L'Autorité de la concurrence,
Vu la lettre, enregistrée le 21 décembre 2009 sous le numéro 09/0138 A, par laquelle le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a saisi l'Autorité de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 462-2 du code de commerce, d'une demande d'avis portant sur un projet d'ordonnance relatif à l'organisation de la biologie médicale ;
Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 4 janvier 2010 ;
Les représentants du ministère de la santé et des sports entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du code de commerce ;
Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
I. ― LE CONTEXTE
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L'Autorité de la concurrence est saisie sur le fondement de l'article L. 462-2 du code de commerce aux termes duquel « L'Autorité est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ».
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L'Autorité tient à souligner que, du fait d'une saisine très tardive, elle a été conduite à se prononcer dans des délais très courts. Dans ce contexte, l'analyse à laquelle il sera procédé ne saurait prétendre à l'exhaustivité. En tout état de cause, dans le cadre du présent avis, l'Autorité ne se prononcera que sur des questions de concurrence d'ordre général. Les développements qui suivent ne sauraient ainsi en aucune manière préjuger des appréciations qui pourraient être portées dans le cadre de procédures contentieuses.
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Le secteur concerné
a) Les domaines d'activités -
Les laboratoires d'analyses médicales sont des établissements où médecins et pharmaciens spécialisés en biologie analysent et interprètent des prélèvements dans le but d'aider au diagnostic médical. Environ un quart des laboratoires opère en milieu hospitalier. Les trois quarts du parc de laboratoires exercent en libéral.
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Les laboratoires sont actifs pour la plupart dans les six spécialités suivantes : biochimie, hématologie, microbiologie, immunologie, parasitologie et virologie. L'essentiel de leur activité est réalisé sur ordonnance médicale. A titre d'activités secondaires, ils peuvent opérer sur d'autres marchés tels que les activités vétérinaires, les tests cliniques délégués par les sociétés de recherche sous contrat ou encore l'environnement et la cosmétologie.
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La variété des analyses et des techniques employées permet d'effectuer une segmentation entre deux catégories de laboratoires, à savoir, d'une part, les laboratoires dits de « proximité », de taille généralement réduite, dont l'activité vise à satisfaire une demande en analyses courantes et dont le marché géographique se limite généralement à l'échelle de la ville, voire du quartier et, d'autre part, les laboratoires spécialisés, de plus grande taille, positionnés sur des créneaux de haute technicité et se distinguant par l'étendue de leur offre d'examens et de leur sphère géographique d'intervention.
b) Une profession relativement « atomisée »
- Le conseil national de l'ordre des pharmaciens recensait, à la fin 2008, 4 262 laboratoires privés d'analyses en France, un chiffre particulièrement important par rapport aux autres Etats membres de l'Union européenne. Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2005, la Cour des comptes avait déjà relevé qu'il existait en France « 7 000 biologistes libéraux, répartis entre 4 000 laboratoires d'analyse. Cette organisation très éclatée diffère de la situation allemande où il existe seulement 400 très gros laboratoires ».
- La majorité des laboratoires d'analyse exerçant en France sont de petites structures de proximité dont l'objectif est de satisfaire une demande d'analyses courante. Depuis la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, les laboratoires ont néanmoins la possibilité de se regrouper au sein de sociétés d'exercice libéral (ci-après SEL). Ces structures permettent l'exercice en commun et la mutualisation des charges et des investissements. Elles donnent également la possibilité de racheter un laboratoire ou de regrouper des moyens pour créer un laboratoire supplémentaire dans une zone géographique délimitée (trois départements limitrophes, hors Ile-de-France).
- Les SEL les plus importantes sur le marché français parviennent à regrouper jusqu'à une dizaine de laboratoires (Biotop, Lab-72). Au niveau européen cependant, des groupes comme Labco et Unilabs ont réussi à développer des réseaux d'une centaine de laboratoires. Le réseau Labco contrôle ainsi environ 120 laboratoires en France. Les deux leaders français de la biologie médicale sont Biomnis et Pasteur Cerba, tout deux indirectement contrôlés par des fonds d'investissement européens.
