JORF n°0134 du 12 juin 2014

Avis n° HCFP-2014-03 du 5 juin 2014

En application de l'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a été saisi par le Gouvernement le 29 mai 2014 des prévisions économiques associées aux projets de loi de finances rectificative (PLFR) et de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2014 (1) et d'éléments de finances publiques afin qu'il apprécie la cohérence de ces projets, notamment de leur article liminaire, avec les orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2012 à 2017.
Le Haut Conseil réitère le souhait, déjà exprimé pour le projet de loi de finances initiale, que la saisine du Premier ministre concernant le collectif soit d'emblée accompagnée de l'ensemble des éléments lui permettant d'apprécier de façon aussi complète que possible non seulement les prévisions macroéconomiques, mais également la cohérence du PLFR et du PLFRSS avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.
En complément de la saisine, le Gouvernement a répondu aux questions qui avaient été préalablement adressées par le Haut Conseil aux administrations compétentes. Des demandes complémentaires ont été formulées le 2 juin et des réponses ont été apportées le 5 juin.
Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 5 juin 2014, le présent avis. Il fait notamment suite à l'avis n° 2013-03 relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014 et à l'avis n° 2014-01 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2014 à 2017.
Pour la préparation de son avis, le Haut Conseil a auditionné les responsables de la direction générale du Trésor, de la direction du budget et de la direction de la sécurité sociale le 2 juin 2014. Il a entendu le même jour des représentants de l'INSEE et de la Banque de France. Il a également consulté par écrit deux organismes de conjoncture (OFCE et Coe-Rexecode). Il s'est appuyé sur les dernières informations conjoncturelles et sur les prévisions des organisations internationales disponibles à la date de publication du présent avis. Enfin, il a pris en compte les prévisions et l'ensemble des mesures annoncées par la Banque centrale européenne le 5 juin.

(1) Dans le présent avis, les PLFR et PLFRSS sont désignés conjointement par le terme « collectif ».

I. - Observations relatives aux prévisions macroéconomiques

  1. Les prévisions du Gouvernement

Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2014 est inchangé par rapport à celui présenté en avril 2014 dans le programme de stabilité pour les années 2014 à 2017. La prévision de croissance est maintenue à + 1,0 % pour 2014. Le Gouvernement considère en effet que les informations conjoncturelles devenues disponibles depuis lors ne conduisent pas à revoir son scénario de reprise progressive de l'activité.
La prévision du Gouvernement est proche des dernières prévisions publiées par le FMI, l'OCDE et la Commission européenne, et légèrement supérieure au Consensus Forecast de mai 2014 (0,8 %). Ces dernières prévisions n'intègrent pas les informations conjoncturelles publiées au mois de mai et, notamment, la stagnation du PIB constatée dans la première estimation des comptes du premier trimestre rendue publique par l'INSEE.

