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L'Autorité insiste de nouveau sur le fait qu'elle n'entend pas se faire le juge du choix de la biologie médicale retenu par le gouvernement. Mais elle considère que l'élimination de toute concurrence par les prix sur le marché n'est en rien consubstantielle à ce choix.
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L'interdiction des ristournes se justifie dans un contexte d'asymétrie d'information, dans lequel le patient ne peut contrôler la qualité des analyses. Elle ne trouve en revanche aucune justification dans le cadre de relations entre professionnels, telles que celles entre les laboratoires et les établissements de santé publics ou privés, qui sont parfaitement à même d'évaluer la qualité de la prestation du laboratoire et ne subissent pas l'asymétrie d'information que subit un patient.
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Dès lors, rien ne vient justifier, du point de vue de l'objectif de protection de la santé publique, une disposition qui vise à interdire les remises au bénéfice des établissements de santé, publics ou privés, ou des régimes ou des organismes d'assurance maladie, comme la législation actuelle le permet.
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L'article 101, paragraphe 1 du traité mentionne expressément comme restrictifs de la concurrence les décisions d'associations d'entreprises qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix. Ces décisions ont un objet anticoncurrentiel.
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Cette disposition ne s'applique qu'aux entreprises, et non à l'Etat. Celui-ci peut, pour des motifs d'intérêt général, fixer des prix minimum, si l'objectif d'intérêt général visé compense la restriction de concurrence induite par la mesure.
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Mais, en l'espèce, aucun motif d'intérêt général, et en particulier aucun objectif de protection de la santé publique, ne justifie de revenir sur une liberté tarifaire qui a pu s'exercer pendant de nombreuses années sans qu'aucun inconvénient pour la santé publique n'ait pu en découler.
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Bien au contraire, les remises ainsi obtenues par les établissements de santé ont pu être très substantielles, pouvant aller de 20 % jusqu'à 50 %. L'impact sur le budget global des hôpitaux, par exemple, n'a pu être que positif, ce qui n'a certainement pas nui à la protection de la santé publique.
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La mesure envisagée a ainsi pour conséquence de supprimer toute concurrence par les prix entre laboratoires, au détriment des patients et de la santé publique.
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Les représentants du ministère de la santé ont indiqué en séance que la mesure avait pour objet d'inciter les hôpitaux publics à internaliser leurs analyses médicales, en rendant moins attractive financièrement l'externalisation.
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Le ministère, autorité de tutelle des hôpitaux publics, peut légitimement estimer que l'internalisation de ces prestations pourrait être souhaitable du point de vue de la santé publique. Mais la tutelle dispose de nombreux moyens pour parvenir à cet objectif, sans qu'il soit nécessaire pour ce faire d'éliminer toute concurrence par les prix sur le marché.
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En conséquence, l'Autorité est d'avis que la proscription des remises au bénéfice des établissements de santé et de l'assurance maladie est injustifiable. Elle insiste tout particulièrement sur la nécessité de rétablir à l'article L. 6212-20 du projet d'ordonnance la rédaction de l'actuel article L. 6211-6 du code de la santé publique : « sous réserve des accords ou conventions susceptibles d'être passés avec des régimes ou des organismes d'assurance maladie ou des établissements de santé publics ou privés ».
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Réservation de certains examens à des laboratoires spécialisés
a) Les dispositions de l'ordonnance -
Art. L. 6212-22 :
« L'exécution des examens de biologie médicale, des activités biologiques d'assistance médicale à la procréation et des examens d'anatomie et de cytologie pathologiques qui requièrent une qualification spéciale ou qui nécessitent le recours à des produits présentant un danger particulier peut être réservée à certains laboratoires et à certaines catégories de personnes.
