JORF n°0021 du 26 janvier 2010

  1. Cette contrainte est automatique, sans pouvoir d'appréciation du directeur général de l'agence régionale de santé et ces règles ne concernent que les laboratoires de biologie médicale privés. Selon le rapport, ces contraintes s'inscrivent dans une logique de garantie de la pluralité de l'offre de biologie médicale.

  2. Le second alinéa de l'article L. 6223-2 indique qu'un décret prévoira les conditions dans lesquelles le contrôle, direct ou indirect, de plusieurs laboratoires de biologie médicale ou la participation, directe ou indirecte, dans le capital social de plusieurs laboratoires de biologie médicale peut être maintenu. Selon le rapport, ces dispositions sont destinées à assurer une sécurité juridique lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux.

  3. Art. L. 6223-3 :
    « Une personne physique ou morale exerçant sous quelque forme que ce soit une autre profession de santé, une activité de fournisseur, de distributeur ou de fabricant de dispositif médical ou de dispositif médical de diagnostic in vitro, une entreprise d'assurance et de capitalisation, un organisme de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif ne peut détenir directement ou indirectement une fraction du capital social du laboratoire de biologie médicale privé constitué sous la forme d'une structure juridique à but lucratif. »

  4. Art. L. 6223-4 :
    « Une personne physique ou morale qui détient une participation dans le capital social d'une entreprise fournissant, distribuant ou fabriquant des dispositifs médicaux ou des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, d'une entreprise d'assurance et de capitalisation, d'un organisme de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif ou qui les contrôle ne peut détenir directement ou indirectement une fraction du capital social du laboratoire de biologie médicale privé constitué sous la forme d'une structure juridique à but lucratif. »

  5. Les articles L. 6223-3 et L. 6223-4 déterminent des règles de conflits d'intérêts, directs et indirects, pour les laboratoires de biologie médicale privés constitués sous la forme d'une structure juridique à but lucratif. L'objet de cette disposition est d'interdire à un prescripteur ou à un fournisseur d'un laboratoire de détenir une participation dans son capital. Le projet de rapport au Président de la République mentionne que les laboratoires de biologie médicale et les biologistes médicaux ayant aujourd'hui des parts dans des établissements de santé privés, il convient, dans un souci de cohérence, que ces derniers puissent également disposer d'une fraction du capital d'un laboratoire.

  6. Art. L. 6223-5 :
    « Les laboratoires de biologie médicale privés sont exploités en nom propre, sous la forme d'organismes à but non lucratif, de sociétés civiles professionnelles régies par la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relatives aux sociétés civiles professionnelles, de sociétés d'exercice libéral régies par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales ou de sociétés coopératives régies par la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. »

  7. L'article L. 6223-5 détermine les formes juridiques possibles pour l'exploitation d'un laboratoire de biologie médicale privé. Une nouvelle forme juridique pour l'exploitation d'un laboratoire de biologie médicale est introduite : les sociétés coopératives. En revanche, le statut de société anonyme est supprimé.

  8. Art. L. 6223-6 :
    « Les laboratoires de biologie médicale privés constitués sous la forme d'une structure juridique à but lucratif sont soumis aux règles suivantes :
    1° Le nombre de biologistes médicaux en exercice au sein du laboratoire de biologie médicale, détenant une fraction du capital social et travaillant au moins un mi-temps dans le laboratoire de biologie médicale est égal ou supérieur au nombre de sites de celui-ci ; [...] ».

  9. L'article L. 6223-6 pose le principe de la présence d'au moins un biologiste par site d'un laboratoire, tout en imposant que ce biologiste détienne une fraction du capital social du laboratoire.

  10. Analyse concurrentielle

  11. L'article L. 6223-2 pose le principe de limitations territoriales, une même personne ne pouvant investir dans plus d'un laboratoire sur un territoire de santé et les territoires limitrophes. Cette restriction sera analysée au point II-C du présent avis, en liaison avec l'article 6222-2, alinéa 2, qui prévoit des limitations à l'acquisition ou la fusion de laboratoires actifs dans un même territoire ou des territoires limitrophes.

  12. Les articles L. 6223-3 et L. 6223-4 visent à prévenir des conflits d'intérêts, en interdisant aux professions de santé, qui prescrivent les analyses médicales, de détenir une participation dans un laboratoire. La même restriction s'impose aux distributeurs de dispositifs médicaux, qui sont les fournisseurs des laboratoires. De même, les organismes d'assurance et de prévoyance, de retraite ou de protection sociale, qui ont notamment recours aux laboratoires pour l'appréciation de leurs risques, se voient imposer la même restriction.

  13. Sur le principe, la CJCE a admis la légitimité, au nom de l'objectif de protection de la santé publique, de telles restrictions.

  14. Ainsi, « Ne manque pas aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 56 CE un Etat membre qui maintient en vigueur des dispositions législatives qui établissent l'impossibilité, pour les entreprises de distribution de produits pharmaceutiques, de prendre des participations dans les sociétés d'exploitation de pharmacies communales [...] Cette restriction peut être justifiée par la protection de la santé publique, plus précisément, par l'objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité. En effet, ladite réglementation est propre à garantir la réalisation de cet objectif et, en outre, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre étant donné qu'un Etat membre peut considérer que les entreprises de distribution de produits pharmaceutiques sont en mesure d'exercer une certaine pression sur les pharmaciens salariés dans le but de privilégier l'intérêt consistant à réaliser des bénéfices » (CJCE, 19 mai 2009, Commission c/République italienne, C-531/06).

  15. Pour autant, rappelle la Cour, « les dispositions du traité relatives aux libertés de circulation, y compris la liberté d'établissement [...] comportent l'interdiction pour les Etats membres d'introduire ou de maintenir des restrictions injustifiées à l'exercice de ces libertés dans le domaine des soins de santé » (CJCE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes, C-171/07 et C-172/07, soulignement ajouté).

  16. Les restrictions doivent être en conséquence proportionnées à l'objectif d'intérêt général poursuivi, en l'espèce la protection de la santé publique.

  17. Ainsi, si l'Autorité admet la légitimité, sur le principe, des dispositions des articles L. 6223-3 et L. 6223-4, qui visent à prévenir les conflits d'intérêt, elle souligne que le champ et la portée de ces restrictions doivent être strictement limités à ce qui est nécessaire à l'objectif de protection de santé publique.

  18. A cet égard, et s'agissant en premier lieu des restrictions visant les professions de santé dans leur ensemble, l'Autorité considère que le champ de la restriction va au-delà de ce qui est nécessaire à l'objectif poursuivi.

  19. Au sein des professions de santé, il convient en effet de distinguer les professionnels qui sont susceptibles de prescrire des analyses médicales de ceux qui n'ont pas cette faculté.

  20. L'objectif de la mesure est, selon les termes du rapport de l'IGAS précité, « d'éviter qu'il n'y ait une pression à la dépense et que les décisions médicales ne soient polluées par des considérations étrangères à l'état du malade », même si l'IGAS précise que ce risque est mal mesuré.

  21. La recherche de l'équilibre financier des systèmes de sécurité sociale fait partie de l'objectif plus large de protection de la santé publique (voir en ce sens arrêt Commission c/Italie précité, point 48).

  22. Cependant, l'extension de la restriction à l'ensemble des professions de santé, et non aux seuls prescripteurs, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, par ailleurs légitime. L'Autorité note que le rapport de l'IGAS partageait cette réserve.

  23. Les représentants du ministère de la santé et des sports ont fait valoir que les catégories de professionnels de santé habilités à prescrire étaient susceptibles d'évolution, ce qui a motivé une approche extensive. Cet argument de commodité ne saurait cependant justifier une restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité.

  24. En conséquence, l'Autorité est d'avis de limiter les restrictions posées à l'article L. 6223-3 aux seuls prescripteurs.

  25. S'agissant des fabricants et distributeurs de dispositifs médicaux, le même type d'objection pourrait être soulevé. Il est possible d'admettre la potentialité d'un conflit d'intérêts entre un laboratoire et l'un de ses fournisseurs, actuel ou potentiel, qui serait son actionnaire. Ce conflit pourrait influer sur les décisions d'investissement du laboratoire, qui ne prendrait plus en compte ses seuls intérêts, mais aussi ceux de son actionnaire. La décision d'investissement reposant, en partie à tout le moins, sur des critères médicaux, ce conflit pourrait être susceptible de porter atteinte à un objectif de santé publique.

  26. Deux réserves doivent cependant être soulevées.

  27. D'une part, la portée de la restriction va au-delà de ce qui est strictement nécessaire. Tous les fabricants de dispositifs médicaux ne fabriquent pas des dispositifs dont les laboratoires d'analyse ont l'usage. En principe, la restriction devrait être limitée aux seuls fournisseurs potentiels des laboratoires.

  28. L'Autorité admet toutefois que, à la différence des catégories de professionnels de santé habilités à prescrire des analyses médicales, qui sont clairement identifiées, il est plus difficile d'isoler la catégorie des fournisseurs de dispositifs médicaux à l'usage des laboratoires d'analyse. Cette catégorie est susceptible d'être fluctuante, au gré de la stratégie et du développement commercial de chaque fournisseur ou distributeur, ainsi que des concentrations entre ces entreprises. Compte tenu de la difficulté d'assurer un tel suivi, il peut être soutenu que la portée de la mesure, bien que large, est nécessaire à son effectivité.

  29. D'autre part, la restriction porte sur la détention d'une fraction du capital social du laboratoire. Or, pour pouvoir exercer une influence sur les décisions d'investissement du laboratoire, il est nécessaire d'en détenir le contrôle. Une simple participation sans contrôle ne permet pas en principe d'interférer avec les décisions du laboratoire.

  30. Toutefois, la notion qui serait ici pertinente pour apprécier l'influence d'un actionnaire sur les décisions stratégiques du laboratoire ne serait pas la notion de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, mais celle figurant aux articles L. 430-1 du code de commerce et 3 du Règlement (CE) n° 139/2004, relatifs aux concentrations entre entreprises.

  31. Ainsi qu'il a été exposé, cette dernière notion est plus large que celle figurant à l'article L. 233-3 du code de commerce, et implique une appréciation au cas par cas de la gouvernance de chaque entreprise, en fait et en droit, appréciation qui peut, dans certaines circonstances, recéler un certain degré de complexité. Une participation minoritaire, même faible, peut ou ne pas conférer un contrôle, exclusif, négatif, ou conjoint, selon les circonstances de l'espèce.

  32. Dès lors, et bien que la portée de la restriction aille en apparence au-delà de ce qui est strictement nécessaire, il peut être soutenu là encore que la mesure est nécessaire à son effectivité.

  33. Toutefois, les situations où un opérateur dispose du contrôle d'une entreprise avec 10 % au moins du capital, bien que théoriquement possibles, demeurent exceptionnelles. Autoriser la détention d'une fraction du capital inférieure à ce seuil permettrait d'atténuer le caractère restrictif de la mesure, sans que ne s'en trouve altéré l'objectif de santé publique poursuivi par la disposition.

  34. En conséquence, l'Autorité recommande de substituer la notion de participation, au sens de l'article L. 233-2 du code de commerce (à savoir une part du capital supérieure à 10 %), à la notion de fraction du capital qui figure dans la rédaction actuelle des articles L. 6223-3 et L. 6223-4.

  35. S'agissant enfin des restrictions relatives aux entreprises d'assurance et de capitalisation, aux organismes de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif, le risque de conflit d'intérêts est d'une nature différente que ceux identifiés pour les prescripteurs et les fournisseurs ou distributeurs de dispositifs médicaux.

  36. En effet, s'agissant en premier lieu de l'objectif d'équilibre financier des systèmes de sécurité sociale, on relève que les examens demandés par ces opérateurs préalablement à la conclusion d'un contrat ne sont pas pris en charge par l'assurance maladie, mais par les entreprises elles-mêmes. Le risque de pression à la dépense, qui motive les restrictions pesant sur les prescripteurs, est ici inexistant.

  37. S'agissant en second lieu du risque d'interférences économiques avec les décisions médicales, on relève que l'intérêt de ces entreprises d'assurance et de prévoyance est a priori de disposer d'une appréciation objective de l'état de santé de leur futur cocontractant, afin d'évaluer leur risque aussi précisément que possible. Le risque d'interférence avec le diagnostic médical peut a priori être écarté.

