- Situation actuelle
Avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 2004 précitée, aucune disposition législative ne renvoyait à un décret le soin de déterminer le montant maximum des redevances perçues à raison de l'occupation privative du domaine public non routier. Seul le montant des redevances liées à l'occupation du domaine public routier donnait lieu à la détermination par voie réglementaire d'un seuil maximum.
Dans ce cadre, les dispositions du décret du 30 mai 1997 susvisé rapportaient le montant dont était redevable l'opérateur à la distance mesurée en kilomètres et à la notion d'artère définie comme étant « dans le cas d'une utilisation du sous-sol, un tube de protection contenant ou non des câbles, ou un câble en pleine terre ; dans les autres cas, l'ensemble des câbles tirés entre deux supports ».
S'agissant du domaine public non routier, les tarifs étaient fixés par voie de convention particulière entre le gestionnaire et l'occupant. Par suite, les pratiques constatées révèlent que, selon les cas, la détermination du montant des redevances est fonction, soit du nombre de bottes de fourreaux, soit du nombre de fourreaux.
Dans ces conditions, l'échelle de calcul de la redevance a pu varier considérablement d'un gestionnaire à un autre. Ainsi, sur le domaine de Réseau ferré de France, la botte de trois fourreaux constitue la valeur de base destinée à établir le montant de la redevance.
Sur le domaine de Voies navigables de France, la part de redevance qui est fonction du linéaire de parcours, correspond à des infrastructures comprenant un fourreau de 100 mm de diamètre ou quatre fourreaux de 50 mm de diamètre maximum.
Il sera exposé ci-après les raisons pour lesquelles le projet de décret pourrait être l'occasion d'abandonner la référence à la notion d'artère, telle qu'elle est définie dans le texte du 30 mai 1997 et dont les termes sont à nouveau repris dans le présent projet de décret.
- Nécessité de disposer d'un parc de fourreaux vides
Près de 70 % du coût des réseaux de communications électroniques est constitué de coûts de génie civil, et notamment de travaux de tranchées, sur les réseaux routiers ou non routiers.
Lors de travaux de génie civil, la différence de coût entre la pose d'un ou de plusieurs fourreaux est relativement faible, de l'ordre de un à deux euros par mètre et par fourreau, soit moins de 5 % du coût global.
La pose de fourreaux vide ne présente pas d'intérêt à court terme pour l'opérateur, et peut être considéré comme un poste de coûts inutiles. A moyen et long terme en revanche, les fourreaux vides révèlent toute leur utilité :
- l'opérateur peut développer son activité et avoir besoin de poser de nouvelles fibres optiques ; s'il dispose de fourreaux vides, il ne sera pas dans l'obligation d'ouvrir une nouvelle tranchée, et pourra y tirer un nouveau câble, pour une fraction du coût complet ;
- un autre opérateur peut souhaiter déployer un réseau sur le même tracé ; la collectivité gestionnaire du domaine peut alors inviter les opérateurs à partager leurs infrastructures afin de minimiser les nuisances liées aux travaux. Or, ce partage, encouragé au demeurant par les dispositions législatives, n'est possible que s'il existe des fourreaux disponibles.
Dans les prochaines années, deux facteurs structurels vont renforcer l'intérêt des opérateurs privés et des autorités publiques pour disposer de parcs de fourreaux vides importants.
En premier lieu, la zone de concurrence effective par les réseaux alternatifs est appelée à s'étendre. Cette extension de la concurrence des centres-villes vers les zones périurbaines et les petites villes est un objectif prioritaire pour la compétitivité des entreprises et l'accès des ménages à l'internet haut débit.
En second lieu, il est probable que la France, comme d'autres pays, connaîtra une nouvelle vague de déploiement de boucle locale vers les utilisateurs finaux. Le réseau local en cuivre a vraisemblablement vocation à être remplacé par une boucle optique. La fibre s'est jusqu'à présent développée sur certains segments des réseaux télécoms : réseaux longue distance, réseaux de collecte, raccordement de centres d'affaires. Elle est susceptible, à moyen terme, de se développer dans les réseaux d'accès, sous diverses formes (filières d'accès FTTx).
A l'échelle mondiale, le nombre de points d'accès raccordés en fibre optique était estimé à 1,9 million au 1er trimestre 2004, dont 78 % sont localisés en Asie. Une dynamique se confirme aux Etats-Unis sous l'impulsion d'opérateurs majeurs (Verizon, SBC, Bell South) enclenchant ainsi une baisse des coûts des équipements. Si les déploiements FTTx en Europe restent encore très marginaux, l'intérêt pour des accès à très haut débit se manifeste sur le segment entreprise et les zones d'activités et se généralisera dans les années à venir. Ce mouvement sera d'autant plus facile que les opérateurs, notamment l'opérateur historique, auront posé ou auront accès à des fourreaux vides préexistants.
- Risques inhérents au projet de décret
D'une manière générale, l'Autorité constate que le nombre de fourreaux disponibles, c'est-à-dire ceux qui ont été posés vides par anticipation, est d'ores et déjà souvent insuffisant. Les cas où des travaux de génie civil sont nécessaires pour déployer un nouveau réseau alors même que des travaux similaires ont pu être réalisés peu avant pour le compte d'un autre opérateur restent fréquents.