« La liste de ces examens de biologie médicale, de ces activités biologiques d'assistance médicale à la procréation et de ces examens d'anatomie et de cytologie pathologiques, celle des laboratoires et celle des catégories de personnes habilitées à les effectuer sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la section compétente de la commission nationale consultative de biologie médicale et d'anatomie et de cytologie pathologiques. » -
Cet article concerne les conditions et les modalités d'exécution de certains examens qui présentent un risque particulier lors de leur réalisation ou qui requièrent une qualification spéciale.
b) Analyse concurrentielle
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Les représentants du ministère de la santé ont indiqué que l'article L. 6212-22 ne concernait que des examens très sophistiqués (génétique, procréation etc.) et liés également à des questions d'éthique. Ils ont ajouté que le projet d'ordonnance visait également à mieux impliquer la commission nationale consultative de biologie médicale et d'anatomie et de cytologie pathologiques dans les problématiques liées à l'évolution de la discipline, et non seulement aux seules décisions d'ordre individuel.
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L'Autorité admet que la restriction posée par l'article L. 6212-22, concernant des examens particulièrement « délicats » notamment du point de vue éthique, vise à répondre à un objectif de santé publique clairement identifié. Prima facie, l'analyse de la proportionnalité de la limitation d'exercice par rapport à cet objectif semble moins sujette à caution que celle concernant les conditions de prélèvement ou de transmission des échantillons.
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L'article L. 6212-22 octroie cependant un rôle majeur à une commission nationale consultative de biologie médicale et d'anatomie et de cytologie pathologiques, qui regrouperait les commissions de biologie existantes, et à laquelle il appartiendra de contribuer à établir la liste des examens concernés par la restriction ainsi que celle des laboratoires et des catégories de personnes habilitées à les effectuer.
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Ainsi, la question demeure de savoir sur la base de quels critères la commission sera amenée à rendre ses avis. Ainsi qu'il est constant en la matière, la commission devrait établir des critères objectifs, transparents et non discriminatoires. Ces critères devraient notamment préciser suffisamment les définitions des examens prévus à l'article L. 6212-22. Afin de limiter les risques de « capture » réglementaire, il serait souhaitable que la commission soit composée majoritairement de membres de l'administration. Si le Gouvernement ne retenait pas cette option, et optait pour une commission majoritairement composée de représentants des acteurs de la profession, il conviendrait de s'assurer, ainsi que le Conseil de la concurrence l'avait indiqué dans le cadre de l'avis n° 06-A-07 du 22 mars 2006 relatif à l'examen des modalités de fonctionnement de la filière du commerce équitable en France, que l'autorité publique conserve un réel pouvoir d'approbation ou de réformation des avis de la commission, et se borne pas à être une simple « chambre d'enregistrement » de ceux-ci.
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Publicité
a) Les dispositions de l'ordonnance -
Art. L. 6222-6 :
« La publicité ou la promotion par un laboratoire de biologie médicale ou en faveur d'un laboratoire de biologie médicale est interdite. Les indications relatives à l'existence et à la localisation du laboratoire de biologie médicale publiées au moment de l'ouverture de celui-ci ou de ses sites, la mention de l'accréditation du laboratoire de biologie médicale, et l'information scientifique auprès du corps médical et pharmaceutique ne sont pas de la publicité. » -
Cet article pose le principe de l'interdiction de la publicité ou de la promotion par un laboratoire de biologie médicale ou en faveur d'un laboratoire de biologie médicale. Néanmoins, l'information sur l'accréditation du laboratoire de biologie médicale étant une obligation découlant de l'accréditation elle-même, elle est explicitement sortie du champ de la publicité.
b) Analyse concurrentielle
- Les représentants du ministère de la santé ont indiqué que l'article L. 6222-6 contenait des dispositions classiques dans le domaine médical.