  38. Le principal risque d'interférence identifié serait que l'actionnaire d'un laboratoire, qui exercerait par ailleurs une activité d'assurance, de prévoyance ou autre, use de son influence sur le laboratoire pour obtenir des informations couvertes par le secret médical, qu'il utiliserait à des fins autres que celles pour lesquelles ces informations ont été collectées.

  39. L'Autorité note qu'une telle pratique relèverait notamment des dispositions de l'article 226-13 du code pénal, qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la révélation d'une information à caractère secret, dont les informations couvertes par le secret médical détenues par les laboratoires. Ces pratiques seraient également susceptibles de sanctions ordinales, pouvant aller jusqu'à l'interdiction d'exercice temporaire ou définitive. Ces sanctions peuvent frapper aussi bien les personnes physiques que les personnes morales, qui sont également obligatoirement inscrites au tableau de l'ordre.

  40. Bien que le secret médical soit protégé par la loi, la CJCE a admis, s'agissant d'une réglementation nationale qui ne permettait pas aux entreprises de distribution de prendre une participation dans les sociétés chargées de l'exploitation des pharmacies communales, qu'un « Etat membre peut considérer qu'il existe un risque que des règles législatives protégeant l'indépendance professionnelle des pharmaciens puissent être méconnues ou contournées dans la pratique » (CJCE, 19 mai 2009, Commission c/Italie, C-531/06, point 105).

  41. Cependant, la Cour n'a pu parvenir à cette conclusion que dans la mesure où « la Commission n'a présenté, hormis des considérations générales, aucun élément de nature à démontrer quel serait le système concret susceptible de garantir ― avec la même efficacité que la règle d'exclusion des non-pharmaciens ― que lesdites règles législatives ne seront pas méconnues dans la pratique nonobstant les considérations énoncées au point précédent du présent arrêt » (Idem, point 85).

  42. Au cas d'espèce, le contournement des règles relatives au secret professionnel expose le contrevenant à des sanctions pénales, y compris des peines d'emprisonnement, et une interdiction temporaire et définitive d'exercer.

  43. Ces sanctions sont d'autant plus dissuasives qu'elles sont susceptibles de s'appliquer également à la personne morale qui exploite le laboratoire, ce qui fait peser un risque non seulement sur le biologiste qui violerait le secret professionnel, mais aussi sur l'actionnaire, qui risquerait de voir le laboratoire dans lequel il a investi interdit d'exercice.

  44. En définitive, au cas d'espèce, il existe un régime de sanctions particulièrement dissuasif. Le bénéfice qui serait tiré de la violation du secret professionnel, qui ne pourrait être un tant soit peu substantiel que si cette violation était massive et systématique, ce qui accroîtrait les probabilités de détection de l'infraction, ne compenserait vraisemblablement pas le risque encouru.

  45. La restriction va ainsi aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de santé publique identifié. La restriction de concurrence qui en découle est significative, dans la mesure où elle érige, de manière générale et absolue, des barrières à l'entrée insurmontables pour une large catégorie d'opérateurs, qui constituent des entrants potentiels sur le marché.

  46. Ainsi, l'Autorité est d'avis que les restrictions pesant sur les entreprises d'assurance, de prévoyance ou autres visées aux articles L. 6223-3 et L. 6223-4 vont au-delà de ce qui est nécessaire à l'objectif de protection de la santé publique.

  47. L'article 6223-5 crée une nouvelle forme juridique d'exploitation des laboratoires, les sociétés coopératives, mais supprime en revanche le statut de société anonyme. Selon le ministère de la santé et des sports, la société anonyme est une forme d'exercice très minoritaire dans la profession, les SEL étant largement majoritaires. Dans le délai imparti, l'Autorité n'est pas en mesure d'expertiser de manière approfondie les conséquences de la suppression de la possibilité d'exercice sous la forme de société anonyme. Prima facie, les conséquences de cette évolution semblent limitées à court terme. Il pourrait en aller différemment si, à l'issue du contentieux pendant devant la Cour, la CJCE remettait en cause le monopole d'exploitation des biologistes, pour ne leur reconnaître qu'un monopole de compétence. Dans cette hypothèse, le statut de SEL pourrait se révéler inadapté à certaines configurations de détention capitalistiques, pour lesquelles le statut de société anonyme serait préférable. L'Autorité est toutefois d'avis que cette question peut être laissée ouverte dans l'attente de la résolution du contentieux pendant devant la Cour.

  48. L'article 6223-6 impose un nombre minimum de biologistes médicaux en exercice au sein du laboratoire de biologie médicale, correspondant au nombre de sites du laboratoire. Cette disposition se justifie pour des raisons évidentes de santé publique. En revanche, il est imposé que ces biologistes détiennent une « fraction du capital social » du laboratoire.

  49. Lors de l'instruction, les représentants du ministère de la santé ont indiqué que cette condition visait à préserver « l'éthique » et « l'implication » des biologistes, mais également à favoriser l'entrée dans le capital des jeunes professionnels.

  50. Ces arguments n'emportent toutefois pas la conviction. Les biologistes sont des médecins ou des pharmaciens, soumis aux règles éthiques de leur profession, qu'ils soient actionnaires ou non de l'entreprise qui les emploie. De même, si l'actionnariat des salariés peut constituer un outil de motivation parmi d'autres que peut choisir un employeur, rien ne permet a priori de considérer qu'un salarié, médecin ou pharmacien, ne serait pas impliqué dans son travail.

  51. S'agissant de l'objectif de favoriser l'entrée dans le capital des jeunes professionnels ― objectif qui n'est pas illégitime en lui-même ― l'Autorité relève qu'il est étranger à la santé publique. Ainsi que le relevait le rapport de l'IGAS « les questions d'indépendance financière, qui répondent au désir (au demeurant non illégitime) d'une corporation de défendre ses intérêts, ne relèvent pas de la santé publique. Ce motif ne doit pas être utilisé comme argument dérogatoire aux règles européennes. Les problèmes de traçabilité et de stabilité des capitaux, dans un but de contrôle des flux financiers, ainsi que les questions de gouvernance, d'investissement, de démembrement, d'usufruit et de cessions patrimoniales ― dont la mission ne mésestime pas l'intérêt ― relèvent d'autres domaines de compétence que ceux du ministre de la santé ou de la protection sociale ».

  52. En l'absence d'un objectif de santé publique clairement identifié justifiant la restriction relative à la détention du capital figurant à l'article L. 6223-6, l'Autorité est d'avis de supprimer les mots : « détenant une fraction du capital social ».

C. ― Les limitations relatives aux conditions d'exercice des laboratoires

  1. Les dispositions de l'ordonnance
    a) Les limitations au stade du prélèvement,
    les examens délocalisés et la transmission d'échantillons

  2. Art. L. 6212-14 :
    « Le prélèvement d'un échantillon biologique est réalisé sur les territoires de santé infrarégionaux d'implantation du laboratoire de biologie médicale. Il peut être réalisé en dehors de ces territoires lorsqu'il n'existe pas de laboratoire de biologie médicale plus proche du lieu de prélèvement.
    « Les conditions dans lesquelles un laboratoire de biologie médicale peut déroger aux règles de territorialité du prélèvement d'un échantillon biologique, pour des motifs de santé publique sont déterminées par décret. »

  3. Art. L. 6212-15 :
    « Lorsque le prélèvement d'un échantillon biologique est réalisé au domicile du patient, l'exécution de ce prélèvement par un auxiliaire médical nécessite l'accord préalable du biologiste médical du laboratoire de biologie médicale. »

  4. Art. L. 6212-18 :
    « Le laboratoire de biologie médicale peut transmettre à des fins d'analyse et d'interprétation des échantillons biologiques à un autre laboratoire de biologie médicale.
    « Ces transmissions ne peuvent excéder un pourcentage maximum, déterminé par décret, du nombre total d'examens de biologie médicale réalisés par le laboratoire de biologie médicale.
    « Le laboratoire de biologie médicale qui transmet des échantillons biologiques à un autre laboratoire n'est pas déchargé de sa responsabilité vis-à-vis du patient.
    « La communication appropriée du résultat d'un examen de biologie médicale dont l'analyse et l'interprétation ont été réalisées par un autre laboratoire de biologie médicale est effectuée par le laboratoire qui a transmis l'échantillon. Celui-ci complète l'interprétation dans le contexte des autres examens qu'il a lui-même réalisés.
    « Le laboratoire de biologie médicale qui a reçu un échantillon biologique d'un autre laboratoire ne peut le retransmettre à un autre laboratoire de biologie médicale. Il peut toutefois le retransmettre à un laboratoire de référence. La liste des laboratoires de référence pour des examens de biologie médicale ou pour des pathologies déterminés est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. »

  5. Les articles L. 6212-14 et L. 6212-15, qui concernent la phase préanalytique, sont destinées à préciser les conditions et modalités de réalisation du prélèvement : le prélèvement est organisé par le biologiste, garant de la qualité du résultat vis-à-vis du médecin clinicien et du patient. Selon le projet de rapport au Président de la République concernant le projet d'ordonnance, la mise en place de cette « territorialité » s'intègre dans le principe de proximité entre les professionnels de santé qui interviennent dans les soins du patient.

  6. L'article L. 6212-18 est relatif aux règles de transmission d'échantillons biologiques entre laboratoires de biologie médicale. Le deuxième alinéa met en œuvre le principe d'une compétence minimale du laboratoire de biologie médicale pour appréhender la discipline dans son ensemble et répondre aux besoins du patient et du médecin clinicien. Lors de leur audition, les représentants du ministère de la santé ont indiqué que le pourcentage maximum d'échantillons biologiques qu'un laboratoire de biologie médicale peut transmettre retenu pour le projet de décret était de 15 %. Ils ont ajouté que tous les laboratoires de biologie médicale qui exerçaient dans les trois domaines d'expertise principaux que sont la microbiologie, l'hématologie et la biochimie répondaient à cette exigence.

b) Les limitations au stade de l'ouverture
et du fonctionnement des laboratoires

  1. Art. L. 6222-1 :
    « Les sites du laboratoire de biologie médicale sont situés au maximum sur trois territoires de santé infrarégionaux limitrophes, sauf dérogation prévue par le schéma régional d'organisation des soins ou par les schémas régionaux d'organisation des soins.
    Lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux, les conditions dans lesquelles les sites d'un laboratoire de biologie médicale peuvent être maintenus sont déterminées par décret. »

  2. Art. L. 6222-2 :
    « 1° Le représentant légal du laboratoire de biologie médicale effectue, au moins deux mois avant l'ouverture du laboratoire de biologie médicale, une déclaration auprès de l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, auprès des agences régionales de santé territorialement compétentes. Cette déclaration comporte les éléments relatifs à la structure juridique et financière ainsi qu'à l'organisation générale du laboratoire de biologie médicale. Le représentant légal du laboratoire de biologie médicale communique à l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, aux agences régionales de santé territorialement compétentes, avant le début d'activité du laboratoire de biologie médicale, le document donnant "avis positif à être accrédité dans les trois mois” délivré par l'instance nationale d'accréditation ;
    « 2° Le représentant légal du laboratoire de biologie médicale déclare, au moins deux mois à l'avance, à l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, aux agences régionales de santé territorialement compétentes toute modification relative à la structure juridique et financière ainsi qu'à l'organisation générale du laboratoire de biologie médicale survenue postérieurement à la déclaration initiale du laboratoire de biologie médicale. Il déclare notamment toute opération d'absorption d'un ou de plusieurs laboratoires de biologie médicale ou toute opération de fusion de deux ou plusieurs laboratoires de biologie médicale ainsi que toute ouverture ou toute fermeture de laboratoire de biologie médicale ou de site de laboratoire de biologie médicale.
    « Le directeur général de l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, les directeurs généraux des agences régionales de santé territorialement compétentes peuvent s'opposer à l'ouverture d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un site d'un laboratoire de biologie médicale, à l'opération d'absorption d'un ou de plusieurs laboratoires de biologie médicale ou à l'opération de fusion de deux ou plusieurs laboratoires de biologie médicale pour des motifs de santé publique, avec non-respect des objectifs du schéma régional d'organisation des soins. »

  3. L'article L. 6222-1 pose le principe de limites territoriales pour l'implantation du laboratoire de biologie médicale. Selon le projet de rapport au Président de la République concernant le projet d'ordonnance, cette limitation a pour but de permettre une proximité entre les biologistes médicaux, le patient et le médecin clinicien. Le projet de rapport souligne en outre que « la limitation à trois territoires de santé infrarégionaux est robuste par rapport à l'organisation actuelle des sociétés d'exercice libéral qui sont installées sur trois départements limitrophes. Cette limitation permet également au biologiste-responsable de se déplacer dans un temps limité sur les différents sites du laboratoire de biologie médicale ». Selon le rapport, le second alinéa est destiné à assurer une sécurité juridique lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux.