  1. L'appréciation du Haut Conseil

Dans son avis n° 2014-01 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2014 à 2017, le Haut Conseil avait considéré que la prévision de croissance du Gouvernement pour 2014 était réaliste.
L'indicateur du climat des affaires, qui est à peu près stable depuis six mois, suggère un rythme annuel de croissance de l'ordre de 1 %. Toutefois, des facteurs temporaires, comme ceux ayant pesé sur l'activité au premier trimestre 2014, peuvent conduire à s'écarter de cette tendance sur une année calendaire.
Avec une croissance nulle au premier trimestre et un acquis de croissance de 0,3 % (2), la prévision de croissance de 1,0 % pour l'année 2014 suppose une forte accélération de l'activité à partir du deuxième trimestre. Cette accélération n'apparaît pas dans les indicateurs conjoncturels, ce qui rend l'atteinte de l'objectif de croissance en 2014 moins probable.
La reprise de l'économie mondiale, qui joue un rôle essentiel dans le scénario du Gouvernement, est plus lente qu'escompté. En particulier, la croissance des principaux pays avancés a été, au premier trimestre de 2014, en deçà des attentes, notamment aux Etats-Unis et dans la zone euro. La France est par ailleurs confrontée à la concurrence renforcée de certains de ses voisins, qui ont réalisé des gains de compétitivité importants.
En revanche, l'assouplissement supplémentaire de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, annoncé le 5 juin, pourrait contribuer progressivement à l'amélioration de l'activité.
Le Haut Conseil estime par ailleurs que certaines fragilités du scénario du Gouvernement, mentionnées dans ses avis précédents, se sont accentuées :
― la prévision d'une inflation de 1,2 % en moyenne sur l'année 2014 est manifestement élevée au vu de celle constatée depuis l'automne 2013 (0,7 % en glissement annuel en moyenne) et des anticipations des chefs d'entreprise sur l'évolution de leurs prix de vente ;
― les créations d'emplois marchands et, par suite, l'évolution de la masse salariale paraissent surestimées dans les prévisions du Gouvernement au vu des informations disponibles. Le Haut Conseil constate en particulier que ces prévisions sont sensiblement plus élevées que celles de l'Unédic ou d'autres institutions (Commission européenne, OCDE) ou organismes (Coe-Rexecode).

(2) Cet acquis est la croissance qui serait observée sur l'ensemble de l'année si l'activité restait au niveau du premier trimestre. Il dépend non seulement de la croissance constatée au premier trimestre, mais également aux trois trimestres précédents.

II. - Observations relatives aux finances publiques

  1. Les écarts par rapport à la loi de programmation
    Décomposition du solde des administrations publiques en 2013-2014
    (en point de PIB)

| |PPFP 2012-2017
(décembre 2012)|PLF/PLFSS pour 2014
(septembre 2013)|PLFR/PLFSSR pour 2014
(juin 2014)| | | | |------------------------------------------------------------------|------------------------------------|------------------------------------------|---------------------------------------|-----|-----|-----| | | 2013 | 2014 | 2013 |2014 |2013 |2014 | | Solde effectif | ― 3,0 | ― 2,2 | ― 4,1 |― 3,6|― 4,3|― 3,8| | Solde conjoncturel | ― 1,2 | ― 1,0 | ― 1,4 |― 1,8|― 1,2|― 1,5| | Mesures ponctuelles et temporaires | ― 0,2 | ― 0,1 | 0,0 |― 0,1| 0,0 | 0,0 | | Solde structurel | ― 1,6 | ― 1,1 | ― 2,6 |― 1,7|― 3,1|― 2,3| | Ajustement structurel (variation du solde structurel) | 2,0 | 0,6 | 1,3 | 0,9 | 1,1 | 0,8 | | dont effort en dépense | 0,3 | 0,6 | 0,2 | 0,7 | 0,0 | 0,7 | | dont mesures nouvelles en prélèvements obligatoires | 1,6 | ― 0,1 | 1,5 | 0,2 | 1,4 | 0,1 | | dont effets d'élasticités et autres éléments non discrétionnaires| 0,1 | 0,1 | ― 0,4 | 0,0 |― 0,4| 0,0 |

Note. ― Les chiffres étant arrondis au dixième, il peut en résulter de légers écarts dans le résultat des opérations.
Source : PLFR et PLFSSR pour 2014, PLF pour 2014 et LPFP 2012-2017 du 31 décembre 2012.
Dans l'article liminaire du projet de loi de finances rectificative pour 2014, le solde effectif est estimé par le Gouvernement à ― 3,8 % du PIB contre ― 2,2 % dans la loi de programmation du 31 décembre 2012. L'écart de 1,6 point de PIB résulte d'une augmentation du déficit conjoncturel de 0,5 point de PIB, en lien avec la reprise de l'activité en 2014 plus lente qu'escompté (3), et d'un solde structurel plus dégradé de 1,2 point de PIB (4). La révision des mesures ponctuelles et temporaires explique le reliquat de 0,1 point de PIB.
L'écart de 1,2 point sur le solde structurel provient de l'écart « important » de 1,5 point de PIB constaté pour l'année 2013 par le Haut Conseil dans son avis n° 2014-02 (5), qui se reporte en 2014. Ce dernier serait en partie corrigé par un ajustement structurel supérieur de 0,2 point dans le présent collectif à celui prévu dans la loi de programmation.
Cette correction est modeste au regard de l'écart à combler (1,5 point de PIB en 2013) pour revenir à la trajectoire de la loi de programmation, qui est la référence de l'avis du Haut Conseil au regard des textes qui le régissent.