- Il convient à ce titre de relever, ainsi que le Conseil de la concurrence l'avait souligné dans son avis n° 95-A-04 du 21 février 1995 relatif à une question posée par l'Association de défense des pharmaciens de Paris dans le domaine des produits parapharmaceutiques, que si les principes de la libre concurrence ne peuvent trouver pleinement à s'appliquer en ce qui concerne la vente de produits comme les médicaments, compte tenu des impératifs de santé publique qui prévalent en ce qui les concerne, ces principes retrouvent leur empire s'agissant de la commercialisation des autres produits que sont habilités à vendre les pharmaciens d'officine dès lors que n'y font pas directement obstacle des préoccupations d'intérêt général, essentiellement tirées de la protection de la santé. Le Conseil avait indiqué dans l'avis précité que ces préoccupations pourraient naître de la nature même des produits concernés ou de la spécificité de l'activité des pharmaciens :
« les produits de parapharmacie étant par définition d'une nature telle qu'ils ne justifient ni distribution exclusive par les professionnels hautement qualifiés que sont les pharmaciens, ni procédure d'autorisation de mise sur le marché, aucun motif tiré de la protection de la santé publique ne paraît justifier que leur commercialisation soit exclue du libre jeu de la concurrence par des limitations concernant les modalités selon lesquelles la publicité pourrait être faite en leur faveur, sous réserve, le cas échéant, du respect des obligations résultant de l'article L. 551 du code de la santé publique. » - S'agissant en revanche de produits ou services touchant directement à la santé publique, la CJCE a reconnu que des restrictions à la publicité étaient en principe justifiées. Ainsi, dans un arrêt du 17 juillet 2008 (Corporación Dermoestética, C-500/06), la CJCE avait indiqué, s'agissant des traitements médicaux et chirurgicaux dans le domaine des soins esthétiques, que :
« si, en principe, une réglementation de la publicité télévisée relative aux traitements médicaux et chirurgicaux dispensés par les établissements médicaux privés est susceptible d'être justifiée au regard de l'objectif de protection de la santé publique, toutefois, un régime qui interdit une telle publicité sur les chaînes de télévision nationales, tout en l'autorisant, sous certaines conditions, sur les chaînes de télévision locales, présente une incohérence et n'est donc pas de nature à répondre utilement à l'objectif susmentionné qu'il entend poursuivre ». - Au cas d'espèce, il n'appartient pas à l'Autorité de déterminer si, au sein des activités de biologie médicale, certaines pourraient relever d'une interdiction de publicité et d'autres non, comme par exemple les tests liés à l'environnement ou à la cosmétologie. Cependant, il apparaît en première analyse que l'interdiction de principe de publicité ou promotion par un laboratoire de biologie médicale ou en faveur d'un laboratoire de biologie médicale est susceptible d'être justifiée au regard de l'objectif de protection de la santé publique.
III. ― CONCLUSION
- Les principales recommandations de l'Autorité consistent ainsi, s'agissant des règles de conflits d'intérêts :
― à limiter les restrictions visant les professionnels de santé, posées à l'article L. 6223-3, aux seuls prescripteurs,
― à substituer la notion de participation à la notion de fraction du capital qui figure dans la rédaction actuelle des articles L. 6223-3 et L. 6223-4,
― et à supprimer les restrictions pesant sur les entreprises d'assurance, de prévoyance ou autre visées aux articles L. 6223-3 et L. 6223-4. - S'agissant de la restriction relative à la détention du capital figurant à l'article L. 6223-6, l'Autorité est d'avis de supprimer les mots « détenant une fraction du capital social ».
- S'agissant des limitations au stade du prélèvement et de la transmission, l'Autorité émet des réserves concernant les articles L. 6212-14 et L. 6212-18, et relève que l'IGAS identifie d'autres modes d'organisation, qui seraient moins restrictifs de concurrence sans pour autant porter atteinte à l'objectif de santé publique. L'Autorité n'est toutefois pas juge des choix de santé publique effectués par le Gouvernement.
- Concernant les limitations touchant à l'ouverture et au fonctionnement des laboratoires, l'Autorité propose de supprimer l'article L. 6223-2. L'Autorité recommande également de supprimer, à l'article L. 6222-2, 2° , la faculté pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à l'ouverture d'un laboratoire ou d'un site.
- Enfin, l'Autorité considère que la proscription des remises au bénéfice des établissements de santé et de l'assurance maladie est injustifiable. Elle insiste tout particulièrement sur la nécessité de rétablir à l'article L. 6212-20 du projet d'ordonnance la rédaction de l'actuel article L. 6211-6 du code de la santé publique : « sous réserve des accords ou conventions susceptibles d'être passés avec des régimes ou des organismes d'assurance maladie ou des établissements de santé publics ou privés ».
Délibéré sur le rapport oral de M. Alain Mouzon et l'intervention de M. Stanislas Martin, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Anne Perrot, Elisabeth Flüry-Hérard et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.
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