  4. L'article L. 6222-2, quant à lui, est relatif aux obligations de déclaration du représentant légal du laboratoire de biologie médicale au directeur général de l'agence régionale de santé lors de l'ouverture et du fonctionnement du laboratoire. L'article L. 6222-2, 2° précise les pouvoirs d'opposition du directeur général de l'agence régionale de santé lors de l'ouverture d'un laboratoire de biologie médicale ou de ses sites, lors de la fusion ou de l'absorption de plusieurs laboratoires de biologie médicale. Selon le projet de rapport au Président de la République concernant le projet d'ordonnance, ces dispositions ont pour objectif la pluralité de l'offre de biologie médicale, « souhaitable pour pallier la défaillance d'un laboratoire de biologie médicale ».

  5. Analyse concurrentielle
    a) Les limitations au stade du prélèvement,
    les examens délocalisés et la transmission d'échantillons

  6. Les articles L. 6212-14 et L. 6212-15 organisent le prélèvement des échantillons biologiques. L'article L. 6212-14 pose le principe de limitations territoriales dans le domaine de la collecte des échantillons, qui est obligatoirement réalisée sur les territoires de santé infrarégionaux d'implantation du laboratoire de biologie médicale.

  7. Ainsi que le notait la Cour des comptes dans son RALFSS de 2009, « Il reste que le maintien (...) de l'interdiction de créer des centres de prélèvement constitue un frein puissant aux regroupements des laboratoires. Il n'apparaît pas justifié par des préoccupations d'accès aux examens en tout point du territoire, celui-ci pouvant au contraire être étendu grâce à la création de centres de prélèvements, ni par des inquiétudes quant à d'éventuelles atteintes au droit de la concurrence, prix et qualité des analyses étant réglementés ». L'Autorité partage cette appréciation de la Cour des comptes.

  8. De même, l'IGAS relevait que « les limites ainsi instaurées [à la transmission de prélèvements] (volume de ce qui est transmis ou aire géographique dans lesquelles les transmissions peuvent se faire) ne répondent à aucun objectif clair de qualité et ne précisent pas non plus les conditions techniques de qualité, alors que celles-ci sont essentielles ».

  9. En sens contraire, les représentants du ministère de la santé et des sports font valoir que cette restriction s'inscrit au cœur même de la philosophie de la réforme et répond à un objectif de protection de la santé publique.

  10. Ainsi que l'exposait le rapport Ballereau, « l'examen de biologie médicale est un tout indissociable [Il] ne peut se limiter à la seule phase analytique. Le prélèvement, les conditions de conservation et de transport de l'échantillon, le résultat de l'analyse et le rendu du résultat interprété sont des éléments déterminants à ne pas négliger [...] La mission entendant proposer le renforcement du caractère médical de la biologie, il est important de noter que la dimension médicale s'observe tout au long de l'examen de biologie médicale, et sans doute plus encore au moment des phases pré et postanalytiques que lors de la stricte analyse de l'échantillon biologique. Au moment de la phase préanalytique, le biologiste médical doit prendre connaissance des éléments cliniques pertinents. Il a également une possibilité de dialogue avec son patient, dialogue mettant en avant notamment les caractéristiques physiopathologiques de celui-ci, le contexte dans lequel la demande d'examen a été réalisée, les résultats qui en sont attendus en matière diagnostique ou thérapeutique, voire l'entrevue d'un pronostic. C'est également au cours de la phase préanalytique qu'ont lieu les échanges entre le clinicien et le biologiste médical, lorsque cela s'avère nécessaire ».

  11. Dès lors, si la restriction posée à l'article L. 6212-14 a des effets très sensibles sur la concurrence, elle répond cependant à un objectif de santé publique identifié. Se pose toutefois la question de savoir si des mesures moins restrictives permettraient d'atteindre cet objectif dans des conditions comparables.

  12. L'article 6212-18, relatif à la transmission d'échantillons, vise selon les représentants du ministère de la santé à maintenir la compétence du laboratoire, qui doit avoir une vision d'ensemble pour assurer la cohérence du diagnostic.

  13. Selon le rapport Ballereau, « le laboratoire de biologie médicale doit répondre aux attentes des cliniciens sur le domaine étendu de la biologie médicale, sous peine d'être uniquement un lieu de transmission des échantillons biologiques et de perdre la double compétence médicale et technique. Il est en conséquence proposé d'exiger des laboratoires de biologie médicale d'être directement compétents pour l'analyse d'une proportion étendue d'échantillons biologiques qu'ils prélèvent ».

  14. Cette restriction s'inscrit dans la même logique de médicalisation de l'analyse biologique que la restriction posée à l'article L. 6212-14 et vise à répondre à un objectif de santé publique. Mais, là aussi, cette restriction induit une limitation significative de la concurrence et de la libre prestation des services.

  15. En conclusion sur ce point, les restrictions relatives à la collecte et à la transmission d'échantillons ont un impact significatif sur la concurrence et les libertés fondamentales garanties par le traité. Il n'est cependant pas contestable qu'elles visent à répondre à un objectif de santé publique clairement identifié. La question de la proportionnalité de ces restrictions par rapport à l'objectif de santé publique poursuivi demeure délicate.

  16. Un encadrement des conditions de prélèvement, qui pourrait prévoir notamment la présence obligatoire d'un biologiste et un encadrement strict des conditions de transport, pourrait permettre de répondre largement aux enjeux de santé publique sans pour autant restreindre d'aucune manière la concurrence.

  17. En revanche, l'Autorité admet que de telles mesures ne seraient pas suffisantes pour favoriser l'instauration d'un dialogue entre le clinicien, le patient et le biologiste au stade du prélèvement dans des conditions aussi poussées que celles souhaitées par la réforme, ni pour garantir la compétence d'un laboratoire sur la quasi-totalité du spectre de la biologie médicale.

  18. Mais, sur le premier point, l'IGAS faisait valoir que le prescripteur « réclame de pouvoir avoir un échange téléphonique avec le biologiste dans certains cas, pour préserver les conditions de prélèvement d'un examen, discuter des résultats d'une analyse, choisir une stratégie diagnostique, etc. ». Cet objectif peut être atteint sans aller jusqu'à interdire les prélèvements hors des territoires des laboratoires.

  19. Et, sur le second point, l'IGAS jugeait que « le fait que les laboratoires se spécialisent ou qu'ils fondent ensemble un plateau technique unique n'est pas une question qui relève de la santé publique dès lors que les questions de transport des prélèvements sont réglées ».

  20. En conséquence, ces restrictions, qui portent une atteinte significative à la concurrence, suscitent des réserves de la part de l'Autorité. L'Autorité admet qu'elles peuvent avoir une certaine logique dans le contexte de l'approche de médicalisation et de proximité tout au long de la chaîne retenue par le projet d'ordonnance. L'Autorité n'est pas juge du bien-fondé et de la pertinence de cette approche en termes de santé publique. L'Autorité observe toutefois que, selon l'IGAS (voir les points 118 et 119 du présent avis), d'autres modes d'organisation, qui ne seraient pas restrictifs de concurrence, sont possibles, sans porter atteinte à l'objectif de santé publique.

