JORF n°0261 du 10 novembre 2010

Avis n°10-A-16 du 28 juillet 2010

L'Autorité de la concurrence (Section V),
Vu la lettre du 21 juillet 2010, enregistrée sous le numéro 10/0068 A par laquelle le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a saisi pour avis l'Autorité de la concurrence sur deux projets de décret réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'outre-mer (DOM) ;
Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu le livre IV du code de commerce ;
Vu l'avis n° 10-A-03 de l'Autorité de la concurrence du 3 février 2010 relatif à deux projets de décret réglementant les prix des produits pétroliers et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'Outre-mer ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ;
Le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 27 juillet 2010 ;
Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

I. ― LA SAISINE MINISTÉRIELLE

  1. Par lettre du 21 juillet 2010, enregistrée sous le numéro 10/0068 A, et en application de l'article L. 410-2 § 2 du code de commerce, le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a saisi l'Autorité de la concurrence pour avis de deux projets de décret réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'Outre-mer (DOM).
  2. Le ministre relève, en effet, que « le marché local de ces produits aux normes européennes étant peu étendu, ses acteurs sont de fait en situation de monopole ou en situation d'oligopole restreint, ce qui limite la concurrence au sein de la filière. Leurs unités de raffinage ou d'embouteillage, de taille réduite, ne leur permettent pas de réaliser des économies d'échelle des unités de métropole ». En conséquence, il en résulte, selon le ministre, « la nécessité d'administrer les prix des produits concernés afin d'éviter toute hausse excessive de prix au détriment du consommateur, en attendant que des réformes de structure de la filière puissent être engagées ».
  3. Ces projets de décret constituent la version modifiée des deux projets de décret précédemment transmis pour avis à l'Autorité de la concurrence.
  4. En effet, par lettre enregistrée le 27 novembre 2009 sous le numéro 09/0130 A, et en application de l'article L. 410-2, §2 du code de commerce, le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi avait saisi l'Autorité de la concurrence pour avis sur deux projets de décret réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les DOM.
  5. Ces projets de décret découlaient de la réflexion engagée par le Gouvernement sur la situation de la concurrence dans les départements ultramarins, réflexion dans laquelle s'est inscrit notamment l'avis de l'Autorité n° 09-A-21, relatif à la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les DOM.
  6. L'Autorité de la concurrence a émis un avis n° 10-A-03, le 3 février 2010. Cet avis demeure pertinent pour l'ensemble des dispositions reconduites dans les deux projets de décret modifiés. Le présent avis limitera son analyse aux dispositions nouvelles, introduites depuis l'adoption de l'avis n° 10-A-03, précité.
  7. Le premier projet de décret modifié concerne les départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et le second, le département de La Réunion. Ils ont vocation à remplacer le décret n° 88-0145 réglementant le prix de certains produits dans le département de La Réunion, le décret n° 88-0144 concernant le département de la Guyane, et les décrets n° 88-0146 et n° 88-0147 modifiés concernant respectivement la Martinique et la Guadeloupe.
  8. Le premier projet de décret modifié relatif aux Antilles-Guyane introduit un nouvel alinéa à l'article 1er ainsi qu'un nouvel article 2 II et un nouvel article 6 II. Les articles 1er et 2 s'inscrivent dans le titre Ier concernant les dispositions relatives aux prix des produits pétroliers. Le nouvel alinéa de l'article 1er et le II de l'article 2 prévoient de fixer, « le cas échéant », le prix maximum hors taxes des importations des produits pétroliers raffinés. L'article 6 s'insère dans le titre II concernant les dispositions relatives au prix du gaz de pétrole liquéfié. Le nouveau II de cet article prévoit de fixer, « le cas échéant », le prix maximum hors taxes du gaz de pétrole liquéfié importé.
  9. Le second projet de décret modifié relatif à La Réunion introduit certaines des recommandations formulées par l'Autorité de la concurrence dans son avis n° 10-A-03, précité. Dans la mesure où le texte n'est amendé que pour autant qu'il reprenne certaines de ces recommandations, l'Autorité ne formulera aucune observation nouvelle sur ce projet de décret modifié.

