JORF du 20 février 2002

DÉCISION DE SANCTION À L'ENCONTRE DE M. FRANCK RODORIGO

La Commission des opérations de bourse,
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le décret n° 90-263 du 23 mars 1990 modifié relatif à la procédure d'injonctions et de sanctions administratives prononcées par la Commission des opérations de bourse et aux recours contre les décisions de cette commission qui relèvent de la compétence du juge judiciaire ;
Vu le règlement n° 98-07 de la Commission des opérations de bourse relatif à l'obligation d'information du public ;
Vu le règlement intérieur de la Commission des opérations de bourse ;
Vu la décision du président de la commission du 4 février 2000 désignant, à la demande du directeur général, M. Pierre Bonafé, membre de la commission, en qualité de rapporteur, chargé, après examen du dossier, de notifier, s'il y a lieu, les griefs à la personne mise en cause ;
Vu la notification des griefs du 14 février 2001 ;
Vu les observations écrites présentées le 12 avril 2001 par Me Eric Hemmerdinger pour le compte de M. Rodorigo ;
Vu la lettre de convocation du 5 octobre 2001 à laquelle a été annexé le rapport du rapporteur ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de la séance du 13 novembre 2001 M. Pierre Bonafé en son rapport ;
Me Catherine Léger et Me Eric Hemmerdinger en leurs observations, MM. Hardy, Cavrel, Mouilleron et M. Rodorigo, représenté par son avocat Me Eric Hemmerdinger ayant pris la parole en dernier :

I. - FAITS ET PROCÉDURE

Le 1er février 2000, à l'occasion de la surveillance du réseau internet, le service de l'inspection de la Commission des opérations de bourse a relevé un e-mail très critique sur le forum Valtech du site gratuit d'information financière Boursorama.
A la suite de la diffusion de cet e-mail, le titre Valtech a perdu 14 % en deux jours, tandis que l'indice du nouveau marché gagnait 0,9 %.
Dans ces circonstances, le président de la Commission des opérations de bourse a décidé, le 4 février 2000, d'ouvrir une enquête sur le marché du titre Valtech et sur l'information diffusée sur la société à compter du 30 juin 1999.
Cette enquête a mis en évidence des manquements à la bonne information du public par la société Valtech à l'occasion de l'augmentation de capital réalisée en 1999.
Au cours du mois de novembre 1999, la société Valtech a procédé à une augmentation de capital par émission d'actions à raison d'une action nouvelle pour dix actions anciennes, sans droit préférentiel de souscription.
Les souscriptions étaient ouvertes du 10 au 17 novembre 1999 inclus, période pendant laquelle les anciens actionnaires disposaient d'un droit de priorité.
Le 8 novembre 1999, la Commission des opérations de bourse visait, sous le numéro 99-1381, la note d'information relative à cette opération.
Le paragraphe 2.2.8 de celle-ci précisait que :
« Les dirigeants fondateurs de Valtech, Jean-Yves Hardy, Olivier Cavrel, Eric Mouilleron, Frank Rodorigo et Martin Forsling, qui détiennent à ce jour 32,15 % du capital et 32,85 % des droits de vote de la société, ont fait connaître leur intention de ne pas souscrire à la présente augmentation de capital. »
Les investigations effectuées montrent que, malgré cette déclaration, les dirigeants ont souscrit 102 833 actions Valtech dans le cadre de cette augmentation de capital.
Ce changement par rapport à leurs intentions initiales n'a jamais été porté à la connaissance du public.
Au vu des résultats de l'enquête, le directeur général de la Commission des opérations de bourse a demandé au président de la commission, par lettre du 23 janvier 2001, de désigner parmi les membres de la commission un rapporteur chargé, après examen du dossier, de notifier, s'il y a lieu, les griefs à la ou aux personnes concernées. Le 24 janvier 2001, le président de la Commission des opérations de bourse a nommé M. Pierre Bonafé en qualité de rapporteur.
Ce dernier a notifié, le 14 février 2001, à M. Frank Rodorigo, dirigeant et fondateur de la société Valtech, des griefs sur le fondement du règlement n° 98-07 de la Commission des opérations de bourse relatif à l'obligation d'information du public.
Dans ses observations du 12 avril 2001, M. Rodorigo, représenté par Me Frank Hemmerdinger, tend à montrer que les informations diffusées n'étaient pas trompeuses et n'ont pu avoir pour effet de porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs.
Il expose tout d'abord que le 8 novembre 1999, date à laquelle la note d'information était visée, il ne pouvait formuler aucune intention autre que celle annoncée.
En effet, même si son intention de souscrire existait préalablement à l'augmentation de capital, elle ne pouvait pas être affirmée car sa réalisation était conditionnée par l'obtention préalable d'un prêt bancaire et la mise à disposition effective des fonds.
A défaut d'obtention du prêt sollicité, M. Rodorigo n'aurait pas été en mesure de souscrire à l'augmentation de capital.
Or, ce n'est que le 17 novembre 1999 que les fonds furent mis à sa disposition par la BNP.
M. Rodorigo fait, de surcroît, valoir que l'instruction COB de novembre 1996, prise en application du règlement n° 95-01 relatif au nouveau marché, prévoit concernant le responsable du prospectus (point 1.1) que :
« En principe, lorsque le responsable est une personne morale cette ou ces personnes sont le président du conseil d'administration ou du directoire pour une société anonyme. »
M. Rodorigo estime, en conséquence, qu'il ne peut lui être reproché personnellement de ne pas avoir informé directement le public de son changement d'intention. En effet, la note d'information a été signée par le président du conseil d'administration qui a seul attesté, au paragraphe 1.2, de sa conformité. Sa signature ne figure pas sur ce document. Il n'a donc à aucun moment fait état personnellement et publiquement de son intention.
Pour lui, seule la responsabilité de M. Hardy, président du conseil d'administration et signataire de la note d'opération, est susceptible d'être recherchée.
M. Rodorigo fait enfin valoir qu'il n'a bénéficié d'aucune différence de traitement par rapport à l'ensemble des investisseurs en souscrivant le dernier jour. Il n'y pas eu de rupture d'égalité du fait de l'absence de rectification de l'information initiale.
Il conclut en soulignant que cette absence d'information n'a pas eu non plus d'effet sur le marché. L'augmentation du cours s'est poursuivie à compter du 5 novembre 1999 ; par conséquent, le jour où le manquement aurait été commis, date à laquelle s'apprécie l'effet sur le marché, aucun impact sur le cours n'a pu être constaté.