b) Les limitations au stade de l'ouverture
et du fonctionnement des laboratoires

  1. L'article L. 6222-1, qui limite l'implantation des sites d'un laboratoire à trois territoires de santé ― qui correspondant peu ou prou aux départements ― limitrophes, a pour objectif, selon les représentants du ministère de la santé, de maintenir une cohésion parmi les équipes. Cette limitation, qui a pour effet de limiter le développement des laboratoires, en les confinant à une zone géographique, est donc clairement restrictive de concurrence, mais s'inscrirait dans le cadre d'un principe de proximité.
  2. Ainsi, selon le rapport Ballereau, « A l'intérieur du territoire de santé, le fonctionnement en réseau entre les professionnels exerçant dans des structures de niveau de technicité variable permet de concilier la qualité et la proximité des soins. La biologie médicale prend toute sa place dans ce type d'organisation. Dans l'esprit de la réforme, un autre élément significatif pour le bon fonctionnement du laboratoire de biologie médicale est la possibilité pour le biologiste-responsable de se rendre rapidement, en tant que de besoin, sur les différents sites du laboratoire ».
  3. Dans la logique du projet, un laboratoire n'est donc pas tant une structure juridique ou capitalistique qu'une entité fonctionnelle, appelé à travailler en étroite coordination. Ce mode de fonctionnement justifierait l'application d'un principe de proximité, que reflète l'article L. 6222-1.
  4. Mais, si l'on peut admettre un tel argument, au regard de l'objectif de protection de la santé publique tel qu'il ressort de la logique et de l'esprit de la réforme, cette disposition doit être lue en conjonction avec l'article L. 6223-2, mentionné au point II-B ci-dessus, qui pose le principe qu'une même personne ne peut investir dans plus d'un laboratoire sur un territoire de santé et les territoires limitrophes.
  5. Si l'interdiction pour un laboratoire, entité fonctionnelle, d'intervenir sur plus de trois territoires de santé limitrophes peut éventuellement se justifier par le principe de proximité, ce principe ne s'oppose pas en revanche à ce qu'une même holding, entité capitalistique et non fonctionnelle, détienne un réseau de laboratoires couvrant, le cas échéant, la totalité du territoire national.
  6. Or, tel qu'est rédigé l'article L. 6223-2, la constitution d'un tel réseau est impossible, du fait de l'interdiction de détention de deux laboratoires actifs sur un territoire limitrophe. A titre d'exemple, si un investisseur détient un laboratoire avec des sites dans le Calvados, la Manche et l'Orne, il lui sera impossible de détenir un laboratoire qui aurait un site dans l'un ou l'autre de ces départements : Ile-et-Vilaine, Mayenne, Sarthe, Eure-et-Loir ou Eure.
  7. Cette disposition est restrictive de concurrence, dans la mesure où elle constitue une barrière à l'entrée et au développement des opérateurs sur le marché et constitue également une restriction à la liberté d'établissement (CJCE, 21 avril 2005, Commission c/Grèce, C-140/03).
  8. Aucun objectif de santé publique ne vient justifier cette restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité, qui vient limiter de manière très sensible la concurrence, en empêchant le regroupement de laboratoires et le développement des opérateurs sur le marché.
  9. En conséquence, l'Autorité est d'avis que l'article L. 6222-1 ne serait acceptable qu'à la condition que l'article L. 6223-2 soit supprimé.
  10. L'article L. 6222-2 permet au directeur général de l'ARS de s'opposer, d'une part, à l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site d'un laboratoire, d'autre part, à l'acquisition ou la fusion de laboratoires, « pour des motifs de santé publique, avec non-respect du schéma régional d'organisation des soins ».
  11. Il convient de distinguer les deux cas de figure : l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site, d'une part, et la concentration entre laboratoires, d'autre part.
  12. S'agissant d'une concentration entre laboratoires, la mesure vise à éviter que, sur un territoire de santé donné, la concentration de l'offre ne risque de porter atteinte à la santé publique.
  13. La logique de cette mesure est résumée en ces termes par le rapport Ballereau : « tout laboratoire de biologie médicale, comme toute entreprise, est exposé au risque de difficulté économique conduisant à sa fermeture, même si, actuellement, la rentabilité, la stabilité de la demande et la solvabilité du payeur qu'est l'assurance maladie rend ce risque particulièrement faible pour les laboratoires de biologie médicale. Par ailleurs, un investisseur peut se retirer et fragiliser la structure juridique sur laquelle repose le laboratoire, cette possibilité devenant d'autant plus réelle que les investisseurs non professionnels peuvent désormais entrer dans le capital. Enfin, l'ARS, autorité chargée in fine de la sécurité sanitaire et de la qualité des soins, doit pouvoir suspendre l'activité d'un laboratoire de biologie médicale qui ne répond plus à ses obligations. Pour toutes ces raisons, aucun laboratoire de biologie médicale ne doit pouvoir se retrouver dans une position telle que sa fermeture entraînerait une carence ou défaut d'offre de biologie médicale sur le territoire de santé. Il ne s'agit pas là d'une règle économique, comme peuvent l'être la position dominante ou l'abus de position dominante, selon les approches nord-américaines ou européennes, mais d'une règle établie pour la santé publique ».
  14. L'Autorité admet que cette mesure répond à un objectif de santé publique.
  15. Toutefois, l'Autorité observe que cette mesure vient porter atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'au droit de propriété. De telles atteintes sont possibles, de manière limitée et proportionnée, pour des motifs d'intérêt général, tels que ceux invoqués en l'espèce. Encore faut-il qu'elles soient encadrées par des règles de fond et de procédure claires et prévisibles (voir en ce sens Conseil d'Etat, 13 mai 2003, Fédération des employés et cadres (CGT-FO) et autres, conclusions Guillaume Goulard).
  16. A cet égard, le critère des « motifs de santé publique, avec non-respect du schéma régional d'organisation des soins » semble relativement imprécis. Il conviendrait de fixer des critères plus précis, comme par exemple un seuil de part de marché, tout en laissant, le cas échéant, au directeur général de l'ARS un pouvoir d'appréciation au-dessus de ce seuil.
  17. Par ailleurs, même si c'est implicite dans le texte de l'ordonnance, il conviendrait de préciser que ce pouvoir d'opposition du directeur général de l'ARS ne joue que si l'opération conduit à une addition de parts de marché sur le territoire concerné. En l'absence de chevauchement d'activités, au plan géographique, entre les laboratoires parties à la concentration, aucun motif de santé publique ne pourrait s'opposer à la réalisation de l'opération.
  18. L'Autorité appelle l'attention des pouvoirs publics sur le fait que dans l'hypothèse où l'opération de concentration en cause serait une concentration de dimension communautaire, au sens de l'article 1er du Règlement (CE) n° 139/2004, le directeur général de l'ARS concerné ne pourrait exercer ses pouvoirs d'opposition sans communication préalable de l'intérêt public en cause à la Commission européenne, en application de l'article 21 (4) du même règlement.
  19. Enfin, l'Autorité note que le dispositif de contrôle prévu à l'article L. 6222-1 n'est pas cohérent avec l'article L. 6223-2 qui interdit, de manière générale et absolue, l'investissement par une même personne dans plus d'un laboratoire sur un territoire de santé et les territoires limitrophes. Cet article revient à interdire, de manière disproportionnée, toute concentration dans un même territoire, quelles que soient les parts de marché ou le nombre de laboratoires subsistants. Une telle interdiction, générale et absolue, serait contraire aux principes de liberté du commerce et de l'industrie et de propriété. Pour ces raisons également, l'article L. 6223-2 devrait être supprimé.
  20. S'agissant de l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site, la possibilité pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à des ouvertures est restrictive de concurrence, dans la mesure où elle constitue une barrière à l'entrée et au développement sur le marché géographique concerné. Cette mesure constitue également une restriction à la liberté d'établissement (CJCE, 21 avril 2005, Commission c/Grèce, C-140/03).
  21. Les représentants du ministère de la santé ont souligné que l'article L. 6222-2, s'agissant de la question de l'ouverture d'un laboratoire, s'inscrivait dans la « crainte » de voir un laboratoire s'installer dans une zone déjà bien pourvue en services de biologie médicale, alors que certains territoires étaient en déficit d'implantation. Il s'agirait ainsi, dans le cadre d'une économie « socialisée » répondant à des objectifs de santé publique, que toute ouverture soit « utile » et d'éviter de mettre en danger les laboratoires déjà présents. Les restrictions seraient ainsi justifiées par des considérations liées à la nécessaire homogénéité du service, mais également par des raisons d'efficacité, de visibilité et de maîtrise des dépenses. Les représentants du ministère de la santé ont ajouté que les laboratoires n'ayant pas assez de « dossiers » n'ont pas d'incitation à investir, ce qui pourrait induire des problèmes de qualité dans le traitement et l'analyse des échantillons.
  22. L'Autorité observe que, selon l'IGAS, « la consommation en biologie dépend plus de la densité des prescripteurs que des [laboratoires] ». Les contraintes qui pèseraient sur l'ouverture des laboratoires n'auraient de ce fait que peu d'impact sur la maîtrise des dépenses de santé.
  23. Le risque que l'ouverture d'un nouveau laboratoire ne mette en difficulté un laboratoire déjà existant ne relève pas d'une préoccupation de santé publique, mais de protection des intérêts économiques des opérateurs installés.
  24. Un autre argument repose sur l'idée que pour être efficace, un laboratoire doit disposer d'une taille critique, qu'une ouverture d'un laboratoire concurrent pourrait mettre en cause. L'Autorité ne conteste pas la nécessité pour les laboratoires d'avoir une surface financière leur permettant d'assumer des investissements significatifs. Mais elle doute qu'une disposition qui peut avoir pour effet de protéger les opérateurs en place de la concurrence soit en elle-même de nature à stimuler l'investissement.
  25. S'agissant en dernier lieu de l'argument selon lequel un refus d'ouverture sur un territoire déjà bien équipé inciterait à des ouvertures sur des territoires moins bien équipés, permettant ainsi un rééquilibrage territorial de l'offre, l'Autorité doute qu'il y ait un lien systématique et mécanique entre refus d'ouverture dans une zone et décision d'ouverture dans une autre.
  26. Les différences de densité de laboratoires entre zones géographiques ne sont pas contestables, mais il n'est pas certain qu'une disposition visant à limiter les ouvertures de laboratoires, et venant en conséquence restreindre la concurrence, soit la solution à la fois la plus efficace et la moins restrictive pour résoudre ce problème.
  27. A cet égard, l'IGAS relevait que « pour remédier à ces différences de densité et assurer une proximité géographique suffisante aux malades qui habitent dans ces régions désertées, il convient de réexaminer l'interdiction actuelle des centres de prélèvements ». Cette proposition de l'IGAS renvoie à la discussion sur l'article L. 6212-14 ci-dessus.
  28. En tout état de cause, la solution consistant à revenir sur la liberté d'installation, en prévoyant la faculté pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site, tel qu'envisagée à l'article L. 6222-2, restreint très sensiblement la concurrence sans efficacité évidente pour atteindre un objectif de rééquilibrage géographique. Des solutions alternatives, qui ne seraient pas restrictives de concurrence, ont été identifiées pour pallier les inconvénients de ce déséquilibre, même si l'Autorité admet que ces solutions ne correspondent pas pleinement à l'esprit de la réforme engagée par le Gouvernement.
  29. En définitive, l'Autorité recommande de supprimer, à l'article L. 6222-2, 2°, la faculté pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site.

D. ― Les autres questions de concurrence
soulevées par le projet d'ordonnance

  1. Contrats de coopération de proximité
    et « les prix planchers »
    a) Les dispositions de l'ordonnance

  2. Art L. 6212-19 :
    « Lorsque la transmission d'un échantillon biologique entre deux laboratoires de biologie médicale, définie à l'article L. 6221-18, s'effectue dans le cadre d'un contrat de coopération de proximité, une retransmission de cet échantillon biologique à un autre laboratoire de biologie médicale pour compléter la réalisation de cet examen est autorisée dans les limites des possibilités de transmission qui découlent du deuxième alinéa de l'article L. 6212-18.
    « Un contrat de coopération de proximité est un contrat signé entre plusieurs laboratoires de biologie médicale, situés sur un même territoire de santé infrarégional ou sur des territoires de santé infrarégionaux limitrophes en vue de la mutualisation réciproque et effective de moyens pour la réalisation d'examens de biologie médicale déterminés.
    « Lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux, les conditions dans lesquelles les contrats de coopération de proximité peuvent être maintenus sont déterminées par décret. »

  3. Art. L. 6212-20 :
    « Les laboratoires de biologie médicale ne peuvent facturer les examens de biologie médicale qu'ils réalisent à un tarif inférieur à celui de la nomenclature des actes de biologie médicale prise en application des articles L. 162-1-7 et L. 162-1-7-1 que dans le cadre d'un contrat de coopération de proximité mentionné à l'article L. 6212-19. »

  4. Les articles L. 6212-19 et L. 6212-20 concernent les contrats de coopération de proximité, qui sont passés entre des laboratoires de biologie médicale qui travaillent en commun sur des examens, dans un cadre territorial. Selon le projet de rapport au Président de République concernant le projet d'ordonnance, il s'agit de « favoriser les investissements lourds et l'accès des laboratoires de biologie médicale à des techniques innovantes ».

  5. Le rapport précise que le troisième alinéa de cet article, l'article L. 6212-19, est destiné à assurer une sécurité juridique lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux.

b) Analyse concurrentielle

  1. L'article L. 6212-19 définit les contrats de coopération de proximité. Les représentants du ministère de la santé, s'agissant de tels contrats, ont indiqué qu'il était nécessaire que les laboratoires puissent coopérer pour la mise en place de techniques « pointues », comme la détection du VIH par exemple. Selon ces représentants, ces contrats permettent d'investir dans des équipements lourds (spectromètres de masse, etc.) mais également de garder la « compétence intellectuelle » tout en maintenant la qualité du dialogue entre les différents intervenants de la chaîne de diagnostic.
  2. En matière de transmission d'échantillons, cet article prévoit également l'application à ces contrats de proximité des règles de l'article L. 6212-18, alinéa 2 (voir supra). L'Autorité renvoie ainsi sur ce point à l'analyse qu'elle a menée aux paragraphes asupra à asupra du présent avis. Notamment, l'Autorité observe que d'autres modes d'organisation, qui ne seraient pas restrictifs de concurrence, sont possibles, sans porter atteinte à l'objectif de santé publique.
  3. L'article L. 6212-20 interdit toute ristourne par rapport au tarif de la nomenclature des actes de biologie médicale, en dehors du cas particulier des contrats de coopération.
  4. Cette disposition vient restreindre la part de liberté tarifaire qui existe aujourd'hui. En effet, l'article L. 6211-6 du code de la santé publique interdit les ristournes, mais « sous réserve des accords ou conventions susceptibles d'être passés avec des régimes ou des organismes d'assurance maladie ou des établissements de santé publics ou privés ».
  5. Ainsi, les relations financières entre les laboratoires d'analyses médicales et les établissements de santé, publics ou privés ne sont pas prédéfinis par les nomenclatures et tarifs relatifs au remboursement des assurés sociaux, qui constituent un prix maximum, et relèvent, dans la limite de ce plafond, du régime de droit commun de la liberté des prix prévu aujourd'hui à l'article L. 410-2, premier alinéa, du code de commerce.
  6. Le rapport Ballereau justifie le recul de la liberté tarifaire prévalant aujourd'hui en ces termes : « le choix, indispensable pour le patient et l'efficience des dépenses de biologie médicale, de retenir l'option de la biologie médicale et non de la seule analyse de laboratoire conduit à être homogène avec l'approche retenue pour les autres disciplines médicales, disciplines pour lesquelles il est de doctrine constante que les actes médicaux ne donnent pas lieu à des ristournes (même s'il existe parfois des dépassements) ».
  7. L'Autorité note que cette justification ― au demeurant partiellement inexacte (2) ― relève plus d'un parti pris idéologique que d'un objectif de santé publique clairement identifié.

(2) Le Conseil de la concurrence constatait ainsi dans sa décision n° 07-D-41 que « les prix des prestations de services qu'un médecin libéral apporte à un hôpital ne sont (...) pas prédéfinis par les nomenclatures et tarifs relatifs au remboursement des assurés sociaux et relèvent du régime de droit commun de la liberté des prix prévu aujourd'hui à l'article L. 410-2, premier alinéa, du code de commerce ».