- En dépit de cette tendance à la concentration des moyens, le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2005 de la Cour des comptes formulait la proposition de réformer et assouplir la réglementation française de manière à faciliter plus avant le regroupement des laboratoires de biologie médicale et la rationalisation de leur activité.
c) Les perspectives du secteur
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Une étude « Xerfi 700 » d'octobre 2009 relevait qu'en dépit de fondamentaux porteurs (vieillissement de la population, progrès médicaux, développement des programmes de prévention et de dépistage, etc.), l'activité des laboratoires avait connu un net ralentissement ces dernières années. Proche de 10 % par an jusqu'en 2003, le taux de croissance de la consommation d'analyses médicales a en effet été ramené à 3 % à partir de 2005, notamment sous l'effet des restrictions budgétaires de l'assurance-maladie. Afin de résorber le déficit de la sécurité sociale, les pouvoirs publics ont en effet principalement joué sur les leviers de la baisse des tarifs des actes de biologie médicale (3 révisions en 4 ans depuis 2005), la modération des prescriptions des médecins et la responsabilisation des assurés (franchise de 1 euro par acte).
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Avec un déficit annuel estimé qui devrait se maintenir au-dessus des 10 milliards d'euros jusqu'en 2012, les mesures pour assainir les comptes de l'assurance-maladie devraient encore s'intensifier dans les prochaines années. Le PLFSS 2010 prévoit d'ores et déjà une nouvelle économie de 240 millions d'euros au niveau des secteurs de la radiologie et de la biologie.
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Les baisses de prix successives des actes de biologie (juillet 2006, octobre 2007 et janvier 2009) se sont traduites par un repli de près de 6 points du taux de résultat courant avant impôts entre 2004 et 2009. D'environ 19 %, ce dernier garantit toutefois un niveau de résultat très élevé à la profession. Le taux de marge économique nette, estimé en 2008 à 21 %, est ainsi l'un des plus importants parmi les professions médicales.
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L'environnement réglementaire
a) Un modèle « à la française » -
La biologie médicale privée est actuellement strictement encadrée par des réglementations touchant à ses formes d'exploitation, aux tarifs des actes (liés à la « lettre clé B » à valeur monétaire fixée ainsi qu'à une grille de cotation, la « nomenclature des actes »), aux effectifs requis selon le volume d'actes traités, aux qualifications requises pour effectuer les examens ainsi qu'au contrôle de la qualité des analyses.
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Une loi de 1975 a fixé le dispositif législatif et réglementaire de la profession. Son objectif fondamental était de préserver le rattachement de la biologie à la sphère médicale et de la protéger de possibles « dérives » commerciales. A ce dernier titre, cette loi instituait notamment l'obligation d'une détention du capital des laboratoires par les seuls biologistes en exercice à hauteur d'au moins 75 %.
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De plus, le directeur de laboratoire se voyait accorder un très large champ de responsabilités, dépassant le simple examen technique pour toucher directement à l'élaboration du diagnostic et à la prescription de soins. L'accès aux statuts de directeur ou de directeur adjoint de laboratoire confère ainsi un « monopole » de compétence, tant dans les opérations d'analyses que dans celles de gestion d'un laboratoire : la direction d'un laboratoire est ainsi ouverte aux seuls médecins (ou pharmaciens et vétérinaires) disposant d'une formation en biologie médicale. En contrepartie de cette restriction, les directeurs et directeurs adjoints ne peuvent en revanche exercer dans plus d'un laboratoire et ne peuvent non plus pratiquer une autre activité médicale (à l'exception des fonctions d'enseignement ou d'une activité hospitalière à temps partiel).
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A l'heure actuelle, et contrairement aux officines de pharmaciens, les laboratoires ne sont soumis à aucune contrainte concernant leur implantation géographique. La liberté d'installation est donc de principe, sans aucune référence aux besoins sanitaires de la population. En revanche, des restrictions encadrent les pratiques de collecte des prélèvements. Ainsi, le ramassage organisé est interdit dans les agglomérations où existe une pharmacie ou un laboratoire exclusif. Les transmissions de prélèvements d'un laboratoire à un autre ou entre pharmacies et laboratoires sont, quant à elles, autorisées, mais sous condition qu'un contrat de collaboration ait été conclu au préalable entre les parties. Ces contrats doivent être établis au sein d'une même zone géographique (3 départements limitrophes) et sont limités à 9 par laboratoire. Les restrictions ne concernent toutefois ni les actes « réservés » ou « très spécialisés ».