II. ― LE PROJET DE DÉCRET MODIFIÉ
CONCERNANT LES ANTILLES-GUYANE
A. ― LA PRISE EN COMPTE DES RECOMMANDATIONS DE L'AVIS N 10-A-03

  1. Le projet de décret modifié concernant la réglementation des prix des produits pétroliers et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane a précisé à l'article 2 I que pour fixer les prix maximum hors taxes de sortie raffinerie des carburants, il y a lieu de tenir compte « du coût moyen de la matière première importée, calculée en fonction des cotations du brut de référence sur les zones effectives d'approvisionnement,... » et « du coût moyen des produits finis et semi-finis importés, calculé en fonction des cotations franco à bord, des produits pétroliers sur les zones effectives d'approvisionnement et du cours moyen du dollar ». [soulignement ajouté]
  2. L'introduction de cette précision est consécutive à la recommandation formulée par l'Autorité de la concurrence dans son avis n° 10-A-03, précité, dans lequel elle soulignait au point 75 : « il est nécessaire...de préciser dans le décret que les indices de référence...sont ceux de la zone d'approvisionnement effective de chacun des départements domiens ».
  3. L'Autorité de la concurrence accueille donc favorablement cette modification.

B. ― LES NOUVELLES DISPOSITIONS RELATIVES AUX PRODUITS IMPORTÉS

  1. Le projet de décret modifié introduit un nouvel alinéa à l'article 1er et un nouveau paragraphe II à l'article 2 et un nouveau paragraphe II à l'article 6, relatifs à la fixation des prix des produits pétroliers importés et du gaz de pétrole liquéfié importé, respectivement.
  2. Le nouvel alinéa de l'article 1 dispose que les préfets de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane peuvent fixer par arrêté préfectoral, « le cas échéant, le prix maximum hors taxes des importations, hors passage en dépôt ».
  3. Le nouvel article 2 II dispose que « le cas échéant », les prix maximum hors taxes des importations des produits pétroliers suivants, supercarburants sans plomb et gazoles, fioul domestique, pétrole lampant, fiouls lourds, superéthanol, biodiesel, sont fixés le premier jour de chaque mois en tenant compte de trois éléments de coût.
  4. Tout d'abord, « le coût moyen des produits importés (est) calculé en fonction des cotations d'indices de références, franco à bord, et du cours moyen du dollar, sur une période de quinze jours ouvrés et cotés, commençant le premier jour du mois précédent ; les cotations mentionnées au présent alinéa sont les cotations de clôture publiées par la société de cotation retenue par le préfet ; le cours du dollar est le cours publié au Journal officiel de la République française ».
  5. Ensuite, est tenu compte du « coût des assurances et du fret ».
  6. Enfin, sont pris en compte, « des coûts pertinents et dûment justifiés des entreprises concernées par l'importation, les assurances, le fret, qui peuvent être modifiés une fois par an, avec possibilité d'une modification supplémentaire par an motivée par des circonstances exceptionnelles, pour tenir compte de leur évolution ainsi que des efforts de productivité des mêmes entreprises ».
  7. Les pouvoirs publics se donnent ainsi la possibilité de réglementer le prix des produits pétroliers raffinés importés dans les trois départements des Antilles-Guyane. A cet égard, le texte est quasiment identique à celui qui figure dans le projet de décret initial et modifié pour La Réunion, où l'ensemble des produits pétroliers sont importés contrairement aux Antilles-Guyane où des produits pétroliers sont raffinés localement par la société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA).
  8. Aucune justification précise n'a été avancée par les services du ministre quant à l'introduction de ce nouveau paragraphe sinon que les pouvoirs publics souhaitent se réserver la possibilité de réglementer les prix des produits pétroliers raffinés importés.
  9. L'article 6 II dispose que « le cas échéant, les prix maximum hors taxe du gaz de pétrole liquéfié importé sont fixés le premier jour de chaque mois selon les modalités de l'article 2-II...en remplaçant les cotations des produits pétroliers par celles des produits gaziers ».
  10. Il s'agit donc du pendant de l'article 2 II pour le gaz de pétrole liquéfié importé aux Antilles-Guyane.

C. ― ÉVALUATION ET AMÉLIORATIONS SOUHAITABLES

  1. La justification d'un régime de prix réglementé

  2. D'une façon générale, la réglementation des prix des produits pétroliers raffinés importés, qui est proposé par le nouveau projet de décret, entre dans la logique de renforcement de la régulation des prix en amont que l'Autorité de la concurrence a mis en exergue dans son avis n° 10-A-03, précité.

