de titres authentiques de propriété, également très exceptionnelle en France continentale, touche en Corse quelques dizaines de milliers de biens, principalement en milieu rural, ce qui, notamment, accroît les difficultés rencontrées par les agriculteurs qui veulent procéder à des acquisitions foncières ou bénéficier de baux ;
Considérant que les rôles de la propriété foncière sont affectés d'une insuffisante actualisation puisque que 45 % des biens (soit plus de 500 000 hectares) appartiennent à des propriétaires présumés défunts, car nés avant 1910 ;
Considérant que le cadastre est affecté de graves lacunes puisque, par rapport à la norme métropolitaine des départements, il y a en Corse quarante fois plus de biens non bâtis qui ne sont pas délimités ;
Considérant que ces désordres constituent surtout un frein réel à la revitalisation et au développement de l'espace rural encore largement désertifié ;
Considérant que les dispositions prises depuis plus de vingt ans par les pouvoirs publics n'ont pas toujours été cohérentes, sont insuffisantes et peuvent générer de surcroît des effets pervers, comme cela a été le cas pour la structure sociologique de la propriété foncière dans les zones littorales ;
Considérant que les mesures prises par la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, conditionnant à la reconstitution des titres de propriété l'octroi de délais supplémentaires et d'exonérations fiscales aux bénéficiaires de successions comportant des biens et droits immobiliers situés en Corse, n'ont contribué que très partiellement à ce jour à satisfaire l'objectif recherché, et s'éteindront progressivement du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2017 ;
Considérant que, cependant, les opérations à mener pour la remise en ordre juridique du patrimoine immobilier sont d'une ampleur telle qu'il faudra près de vingt années au groupement d'intérêt public GIRTEC pour venir à bout de l'entreprise de reconstitution des titres de propriété engagée en 2009, ce qui suppose la prolongation de son activité jusqu'en 2027 ;
Considérant que la loi du 22 janvier 2002 a également planifié le retour progressif au droit commun fiscal applicable aux successions comportant des biens et droits immobiliers situés en Corse ;
Considérant que cette mesure a fait suite à une disposition de la loi de finances pour 1999 qui a vidé de son contenu ce qu'il subsistait de l'arrêté à valeur législative pris par l'administrateur général Miot le 21 prairial an IX qui avait institué des droits de succession modiques, et en considération duquel la Cour de cassation avait confirmé en 1984 et 1992 que, depuis le 1er janvier 1949, même en cas de déclaration, il ne devait pas y avoir lieu à paiement de droits de succession par les héritiers des défunts possédant en Corse des biens immobiliers ;
Considérant qu'ainsi, pour les successions ouvertes avant le 31 décembre 2012, l'exonération de droits sera totale s'agissant de leur part immobilière, tandis que pour telles ouvertes entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, ces droits seront dus à concurrence de la moitié de la valeur des biens et que, à compter du 1er janvier 2018, ils seront ceux prévus par le droit commun ;
Considérant qu'ainsi, corrélativement, le délai de déclaration sera de 24 mois pour les successions ouvertes avant le 31 décembre 2012, ce délai étant réduit à six mois pour les successions ouvertes le lendemain de cette date ;
Considérant que ce processus, outre qu'il paraît mettre en cause le principe constitutionnel d'égalité en cela qu'il ne prévoit qu'un seul pallier intermédiaire pour passer de l'exonération totale à la taxation totale au détriment de personnes qui ne sont, par définition, en rien responsables de la cause qui les met en situation d'hériter, comporte une autre mesure paraissant souffrir la même objection et qui prévoit l'application du droit commun fiscal pour les successions comportant des biens et droits immobiliers acquis à titre onéreux après le 22 janvier 2002 ;
Considérant que la décision prise par le législateur de ne pas aligner le régime des donations entre vifs sur celui des successions est, à tout le moins, créatrice d'une inégalité de traitement puisqu'un tel alignement est constant dans le droit commun fiscal ; qu'elle revêt un caractère dissuasif en ce qu'elle n'incite pas les propriétaires de biens et droits immobiliers à mieux préparer leur succession en procédant à des donations, celles-ci étant taxées au plein tarif alors que, s'ils viennent à décéder, leur héritiers pourront bénéficier jusqu'en 2018 de la fiscalité dérogatoire des successions ; que, de ce fait, elle pénalise fortement ces mêmes héritiers qui, après cette date, n'ayant pu bénéficier de donations, se verront plus lourdement taxés ;
Considérant qu'en tout état de cause le retour au droit commun fiscal des successions, s'il épargnera les héritages modestes et moyens en ligne directe, pénalisera lourdement tous les héritages en ligne collatérale, alors même qu'est constatée une proportion de défunts sans héritiers directs bien plus importante en Corse que sur le continent, ce qui entraînera inévitablement l'aliénation de la très grande majorité des biens reçus ;
Considérant que l'importance des droits à payer, assortie à la disparition des incitations fiscales, aura également un effet dissuasif à l'égard d'héritiers recevant des biens dépourvus de titres de propriété et indivis, et les incitera soit à conserver ces biens dans l'indivision, soit à les aliéner ;
Considérant qu'ainsi le retour au droit commun fiscal applicable aux successions ne pourra que constituer un facteur d'aggravation de la crise foncière ;
Considérant en conséquence que la question des droits de mutation à titre gratuit et celle du foncier ne peuvent être dissociées et méritent un traitement coordonné ;