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Ainsi, les conditions d'exercice et les règles de propriété sont, de fait, parmi les plus restrictives en Europe : les laboratoires médicaux français bénéficient d'un large monopole d'activité, d'une limitation à l'entrée de capitaux extérieurs mais également de tarifs supérieurs à la moyenne européenne. Il convient à ce dernier titre de relever que les laboratoires tirent profit du maintien d'un vaste parc de laboratoires de proximité et de revenus moyens parmi les plus élevés à l'échelle des professions de santé.
b) Les critiques adressées au système actuel
- La nécessité de réformer la réglementation actuelle a fourni la matière de deux principaux rapports. L'un émanait de l'inspection générale des affaires sociales (« La biologie médicale : bilan et perspectives », IGAS, 2006), l'autre résultait d'une demande de la ministre de la santé et des sports (« Rapport sur un projet de réforme de la biologie médicale » remis en septembre 2008 par M. Ballereau). Par ailleurs, la Cour des comptes a formulé récemment plusieurs observations dans son RALFSS de 2009, au titre du suivi de ses recommandations. Mais les contestations les plus vives proviennent de la Commission européenne, laquelle a lancé des procédures contentieuses contre le système actuel.
Le rapport de l'IGAS de 2006 : - Dans son rapport présenté en avril 2006 (rapport n° 2006 045), l'IGAS relevait que l'autorisation d'ouvrir un laboratoire était subordonnée à des normes inadaptées (liste obsolète d'équipements, normes imposant un ratio de nombre de directeurs par nombre de techniciens, une formation polyvalente à tous les directeurs de laboratoires, au lieu d'exiger que cette polyvalence soit obtenue au niveau du laboratoire, etc.).
- Le rapport de l'IGAS soulignait également que les modalités d'exercice de l'analyse médicale plaçaient les laboratoires à l'abri de la concurrence en donnant au biologiste français un monopole d'exercice (qui exclut notamment les autres professions de santé), en restreignant les possibilités de collecte des prélèvements et en « verrouillant » au profit de ces seuls biologistes le capital des laboratoires.
- Par ailleurs, le rapport de l'IGAS notait que les modalités de prise en charge par l'assurance-maladie étaient coûteuses et critiquables et que, notamment, les prix découlant de la nomenclature des actes de biologie médicale avaient établi une hiérarchie souvent inadaptée et n'avaient donc pas servi d'instrument de régulation économique, puisque ne reflétant ni les gains de productivité, ni l'augmentation des volumes ou les effets de structure.
- Enfin, le rapport soulignait que les principaux éléments pouvant justifier le coût élevé des actes de biologie et des particularités juridiques du dispositif, à savoir la qualité des examens, la proximité et le service rendu au malade, posaient problème.
- En matière de qualité, le rapport relevait notamment que les efforts des laboratoires étaient inégaux, estimant qu'environ 100 laboratoires remplissaient les conditions d'une réelle qualité, que 2 000 réalisaient de vrais efforts pour appliquer les bonnes pratiques mais qu'en revanche entre 200 et 500 laboratoires avaient un « fonctionnement à risque ». Quant aux 1 300 à 1 500 restants, souvent de petite taille et dirigés par un seul biologiste, le rapport notait qu'ils n'étaient pas en mesure de remplir les conditions de qualité. En matière de proximité et de service rendu au malade, le rapport de l'IGAS soulignait de même que ces critères étaient loin d'être remplis de façon homogène.
Le rapport Ballereau : - Le rapport présenté en septembre 2008 par M. Ballereau, conseiller général des établissements de santé, insistait quant à lui sur la nécessité d'une réforme du système actuel autour de trois principales orientations.
- La réforme devait tout d'abord réaffirmer la reconnaissance de la biologie comme une discipline médicale, « un maillon essentiel du parcours de soins et un élément déterminant de la prise en charge des patients ». Le rapport insistait sur le fait qu'elle ne pouvait être assimilée à un service technique et recommandait entre autres de renforcer la collaboration entre le clinicien prescripteur et le biologiste médical, afin que « le biologiste assume la responsabilité de la totalité de l'examen et non plus seulement la simple analyse ».
- Le rapport recommandait ensuite la mise en place d'un système d'accréditation des laboratoires « afin de garantir une qualité prouvée pour tous les examens réalisés ».