  3. Les recommandations formulées à cet égard par l'Autorité demeurent pertinentes et notamment son appel à une plus grande transparence dans la détermination des bases de calcul.

  4. Comme il est rappelé dans l'avis n° 10-A-03, précité, la situation de l'approvisionnement des Antilles-Guyane en carburant se caractérise par sa diversité. Du pétrole brut est importé et raffiné localement par la SARA en Martinique. La production de cette raffinerie étant insuffisante pour couvrir les besoins des Antilles, du pétrole raffiné est également importé en Martinique ou en Guadeloupe, par la SARA. Le pétrole raffiné importé représente environ 1/3 de la consommation des Antilles. Actuellement, la Guyane est approvisionnée en carburants routiers depuis la Martinique.

  5. Par conséquent, dans les conditions actuelles d'approvisionnement, seule la SARA importe pour les Antilles-Guyane du pétrole raffiné, que ces produits passent ou non dans ses cuves. Comme le souligne l'avis n° 10-A-03, précité, la SARA dispose d'un « monopole d'achat », tant pour le pétrole brut que pour les quantités restantes nécessaires de produit raffiné. La réglementation du prix des produits pétroliers raffinés importés s'appliqueraient donc aux importations de la SARA. Celle-ci serait donc justifiée par la nature monopolistique des importations de produits pétroliers raffinés aux Antilles-Guyane. Comme elle le soulignait dans la conclusion de son avis n° 10-A-03, précité, « l'Autorité rappelle que la régulation apparaît toujours nécessaire, notamment pour mieux encadrer les monopoles en amont et garantir des approvisionnements au meilleur prix ».

  6. Cependant, il convient d'observer qu'en pratique la distribution des carburants aux Antilles n'est pas monopolistique. Elle se répartit entre les actionnaires de la SARA et des sociétés indépendantes, tant au niveau de l'activité de gros que de détail. Ainsi en Martinique, les sociétés WIPCO et CAP, et en Guadeloupe, les mêmes sociétés ainsi que la société GPC contribuent à l'animation d'une certaine concurrence. L'avis n° 10-A-03, précité, relève que 28 % des stations-services présentes dans la zone Antilles-Guyane appartiennent à des sociétés indépendantes.

  7. Ces sociétés indépendantes pourraient décider de s'approvisionner directement en produits pétroliers raffinés dès lors que des capacités de stockage seraient disponibles et ainsi concurrencer les actionnaires de la SARA sur le prix d'achat des produits raffinés importés. Les sociétés indépendantes pourraient ensuite répercuter ces achats à prix compétitifs au stade de la distribution.

  8. Or comme le mentionne l'avis n° 10-A-03, précité, l'Autorité a recommandé dans son avis n° 09-A-21, précité, « une ouverture progressive des facilités de stockage aux distributeurs non actionnaires de la SARA et la limitation des obligations d'achat de produits raffinés localement à la part de marché que peut effectivement fournir la raffinerie locale ».

  9. Dans l'hypothèse où cette ouverture progressive des facilités de stockage aux distributeurs indépendants se mettrait en place et dans la mesure où ces distributeurs souhaiteraient s'approvisionner de manière autonome en produits pétroliers raffinés, il pourrait toutefois demeurer nécessaire et justifié de maintenir, au moins temporairement, un régime de prix réglementés pour les produits pétroliers importés. En effet, dans une première phase, l'accès aux facilités de stockage sera nécessairement réduit et progressif. Par conséquent, les conditions structurelles du marché ne seront pas immédiatement de nature à favoriser la concurrence entre les actionnaires de la SARA et les sociétés indépendantes.

  10. Les améliorations souhaitables

  11. Dans la mesure où les sociétés indépendantes pourraient avoir un intérêt à s'approvisionner au meilleur prix pour concurrencer les actionnaires de la SARA, il convient de s'assurer que les mesures réglementaires tarifaires n'entraveront pas leur volonté et leur incitation à animer la concurrence.

  12. Il convient tout d'abord de souligner que l'article 2 II prévoit de fixer « des prix maximum hors taxes ». Cette disposition permettra aux sociétés indépendantes qui le souhaiteraient, de pratiquer des prix inférieurs à ceux de l'arrêté préfectoral et éventuellement à ceux des actionnaires de la SARA.