Historique des versions

Version 1

46. Cette contrainte est automatique, sans pouvoir d'appréciation du directeur général de l'agence régionale de santé et ces règles ne concernent que les laboratoires de biologie médicale privés. Selon le rapport, ces contraintes s'inscrivent dans une logique de garantie de la pluralité de l'offre de biologie médicale.

47. Le second alinéa de l'article L. 6223-2 indique qu'un décret prévoira les conditions dans lesquelles le contrôle, direct ou indirect, de plusieurs laboratoires de biologie médicale ou la participation, directe ou indirecte, dans le capital social de plusieurs laboratoires de biologie médicale peut être maintenu. Selon le rapport, ces dispositions sont destinées à assurer une sécurité juridique lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux.

48. Art. L. 6223-3 :

« Une personne physique ou morale exerçant sous quelque forme que ce soit une autre profession de santé, une activité de fournisseur, de distributeur ou de fabricant de dispositif médical ou de dispositif médical de diagnostic in vitro, une entreprise d'assurance et de capitalisation, un organisme de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif ne peut détenir directement ou indirectement une fraction du capital social du laboratoire de biologie médicale privé constitué sous la forme d'une structure juridique à but lucratif. »

49. Art. L. 6223-4 :

« Une personne physique ou morale qui détient une participation dans le capital social d'une entreprise fournissant, distribuant ou fabriquant des dispositifs médicaux ou des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, d'une entreprise d'assurance et de capitalisation, d'un organisme de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif ou qui les contrôle ne peut détenir directement ou indirectement une fraction du capital social du laboratoire de biologie médicale privé constitué sous la forme d'une structure juridique à but lucratif. »

50. Les articles L. 6223-3 et L. 6223-4 déterminent des règles de conflits d'intérêts, directs et indirects, pour les laboratoires de biologie médicale privés constitués sous la forme d'une structure juridique à but lucratif. L'objet de cette disposition est d'interdire à un prescripteur ou à un fournisseur d'un laboratoire de détenir une participation dans son capital. Le projet de rapport au Président de la République mentionne que les laboratoires de biologie médicale et les biologistes médicaux ayant aujourd'hui des parts dans des établissements de santé privés, il convient, dans un souci de cohérence, que ces derniers puissent également disposer d'une fraction du capital d'un laboratoire.

51. Art. L. 6223-5 :

« Les laboratoires de biologie médicale privés sont exploités en nom propre, sous la forme d'organismes à but non lucratif, de sociétés civiles professionnelles régies par la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relatives aux sociétés civiles professionnelles, de sociétés d'exercice libéral régies par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales ou de sociétés coopératives régies par la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. »

52. L'article L. 6223-5 détermine les formes juridiques possibles pour l'exploitation d'un laboratoire de biologie médicale privé. Une nouvelle forme juridique pour l'exploitation d'un laboratoire de biologie médicale est introduite : les sociétés coopératives. En revanche, le statut de société anonyme est supprimé.

53. Art. L. 6223-6 :

« Les laboratoires de biologie médicale privés constitués sous la forme d'une structure juridique à but lucratif sont soumis aux règles suivantes :

1° Le nombre de biologistes médicaux en exercice au sein du laboratoire de biologie médicale, détenant une fraction du capital social et travaillant au moins un mi-temps dans le laboratoire de biologie médicale est égal ou supérieur au nombre de sites de celui-ci ; [...] ».

54. L'article L. 6223-6 pose le principe de la présence d'au moins un biologiste par site d'un laboratoire, tout en imposant que ce biologiste détienne une fraction du capital social du laboratoire.

2. Analyse concurrentielle

55. L'article L. 6223-2 pose le principe de limitations territoriales, une même personne ne pouvant investir dans plus d'un laboratoire sur un territoire de santé et les territoires limitrophes. Cette restriction sera analysée au point II-C du présent avis, en liaison avec l'article 6222-2, alinéa 2, qui prévoit des limitations à l'acquisition ou la fusion de laboratoires actifs dans un même territoire ou des territoires limitrophes.

56. Les articles L. 6223-3 et L. 6223-4 visent à prévenir des conflits d'intérêts, en interdisant aux professions de santé, qui prescrivent les analyses médicales, de détenir une participation dans un laboratoire. La même restriction s'impose aux distributeurs de dispositifs médicaux, qui sont les fournisseurs des laboratoires. De même, les organismes d'assurance et de prévoyance, de retraite ou de protection sociale, qui ont notamment recours aux laboratoires pour l'appréciation de leurs risques, se voient imposer la même restriction.

57. Sur le principe, la CJCE a admis la légitimité, au nom de l'objectif de protection de la santé publique, de telles restrictions.

58. Ainsi, « Ne manque pas aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 56 CE un Etat membre qui maintient en vigueur des dispositions législatives qui établissent l'impossibilité, pour les entreprises de distribution de produits pharmaceutiques, de prendre des participations dans les sociétés d'exploitation de pharmacies communales [...] Cette restriction peut être justifiée par la protection de la santé publique, plus précisément, par l'objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité. En effet, ladite réglementation est propre à garantir la réalisation de cet objectif et, en outre, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre étant donné qu'un Etat membre peut considérer que les entreprises de distribution de produits pharmaceutiques sont en mesure d'exercer une certaine pression sur les pharmaciens salariés dans le but de privilégier l'intérêt consistant à réaliser des bénéfices » (CJCE, 19 mai 2009, Commission c/République italienne, C-531/06).

59. Pour autant, rappelle la Cour, « les dispositions du traité relatives aux libertés de circulation, y compris la liberté d'établissement [...] comportent l'interdiction pour les Etats membres d'introduire ou de maintenir des restrictions injustifiées à l'exercice de ces libertés dans le domaine des soins de santé » (CJCE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes, C-171/07 et C-172/07, soulignement ajouté).

60. Les restrictions doivent être en conséquence proportionnées à l'objectif d'intérêt général poursuivi, en l'espèce la protection de la santé publique.

61. Ainsi, si l'Autorité admet la légitimité, sur le principe, des dispositions des articles L. 6223-3 et L. 6223-4, qui visent à prévenir les conflits d'intérêt, elle souligne que le champ et la portée de ces restrictions doivent être strictement limités à ce qui est nécessaire à l'objectif de protection de santé publique.

62. A cet égard, et s'agissant en premier lieu des restrictions visant les professions de santé dans leur ensemble, l'Autorité considère que le champ de la restriction va au-delà de ce qui est nécessaire à l'objectif poursuivi.

63. Au sein des professions de santé, il convient en effet de distinguer les professionnels qui sont susceptibles de prescrire des analyses médicales de ceux qui n'ont pas cette faculté.

64. L'objectif de la mesure est, selon les termes du rapport de l'IGAS précité, « d'éviter qu'il n'y ait une pression à la dépense et que les décisions médicales ne soient polluées par des considérations étrangères à l'état du malade », même si l'IGAS précise que ce risque est mal mesuré.

65. La recherche de l'équilibre financier des systèmes de sécurité sociale fait partie de l'objectif plus large de protection de la santé publique (voir en ce sens arrêt Commission c/Italie précité, point 48).

66. Cependant, l'extension de la restriction à l'ensemble des professions de santé, et non aux seuls prescripteurs, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, par ailleurs légitime. L'Autorité note que le rapport de l'IGAS partageait cette réserve.

67. Les représentants du ministère de la santé et des sports ont fait valoir que les catégories de professionnels de santé habilités à prescrire étaient susceptibles d'évolution, ce qui a motivé une approche extensive. Cet argument de commodité ne saurait cependant justifier une restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité.

68. En conséquence, l'Autorité est d'avis de limiter les restrictions posées à l'article L. 6223-3 aux seuls prescripteurs.

69. S'agissant des fabricants et distributeurs de dispositifs médicaux, le même type d'objection pourrait être soulevé. Il est possible d'admettre la potentialité d'un conflit d'intérêts entre un laboratoire et l'un de ses fournisseurs, actuel ou potentiel, qui serait son actionnaire. Ce conflit pourrait influer sur les décisions d'investissement du laboratoire, qui ne prendrait plus en compte ses seuls intérêts, mais aussi ceux de son actionnaire. La décision d'investissement reposant, en partie à tout le moins, sur des critères médicaux, ce conflit pourrait être susceptible de porter atteinte à un objectif de santé publique.

70. Deux réserves doivent cependant être soulevées.

71. D'une part, la portée de la restriction va au-delà de ce qui est strictement nécessaire. Tous les fabricants de dispositifs médicaux ne fabriquent pas des dispositifs dont les laboratoires d'analyse ont l'usage. En principe, la restriction devrait être limitée aux seuls fournisseurs potentiels des laboratoires.

72. L'Autorité admet toutefois que, à la différence des catégories de professionnels de santé habilités à prescrire des analyses médicales, qui sont clairement identifiées, il est plus difficile d'isoler la catégorie des fournisseurs de dispositifs médicaux à l'usage des laboratoires d'analyse. Cette catégorie est susceptible d'être fluctuante, au gré de la stratégie et du développement commercial de chaque fournisseur ou distributeur, ainsi que des concentrations entre ces entreprises. Compte tenu de la difficulté d'assurer un tel suivi, il peut être soutenu que la portée de la mesure, bien que large, est nécessaire à son effectivité.

73. D'autre part, la restriction porte sur la détention d'une fraction du capital social du laboratoire. Or, pour pouvoir exercer une influence sur les décisions d'investissement du laboratoire, il est nécessaire d'en détenir le contrôle. Une simple participation sans contrôle ne permet pas en principe d'interférer avec les décisions du laboratoire.

74. Toutefois, la notion qui serait ici pertinente pour apprécier l'influence d'un actionnaire sur les décisions stratégiques du laboratoire ne serait pas la notion de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, mais celle figurant aux articles L. 430-1 du code de commerce et 3 du Règlement (CE) n° 139/2004, relatifs aux concentrations entre entreprises.

75. Ainsi qu'il a été exposé, cette dernière notion est plus large que celle figurant à l'article L. 233-3 du code de commerce, et implique une appréciation au cas par cas de la gouvernance de chaque entreprise, en fait et en droit, appréciation qui peut, dans certaines circonstances, recéler un certain degré de complexité. Une participation minoritaire, même faible, peut ou ne pas conférer un contrôle, exclusif, négatif, ou conjoint, selon les circonstances de l'espèce.

76. Dès lors, et bien que la portée de la restriction aille en apparence au-delà de ce qui est strictement nécessaire, il peut être soutenu là encore que la mesure est nécessaire à son effectivité.

77. Toutefois, les situations où un opérateur dispose du contrôle d'une entreprise avec 10 % au moins du capital, bien que théoriquement possibles, demeurent exceptionnelles. Autoriser la détention d'une fraction du capital inférieure à ce seuil permettrait d'atténuer le caractère restrictif de la mesure, sans que ne s'en trouve altéré l'objectif de santé publique poursuivi par la disposition.

78. En conséquence, l'Autorité recommande de substituer la notion de participation, au sens de l'article L. 233-2 du code de commerce (à savoir une part du capital supérieure à 10 %), à la notion de fraction du capital qui figure dans la rédaction actuelle des articles L. 6223-3 et L. 6223-4.

79. S'agissant enfin des restrictions relatives aux entreprises d'assurance et de capitalisation, aux organismes de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif, le risque de conflit d'intérêts est d'une nature différente que ceux identifiés pour les prescripteurs et les fournisseurs ou distributeurs de dispositifs médicaux.

80. En effet, s'agissant en premier lieu de l'objectif d'équilibre financier des systèmes de sécurité sociale, on relève que les examens demandés par ces opérateurs préalablement à la conclusion d'un contrat ne sont pas pris en charge par l'assurance maladie, mais par les entreprises elles-mêmes. Le risque de pression à la dépense, qui motive les restrictions pesant sur les prescripteurs, est ici inexistant.

