JORF n°302 du 29 décembre 2005

II. - SUR LES NIVEAUX DE REDEVANCE

  1. En ce qui concerne les écarts
    entre les différents montants de redevance

L'article R. 56 du code du domaine de l'Etat dispose que « toute redevance stipulée au profit du trésor doit tenir compte des avantages de toute nature procurés au concessionnaire ». Par la suite, la jurisprudence administrative est venue préciser cette règle en posant le principe selon lequel la redevance doit être calculée en fonction de la valeur locative d'une propriété privée comparable, mais également en fonction de l'avantage spécifique que tire l'occupant de la jouissance privative du domaine public. Le juge administratif admet encore que seul le critère de l'avantage retiré peut être pris en considération par l'administration pour fixer le montant d'une redevance.
Par ailleurs, dans une décision récente, le juge administratif a rappelé que lorsque d'importantes incertitudes entachaient la détermination des avantages que les opérateurs de réseaux de communications électroniques étaient supposés retirer de l'occupation du domaine public fluvial et du domaine public routier, le montant réclamé n'apparaissait pas juridiquement fondé (1). Au cas d'espèce, le juge avait pu tirer toutes les conséquences du fait que le gestionnaire du domaine a reconnu l'existence d'un rapport de 10 à 25 entre les tarifs des redevances pratiqués sur le domaine public routier et sur le domaine public non routier.
En outre, l'Autorité indique que l'évaluation de l'avantage retiré par l'occupant privatif du domaine peut être fonction de la nécessité de réaliser ou non des travaux de génie civil. L'utilisation par un opérateur donné des tranchées existantes, réalisées le cas échéant par la collectivité elle-même, peut expliquer le montant plus élevé des redevances dans la mesure où les coûts afférents aux travaux d'installation n'ont pas été supportés par l'opérateur.
Dans ces conditions, il apparaîtrait souhaitable que les niveaux des redevances plafonds fixées par le décret soient fondés sur des explications tenant à la différence d'évaluation des avantages retirés par les opérateurs dont les installations se situent sur les différentes dépendances de l'un ou l'autre des deux domaines.
Or l'Autorité constate que :
- le projet de texte prévoit des écarts de redevances entre les différents domaines plus importants que ceux ayant conduit à l'annulation du précédent décret par le Conseil d'Etat, ou que ceux ayant permis au tribunal administratif dans l'affaire précitée de constater que le montant réclamé n'apparaissait pas fondé. En effet, le projet de décret instaure un barème qui conduit à mettre en place des redevances sur le domaine public routier et non routier dont les tarifs varient dans une proportion allant de 1 à 100 ;
- le rapport au Premier ministre, joint au présent projet de décret, semble relativement fragile dans la mesure où, s'agissant du domaine public autoroutier et du domaine public fluvial, les arguments tirés de la continuité du domaine, de la surveillance du réseau et de l'existence d'un interlocuteur unique sont indifféremment avancés pour déterminer l'avantage retiré par l'occupant privatif. Pourtant, le projet de décret ne semble pas en tirer les conséquences et s'abstient d'aligner au même niveau le montant des redevances perçues au titre de l'occupation des dépendances correspondantes. En effet, il ressort du projet d'article R. 20-52 que les sommes varient dans un rapport de 1 à 3 selon qu'il s'agit d'occuper respectivement le domaine public autoroutier ou le domaine public fluvial.
Il pourrait dès lors apparaître souhaitable, soit de réduire les écarts entre les niveaux de redevance assortis à l'occupation des différents types de domaines, soit d'en étayer les motifs de justification.