- Enfin, le rapport préconisait que l'investissement dans le capital des laboratoires soit libre et que l'obligation que les laboratoires soient détenus à au moins 75 % par des biologistes en exercice soit levée. Cependant, le rapport suggérait d'encadrer cette ouverture du capital afin de préserver les spécificités du système de santé français : ainsi, il était proposé qu'un même investisseur ne puisse détenir plusieurs laboratoires sur un même « territoire de santé » (tels qu'ils sont définis par les schémas régionaux d'organisation sanitaire), ni dans deux territoires de santé contigus. Il s'agirait notamment, selon M. Ballereau, d'éviter des situations de position dominante d'un investisseur, laquelle pourrait créer une carence dans l'offre de biologie médicale si cet investisseur venait à se désengager. Dans le même but, il était proposé qu'un investisseur ait l'obligation de rester au moins sept ans au capital d'un laboratoire. Enfin, le rapport préconisait que les interdictions d'investissement pour les prescripteurs, les fournisseurs et les assurances soient maintenues, afin d'éviter les conflits d'intérêts.
Le rapport de la Cour des comptes : - Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2009, au titre du suivi des recommandations, la Cour des comptes observait que « la réglementation actuelle est [] à l'origine de l'atomisation du secteur qui freine les gains de productivité et peut porter préjudice à la qualité des analyses. Conformément aux recommandations des rapports de l'IGAS et de M. Ballereau, qui invitent à adopter un système reposant sur l'accréditation et le contrôle, plutôt que sur des obligations de moyens, la réforme de la biologie médicale prévue par la loi "Hôpital, patients, santé et territoire ”se traduirait par une suppression des normes actuellement applicables aux laboratoires, qu'il s'agisse de la dotation en certains équipements, dont la liste serait devenue obsolète, ou de locaux formés d'un seul tenant et d'effectifs qualifiés, de manière à faciliter certains gains de productivité. Elle redéfinirait la notion de laboratoire, pour faire place dans notre droit à des entités multi-sites sur un territoire de santé. [] Il devrait en résulter une restructuration du secteur, conduisant normalement à une réduction du nombre de laboratoires. Il reste que le maintien des nombreuses restrictions quant à la participation au capital des sociétés exploitant des laboratoires ainsi que de l'interdiction de créer des centres de prélèvement constitue un frein puissant aux regroupements des laboratoires. Il n'apparaît pas justifié par des préoccupations d'accès aux examens en tout point du territoire, celui-ci pouvant au contraire être étendu grâce à la création de centres de prélèvements, ni par des inquiétudes quant à d'éventuelles atteintes au droit de la concurrence, prix et qualité des analyses étant réglementés. Par ailleurs, la Commission européenne juge que les limitations apportées à l'ouverture du capital des sociétés d'exercice libéral (SEL) de biologistes contreviennent au principe de liberté d'établissement prôné par le droit communautaire et a saisi à ce sujet la Cour de justice des Communautés européennes le 29 janvier [2009]. Elle estime que le monopole d'exploitation dont jouissent les biologistes suffit au regard des objectifs de santé publique et que le monopole de détention ne se justifie pas. Ce point juridique n'est pas tranché à ce jour. En tout état de cause, favoriser le regroupement des laboratoires constituait un des axes de la recommandation faite dans le RALFSS de 2005, qui demeure pleinement pertinent aujourd'hui. Il convient donc de la renouveler sur ce point » (soulignement ajouté).
Les procédures lancées par la Commission européenne : - A la suite d'une plainte déposée en janvier 2005 auprès de la Commission, cette dernière a adressé en avril 2006 à l'Etat français un avis motivé préconisant l'ouverture totale du capital des SEL. La Commission européenne soulignait le caractère très restrictif des règles concernant la propriété du capital des laboratoires, notamment le fait que :
― les directeurs et directeurs adjoints de la structure doivent détenir la majorité du capital social et des droits de vote ;
― la participation des personnes physiques et morales autres que les directeurs et directeurs adjoints (ou leurs ayants droit) est limitée à 25 % du capital d'une SEL ;
― les autres professionnels de santé sont interdits de participation au capital d'une SEL, de même que les fournisseurs, distributeurs ou fabricants de matériel ou de réactifs d'analyses de biologie médicale ;
― enfin, une personne physique ou morale ne peut détenir des participations que dans deux SEL différentes. - La Commission relevait ainsi que la limitation des prises de participations dans différentes SEL s'opposait à l'exercice de la liberté d'établissement prévu à l'article 43 du traité de Rome (devenu article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).