81. S'agissant en second lieu du risque d'interférences économiques avec les décisions médicales, on relève que l'intérêt de ces entreprises d'assurance et de prévoyance est a priori de disposer d'une appréciation objective de l'état de santé de leur futur cocontractant, afin d'évaluer leur risque aussi précisément que possible. Le risque d'interférence avec le diagnostic médical peut a priori être écarté.

82. Le principal risque d'interférence identifié serait que l'actionnaire d'un laboratoire, qui exercerait par ailleurs une activité d'assurance, de prévoyance ou autre, use de son influence sur le laboratoire pour obtenir des informations couvertes par le secret médical, qu'il utiliserait à des fins autres que celles pour lesquelles ces informations ont été collectées.

83. L'Autorité note qu'une telle pratique relèverait notamment des dispositions de l'article 226-13 du code pénal, qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la révélation d'une information à caractère secret, dont les informations couvertes par le secret médical détenues par les laboratoires. Ces pratiques seraient également susceptibles de sanctions ordinales, pouvant aller jusqu'à l'interdiction d'exercice temporaire ou définitive. Ces sanctions peuvent frapper aussi bien les personnes physiques que les personnes morales, qui sont également obligatoirement inscrites au tableau de l'ordre.

84. Bien que le secret médical soit protégé par la loi, la CJCE a admis, s'agissant d'une réglementation nationale qui ne permettait pas aux entreprises de distribution de prendre une participation dans les sociétés chargées de l'exploitation des pharmacies communales, qu'un « Etat membre peut considérer qu'il existe un risque que des règles législatives protégeant l'indépendance professionnelle des pharmaciens puissent être méconnues ou contournées dans la pratique » (CJCE, 19 mai 2009, Commission c/Italie, C-531/06, point 105).

85. Cependant, la Cour n'a pu parvenir à cette conclusion que dans la mesure où « la Commission n'a présenté, hormis des considérations générales, aucun élément de nature à démontrer quel serait le système concret susceptible de garantir ― avec la même efficacité que la règle d'exclusion des non-pharmaciens ― que lesdites règles législatives ne seront pas méconnues dans la pratique nonobstant les considérations énoncées au point précédent du présent arrêt » (Idem, point 85).

86. Au cas d'espèce, le contournement des règles relatives au secret professionnel expose le contrevenant à des sanctions pénales, y compris des peines d'emprisonnement, et une interdiction temporaire et définitive d'exercer.

87. Ces sanctions sont d'autant plus dissuasives qu'elles sont susceptibles de s'appliquer également à la personne morale qui exploite le laboratoire, ce qui fait peser un risque non seulement sur le biologiste qui violerait le secret professionnel, mais aussi sur l'actionnaire, qui risquerait de voir le laboratoire dans lequel il a investi interdit d'exercice.

88. En définitive, au cas d'espèce, il existe un régime de sanctions particulièrement dissuasif. Le bénéfice qui serait tiré de la violation du secret professionnel, qui ne pourrait être un tant soit peu substantiel que si cette violation était massive et systématique, ce qui accroîtrait les probabilités de détection de l'infraction, ne compenserait vraisemblablement pas le risque encouru.

89. La restriction va ainsi aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de santé publique identifié. La restriction de concurrence qui en découle est significative, dans la mesure où elle érige, de manière générale et absolue, des barrières à l'entrée insurmontables pour une large catégorie d'opérateurs, qui constituent des entrants potentiels sur le marché.

90. Ainsi, l'Autorité est d'avis que les restrictions pesant sur les entreprises d'assurance, de prévoyance ou autres visées aux articles L. 6223-3 et L. 6223-4 vont au-delà de ce qui est nécessaire à l'objectif de protection de la santé publique.

91. L'article 6223-5 crée une nouvelle forme juridique d'exploitation des laboratoires, les sociétés coopératives, mais supprime en revanche le statut de société anonyme. Selon le ministère de la santé et des sports, la société anonyme est une forme d'exercice très minoritaire dans la profession, les SEL étant largement majoritaires. Dans le délai imparti, l'Autorité n'est pas en mesure d'expertiser de manière approfondie les conséquences de la suppression de la possibilité d'exercice sous la forme de société anonyme. Prima facie, les conséquences de cette évolution semblent limitées à court terme. Il pourrait en aller différemment si, à l'issue du contentieux pendant devant la Cour, la CJCE remettait en cause le monopole d'exploitation des biologistes, pour ne leur reconnaître qu'un monopole de compétence. Dans cette hypothèse, le statut de SEL pourrait se révéler inadapté à certaines configurations de détention capitalistiques, pour lesquelles le statut de société anonyme serait préférable. L'Autorité est toutefois d'avis que cette question peut être laissée ouverte dans l'attente de la résolution du contentieux pendant devant la Cour.

92. L'article 6223-6 impose un nombre minimum de biologistes médicaux en exercice au sein du laboratoire de biologie médicale, correspondant au nombre de sites du laboratoire. Cette disposition se justifie pour des raisons évidentes de santé publique. En revanche, il est imposé que ces biologistes détiennent une « fraction du capital social » du laboratoire.

93. Lors de l'instruction, les représentants du ministère de la santé ont indiqué que cette condition visait à préserver « l'éthique » et « l'implication » des biologistes, mais également à favoriser l'entrée dans le capital des jeunes professionnels.

94. Ces arguments n'emportent toutefois pas la conviction. Les biologistes sont des médecins ou des pharmaciens, soumis aux règles éthiques de leur profession, qu'ils soient actionnaires ou non de l'entreprise qui les emploie. De même, si l'actionnariat des salariés peut constituer un outil de motivation parmi d'autres que peut choisir un employeur, rien ne permet a priori de considérer qu'un salarié, médecin ou pharmacien, ne serait pas impliqué dans son travail.

95. S'agissant de l'objectif de favoriser l'entrée dans le capital des jeunes professionnels ― objectif qui n'est pas illégitime en lui-même ― l'Autorité relève qu'il est étranger à la santé publique. Ainsi que le relevait le rapport de l'IGAS « les questions d'indépendance financière, qui répondent au désir (au demeurant non illégitime) d'une corporation de défendre ses intérêts, ne relèvent pas de la santé publique. Ce motif ne doit pas être utilisé comme argument dérogatoire aux règles européennes. Les problèmes de traçabilité et de stabilité des capitaux, dans un but de contrôle des flux financiers, ainsi que les questions de gouvernance, d'investissement, de démembrement, d'usufruit et de cessions patrimoniales ― dont la mission ne mésestime pas l'intérêt ― relèvent d'autres domaines de compétence que ceux du ministre de la santé ou de la protection sociale ».

96. En l'absence d'un objectif de santé publique clairement identifié justifiant la restriction relative à la détention du capital figurant à l'article L. 6223-6, l'Autorité est d'avis de supprimer les mots : « détenant une fraction du capital social ».

C. ― Les limitations relatives aux conditions d'exercice des laboratoires

1. Les dispositions de l'ordonnance

a) Les limitations au stade du prélèvement,

les examens délocalisés et la transmission d'échantillons

97. Art. L. 6212-14 :

« Le prélèvement d'un échantillon biologique est réalisé sur les territoires de santé infrarégionaux d'implantation du laboratoire de biologie médicale. Il peut être réalisé en dehors de ces territoires lorsqu'il n'existe pas de laboratoire de biologie médicale plus proche du lieu de prélèvement.

« Les conditions dans lesquelles un laboratoire de biologie médicale peut déroger aux règles de territorialité du prélèvement d'un échantillon biologique, pour des motifs de santé publique sont déterminées par décret. »

98. Art. L. 6212-15 :

« Lorsque le prélèvement d'un échantillon biologique est réalisé au domicile du patient, l'exécution de ce prélèvement par un auxiliaire médical nécessite l'accord préalable du biologiste médical du laboratoire de biologie médicale. »

99. Art. L. 6212-18 :

« Le laboratoire de biologie médicale peut transmettre à des fins d'analyse et d'interprétation des échantillons biologiques à un autre laboratoire de biologie médicale.

« Ces transmissions ne peuvent excéder un pourcentage maximum, déterminé par décret, du nombre total d'examens de biologie médicale réalisés par le laboratoire de biologie médicale.

« Le laboratoire de biologie médicale qui transmet des échantillons biologiques à un autre laboratoire n'est pas déchargé de sa responsabilité vis-à-vis du patient.

« La communication appropriée du résultat d'un examen de biologie médicale dont l'analyse et l'interprétation ont été réalisées par un autre laboratoire de biologie médicale est effectuée par le laboratoire qui a transmis l'échantillon. Celui-ci complète l'interprétation dans le contexte des autres examens qu'il a lui-même réalisés.

« Le laboratoire de biologie médicale qui a reçu un échantillon biologique d'un autre laboratoire ne peut le retransmettre à un autre laboratoire de biologie médicale. Il peut toutefois le retransmettre à un laboratoire de référence. La liste des laboratoires de référence pour des examens de biologie médicale ou pour des pathologies déterminés est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. »

100. Les articles L. 6212-14 et L. 6212-15, qui concernent la phase préanalytique, sont destinées à préciser les conditions et modalités de réalisation du prélèvement : le prélèvement est organisé par le biologiste, garant de la qualité du résultat vis-à-vis du médecin clinicien et du patient. Selon le projet de rapport au Président de la République concernant le projet d'ordonnance, la mise en place de cette « territorialité » s'intègre dans le principe de proximité entre les professionnels de santé qui interviennent dans les soins du patient.

101. L'article L. 6212-18 est relatif aux règles de transmission d'échantillons biologiques entre laboratoires de biologie médicale. Le deuxième alinéa met en œuvre le principe d'une compétence minimale du laboratoire de biologie médicale pour appréhender la discipline dans son ensemble et répondre aux besoins du patient et du médecin clinicien. Lors de leur audition, les représentants du ministère de la santé ont indiqué que le pourcentage maximum d'échantillons biologiques qu'un laboratoire de biologie médicale peut transmettre retenu pour le projet de décret était de 15 %. Ils ont ajouté que tous les laboratoires de biologie médicale qui exerçaient dans les trois domaines d'expertise principaux que sont la microbiologie, l'hématologie et la biochimie répondaient à cette exigence.

b) Les limitations au stade de l'ouverture

et du fonctionnement des laboratoires

102. Art. L. 6222-1 :

« Les sites du laboratoire de biologie médicale sont situés au maximum sur trois territoires de santé infrarégionaux limitrophes, sauf dérogation prévue par le schéma régional d'organisation des soins ou par les schémas régionaux d'organisation des soins.

Lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux, les conditions dans lesquelles les sites d'un laboratoire de biologie médicale peuvent être maintenus sont déterminées par décret. »

103. Art. L. 6222-2 :

« 1° Le représentant légal du laboratoire de biologie médicale effectue, au moins deux mois avant l'ouverture du laboratoire de biologie médicale, une déclaration auprès de l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, auprès des agences régionales de santé territorialement compétentes. Cette déclaration comporte les éléments relatifs à la structure juridique et financière ainsi qu'à l'organisation générale du laboratoire de biologie médicale. Le représentant légal du laboratoire de biologie médicale communique à l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, aux agences régionales de santé territorialement compétentes, avant le début d'activité du laboratoire de biologie médicale, le document donnant "avis positif à être accrédité dans les trois mois” délivré par l'instance nationale d'accréditation ;

« 2° Le représentant légal du laboratoire de biologie médicale déclare, au moins deux mois à l'avance, à l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, aux agences régionales de santé territorialement compétentes toute modification relative à la structure juridique et financière ainsi qu'à l'organisation générale du laboratoire de biologie médicale survenue postérieurement à la déclaration initiale du laboratoire de biologie médicale. Il déclare notamment toute opération d'absorption d'un ou de plusieurs laboratoires de biologie médicale ou toute opération de fusion de deux ou plusieurs laboratoires de biologie médicale ainsi que toute ouverture ou toute fermeture de laboratoire de biologie médicale ou de site de laboratoire de biologie médicale.