  1. Effets sur les opérateurs de communications électroniques

Les opérateurs de communications électroniques interrogés par l'Autorité ont estimé que si la fixation de montants plafonds pouvait être considérée comme un moyen permettant de limiter la propension du gestionnaire à relever le niveau des redevances, elle pouvait également les amener à imposer de manière systématique un niveau de redevance égal au plafond prévu.
L'effet du nouveau décret sur chaque opérateur dépend de la situation particulière de son réseau. Le tableau ci-après simule un opérateur alternatif ayant établi un réseau d'environ 15 000 km, en utilisant les règles suivantes :
- le réseau national ou interrégional représente environ 5 000 km, répartis en trois tiers égaux entre voies navigables, réseau ferré et réseau autoroutier ; sur ces axes, 5 fourreaux sont posés initialement ;
- le réseau interurbain et infrarégional représente également 5 000 km et est construit exclusivement sur routes ; 5 fourreaux ont également été posés ;
- le réseau local, urbain, représente 5 000 km, et est posé au tiers sur le domaine public routier et aux deux tiers sur d'autres dépendances, comme les égouts ; seuls trois fourreaux sont posés initialement.
Dans le tableau ci-dessous, l'estimation des niveaux de redevances actuelles repose sur une analyse des cas connus par l'Autorité.

Les résultats de cette simulation montrent que l'impact des nouveaux niveaux de redevance prévus par le projet de décret pour un opérateur qui aurait déployé un réseau de communications électroniques sur l'ensemble des domaines considérés n'est pas négligeable.
Certains opérateurs alternatifs ayant essentiellement déployé leur réseau sur l'une des dépendances du domaine public supportent par voie de conséquence une charge financière très lourde. Ainsi, pour un réseau essentiellement déployé sur le domaine public fluvial, les projections indiquent une aggravation du poids des redevances dans les coûts d'exploitation du réseau d'un facteur 4.
Le paiement de redevances dont l'assiette serait rapportée à chaque fourreau reviendrait à faire supporter aux opérateurs les plus capillaires le paiement d'une somme annuelle proche de 40 millions d'euros.
S'agissant de France Télécom, il apparaît que son réseau de collecte est constitué d'un peu plus de 100 000 km et son réseau de desserte d'à peu près 700 000 km. Une partie importante du réseau est vraisemblablement située sur le domaine routier. Il en ressort que la prise en compte des nouveaux niveaux de redevance au niveau du seul domaine public routier aura un impact important, de l'ordre de 20 %.
L'effet du nouveau décret sur les opérateurs n'est donc pas négligeable. Cet effet global est le résultat :
- d'une modification des plafonds autorisés, par rapport aux plafonds précédents ou aux pratiques conventionnelles telles que décrites par les opérateurs ; la diminution de certains d'entre eux tendrait néanmoins à diminuer le montant total des redevances, hors domaine public routier ;
- à une augmentation de l'impact financier supporté par les opérateurs en raison de la généralisation de la taxation à l'artère, définie comme un tube de protection contenant ou non un câble, à l'ensemble des domaines considérés, contrairement à certaines pratiques conventionnelles décrites par les opérateurs ; cette modification a un impact considérable ; la partie III du présent avis revient sur cet aspect du décret.

  1. Conclusion

Le dispositif du nouveau décret peut conduire à des augmentations de redevance importantes, tant pour les opérateurs alternatifs que pour l'opérateur historique A ce sujet, l'Autorité s'interroge sur la logique de telles augmentations à l'heure où l'extension des réseaux de communications électroniques est généralement considérée comme un élément favorable au développement de l'économie dans son ensemble.
Le législateur a d'ailleurs retenu cette conception en introduisant dans le code général des collectivités territoriales l'article L. 1425-1 afin de permettre aux collectivités d'établir et d'exploiter des infrastructures et des réseaux pour favoriser le développement de leur territoire.
Par ailleurs, compte tenu des montants en jeu, le risque contentieux ne saurait être ignoré.
En l'état, les justifications des écarts entre les plafonds applicables aux différents types de domaines, de un à dix entre les routes et autoroutes, de un à trois entre les autoroutes et les voies navigables, et de un à cent entre les routes et les voies ferrées, pourraient être renforcées.