- Pour prévenir une procédure auprès de la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après CJCE), l'Etat français s'est engagé en avril 2008 à enclencher une libéralisation des règles de propriété du capital des laboratoires dans le cadre de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (ci-après HPST). Cependant, la Commission ayant finalement déposé un recours auprès de la CJCE, il semblerait que le Gouvernement a préféré repousser l'échéance, attendant notamment la décision des juges européens.
- Enfin, il convient également de noter que, le 12 octobre 2007, la société Labco a déposé auprès de la Commission européenne une plainte fondée sur l'article 81-1 du traité instituant la Communauté européenne (devenu article 101-1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) contre le conseil national de l'ordre des pharmaciens pour entrave à la libre concurrence. Labco considère que l'ordre des pharmaciens use de son pouvoir réglementaire et disciplinaire en s'opposant au regroupement des laboratoires, faussant de ce fait la concurrence sur le marché de l'analyse médicale. Ce dossier est actuellement en cours d'examen.
c) La réforme de la biologie médicale
- La France a entrepris une profonde réforme de la biologie médicale. Lancée en septembre 2008 à la suite de la remise au ministère de la santé du rapport Ballereau, elle a officiellement abouti en juillet 2009 avec l'adoption par le Parlement de la loi HPST (« Hôpital, patient, santé et territoires »).
- Cependant, sur les trois principales recommandations du rapport Ballereau, seules deux ont abouti dans le cadre de cette loi, à savoir le renforcement du caractère médical de la profession et la mise en place d'une procédure d'accréditation. En effet, comme déjà mentionné, l'ouverture du capital, souhaitée par la Commission européenne mais apparemment vivement repoussée par les biologistes, a été reportée dans l'attente de la résolution du contentieux pendant devant la Cour de justice de l'Union européenne.
- En application de l'article 69 de la loi HPST, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance toutes mesures relevant du domaine de la loi, réformant les conditions de création, d'organisation et de fonctionnement des laboratoires de biologie médicale et visant à :
- Harmoniser les dispositions applicables aux laboratoires de biologie médicale publics et privés ;
- Mieux garantir la qualité des examens de biologie médicale, notamment en mettant en place une procédure d'accréditation des laboratoires ;
- Définir les missions du biologiste, du laboratoire de biologie médicale et du personnel technique dans le cadre du parcours de soins du patient, en assurant l'efficacité des dépenses de santé ;
- Instituer les mesures permettant d'assurer la pérennité de l'offre de biologie médicale dans le cadre de l'organisation territoriale de l'offre de soins ;
- Eviter les conflits d'intérêts et garantir l'autorité du biologiste responsable sur l'activité du laboratoire de biologie médicale ;
- Adapter les missions et prérogatives des agents habilités à effectuer l'inspection des laboratoires de biologie médicale ;
- Adapter le régime des sanctions administratives et pénales ;
- Disposer que les laboratoires de biologie médicale privés doivent être exploités en nom propre ou sous la forme d'organismes à but non lucratif (SEL notamment).
- C'est ce projet d'ordonnance qui fait l'objet de la présente saisine de l'Autorité. Comme déjà mentionné au point b supra, ce projet vise à réaffirmer la reconnaissance de la biologie comme un maillon essentiel du parcours de soins et renforcer la collaboration entre le clinicien prescripteur et le biologiste médical.
II. ― LE PROJET D'ORDONNANCE SOUMIS À L'AUTORITÉ
- Les développements qui suivent se concentrent sur quelques points de concurrence soulevés par le projet d'ordonnance. Compte tenu notamment des délais très contraints dans lesquels l'Autorité a été amenée à conduire son analyse, ils ne sauraient être exhaustifs. De plus, comme déjà mentionné, le présent avis ne préjuge pas des appréciations qui pourraient être portées dans le cadre d'éventuelles procédures contentieuses.
A. ― Remarques préliminaires
- A titre préliminaire, il convient de relever, ainsi que le Conseil de la concurrence l'avait indiqué dans son avis n° 08-A-15 du 29 juillet 2008 relatif à un projet de décret portant code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes, qu'il n'existe pas de définition légale des professions libérales. Le droit communautaire a tenté d'en donner une définition, notamment dans la directive n° 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, au point 43, où il est précisé qu'une profession libérale est « une profession exercée sur la base de qualifications professionnelles appropriées, à titre personnel, sous sa propre responsabilité et de façon professionnellement indépendante en offrant des services intellectuels et conceptuels dans l'intérêt du public ». Son exercice « peut être soumis dans les Etats membres en conformité avec le traité à des obligations juridiques spécifiques, basées sur la législation nationale et la réglementation établie dans ce cadre de manière autonome par l'organe professionnel représentatif compétent qui garantissent et améliorent le professionnalisme, la qualité du service et la confidentialité des relations avec le client ».