« Le directeur général de l'agence régionale de santé territorialement compétente ou, le cas échéant, les directeurs généraux des agences régionales de santé territorialement compétentes peuvent s'opposer à l'ouverture d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un site d'un laboratoire de biologie médicale, à l'opération d'absorption d'un ou de plusieurs laboratoires de biologie médicale ou à l'opération de fusion de deux ou plusieurs laboratoires de biologie médicale pour des motifs de santé publique, avec non-respect des objectifs du schéma régional d'organisation des soins. »

104. L'article L. 6222-1 pose le principe de limites territoriales pour l'implantation du laboratoire de biologie médicale. Selon le projet de rapport au Président de la République concernant le projet d'ordonnance, cette limitation a pour but de permettre une proximité entre les biologistes médicaux, le patient et le médecin clinicien. Le projet de rapport souligne en outre que « la limitation à trois territoires de santé infrarégionaux est robuste par rapport à l'organisation actuelle des sociétés d'exercice libéral qui sont installées sur trois départements limitrophes. Cette limitation permet également au biologiste-responsable de se déplacer dans un temps limité sur les différents sites du laboratoire de biologie médicale ». Selon le rapport, le second alinéa est destiné à assurer une sécurité juridique lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux.

105. L'article L. 6222-2, quant à lui, est relatif aux obligations de déclaration du représentant légal du laboratoire de biologie médicale au directeur général de l'agence régionale de santé lors de l'ouverture et du fonctionnement du laboratoire. L'article L. 6222-2, 2° précise les pouvoirs d'opposition du directeur général de l'agence régionale de santé lors de l'ouverture d'un laboratoire de biologie médicale ou de ses sites, lors de la fusion ou de l'absorption de plusieurs laboratoires de biologie médicale. Selon le projet de rapport au Président de la République concernant le projet d'ordonnance, ces dispositions ont pour objectif la pluralité de l'offre de biologie médicale, « souhaitable pour pallier la défaillance d'un laboratoire de biologie médicale ».

2. Analyse concurrentielle

a) Les limitations au stade du prélèvement,

les examens délocalisés et la transmission d'échantillons

106. Les articles L. 6212-14 et L. 6212-15 organisent le prélèvement des échantillons biologiques. L'article L. 6212-14 pose le principe de limitations territoriales dans le domaine de la collecte des échantillons, qui est obligatoirement réalisée sur les territoires de santé infrarégionaux d'implantation du laboratoire de biologie médicale.

107. Ainsi que le notait la Cour des comptes dans son RALFSS de 2009, « Il reste que le maintien (...) de l'interdiction de créer des centres de prélèvement constitue un frein puissant aux regroupements des laboratoires. Il n'apparaît pas justifié par des préoccupations d'accès aux examens en tout point du territoire, celui-ci pouvant au contraire être étendu grâce à la création de centres de prélèvements, ni par des inquiétudes quant à d'éventuelles atteintes au droit de la concurrence, prix et qualité des analyses étant réglementés ». L'Autorité partage cette appréciation de la Cour des comptes.

108. De même, l'IGAS relevait que « les limites ainsi instaurées [à la transmission de prélèvements] (volume de ce qui est transmis ou aire géographique dans lesquelles les transmissions peuvent se faire) ne répondent à aucun objectif clair de qualité et ne précisent pas non plus les conditions techniques de qualité, alors que celles-ci sont essentielles ».

109. En sens contraire, les représentants du ministère de la santé et des sports font valoir que cette restriction s'inscrit au cœur même de la philosophie de la réforme et répond à un objectif de protection de la santé publique.

110. Ainsi que l'exposait le rapport Ballereau, « l'examen de biologie médicale est un tout indissociable [Il] ne peut se limiter à la seule phase analytique. Le prélèvement, les conditions de conservation et de transport de l'échantillon, le résultat de l'analyse et le rendu du résultat interprété sont des éléments déterminants à ne pas négliger [...] La mission entendant proposer le renforcement du caractère médical de la biologie, il est important de noter que la dimension médicale s'observe tout au long de l'examen de biologie médicale, et sans doute plus encore au moment des phases pré et postanalytiques que lors de la stricte analyse de l'échantillon biologique. Au moment de la phase préanalytique, le biologiste médical doit prendre connaissance des éléments cliniques pertinents. Il a également une possibilité de dialogue avec son patient, dialogue mettant en avant notamment les caractéristiques physiopathologiques de celui-ci, le contexte dans lequel la demande d'examen a été réalisée, les résultats qui en sont attendus en matière diagnostique ou thérapeutique, voire l'entrevue d'un pronostic. C'est également au cours de la phase préanalytique qu'ont lieu les échanges entre le clinicien et le biologiste médical, lorsque cela s'avère nécessaire ».

111. Dès lors, si la restriction posée à l'article L. 6212-14 a des effets très sensibles sur la concurrence, elle répond cependant à un objectif de santé publique identifié. Se pose toutefois la question de savoir si des mesures moins restrictives permettraient d'atteindre cet objectif dans des conditions comparables.

112. L'article 6212-18, relatif à la transmission d'échantillons, vise selon les représentants du ministère de la santé à maintenir la compétence du laboratoire, qui doit avoir une vision d'ensemble pour assurer la cohérence du diagnostic.

113. Selon le rapport Ballereau, « le laboratoire de biologie médicale doit répondre aux attentes des cliniciens sur le domaine étendu de la biologie médicale, sous peine d'être uniquement un lieu de transmission des échantillons biologiques et de perdre la double compétence médicale et technique. Il est en conséquence proposé d'exiger des laboratoires de biologie médicale d'être directement compétents pour l'analyse d'une proportion étendue d'échantillons biologiques qu'ils prélèvent ».

114. Cette restriction s'inscrit dans la même logique de médicalisation de l'analyse biologique que la restriction posée à l'article L. 6212-14 et vise à répondre à un objectif de santé publique. Mais, là aussi, cette restriction induit une limitation significative de la concurrence et de la libre prestation des services.

115. En conclusion sur ce point, les restrictions relatives à la collecte et à la transmission d'échantillons ont un impact significatif sur la concurrence et les libertés fondamentales garanties par le traité. Il n'est cependant pas contestable qu'elles visent à répondre à un objectif de santé publique clairement identifié. La question de la proportionnalité de ces restrictions par rapport à l'objectif de santé publique poursuivi demeure délicate.

116. Un encadrement des conditions de prélèvement, qui pourrait prévoir notamment la présence obligatoire d'un biologiste et un encadrement strict des conditions de transport, pourrait permettre de répondre largement aux enjeux de santé publique sans pour autant restreindre d'aucune manière la concurrence.

117. En revanche, l'Autorité admet que de telles mesures ne seraient pas suffisantes pour favoriser l'instauration d'un dialogue entre le clinicien, le patient et le biologiste au stade du prélèvement dans des conditions aussi poussées que celles souhaitées par la réforme, ni pour garantir la compétence d'un laboratoire sur la quasi-totalité du spectre de la biologie médicale.

118. Mais, sur le premier point, l'IGAS faisait valoir que le prescripteur « réclame de pouvoir avoir un échange téléphonique avec le biologiste dans certains cas, pour préserver les conditions de prélèvement d'un examen, discuter des résultats d'une analyse, choisir une stratégie diagnostique, etc. ». Cet objectif peut être atteint sans aller jusqu'à interdire les prélèvements hors des territoires des laboratoires.

119. Et, sur le second point, l'IGAS jugeait que « le fait que les laboratoires se spécialisent ou qu'ils fondent ensemble un plateau technique unique n'est pas une question qui relève de la santé publique dès lors que les questions de transport des prélèvements sont réglées ».

120. En conséquence, ces restrictions, qui portent une atteinte significative à la concurrence, suscitent des réserves de la part de l'Autorité. L'Autorité admet qu'elles peuvent avoir une certaine logique dans le contexte de l'approche de médicalisation et de proximité tout au long de la chaîne retenue par le projet d'ordonnance. L'Autorité n'est pas juge du bien-fondé et de la pertinence de cette approche en termes de santé publique. L'Autorité observe toutefois que, selon l'IGAS (voir les points 118 et 119 du présent avis), d'autres modes d'organisation, qui ne seraient pas restrictifs de concurrence, sont possibles, sans porter atteinte à l'objectif de santé publique.

b) Les limitations au stade de l'ouverture

et du fonctionnement des laboratoires

121. L'article L. 6222-1, qui limite l'implantation des sites d'un laboratoire à trois territoires de santé ― qui correspondant peu ou prou aux départements ― limitrophes, a pour objectif, selon les représentants du ministère de la santé, de maintenir une cohésion parmi les équipes. Cette limitation, qui a pour effet de limiter le développement des laboratoires, en les confinant à une zone géographique, est donc clairement restrictive de concurrence, mais s'inscrirait dans le cadre d'un principe de proximité.

122. Ainsi, selon le rapport Ballereau, « A l'intérieur du territoire de santé, le fonctionnement en réseau entre les professionnels exerçant dans des structures de niveau de technicité variable permet de concilier la qualité et la proximité des soins. La biologie médicale prend toute sa place dans ce type d'organisation. Dans l'esprit de la réforme, un autre élément significatif pour le bon fonctionnement du laboratoire de biologie médicale est la possibilité pour le biologiste-responsable de se rendre rapidement, en tant que de besoin, sur les différents sites du laboratoire ».

123. Dans la logique du projet, un laboratoire n'est donc pas tant une structure juridique ou capitalistique qu'une entité fonctionnelle, appelé à travailler en étroite coordination. Ce mode de fonctionnement justifierait l'application d'un principe de proximité, que reflète l'article L. 6222-1.

124. Mais, si l'on peut admettre un tel argument, au regard de l'objectif de protection de la santé publique tel qu'il ressort de la logique et de l'esprit de la réforme, cette disposition doit être lue en conjonction avec l'article L. 6223-2, mentionné au point II-B ci-dessus, qui pose le principe qu'une même personne ne peut investir dans plus d'un laboratoire sur un territoire de santé et les territoires limitrophes.

125. Si l'interdiction pour un laboratoire, entité fonctionnelle, d'intervenir sur plus de trois territoires de santé limitrophes peut éventuellement se justifier par le principe de proximité, ce principe ne s'oppose pas en revanche à ce qu'une même holding, entité capitalistique et non fonctionnelle, détienne un réseau de laboratoires couvrant, le cas échéant, la totalité du territoire national.

126. Or, tel qu'est rédigé l'article L. 6223-2, la constitution d'un tel réseau est impossible, du fait de l'interdiction de détention de deux laboratoires actifs sur un territoire limitrophe. A titre d'exemple, si un investisseur détient un laboratoire avec des sites dans le Calvados, la Manche et l'Orne, il lui sera impossible de détenir un laboratoire qui aurait un site dans l'un ou l'autre de ces départements : Ile-et-Vilaine, Mayenne, Sarthe, Eure-et-Loir ou Eure.

127. Cette disposition est restrictive de concurrence, dans la mesure où elle constitue une barrière à l'entrée et au développement des opérateurs sur le marché et constitue également une restriction à la liberté d'établissement (CJCE, 21 avril 2005, Commission c/Grèce, C-140/03).

128. Aucun objectif de santé publique ne vient justifier cette restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité, qui vient limiter de manière très sensible la concurrence, en empêchant le regroupement de laboratoires et le développement des opérateurs sur le marché.

129. En conséquence, l'Autorité est d'avis que l'article L. 6222-1 ne serait acceptable qu'à la condition que l'article L. 6223-2 soit supprimé.

130. L'article L. 6222-2 permet au directeur général de l'ARS de s'opposer, d'une part, à l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site d'un laboratoire, d'autre part, à l'acquisition ou la fusion de laboratoires, « pour des motifs de santé publique, avec non-respect du schéma régional d'organisation des soins ».

131. Il convient de distinguer les deux cas de figure : l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site, d'une part, et la concentration entre laboratoires, d'autre part.

132. S'agissant d'une concentration entre laboratoires, la mesure vise à éviter que, sur un territoire de santé donné, la concentration de l'offre ne risque de porter atteinte à la santé publique.