II. - DÉCISION

Considérant que, selon les articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier, la Commission des opérations de bourse peut sanctionner les pratiques contraires à ses règlements lorsque celles-ci ont notamment pour effet de porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts et de procurer un avantage qui n'aurait pas été obtenu dans le cadre normal du marché ;
Considérant que l'article 5 du règlement n° 98-07 relatif à l'obligation d'information du public énonce que « lorsqu'une personne a été amenée à faire état publiquement de ses intentions et que, par la suite, ces dernières ne sont plus conformes à sa déclaration initiale, elle est tenue de porter immédiatement à la connaissance du public ses nouvelles intentions ».
Considérant que l'article 8 du règlement n° 98-07 relatif à l'obligation d'information du public énonce que « toute information visée aux articles 4 à 7 doit être portée à la connaissance du public sous la forme d'un communiqué dont l'auteur s'assure de la diffusion effective et intégrale et que la Commission des opérations de bourse doit recevoir au plus tard au moment de sa publication ».
Considérant que le comportement de M. Rodorigo doit être examiné au regard des textes qui viennent d'être rappelés ;
Considérant que le prospectus d'augmentation de capital de la société, visé par la Commission des opérations de bourse le 8 novembre 1999 sous le numéro 99-1381, mentionnait que M. Rodorigo, comme les autres dirigeants, n'avait pas l'intention de souscrire à cette augmentation de capital ;
Considérant, en l'espèce, que M. Rodorigo avait, dès avant cette déclaration, entamé des démarches auprès de l'agence BNP Le Parvis-La Défense afin d'obtenir un prêt bancaire, avant l'augmentation de capital votée par l'assemblée générale du 5 novembre 1999, avec l'intention de souscrire à ladite augmentation ; qu'il apparaît ainsi que sa déclaration initiale ne reflète pas l'état de son intention ;
Considérant que si M. Rodorigo fait valoir que cette déclaration a été faite par M. Hardy en sa qualité de président-directeur général, il résulte des circonstances de l'affaire qu'elle n'a pu intervenir sans le consentement de l'intéressé, lequel ne conteste par ailleurs pas que cette déclaration ne reflétait pas son intention réelle ;
Considérant que M. Rodorigo, ayant obtenu de la BNP un accord de principe pour un prêt d'un montant de 8 000 000 F, a souscrit le 17 novembre 1999, jour de la clôture de l'opération, à l'augmentation de capital, alors qu'il aurait dû s'abstenir de souscrire compte tenu de l'information, non démentie, figurant dans le prospectus visé par la COB, selon laquelle il n'avait pas l'intention de souscrire ; qu'il lui appartenait de s'ouvrir de cette difficulté auprès des services de la commission et d'indiquer, à tout le moins, dans le prospectus, l'éventualité de sa souscription à l'augmentation de capital pour le cas où il obtiendrait le déblocage du prêt sollicité ;
Considérant que si M. Rodorigo soutient que la société de bourse Oddo-Pinatton, conseil de la société Valtech, ne lui a donné aucune indication en ce sens, cette circonstance n'est pas de nature à exonérer celui-ci de la responsabilité découlant de la méconnaissance de ses obligations ; que, tout au plus, cette situation lui permettrait de mettre en cause la qualité du conseil qui lui a été donné ;
Considérant que, de ce fait, M. Rodorigo a violé l'obligation posée par l'article 5 du règlement COB n° 98-07 et a porté atteinte au principe d'égalité d'information et de traitement des investisseurs énoncé à l'article L. 621-14 du code monétaire et financier ;
Considérant que M. Rodorigo a faussé le fonctionnement du marché en donnant à penser aux investisseurs institutionnels que la quotité de titres qui était susceptible de leur être attribuée était plus importante que ce qu'elle a finalement été en fonction de la souscription des dirigeants ;
Considérant qu'en tout état de cause, en ne s'abstenant pas d'exercer ses droits de souscription alors qu'il n'avait pas modifié les termes de sa déclaration au marché, M. Rodorigo a contribué à réduire la quotité finalement attribuée aux investisseurs institutionnels et s'est ainsi rendu coupable du manquement aux dispositions de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier ;
Considérant que, compte tenu de ces circonstances, il sera fait une juste application du principe de proportionnalité en fixant à 30 000 euros le montant de la sanction pécuniaire ;
Par ces motifs et après en avoir délibéré, en présence de M. Jacques Delmas-Marsalet, président de la séance, de Mme Christine Thin et de MM. Jean-Paul Redouin, Jean-François Lepetit, Antoine Bracchi, Christophe Viellard, Bernard Esambert, membres de la Commission des opérations de bourse,
Décide de :
- prononcer une sanction pécuniaire de 30 000 euros à l'encontre de M. Frank Rodorigo ;
- publier la présente décision au Bulletin mensuel de la Commission des opérations de bourse ainsi qu'au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 13 novembre 2001.