Or, le coût de pose par anticipation d'un fourreau vide est relativement modeste et peut être estimé à environ un euro par mètre. Le projet de décret conduit à soumettre au paiement de redevances les fourreaux vides posés sur le domaine routier à hauteur de 0,03 EUR par mètre et par an, et jusqu'à 3 EUR par mètre et par an sur certaines dépendances du domaine public.
Ainsi, en considérant que la période de trente ans correspond à la durée pendant laquelle aucune intervention majeure n'est nécessaire sur une tranchée, le coût de pose d'un fourreau vide par anticipation pour un opérateur réalisant des travaux de génie civil se décomposerait, en cas d'adoption du projet de décret, en :
1 EUR par mètre de coût technique payé initialement ;
Entre 0,9 EUR et 90 EUR de redevances d'occupation du domaine public.
Les opérateurs de réseaux qui se trouveraient soumis au paiement de redevances pour des gaines vides posées par anticipation, souvent à la demande même du gestionnaire, pourraient alors être tentés de renoncer ou de limiter l'installation de fourreaux ne contenant pas de câble.
Par ailleurs, l'augmentation sensible du niveau plafond en ce qui concerne l'occupation en aérien des dépendances du domaine public routier peut être de nature à pénaliser plus fortement l'opérateur historique dans la mesure où la majeure partie de son réseau se déploie à partir d'infrastructures aériennes alors que les opérateurs alternatifs utilisent plus souvent le sol ou le sous-sol du domaine public.
Au surplus, il n'est pas exclu qu'une telle orientation entre en contradiction avec les principes juridiques les mieux établis.
Ainsi, il convient de souligner que, dans l'intérêt du domaine, le législateur a souhaité indiquer à l'article L. 45-1 in fine du code des postes et des communications électroniques que « l'installation des infrastructures et des équipements doit être réalisée dans le respect de l'environnement et de la qualité esthétique des lieux, et dans les conditions les moins dommageables pour les propriétés privées et le domaine public ». En dépit de cette préoccupation, le projet de décret pourrait aboutir à la multiplication des travaux de génie civil sur le domaine public, compte tenu de la forte désincitation à la mise en place de capacité de réserve par les opérateurs premiers occupants du domaine.
De même, les textes législatifs et réglementaires ont toujours prévu des mécanismes destinés à encourager le partage des installations, y compris dans l'actuel projet d'article R. 20-48. Or, en raison des redevances susceptibles d'être exigées à raison de chaque fourreau vide, les capacités de mutualisation entre opérateurs se trouveront rapidement réduites.
Par ailleurs, il est admis par la jurisprudence administrative que l'autorité compétente peut adapter le niveau de la redevance à l'usage effectif du domaine dans la mesure où, conformément aux règles de la domanialité publique, la redevance se conçoit comme la contrepartie des avantages retirés par l'occupant privatif. Or, il pourrait être soutenu que l'avantage retiré de la pose d'un fourreau vide ne peut donner lieu au paiement d'une redevance d'un montant identique à celui qui serait perçu dans le cas de l'installation d'une gaine contenant un câble.
Enfin, l'Autorité qui, en application des dispositions de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, est notamment chargée de veiller au développement de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques, considère que l'arrêt probable de tout déploiement de fourreaux par anticipation pourrait gravement obérer à brève échéance le déploiement de réseaux de fibres sur le segment de l'accès, notamment dans le cadre des filières FTTx.
- Conclusion
L'Autorité souhaite alerter le pouvoir réglementaire sur l'absence d'efficacité économique et le risque d'incohérence juridique qui résulteraient du maintien et de la généralisation à l'ensemble des dépendances du domaine public d'un mécanisme permettant de soumettre l'occupant privatif au paiement de redevances à raison des artères mises en place, y compris lorsqu'il s'agit de fourreaux vides.
Afin de permettre la réalisation des objectifs d'aménagement du territoire et de promotion de la société de l'information, l'Autorité estime que le projet de décret devrait être l'occasion d'abandonner la notion d'artère, telle que définie dans le décret de 1997 et de tendre vers une notion définie comme « une tranchée contenant un ou plusieurs fourreaux de câbles parallèles ».
Cette définition n'aurait pas pour effet de restreindre la possibilité de fixer éventuellement les plafonds de redevances à un niveau supérieur par tranchée, en tenant compte du nombre actuel moyen de fourreaux par artère. En toute hypothèse, elle permettrait d'éviter, à flux financiers constants, le mouvement de désincitation des opérateurs à constituer des fonds de réserve de fourreaux vides, ménageant ainsi leur propre avenir et, le cas échéant, celui d'autres opérateurs.
Par conséquent, l'Autorité fait part de ses plus vives réserves quant à la mise en oeuvre d'un dispositif susceptible, non seulement d'entraver le développement des réseaux de communications électroniques, mais également de nuire à la gestion efficace du domaine public.
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