133. La logique de cette mesure est résumée en ces termes par le rapport Ballereau : « tout laboratoire de biologie médicale, comme toute entreprise, est exposé au risque de difficulté économique conduisant à sa fermeture, même si, actuellement, la rentabilité, la stabilité de la demande et la solvabilité du payeur qu'est l'assurance maladie rend ce risque particulièrement faible pour les laboratoires de biologie médicale. Par ailleurs, un investisseur peut se retirer et fragiliser la structure juridique sur laquelle repose le laboratoire, cette possibilité devenant d'autant plus réelle que les investisseurs non professionnels peuvent désormais entrer dans le capital. Enfin, l'ARS, autorité chargée in fine de la sécurité sanitaire et de la qualité des soins, doit pouvoir suspendre l'activité d'un laboratoire de biologie médicale qui ne répond plus à ses obligations. Pour toutes ces raisons, aucun laboratoire de biologie médicale ne doit pouvoir se retrouver dans une position telle que sa fermeture entraînerait une carence ou défaut d'offre de biologie médicale sur le territoire de santé. Il ne s'agit pas là d'une règle économique, comme peuvent l'être la position dominante ou l'abus de position dominante, selon les approches nord-américaines ou européennes, mais d'une règle établie pour la santé publique ».

134. L'Autorité admet que cette mesure répond à un objectif de santé publique.

135. Toutefois, l'Autorité observe que cette mesure vient porter atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'au droit de propriété. De telles atteintes sont possibles, de manière limitée et proportionnée, pour des motifs d'intérêt général, tels que ceux invoqués en l'espèce. Encore faut-il qu'elles soient encadrées par des règles de fond et de procédure claires et prévisibles (voir en ce sens Conseil d'Etat, 13 mai 2003, Fédération des employés et cadres (CGT-FO) et autres, conclusions Guillaume Goulard).

136. A cet égard, le critère des « motifs de santé publique, avec non-respect du schéma régional d'organisation des soins » semble relativement imprécis. Il conviendrait de fixer des critères plus précis, comme par exemple un seuil de part de marché, tout en laissant, le cas échéant, au directeur général de l'ARS un pouvoir d'appréciation au-dessus de ce seuil.

137. Par ailleurs, même si c'est implicite dans le texte de l'ordonnance, il conviendrait de préciser que ce pouvoir d'opposition du directeur général de l'ARS ne joue que si l'opération conduit à une addition de parts de marché sur le territoire concerné. En l'absence de chevauchement d'activités, au plan géographique, entre les laboratoires parties à la concentration, aucun motif de santé publique ne pourrait s'opposer à la réalisation de l'opération.

138. L'Autorité appelle l'attention des pouvoirs publics sur le fait que dans l'hypothèse où l'opération de concentration en cause serait une concentration de dimension communautaire, au sens de l'article 1er du Règlement (CE) n° 139/2004, le directeur général de l'ARS concerné ne pourrait exercer ses pouvoirs d'opposition sans communication préalable de l'intérêt public en cause à la Commission européenne, en application de l'article 21 (4) du même règlement.

139. Enfin, l'Autorité note que le dispositif de contrôle prévu à l'article L. 6222-1 n'est pas cohérent avec l'article L. 6223-2 qui interdit, de manière générale et absolue, l'investissement par une même personne dans plus d'un laboratoire sur un territoire de santé et les territoires limitrophes. Cet article revient à interdire, de manière disproportionnée, toute concentration dans un même territoire, quelles que soient les parts de marché ou le nombre de laboratoires subsistants. Une telle interdiction, générale et absolue, serait contraire aux principes de liberté du commerce et de l'industrie et de propriété. Pour ces raisons également, l'article L. 6223-2 devrait être supprimé.

140. S'agissant de l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site, la possibilité pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à des ouvertures est restrictive de concurrence, dans la mesure où elle constitue une barrière à l'entrée et au développement sur le marché géographique concerné. Cette mesure constitue également une restriction à la liberté d'établissement (CJCE, 21 avril 2005, Commission c/Grèce, C-140/03).

141. Les représentants du ministère de la santé ont souligné que l'article L. 6222-2, s'agissant de la question de l'ouverture d'un laboratoire, s'inscrivait dans la « crainte » de voir un laboratoire s'installer dans une zone déjà bien pourvue en services de biologie médicale, alors que certains territoires étaient en déficit d'implantation. Il s'agirait ainsi, dans le cadre d'une économie « socialisée » répondant à des objectifs de santé publique, que toute ouverture soit « utile » et d'éviter de mettre en danger les laboratoires déjà présents. Les restrictions seraient ainsi justifiées par des considérations liées à la nécessaire homogénéité du service, mais également par des raisons d'efficacité, de visibilité et de maîtrise des dépenses. Les représentants du ministère de la santé ont ajouté que les laboratoires n'ayant pas assez de « dossiers » n'ont pas d'incitation à investir, ce qui pourrait induire des problèmes de qualité dans le traitement et l'analyse des échantillons.

142. L'Autorité observe que, selon l'IGAS, « la consommation en biologie dépend plus de la densité des prescripteurs que des [laboratoires] ». Les contraintes qui pèseraient sur l'ouverture des laboratoires n'auraient de ce fait que peu d'impact sur la maîtrise des dépenses de santé.

143. Le risque que l'ouverture d'un nouveau laboratoire ne mette en difficulté un laboratoire déjà existant ne relève pas d'une préoccupation de santé publique, mais de protection des intérêts économiques des opérateurs installés.

144. Un autre argument repose sur l'idée que pour être efficace, un laboratoire doit disposer d'une taille critique, qu'une ouverture d'un laboratoire concurrent pourrait mettre en cause. L'Autorité ne conteste pas la nécessité pour les laboratoires d'avoir une surface financière leur permettant d'assumer des investissements significatifs. Mais elle doute qu'une disposition qui peut avoir pour effet de protéger les opérateurs en place de la concurrence soit en elle-même de nature à stimuler l'investissement.

145. S'agissant en dernier lieu de l'argument selon lequel un refus d'ouverture sur un territoire déjà bien équipé inciterait à des ouvertures sur des territoires moins bien équipés, permettant ainsi un rééquilibrage territorial de l'offre, l'Autorité doute qu'il y ait un lien systématique et mécanique entre refus d'ouverture dans une zone et décision d'ouverture dans une autre.

146. Les différences de densité de laboratoires entre zones géographiques ne sont pas contestables, mais il n'est pas certain qu'une disposition visant à limiter les ouvertures de laboratoires, et venant en conséquence restreindre la concurrence, soit la solution à la fois la plus efficace et la moins restrictive pour résoudre ce problème.

147. A cet égard, l'IGAS relevait que « pour remédier à ces différences de densité et assurer une proximité géographique suffisante aux malades qui habitent dans ces régions désertées, il convient de réexaminer l'interdiction actuelle des centres de prélèvements ». Cette proposition de l'IGAS renvoie à la discussion sur l'article L. 6212-14 ci-dessus.

148. En tout état de cause, la solution consistant à revenir sur la liberté d'installation, en prévoyant la faculté pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site, tel qu'envisagée à l'article L. 6222-2, restreint très sensiblement la concurrence sans efficacité évidente pour atteindre un objectif de rééquilibrage géographique. Des solutions alternatives, qui ne seraient pas restrictives de concurrence, ont été identifiées pour pallier les inconvénients de ce déséquilibre, même si l'Autorité admet que ces solutions ne correspondent pas pleinement à l'esprit de la réforme engagée par le Gouvernement.

149. En définitive, l'Autorité recommande de supprimer, à l'article L. 6222-2, 2°, la faculté pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site.

D. ― Les autres questions de concurrence

soulevées par le projet d'ordonnance

1. Contrats de coopération de proximité

et « les prix planchers »

a) Les dispositions de l'ordonnance

150. Art L. 6212-19 :

« Lorsque la transmission d'un échantillon biologique entre deux laboratoires de biologie médicale, définie à l'article L. 6221-18, s'effectue dans le cadre d'un contrat de coopération de proximité, une retransmission de cet échantillon biologique à un autre laboratoire de biologie médicale pour compléter la réalisation de cet examen est autorisée dans les limites des possibilités de transmission qui découlent du deuxième alinéa de l'article L. 6212-18.

« Un contrat de coopération de proximité est un contrat signé entre plusieurs laboratoires de biologie médicale, situés sur un même territoire de santé infrarégional ou sur des territoires de santé infrarégionaux limitrophes en vue de la mutualisation réciproque et effective de moyens pour la réalisation d'examens de biologie médicale déterminés.

« Lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux, les conditions dans lesquelles les contrats de coopération de proximité peuvent être maintenus sont déterminées par décret. »

151. Art. L. 6212-20 :

« Les laboratoires de biologie médicale ne peuvent facturer les examens de biologie médicale qu'ils réalisent à un tarif inférieur à celui de la nomenclature des actes de biologie médicale prise en application des articles L. 162-1-7 et L. 162-1-7-1 que dans le cadre d'un contrat de coopération de proximité mentionné à l'article L. 6212-19. »

152. Les articles L. 6212-19 et L. 6212-20 concernent les contrats de coopération de proximité, qui sont passés entre des laboratoires de biologie médicale qui travaillent en commun sur des examens, dans un cadre territorial. Selon le projet de rapport au Président de République concernant le projet d'ordonnance, il s'agit de « favoriser les investissements lourds et l'accès des laboratoires de biologie médicale à des techniques innovantes ».

153. Le rapport précise que le troisième alinéa de cet article, l'article L. 6212-19, est destiné à assurer une sécurité juridique lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux.

b) Analyse concurrentielle

154. L'article L. 6212-19 définit les contrats de coopération de proximité. Les représentants du ministère de la santé, s'agissant de tels contrats, ont indiqué qu'il était nécessaire que les laboratoires puissent coopérer pour la mise en place de techniques « pointues », comme la détection du VIH par exemple. Selon ces représentants, ces contrats permettent d'investir dans des équipements lourds (spectromètres de masse, etc.) mais également de garder la « compétence intellectuelle » tout en maintenant la qualité du dialogue entre les différents intervenants de la chaîne de diagnostic.

155. En matière de transmission d'échantillons, cet article prévoit également l'application à ces contrats de proximité des règles de l'article L. 6212-18, alinéa 2 (voir supra). L'Autorité renvoie ainsi sur ce point à l'analyse qu'elle a menée aux paragraphes asupra à asupra du présent avis. Notamment, l'Autorité observe que d'autres modes d'organisation, qui ne seraient pas restrictifs de concurrence, sont possibles, sans porter atteinte à l'objectif de santé publique.

156. L'article L. 6212-20 interdit toute ristourne par rapport au tarif de la nomenclature des actes de biologie médicale, en dehors du cas particulier des contrats de coopération.

157. Cette disposition vient restreindre la part de liberté tarifaire qui existe aujourd'hui. En effet, l'article L. 6211-6 du code de la santé publique interdit les ristournes, mais « sous réserve des accords ou conventions susceptibles d'être passés avec des régimes ou des organismes d'assurance maladie ou des établissements de santé publics ou privés ».

158. Ainsi, les relations financières entre les laboratoires d'analyses médicales et les établissements de santé, publics ou privés ne sont pas prédéfinis par les nomenclatures et tarifs relatifs au remboursement des assurés sociaux, qui constituent un prix maximum, et relèvent, dans la limite de ce plafond, du régime de droit commun de la liberté des prix prévu aujourd'hui à l'article L. 410-2, premier alinéa, du code de commerce.

159. Le rapport Ballereau justifie le recul de la liberté tarifaire prévalant aujourd'hui en ces termes : « le choix, indispensable pour le patient et l'efficience des dépenses de biologie médicale, de retenir l'option de la biologie médicale et non de la seule analyse de laboratoire conduit à être homogène avec l'approche retenue pour les autres disciplines médicales, disciplines pour lesquelles il est de doctrine constante que les actes médicaux ne donnent pas lieu à des ristournes (même s'il existe parfois des dépassements) ».

160. L'Autorité note que cette justification ― au demeurant partiellement inexacte (2) ― relève plus d'un parti pris idéologique que d'un objectif de santé publique clairement identifié.

(2) Le Conseil de la concurrence constatait ainsi dans sa décision n° 07-D-41 que « les prix des prestations de services qu'un médecin libéral apporte à un hôpital ne sont (...) pas prédéfinis par les nomenclatures et tarifs relatifs au remboursement des assurés sociaux et relèvent du régime de droit commun de la liberté des prix prévu aujourd'hui à l'article L. 410-2, premier alinéa, du code de commerce ».