  13. Il reste que l'Autorité de la concurrence entend formuler quelques réserves.

  14. Tout d'abord, l'article 2 II ne détermine pas les conditions dans lesquelles les pouvoirs publics pourront avoir recours à la fixation du prix des produits pétroliers raffinés importés. Le libellé « le cas échéant » est par trop imprécis et laisse planer pour les investisseurs une incertitude sur l'action du préfet du département. Cette incertitude peut éventuellement les dissuader de recourir à des importations autonomes.

  15. Il serait donc nécessaire de donner un peu plus de visibilité en précisant les situations dans lesquelles les pouvoirs publics entendent recourir à la fixation des prix des produits pétroliers raffinés importés.

  16. En second lieu, le projet de décret prévoit à son article 4 que les préfets des départements pourront fixer par arrêté préfectoral les marges maximales de distribution au stade de gros et de détail. Le texte ne permet pas d'anticiper sur les modalités de détermination de ces marges par les préfets.

  17. La fixation d'une marge en valeur relative pourrait ne pas être neutre au cas d'espèce. En effet, une marge fixée en valeur relative pourrait être moins incitative qu'une marge fixée en valeur absolue pour des sociétés indépendantes s'engageant dans des achats de produits pétroliers raffinés importés à des prix compétitifs. Plus le prix d'achat à l'importation est bas, moins la marge déterminée en pourcentage des achats est forte. En outre, les sociétés indépendantes des Antilles ayant à ce stade des capacités de stockage ou de distribution au détail limitées, elles ne seront pas en mesure de rattraper une compression de marge sur les volumes.

  18. Dans ces conditions, la détermination d'une marge en valeur absolue paraitrait de prime abord plus favorable à l'émergence d'une concurrence accrue. Dans le cadre de l'instruction, les services du ministre ont déclaré que, en règle générale, les marges étaient fixées en valeur absolue dans les arrêtés préfectoraux réglementant les prix et les marges.

  19. A cet égard, l'Autorité de la concurrence, dans son avis n° 10-A-03, avait fait valoir son regret de ne pas pouvoir examiner ces modalités de détermination des marges et des prix et avait invité le ministre à la saisir des futurs projets d'arrêtés méthodologiques. Elle indiquait : « ...l'Autorité de la concurrence souhaite que la ministre de l'économie de l'industrie et de l'emploi la saisisse de nouveau pour avis lorsque seront élaborés les arrêtés méthodologiques qui seront pris par chacun des préfets des départements ultramarins et qui établiront les paramètres de calcul des différents prix et marges. L'Autorité souhaiterait notamment pouvoir se prononcer sur la méthode qui sera retenue par le préfet de chaque département pour choisir la société de cotation dont il retiendra les index de références pour établir le prix maximum des produits importés conformément à l'article 2 des projets de décret. A cet égard, le choix de la société de cotation pourrait se fonder sur des critères tels que sa fiabilité, sa représentativité, et les usages professionnels ». Elle ne peut que reformuler sa demande initiale.

III. ― CONCLUSION

  1. L'Autorité de la concurrence émet un avis favorable sur les modifications introduites dans les projets de décret relatifs à la réglementation du prix des produits pétroliers dans les DOM.
  2. Elle relève notamment que le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a pris en compte une partie des recommandations qu'elle avait exprimées dans son avis n° 10-A-03 et s'en félicite. Elle souhaite toutefois souligner que les autres suggestions exprimées à l'occasion de ce précédent avis demeurent, à ses yeux, pertinentes.
  3. Elle renouvelle notamment son observations selon laquelle « la régulation tarifaire ne saurait pallier l'ensemble des difficultés de fonctionnement des marchés des carburants dans les départements d'outre-mer et renouvelle les propositions qu'elle a formulées dans son avis n° 09-A-21 en matière d'adoption de mesures à caractère structurel, seules à même d'ouvrir ces marchés à plus de concurrence et de dynamisme ».
  4. Enfin, l'Autorité de la concurrence rappelle son souhait initial d'être de nouveau consultée pour avis sur les arrêtés méthodologiques qui seront pris par chacun des préfets des départements ultra-marins.
    Délibéré sur le rapport oral de M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, Mmes Reine-Claude Mader-Saussaye et Pierrette Pinot, membres.

La sécrétaire de séance,

M.-A. Lienafa

Le président,

P. Spilliaert