Considérant qu'il est indispensable de rechercher un nouveau régime fiscal des mutations à titre gratuit du patrimoine immobilier, constituant un élément déterminant du dispositif à mettre en œuvre pour apporter une solution à la situation très problématique, voire inquiétante, que connaît la Corse en matière immobilière et foncière ;
Considérant qu'à cette justification d'un régime fiscal dérogatoire s'ajoute celle de la situation particulière que connaît la Corse et qui la différencie des régions du continent ;
Considérant que l'île est en effet soumise à des contraintes durables qui ont de tout temps été prises en compte par le législateur pour justifier de mesures dérogatoires en sa faveur : l'éloignement, le caractère montagneux et extrêmement cloisonné de son territoire ;
Considérant que ces contraintes géographiques engendrent des difficultés durables d'ordre économique et social, comme au plan de l'aménagement de l'espace, en matière de transports, d'infrastructures, de mise en valeur des espaces agricoles et forestiers, de coût de la vie et de pouvoir d'achat ;
Considérant que ces difficultés sont accrues par un contexte socio-économique et spatial difficile : la faiblesse démographique, un important déséquilibre spatial, des territoires ruraux désertifiés, un PIB par habitant, un PIB par emploi et un revenu par foyer fiscal très inférieurs à la moyenne des régions françaises, ainsi qu'une progression de la précarité ;
Considérant que la normalisation de la situation du patrimoine immobilier, la régulation de l'équité sociale et fiscale ― notamment par la contribution des patrimoines les plus importants à l'aménagement équilibré du territoire ―, la préservation et la pérennisation du patrimoine immobilier des Corses ainsi que la lutte contre les pratiques spéculatives constituent à l'évidence des objectifs d'intérêt général ;
Considérant que la différence de traitement, en faveur de la Corse, qui résulterait du régime dérogatoire devrait être en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établirait ;
Considérant qu'ainsi le régime dérogatoire ne contreviendrait pas au principe constitutionnel d'égalité, au regard de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel ;
Considérant que lorsque le produit d'une imposition leur est reversé la loi peut, aux termes du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, autoriser les collectivités territoriales, dans les limites et les conditions qu'elle détermine et pour la part qui leur revient, à fixer ou moduler les taux et tarifs, et même à intervenir en matière d'assiette en décidant d'abattements ou d'exonérations ;
Considérant qu'ainsi, s'agissant des mutations à titre gratuit comportant des biens et droits immobiliers, la collectivité territoriale de Corse pourrait, s'il était décidé que le produit de cette fiscalité devait lui être affecté, se voir attribuer, à compter du 1er janvier 2013, une partie de l'exercice de la compétence dans ce domaine, et pourrait intervenir en matière d'assiette, de taux, de tranches et de tarifs des droits de succession, dans les conditions et les limites que la loi auraient préalablement déterminées ;
Considérant qu'ainsi elle serait en mesure, à la fois, d'adapter ce régime spécifique à la réalité sociale, économique, culturelle et sociologique de la Corse ; de mieux assurer l'équité sociale et fiscale ; de mettre l'outil fiscal au service de la politique en faveur du foncier et de l'habitat qu'elle entend mettre en œuvre de manière coordonnée ; d'accroître l'efficacité des mesures destinées à la normalisation juridique du patrimoine immobilier ; de favoriser le secteur entrepreneurial et l'activité agricole ; d'aider à la pérennisation du patrimoine familial en encourageant la conservation des biens acquis par héritage ou donation ;
Considérant que le produit de l'imposition devrait être intégralement affecté au financement des actions menées par la collectivité territoriale de Corse dans les domaines du foncier et de l'habitat, sans qu'il en résulte pour autant une diminution à due concurrence des financements de l'Etat ;
Considérant qu'une fois attribué, l'exercice de cette compétence pourrait, dans un premier temps, avoir pour cadre celui de l'expérimentation législative prévu par les articles 37-1 et 72 de la Constitution ;
Considérant qu'ainsi, compte tenu du particularisme juridique de la collectivité territoriale de Corse qui, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, constitue à elle seule une catégorie de collectivité territoriale, la loi pourrait lui permettre de déroger, à titre expérimental et pour une durée limitée, aux dispositions législatives régissant l'exercice de cette compétence ;
Considérant par ailleurs que l'entreprise engagée, notamment avec le concours du GIRTEC, pour la reconstitution des titres de propriété et la sortie de l'indivision nécessiterait une totale harmonisation ainsi qu'un renforcement, des incitations à caractère fiscal relevant de la responsabilité de l'Etat et de la collectivité territoriale de Corse durant la période nécessaire, soit jusqu'au 31 décembre 2027 ;
Considérant qu'il est indispensable que soit assurée la coordination des responsabilités partagées de l'Etat et de la collectivité territoriale de Corse, au sein d'une structure paritaire telle que celle instituée par la loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse ;
Considérant qu'il convient en conséquence d'adresser au Premier ministre une proposition de modification des dispositions législatives du code général des impôts et du code général des collectivités territoriales,
Après en avoir délibéré :
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