(3) Dans la loi de programmation, la croissance du PIB était attendue à 2,0 % en 2014. (4) Pour cette estimation, le Gouvernement a utilisé la croissance potentielle et la méthodologie retenues dans la loi de programmation du 31 décembre 2012. (5) Avis relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2013.

  1. Les écarts par rapport au projet de loi de finances pour 2014

Le solde effectif de l'année 2014 associé au collectif budgétaire (― 3,8 %) est dégradé de 0,2 point par rapport à la prévision du projet de loi de finances pour 2014 (― 3,6 %). L'estimation du solde conjoncturel s'améliore de 0,3 point de PIB, en raison des révisions de la croissance pour les années 2012 à 2014 (6). Les mesures ponctuelles et temporaires sont révisées de 0,1 point de PIB. En conséquence, le solde structurel estimé pour l'année 2014 est dégradé de 0,6 point (― 2,3 % du PIB contre ― 1,7 % du PIB).
Le Haut Conseil constate que la dégradation du solde structurel de 0,6 point par rapport au projet de loi de finances résulte principalement du non-respect des objectifs de solde structurel des années 2012 et 2013 (0,5 point de PIB). S'y ajoute un ajustement structurel moins important de 0,1 point de PIB en 2014 : la révision à la baisse de la croissance des recettes et de certaines mesures nouvelles en prélèvements obligatoires n'est en effet pas compensée par des économies suffisantes sur les dépenses.

(6) La croissance pour 2012 a été révisée par l'INSEE de 0,0 % à 0,3 %. Pour 2013, la croissance estimée par l'INSEE ressort à 0,3 % contre une prévision du Gouvernement de 0,1 % dans le PLF pour 2014. Pour 2014, le Gouvernement a relevé sa prévision de 0,9 % à 1,0 %.

  1. La prévision du solde structurel en 2014

Dans son avis n° 2013-03 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014, le Haut Conseil avait relevé un certain nombre d'aléas négatifs et jugé optimiste la prévision de déficit structurel en 2014.
Depuis le projet de loi de finances pour 2014, le Gouvernement a révisé certaines hypothèses et annoncé de nouvelles mesures contenues dans le collectif. Sa prévision de solde structurel à ― 2,3 % du PIB reste néanmoins affectée de risques baissiers.

a) La révision de certaines hypothèses de finances publiques

Le Gouvernement a révisé dans le programme de stabilité et le présent collectif certaines hypothèses que le Haut Conseil avait jugées fragiles. Il a notamment revu à la baisse sa prévision d'évolution des recettes à législation constante, de 2,3 % à 2,0 %, et à la hausse la progression en valeur des dépenses des collectivités locales, de 1,2 % à 1,7 %.
L'annulation de plusieurs mesures nouvelles en recettes prises en compte dans la prévision du projet de loi de finances, notamment la suspension de l'écotaxe poids lourds, et les révisions sur le rendement de certaines autres mesures conduisent à rehausser le déficit structurel de 0,1 point de PIB.