- Ces professions se définissent comme des professions non commerciales. Ce sont toutefois des activités économiques puisqu'elles consistent à offrir des services. Elles constituent donc des entreprises au sens du droit communautaire de la concurrence.
- Compte tenu de la spécificité de leur domaine d'intervention, les professions libérales font l'objet de réglementations particulières, exorbitantes du droit commun. Cet encadrement réglementaire s'explique tant par le fait que les « externalités sociales » de ces activités sont fortes que par l'asymétrie d'information qui caractérise la relation entre le professionnel libéral et son client, ce dernier étant le plus souvent obligé de s'en remettre à l'avis du professionnel et les services offerts étant donc des biens acquis en confiance. Compte tenu de ces spécificités, auxquelles s'ajoutent dans le cas des soins de santé la circonstance que le coût des services fait l'objet d'une prise en charge par l'assurance maladie, les seules règles du marché sont insuffisantes à garantir que les exigences de sécurité et de qualité qui s'attachent à ces professions seront satisfaites.
- En matière de santé publique, les Etats membres ont ainsi une certaine latitude pour définir les règles propres à assurer un certain niveau de protection. L'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (anciennement article 152 CE) prévoit en ce sens que « l'action de la Communauté dans le domaine de la santé publique respecte pleinement les responsabilités des Etats membres en matière d'organisation et de fourniture de services de santé et de soins médicaux ».
- Dans le domaine médical, des restrictions peuvent parfois trouver justification du fait notamment des objectifs de protection de la santé publique. Ainsi qu'en a jugé la Cour de justice de l'Union européenne (antérieurement Cour de justice des Communautés européennes, ci-après « CJCE »), « la protection de la santé publique figure parmi les raisons impérieuses d'intérêt général qui peuvent justifier des restrictions aux libertés de circulation garanties par le traité telles que la liberté d'établissement » (CJCE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes, C-171/07 et C-172/07). De telles restrictions ne doivent cependant pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de protection de la santé publique.
- C'est dans ce cadre que l'Autorité de la concurrence est alors amenée à connaître, sur le fondement de l'article L. 462-2 du code de commerce, des projets de réglementation.
B. ― Les questions relatives à la structure juridique
et capitalistique des laboratoires
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Les dispositions de l'ordonnance
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Art. L. 6223-2 :
« Une personne physique ou morale ne peut contrôler, directement ou indirectement, plusieurs laboratoires de biologie médicale privés situés sur un même territoire de santé infrarégional ou sur des territoires de santé infrarégionaux limitrophes. Une personne physique ou morale ne peut détenir, directement ou indirectement, une participation dans le capital social de plusieurs laboratoires de biologie médicale privés situés sur un même territoire de santé infrarégional ou sur des territoires de santé infrarégionaux limitrophes.
« Lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors d'un changement de délimitation des territoires de santé infrarégionaux, les conditions dans lesquelles le contrôle, direct ou indirect, de plusieurs laboratoires de biologie médicale privés ou la participation, directe ou indirecte, dans le capital social de plusieurs laboratoires de biologie médicale privés, peuvent être maintenus sont déterminées par décret. » -
Ainsi que le souligne le projet de rapport au Président de la République concernant le projet d'ordonnance, l'article L. 6223-2 pose des règles dites « prudentielles » avec une interdiction de détention ou de contrôle, direct ou indirect, de plusieurs laboratoires de biologie médicale. La même restriction s'applique à la détention d'une simple participation dans le capital social, sans contrôle (1).
(1) Même si le projet d'ordonnance ne le précise pas explicitement, la notion de contrôle à laquelle il est fait ici référence est vraisemblablement celle définie à l'article L. 233-3 du code de commerce, qui vise la détention de la majorité des droits de vote, et est plus restrictive que la notion de contrôle figurant à l'article L. 430-1 du code de commerce relatif aux concentrations entre entreprises. La notion de participation, définie à l'article L. 233-2 du code de commerce, recouvre quant à elle la détention d'une fraction du capital comprise entre 10 % et 50 %.
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