b) Les nouvelles dispositions du collectif

Dans le présent collectif, le Gouvernement prévoit :
― des économies nouvelles en dépenses, en particulier l'annulation de crédits budgétaires (1,6 Md€, dont une partie ― 0,6 Md€ ― était toutefois déjà mise en réserve) et le report à 2015 de la revalorisation de certaines prestations sociales (retraites et famille notamment) ;
― une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des ménages modestes qui pèse sur les recettes fiscales de l'Etat. Cette mesure serait financée cette année par un supplément de 1 Md€ de recettes exceptionnelles au titre de la lutte contre la fraude fiscale.
Le Gouvernement consolide également l'acquis de la maîtrise de certaines dépenses publiques en 2013, en particulier des dépenses d'assurance maladie. Pour ces dernières, la pérennisation en 2014 de la sous-consommation constatée en 2013 a été jugée crédible par le comité d'alerte sur l'ONDAM dans son avis du 27 mai 2014. Le Gouvernement prévoit de plus que le décaissement des dépenses d'investissements d'avenir sera plus lent qu'escompté, ce qui aura un impact positif temporaire sur le solde.
Le Gouvernement anticipe par ailleurs des économies importantes sur les charges d'intérêt (0,1 point de PIB).
L'effet de ces moindres dépenses sur l'ajustement structurel serait toutefois annulé par le dynamisme accru d'autres dépenses, dont celles des collectivités locales, et la révision à la baisse de l'inflation (7).

(7) L'inflation plus basse qu'attendu augmente la croissance de la dépense en volume et réduit de ce fait l'ajustement structurel.

c) Les risques d'aggravation du solde structurel identifiés par le Haut Conseil

Quelle que soit l'hypothèse de croissance, les révisions faites par le Gouvernement laissent subsister des risques sur le solde structurel concernant principalement :
― l'évolution à législation constante des recettes des impôts sur le revenu et sur les sociétés, qui paraît encore surestimée ;
― les prélèvements sociaux, qui pourraient pâtir d'une croissance moins dynamique de la masse salariale ;
― les dépenses de personnel des collectivités locales et de prestations sociales versées par elles, dont le ralentissement est loin d'être acquis.

III. - Conclusions

Au vu des informations disponibles à ce jour, le Haut Conseil constate que les aléas baissiers qui affectent la prévision de croissance de 1,0 % en 2014 se sont accrus depuis la présentation du programme de stabilité au mois d'avril. Il estime que les effets positifs attendus des décisions de la Banque centrale européenne annoncées le 5 juin ne pourront se faire sentir que progressivement. En conséquence, il considère que, sans être hors d'atteinte, la prévision de croissance du Gouvernement pour 2014 paraît désormais élevée.
Une croissance inférieure à celle prévue par le Gouvernement se traduirait par un déficit effectif plus important.
S'agissant du solde structurel pour 2014 prévu dans le collectif, le Haut Conseil constate qu'il s'écarte sensiblement (1,2 point de PIB) de la trajectoire définie dans la loi de programmation du 31 décembre 2012 (― 2,3 % du PIB contre ― 1,1 %).
Le Haut Conseil note que, par rapport à la loi de programmation, l'ajustement supplémentaire prévu par le Gouvernement dans le collectif (0,2 point de PIB) corrige peu l'écart à la trajectoire inscrite dans cette loi (1,5 point de PIB en 2013).
De plus, le Haut Conseil constate que l'amélioration du solde structurel prévue dans le collectif (0,8 point de PIB) est inférieure à celle qui était prévue dans le projet de loi de finances initiale (0,9 point de PIB).
Le Haut Conseil relève enfin que, tout en reposant désormais sur des hypothèses de finances publiques plus réalistes qu'au stade du projet de loi de finances, le déficit structurel pour 2014 risque néanmoins d'être supérieur à la prévision de 2,3 % du PIB.

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Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et joint au projet de loi de finances rectificative et au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 lors de leur dépôt à 1'Assemblée nationale.
Fait à Paris, le 5 juin 2014.

Pour le Haut Conseil des finances publiques :

Le premier président de la Cour des comptes,

président du Haut Conseil des finances publiques,

D. Migaud